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Chapitre 1 L’Ombre du Miroir


Vendredi 7 août 2023 – 07h18 :

Moon avait toujours su qu’elle n’était pas comme les autres. Pas vraiment. Les autres adoptaient des foyers, elle, elle les traversait.

Elle connaissait trop bien le silence d’une pièce qu’on quitte, le regard fuyant d’un adulte qui ne sait pas s’attacher. Depuis sa naissance, elle n’avait eu ni racines, ni repères fixes. On lui avait dit qu’elle avait été trouvée dans un jardin public, emmaillotée dans une couverture trop fine pour l’hiver. Aucun mot. Aucun nom. Juste une lettre accrochée à son pyjama : une simple lettre, brodée à la main, un "M" aux contours un peu tremblants.

À dix-huit ans, elle avait atteint la majorité légale, ce moment où l’on cesse d’être sous la tutelle de l’aide sociale à l’enfance. Elle n’avait pas hésité. Fini les dossiers, les foyers, les promesses administratives trop vite oubliées. Elle voulait de l’anonymat, de la paix. Elle voulait respirer.

C’est ce qui l’avait menée à Ar Gestel, un village côtier qu’elle ne connaissait que par une carte postale trouvée dans un livre de seconde main. Un mot griffonné au dos : « Ici, on oublie. »


Elle avait trouvé le post-it dans une boulangerie en Bretagne :

 « Chambre à louer – Calme – Vue sur mer – Pas de bruit. » 

L’écriture était soignée, presque scolaire. En bas, un prénom : Alwena. Sans trop réfléchir, elle avait appelé.

- Bonjour, je vous appelle pour l'annonce... pour la chambre à louer.

Un silence. Puis une voix grave, un peu rocailleuse :

- Tu changes de région ? Chercherai tu as fuir quelque chose ?

Moon avait marqué un temps d’arrêt.

- Non... Je cherche juste un endroit calme. Où on n’attend rien de moi.

- Ça, j’ai. Pas de bruit, pas de questions. Tu peux venir quand ?

- Je peux être là dans deux jours.

- Alors je t’attends. Mon nom, c’est Alwena. La maison est au bout de la lande, près des pins. Tu verras, la mer est plus bavarde que moi.

Et l’appel avait pris fin ainsi. Sans adresse complète. Sans formalité. Juste une promesse tenue dans un souffle.

Dimanche 9 août 2023 - 18h46 :

Le repas avait été silencieux. Alwena avait servi un potage de légumes, du pain encore chaud, et une tisane fumante. Moon mangeait lentement, concentrée sur les gestes simples : tremper, mâcher, avaler. Les mots n’étaient pas nécessaires. La vieille dame au dos voûté, les cheveux d’argent tirés en un chignon sage et dans ses gestes, une coquetterie d’un autre âge. 

Après avoir débarrassée, Moon était montée dans sa chambre. Elle avait refermé la porte derrière elle avec soin, comme pour enfermer l’inquiétude du monde à l’extérieur. Elle resta un moment debout, les mains posées sur le bois rugueux, à écouter la maison respirer autour d’elle. Elle se sentait vide et pleine à la fois.

Elle s’assit sur le lit, retira ses chaussures, alluma la lampe de chevet. Le carnet traînait sur la table, entrouvert sur une page blanche. Son crayon roula doucement vers elle. Elle écrivit son prénom. Puis celui d’Alwena. Puis des mots sans suite : mer, vent, brume, silence.

La lumière trembla.

Elle leva les yeux vers la fenêtre. La nuit tombait, lentement, sans bruit. Quelque chose s’éveillait dehors ou en elle.


Samedi 13 août 2023 – 05h52

Elle se réveilla tôt. Pas brusquement, mais comme attirée par quelque chose. Le ciel était gris, pas encore levé. Un rêve l’avait effleuré, elle s’en souvenait mal, mais elle avait gardé une impression étrange. Comme une voix sans mots. Un visage sans nom.

Assise au bord du lit, elle frissonna. La pièce semblait différente. Plus lourde. Elle se leva, marcha jusqu’à la fenêtre. Dehors, tout était couvert de brume. Elle ouvrit, l’air humide entra, chargé de sel et de pluie à venir. Sur le sol, une trace fine, humide, partait de la porte vers le lit. Une ligne luisante, comme si quelque chose avait glissé jusque-là. 

De la condensation et rien d’autre.

Elle s'habilla doucement, descendit, beurra une tartine qu’elle ne termina pas. Puis elle prit son carnet. Elle ne pensa pas. Elle dessina: Une spirale, deux yeux et des racines.

Elle passa la matinée dans le salon à observer la pluie derrière les vitres. Elle aurait pu lire ou écrire. Mais son esprit restait brumeux. Elle repensa à ce rêve sans savoir pourquoi il l’avait marquée.

Vers midi, elle accompagna Alwena au marché du village. Ar Gestel était minuscule. Une rue principale, quelques maisons colorées, un café déserté et deux ou trois stands de légumes sous des bâches battues par le vent. Les gens saluaient Alwena avec respect. Personne ne posait de questions à Moon. Et elle appréciait ça.


21h58 :

Moon passa une bonne partie de l’après-midi dans sa chambre, assise sur le bord du lit ou allongée sur la couverture, à fixer le plafond afin de réfléchir ou de faire défiler les pages de son carnet. Parfois, elle écrivait un mot, une phrase, puis barrait tout. Elle essaya d’écouter de la musique, mais le son semblait déplacé ici. Trop présent, trop intrusif.

Elle descendit prendre une tisane en fin d’après-midi. Alwena était dans le jardin, penchée sur un pot de lavande, silencieuse comme à son habitude. Le ciel s’était chargé de nuages gris, et le vent s’était levé, poussant les feuillages contre les vitres.


22h30:

Elle remonta dans sa chambre plus tôt que d’habitude. Elle se brossa les cheveux, puis s’assit devant la fenêtre ouverte. L’air salé s’infiltrait doucement. Elle resta là longtemps, sans bouger, les jambes croisées sous elle, à observer la nuit qui s’installait lentement.

Quelque chose flottait dans l’air. Comme une attente.

Le sommeil refusait de venir. Elle écoutait les bruits de la maison. Le bois qui craque. Le vent dans les volets. Le tic-tac de l’horloge. Tout semblait plus fort. Plus lent.

Puis le noir l’avait emportée.

00h00:

Le rêve reprit là où il s’était arrêté...

Elle marchait dans une brume claire. Il était là. Le garçon, grand, silencieux. Une peau bronzée. Des cheveux sombres mais des yeux d’argent. Il n’avait pas besoin de parler.

Il s’approcha. Son regard la traversait. Elle sentit son souffle changer.

Il tendit la main. Ne la toucha pas. Mais elle sentit la chaleur. Son corps réagit. Chaque partie d’elle s’éveilla. Il ne l’embrassa pas. Il ne la toucha pas. Et pourtant, tout était là. 

Une tension douce. Un désir sans geste. Une fusion sans contact. Comme si leurs âmes se frôlaient.

Puis il recula. Lentement, il ne souriait pas, mais elle sut qu’il reviendrait.

Elle se réveilla en sursaut, haletante, moite. Le cœur affolé. Elle porta une main à sa poitrine. Elle était bien réveillée. Mais quelque chose était resté.



Dimanche 14 août 2023 – 06h41 :

Elle se dirigea dans la salle de bain pour se rafraîchir le visage et passa devant le miroir qui lui renvoya son reflet différemment. Elle tourna la tête, rien. Mais elle crut voir une lueur. Un éclat pâle, suspendu, flottant. Elle se retourna. Personne. Le calme. Et pourtant, quelque chose vibrait encore.

Elle retourna se coucher et s'endormit rapidement. Dans son sommeil elle sortit de la maison, pieds nus. L’herbe mouillée ne la réveilla pas et descendit le sentier qui menait aux falaises. Le vent soulevait ses cheveux. Les goélands criaient. Elle marchait vite. Quelque chose l’appelait. Mais elle ne savait pas quoi.

Elle s’arrêta. La mer en contrebas formait un cercle de mousse. Une spirale. Et une voix ou une pensée.

« Reviens. »

Elle recula. Le souffle court. Mais au fond d’elle, une chose bougeait. Une chose ancienne. Et elle savait, sans savoir comment, que ce n’était que le début.


Lundi 20 août 2023 – 08h04 :

Moon ouvrit les yeux, engourdie. Son corps semblait plus lourd, comme si la nuit avait pesé sur elle. La lumière du matin filtrait à travers les volets, douce mais plus vive qu’à l’accoutumée. Elle resta allongée un moment, les yeux rivés au plafond, sans bouger. Puis lentement, elle se leva.

Son reflet se dessina dans le miroir, familier mais comme légèrement en retard sur ses gestes, comme s’il hésitait à lui répondre. Mais cette fois, elle recula net. Son reflet lui avait paru... décalé. C’est comme si mes yeux avaient changé. Plus clairs. Trop lumineux.

Elle cligna des paupières. L’image redevint normale ou presque. Elle détourna le regard et descendit dans la cuisine. Alwena n’était pas là. Un mot était posé sur la table : « Partie tôt. Reviens vers midi. »

Elle but une tasse de thé froid, sans vraiment y prêter attention, puis monta s’habiller et attrapa son carnet.

Il s’était encore rempli.

Des spirales, des silhouettes, des fragments de symboles. Une page en particulier, la figea. Un cercle, des lignes, un arbre. Les motifs semblaient rayonner d’une lueur ténue, familière.
Elle ne se souvenait pas l’avoir dessiné. Et pourtant, c’était bien son écriture.

Elle sortit de la maison, poussée par une sensation diffuse de manque. Ce n’était ni fuite, ni errance. Plutôt une attirance sourde, une impulsion qu’elle ne parvenait pas à nommer.

Elle marcha longtemps, en silence. 

Elle prit le chemin de la plage, puis bifurqua vers le sentier des douaniers. Le ciel était gris, strié de traînées pâles. Chaque pas semblait l’enfoncer un peu plus dans une impression de déjà-vu. Comme si elle rejouait un souvenir qui n’était pas le sien.

Arrivée au sommet d’une falaise, elle s’arrêta. Là, dans l’air suspendu, elle ressentit une chaleur étrange dans la nuque. Elle posa la main à cet endroit. Un picotement. Comme si quelque chose réagissait juste là, sous sa peau.

Elle se retourna brusquement. Personne. Pourtant, elle en était certaine : quelqu’un l’observait ou quelque chose.

Elle resta là, figée, à regarder les vagues en contrebas. Le vent soufflait plus fort. Et dans son esprit, une phrase s’imposa sans qu’elle sache d’où elle venait :

« Tu portes plus que tu ne crois. »


Mardi 21 août 2023 – 07h26 :

Cette fois, ce ne fut pas un rêve qui la réveilla, mais un bruit léger et glissant. Comme si quelque chose se déplaçait sous le parquet. Moon ouvrit les yeux sans bouger. Le plafond lui parut différent, comme plus bas, plus dense.

Elle se leva lentement, les pieds nus sur le sol froid. La lumière avait une teinte plus blanche, presque crue. Elle marcha vers la salle de bain. Le miroir, embué, vibrait faiblement. Elle n’osa pas s’y regarder longtemps.

En redescendant, elle trouva Alwena penchée sur une infusion.

- Mauvaise nuit ?

Moon hocha la tête et s’assit.

- Il y avait... un bruit. Quelque chose qui rampait, je crois.

- Ce n’est pas rare, ici. Les vieilles maisons ont des souvenirs.

Moon voulut répondre, mais une chaleur vive parcourut sa colonne. Elle inspira profondément. Puis, à mi-voix :

- Est-ce que les souvenirs peuvent attendre quelqu’un ?

- Les souvenirs... ou les présences. Tout dépend si tu ouvres la porte.

Le reste du matin fut silencieux. Moon dessina sans réfléchir : une silhouette brumeuse, des mains aux doigts trop longs, et des yeux qui flottaient dans un halo blanc. L’après-midi, elle partit seule marcher au bord de la lande. La brume s’était épaissie. Des cris d’oiseaux la faisaient sursauter sans cesse.



19h42 :

Alors qu’elle rentrait, elle s’arrêta net. Sur le seuil, une trace humide, fine, presque transparente, s’étirait jusqu’au cœur de la maison.

Elle l’effleura du bout des doigts. Une voix intérieure murmura :

“Tu entres dans leur mémoire.”

23h07 :

La nuit était tombée sans qu’elle s’en aperçoive. La maison dormait. Moon, elle, restait éveillée. Allongée dans son lit, le carnet posé sur sa poitrine, elle écoutait: le vent, les craquements du bois. Et, plus que tout, ce silence épais, chargé de tension.

Un frisson remonta le long de ses jambes. Puis une sensation étrange, plus sourde, plus profonde. 

Comme un battement. Non pas celui de mon cœur, mais celui de quelque chose d’autre... de plus ancien.

Elle ouvrit les yeux. La pièce était plongée dans une semi-obscurité. Pourtant, un éclat pâle, irréel, vibrait sur le mur derrière elle. Lentement, elle se redressa. L’éclat semblait provenir de sa nuque.

Elle se dirigea vers le miroir leva ses long cheveux noir et là, il y avaient une marque fine. Légèrement lumineuse. Une forme végétale, comme une racine stylisée, évoquant un arbre ancien. Vibrante. Une tache de naissance qu’elle n’avait jamais remarquée jusqu’ici, comme si elle avait attendu son heure.

Elle porta les doigts à sa peau. Ce n’était pas brûlant, mais tiède. Vivant. Qui pulsait sous ses doigts.

- Qu’est-ce que c’est  ?

À ce moment précis un reflet apparût dans le miroir et se flouta. Une silhouette brumeuse se dessina brièvement et deux yeux d’argent s’ouvrirent. Une pression glacée s’insinua dans son dos, remontant lentement jusqu’à sa nuque.

Elle se retourna d’un bond, le souffle court, la peau hérissée. Rien. Juste une obscurité mouvante, étrangement vivante. 

C’était lui, pensa-t-elle, sans savoir comment elle pouvait en être certaine.

Mais je le sais.

Il était revenu. Et il l’attendait.

Elle se leva d’un pas lent, presque mécanique, guidée par une force qu’elle ne contrôlait pas. Ouvrit la fenêtre. L’air salé entra en bourrasque. La brume s’y glissa comme une langue vivante.

Et dans un souffle, une dernière voix murmura, plus proche que jamais :

Viens

23h54:

Un mot griffonné dans la marge de son carnet la ramena à la réalité. Ce carnet, reçu des années plus tôt dans un foyer et qu’elle n’avait jamais réussi à jeter, semblait aujourd’hui s’éveiller avec elle. Il était devenu un réceptacle de ses absences, un miroir discret de ce qu’elle ne comprenait pas encore. Ce n’était pas de son écriture. Ou alors... pas dans son état conscient. Trois lettres tremblées, presque effacées : Elë.

Elle resta figée, le souffle suspendu. Sous ses pieds, la vibration continua un instant, comme si la terre elle-même approuvait ce nom. Puis le silence revint.

Sur le rebord de la fenêtre, un goéland l’observait, immobile. Ses yeux noirs semblaient plus humains que ceux d’un oiseau. Il ne bougea pas. Puis s’envola d’un battement d’aile, sans bruit.

Dans le reflet du miroir, juste avant de détourner le regard, elle crut voir une couronne végétale posée sur sa propre tête. Quand elle regarda à nouveau, tout avait disparu.

Mais elle s’en souvenait.

D’un mot. D’un lieu. D’un monde.

Et de cette promesse silencieuse :

« Je t’attendais. »


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