— Monsieur ? Le chef de chantier de la fabrique de la zone 4 aimerait s’entretenir avec vous de l’état des lieux.
Le Président retourna à son bureau et fit signe à sa secrétaire de le faire entrer. L'homme trapu, forgé par les longues années de travail en bâtiment, s’avança précipitamment vers le comptoir démesuré, laissant derrière lui les morceaux de terre salissant qui étaient restés accrochés à ses chaussures de sécurité malgré les innombrables tapis qu’il avait dû traverser pour atteindre cette ultime salle.
— Monsieur ! s'alarma le chef de chantier. Les dégâts sont déplorables ! Nous avons pu déterrer quelques corps des décombres. Seulement deux d’entre eux sont encore en vie, mais ils sont dans un état critique proche de la mort, il faut vraiment que vous...
— Il y avait une salle sécurisée, coupa le Président. Qu'est-ce qu'il en reste ?
— Monsieur, si je puis me permettre, poursuivit le chef de chantier en insistant sur ses mots, je vous parle de vies en péril, ils ont besoin de soin.
— Ils connaissaient leur métier, ils savaient les risques. Maintenant monsieur Lebrèse, si vous voulez bien vous contenter de répondre à mes questions. Où en est-on avec l'artefact ?
Lebrèse serra un poing rageur derrière son dos. Désireux d’éviter toutes confrontations avec le Président, il se contenta de regarder la pile de documents posée sur le bureau et répondit de la façon la plus calme possible.
— Il n'y a plus rien monsieur. Il semblerait que tout ait été détruit par l’explosion.
— C’est impossible !
— C’est pourtant la vérité monsieur. À mon plus grand regret croyez-le bien.
Le président se prit la tête entre les mains pour réfléchir, ses doigts se mêlant à ses cheveux bien coiffés.
— Et les terroristes ? demanda-t-il avec insistance. Avez-vous retrouvé les corps ?
— Pas encore monsieur, mais nous n’avons pas examiné la totalité des décombres et...
— Ils n’ont pas pu s’enfuir ! Retrouvez-les vite ! Si une rumeur se répand sur leur survie, je vous en tiendrai personnellement responsable. Me suis-je bien fait comprendre monsieur Lebrèse ?
— Parfaitement monsieur.
— Allez-vous en maintenant, et que je ne vous vois plus avant que vous ayez retrouvé les corps et une trace de la porte.
Avant de partir, M. Lebrèse desserra son poing. En sortant de la pièce, il remarqua les traces d’ongles dans sa paume calleuse. D’un sourire bienveillant, il salua la secrétaire, une demoiselle d’une trentaine d’année. Elle avait les mêmes yeux gris que lui.
Un juron suivi d’un fracas retentit dans la pièce voisine. En entendant le raffut, la secrétaire entra dans le bureau de son supérieur. Il se tenait assis sur son siège, ses yeux sombres et son visage sans aucune rature levés vers le plafond, la secrétaire se demandait souvent pourquoi les hommes les plus charismatiques étaient également les plus salauds.
— Ah, Valérie. Désolé, je me suis emporté.
Excuse très noble de sa part, Valérie ne fut malgré tout pas étonnée de ne le voir bouger ne serait-ce qu'un doigt pour ramasser l’amas de documents qui s’était crée sur le sol. Avec la dévotion et la soumission que lui offrait son emploi, elle entreprit de le faire. La secrétaire rassembla les quelques feuillets traitant divers sujet, allant des petits soucis économiques de la zone 2, la ‘‘haute’’ comme elle l’appelait, depuis l'incroyable expansion des richesses de la zone 5, au problème d'épidémie grave de la zone 6, la dernière zone, sûrement devrait elle l’appeler la ‘‘basse’’, le ‘‘fond du gouffre’’ serait malheureusement plus approprié.
Sa main s’arrêta sur un document signé par le Colonel Heirroger, le Colonel de la Brigade Noire, force armée extrêmement entraînée qui n'avait d'autre chef que le Président lui-même. Feignant d’entasser l’amas de feuilles et profitant que son patron poursuivît sa contemplation, elle entreprit de lire l'entête de la lettre qui figurait au dessus. Il s’agissait d’une demande d’autorisation d’expérimentation et de recherches sur cobaye. Valérie haussa un sourcil, il lui parut étrange que le colonel eût besoin d'une autorisation pour un test sur animal, bien qu'elle répugnait d'imaginer ce qu'enduraient ces pauvres bêtes. Aussi lut-elle brièvement le corps du texte, happant à la volée les mots qui lui sautaient aux yeux : ...Sujet N°3... Tests sanguins... Masculin...
Ce dernier mot la fit tiquer. Masculin. Avec horreur, ce mot lui apparut soudainement bien plus qualificatif pour un Homme que pour un animal. La nécessité d'une autorisation lui apparut nettement plus compréhensible !
— Valérie ! Je vous ai posé une question.
La secrétaire sursauta, et par réflexe, fourra le document à l'intérieur de sa veste de tailleur rouge.
— Pardon monsieur, j’étais perdue dans mes pensées.
— Ce n’est rien. Je vous demandais quels étaient mes prochains rendez-vous ?
— Euh... Heirro... Le Colonel Heirroger, il me semble monsieur, à onze heure demain matin.
Sans même un remerciement, il se replongea dans l'inexplicable fascination qu'il portait aux moulures de bois de son plafond.
Valérie reposa la pile de feuilles sur le bureau, et annonça à son supérieur que, sa journée étant finie, elle quittait désormais les lieux. Elle se dirigea donc vers la sortie, la pas un peu trop pressé, réfléchissant à ce qu’elle venait de lire. L’alarmant document toujours caché dans sa veste.