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Chapitre 3 : Sauvetage - Partie 3

Indrala et Zoldrak marchaient côte à côte dans les longs corridors du palais, en silence. Même si la rancoeur et l'envie d'en découdre restaient tenaces, ils savaient qu'ils n'avaient pas le temps de s'enorgueillir davantage à quelques minutes de leur rencontre avec les Anciens, qui étaient loin d'avoir leur patience. 

La salle d'audience se trouvait dans les tréfonds du palais. Son entrée était presque invisible, cachée derrière une immense fresque de pierre à la gloire des temps passés. Deux fentes discrètes, situées de chaque côté du panneau central, permettaient de s'y glisser dans un astucieux effet de trompe l'oeil. Les deux dragons empruntèrent chacun une porte différentes. Les femmes et les hommes ne se mélangeaient pas dans les salles de prière.

Indrala marcha jusqu'à une grande statue de marbre. Elle représentait Draïs, la première dragonne ayant foulé le monde et qui avait donné naissance à son peuple. La jeune femme s'accroupit devant l'autel en silence un instant, la tête baissée et les yeux fermés. Elle se releva ensuite, et trempa ses doigts dans l'eau bénite, située dans le socle du monument. Elle la fit glisser sur son front et murmura quelques mots.

— Mère Draïs, accepte mes hommages et mon humilité. Puisse les cieux et le feu nous protéger tous.

Elle se pencha pour boire une gorgée de l'eau pure, puis se retira. En marche arrière, elle recula jusqu'à la porte de la salle, plus loin dans l'obscurité. On ne tournait pas le dos à la déesse. Elle attendit d'avoir passé l'entrée de l'antichambre pour reprendre une position normale et rejoindre Zoldrak, qui l'attendait déjà, les bras croisés.

Les deux dragons patientèrent encore quelques minutes en silence, jusqu'à ce que les immenses battants de bois s'entrouvrent. Indrala prit une grande inspiration, puis entra la première, son commandant sur les talons.

Ses yeux balayèrent l'espace gigantesque. La salle des Anciens était la plus grande du palais. Elle ressemblait à un grand théâtre, mais aménagé pour s'adapter à une utilisation quotidienne. Les Anciens ne la quittaient jamais, sauf en cas d'extrême urgence. Ils consacraient leur vie à la prière et à la gestion de leur peuple, et n'avaient guère le temps de voyager à leur guise dans les cieux de Tyrnformen. Ils ne le pouvaient pas, de toute manière. On disait leur forme draconique si grande qu'elle était capable d'avaler la montagne toute entière. Indrala pensait qu'il ne s'agissait que d'histoires, mais le mystère entretenu autour des trois dirigeants de la citadelle était si grand que personne ne pouvait le réfuter non plus.

Les Anciens vaquaient à leurs occupations, sans vraiment prêter attention aux nouveaux venus. Ils étaient trois, frères et soeurs de sang, unifiés comme un. Attablés autour d'une partie d'échecs, les frères jumeaux, Madra'O et Noldros, étaient concentrés. Le premier avait la chevelure indomptable, d'un blanc surnaturel. Assis à même le sol, les jambes croisées, il était torse nu, le corps couvert de tatouages tribaux anciens qui masquaient deux imposantes cicatrices sur le haut de sa poitrine, là où, plus jeune, il s'était fait retiré une partie de lui qui ne lui appartenait plus. Plus souriant, Noldros semblait se moquer de lui. Plus grand que son frère, il était entièrement chauve, à l'exception d'une longue tresse blanche qui lui tombait jusqu'en bas des fesses. Son corps était camouflé dans la même robe blanche que sa soeur, installée sur l'estrade sur son trône. Joldra, l'aînée, veillait sur le jeu de ses frère, occupée à tresser ses longs cheveux blancs sur le côté gauche de son visage d'un geste expert. Le plus frappant chez elle étaient ses yeux d'un bleu translucide, malade, aveugle, et qui pourtant paraissait sonder l'âme de ses interlocuteurs. On la disait née aveugle, mais personne n'avait vécu assez longtemps pour le confirmer. Les dragons blancs existaient depuis des millénaires, une espérance de vie que même les dragons noirs, pourtant réputés à la longévité longue, n'atteindraient jamais. Pour autant, il n'en existait plus que quatre, dont trois vivaient à la citadelle. Joldra étant la seule en capacité de produire un oeuf, mais ne le pouvant plus, leur espèce était en voie de disparition.

Indrala et Zoldrak marchèrent jusqu'à l'estrade. Ils posèrent un genou à terre et s'inclinèrent pour saluer Joldra. La dragonne hocha la tête et effectua un geste de la main pour les inviter à se relever. Ils se redressèrent et placèrent leurs mains derrière le dos.

— Vous voilà enfin de retour, jeune fille. Vous avez une semaine de retard.

— Mes excuses, Joldra. J'ai eu des difficultés à localiser Adranar en ville. La situation se dégrade pour les non-humains et il a déménagé dans les bas-fonds, pour s'assurer de ne pas être repéré.

— Je vois.

Zoldrak adressa un regard surpris à la jeune femme. Il ignorait tout de ses escapades dans le grand monde. Indrala aurait préféré les garder secrètes, mais elle se doutait bien que si le commandant était là, c'était pour qu'il soit mis lui aussi au courant. Cela ne plaisait pas à la dragonne. Elle ne voulait pas se retrouver attachée à lui comme un caniche en expédition. Il s'agissait de ses seules périodes de liberté, et elle comptait se battre pour les garder, avec griffes et crocs au besoin.

— Que voulait Adranar ? demanda Madra'O derrière eux. J'espère que c'était important.

Les deux frères avaient de toute évidence terminé leur partie et rejoignait à leur tour l'estrade. Ils s'installèrent sur les fauteuils de chaque côté de leur soeur.

Indrala garda le silence quelques secondes. Elle savait que leur décision ne ferait pas l'unanimité. Adranar avait agi sur un coup de tête, et elle risquait de le payer cher pour lui. Elle espérait que les Anciens soient aussi réceptifs à son plan qu'elle l'avait été. Peut-être aurait-elle dû refuser, finalement. Son intuition lui hurlait que ce n'était pas une bonne idée de tout leur avouer. Malheureusement, elle n'avait pas le choix. Elle ne l'avait plus depuis fort longtemps.

— Il m'a convoquée pour mettre à exécution un plan sur lequel il travaille depuis plusieurs mois. Adranar est parti du postulat que si nous voulions un jour combattre et reprendre notre place dans ce monde, nous allions avoir besoin de soldats. Comme vous le savez, nos oeufs mettent du temps à éclore, trop de temps, ce qui ne nous permet pas de régénérer notre population aussi efficacement que l'on le voudrait.

— Prenez garde à ce que vous allez dire, menaça Madra'O. Pensez-vous que nous sommes impuissants à ce point ?

— Ce n'est pas ce que je dis, mais nous devons être réalistes. Notre nombre n'est pas suffisant aujourd'hui pour mener une offensive et garantir notre pérennité. Mais il pourrait le devenir si ce que nous avons fait fonctionne.

Joldra se redressa sur son siège et croisa les jambes. Des trois, elle avait toujours été la plus encline aux changements. Miranda savait que c'était elle qu'elle devait convaincre. Madra'O était impulsif et conservateur. Que ce qu'elle ait fait aide leur peuple ou non, il chercherait à la discréditer. Noldros, plus placide, suivrait l'avis de sa soeur, comme toujours.

— Qu'avez-vous fait ? l'interrogea Joldra, la tête légèrement penchée sur le côté.

Indrala prit une inspiration. Ce qu'elle s'apprêtait à révéler risquait de tout changer. Elle devait en assumer les conséquences. Elle releva les yeux.

— Adranar a mis au point une potion qui permettrait de métamorphoser les hommes en dragons. Nous la testons actuellement sur le prince héritier d'Isendorn, Aranwë Balrarion.

Un long silence suivit sa déclaration. Il lui sembla que même Zoldrak avait arrêté de respirer. Sans surprise, Madra'O fut le premier à réagir. Il se leva de son trône, le regard furieux, et braqua son attention sur elle.

— Avez-vous donc perdu l'esprit ? Comment osez-vous prendre une décision pareille sans nous concerter au préalable ? s'exclama-t-il. Vous venez de salir notre lignée, et tout ça pour quoi ? Confier nos secrets à l'ennemi ? Votre plan idiot risque de tous nous condamner !

— Madra'O, un peu de tenue, critiqua Joldra. Prenons un peu de recul critique. Si notre concertation aurait dû être un sujet d'importance première, je peux voir quelque intérêt à cette démarche. Après tout, les demi-dragons ont su montrer à travers les âges des capacités extraordinaires. Cette hybridation n'est-elle pas un autre moyen de leur redonner naissance ?

— Nous avons exterminé les hybrides, il y a des décennies, précisément parce qu'ils n'étaient pas fiables ! Ils sont instables, dangereux et n'ont aucune raison de nous rester fidèle. Rappelez-vous de ce que le dernier a fait. Il a dénoncé notre mère et l'a faite tuée, juste avant la fin de la guerre, alors qu'il était un de nos plus fidèles généraux. Ce plan est du suicide, pur et simple. Nous retournons en arrière !

— Mais cette fois-ci, nous avons la possibilité de contrôler le phénomène, répondit bravement Indrala. De plus, nous ne parlons pas ici de demi-dragons, mais d'une transformation intégrale, à l'instar des nôtres, et sans la nécessité de recourir à un collier de réduction. Nous pourrons le modeler et le contrôler dans l'éducation la plus stricte de notre peuple et lui faire comprendre les enjeux de notre guerre.

Madra'O bouillonnait de colère. Indrala l'ignora et se tourna vers Noldros, qui n'avait toujours pas pris la parole. Le dragon semblait perdu dans ses pensées, mais finit par se redresser pour la regarder.

— Où est le prince actuellement ? Quelle garantie avons-nous qu'il nous écoutera ? Après tout, n'est-il pas réputer pour ses coups d'éclat contre son père ? C'est un jeune homme populaire auprès des siens. Pourquoi ne pas avoir choisi une cible plus facilement oubliable ?

— Adranar voulait marquer un grand coup, répondit Indrala. Le royaume n'est pas si stable qu'il n'y paraît. Une étincelle pourrait mettre le feu aux poudres. La situation diplomatique est catastrophique, le peuple a faim et menace de se rebeller. Si nous corrompons le prince et le retournons contre son peuple, Isendorn et l'empire d'Archibald Balrarion pourrait ne jamais se relever. Le jeune prince a des envies d'aventure et de liberté, mais il est trop à l'écoute de ce que les autres lui disent. Il peut être manipulé, j'en suis convaincue. Il se trouve toujours au palais, avec la potion. Adranar le surveille et compte s'assurer qu'il la prenne correctement, de force s'il le faut.

Noldros effleura son long bouc d'un air pensif.

— Ce projet ne nous engage à rien sur le long terme. Si la transformation du prince s'avère un échec, il sera tué, voilà tout. Mais si le plan d'Adranar est un succès, nous ne pouvons dénier le rôle capital qu'il pourrait avoir dans notre futur. Puisque que Indrala ici-présente a jugé bon de se lancer sans notre consentement, je propose qu'elle et Adranar soient envoyés à Isendorn pour infiltrer le palais royal et surveiller le sujet de prêt. Dès que possible, vous le mènerez à Warazi, de gré ou de force.

— Je pense que c'est effectivement une bonne idée, confirma Joldra.

— En revanche, en cas d'échec, la dragonne et son scientifique seront exilés et leur tête mise à prix, intervint Madra'O, ferme. Nous ne pouvons pas laisser une telle inconscience impunie. Si nous tolérons aujourd'hui qu'une guerrière de bas étage sape notre autorité, c'est la porte ouverte vers les comportements les plus déviants. Je ne suis vraiment pas sûr que cette alternative soit bonne, mais je me range à l'avis de mon frère et de ma soeur.

— La punition me semble juste, approuva Joldra, l'actant.

Indrala déglutit, mais s'inclina pour les remercier. Un exil forcé signifiait la mort. À la seconde où elle aurait quitté la citadelle, elle serait poursuivie par des assassins. Elle n'avait pas intérêt à se rater.

— Commandant Zoldrak, appela Joldra, je vous ai fait venir pour, tout d'abord, nous excuser d'avoir emprunté votre recrue sans vous en avertir. Mais pas seulement. En tant que chef de la garde, il nous semblait important que vous soyez mis au courant. Les dernières révélations ne changent rien à ce que nous avions prévu. Nous souhaitons que vous formiez Indrala dans les plus brefs délais aux tâches des soldats d'élite, afin qu'elle puisse avoir toutes les compétences en main pour accomplir sa mission de manière plus sereine. Nous savons qu'il s'agit d'un de vos meilleurs éléments, cela ne devrait pas vous poser de problème, n'est-ce pas ?

Zoldrak, comme Indrala, se crispèrent à la mention de cet entraînement imprévu. La jeune dragonne voulut se défendre et leur hurler qu'elle n'avait nul besoin de ses conseils, mais elle savait qu'elle n'aurait pas exactement le choix. Ce que voulait les Anciens devait s'appliquer à la minute.

— Je la formerai, répondit le commandant d'une voix doucereuse qui trahissait son mécontentement. Elle est déjà opérationnelle, cela ne devrait pas prendre plus d'une journée intensive.

Indrala eut du mal à cacher son sourire. Comme elle, Zoldrak voulait se débarrasser de sa tâche le plus rapidement possible. Elle ne pouvait pas lui en vouloir. Le sentiment était réciproque.

Joldra hocha la tête, satisfaite. D'un geste de la main, elle leur donna l'autorisation de quitter la pièce. L'audience était terminée. Indrala salua les Anciens d'un poing sur la poitrine.

— Je ne vous décevrai pas, je vous le promets.

Madra'O pouffa, mais les deux autres se contentèrent d'un sourire mystérieux. Les deux guerriers dragons tournèrent le dos à l'estrade et quittèrent la pièce. Après une courte prière, ils se retrouvèrent de nouveau devant la gravure. Indrala s'apprêtait à s'enfuir aussi vite qu'elle le pouvait, mais Zoldrak lui retint le bras.

— Je ne sais pas à quoi tu joues, mais ce n'est pas en jouant les sauveuses que tu réussiras à t'acheter une réputation. Tu es et restes une dragonne du nord, une traîtresse. Si tu crois que parce que tu t'investis dans les affaires de Warazi, tu seras mieux acceptée, tu te fourres la griffe dans l'oeil.

Elle ne répondit pas, yeux dans les yeux avec lui.

— Rejoins-moi demain sur le plateau rocheux. Je veux en finir au plus vite avec toi. Après tout, pourquoi gâcher mon énergie sur une dragonne qui sera bientôt exilée ?

Il sourit de manière menaçante puis la laissa partir. Indrala se contint et ne répondit pas, mais elle ne se détendit pas pour autant. Pour une fois, ses menaces n'étaient pas des paroles en l'air. Cette fois-ci, si elle se ratait, elle était morte.

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