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02- défiance


" On ne peut rien gagner sans perdre. Même le paradis exige la mort "

—Albert E.


ESMERAY CAMPBELL


•••

CHAPITRE DEUX.

Le dîner reprit, enveloppé de rires forcés entre adultes qui se croyaient encore jeunes et de remarques insipides échappées des lèvres de son frère. Mais moi, je ne bougeai pas. Je ne ris pas. Je sirotai lentement mon vin, le regard voilé, le cœur battant, consciente de la présence à mes côtés d'un homme que je détestais un peu trop fort pour ne pas commencer à le désirer.

Le tintement délicat des couverts contre la porcelaine, les verres de cristal qui s'entrechoquaient légèrement, les éclats de rire trop exagérés... Tout sonnait faux autour de moi.

Mais ce qui me dérangeait le plus, ce n'était pas l'hypocrisie élégante du dîner, ni la superficialité des conversations sur l'immobilier de luxe ou les croisières estivales. C'était lui. Assis à quelques centimètres de moi, comme une présence brûlante, une tension vivante.

Rowan Bellwood ne me regardait pas directement. Pas vraiment. Mais je sentais ses yeux sur moi, dans chacun de ses gestes. Chaque fois que je portais mon verre à mes lèvres, il faisait de même. Chaque fois que je croisais les jambes, ses doigts jouaient brièvement avec la tige de son verre, comme s'il essayait de garder ses mains occupées.

Il était calme. Trop calme.

— Et dites-moi, Esmeray, lança son père en m'adressant un sourire plein de bienveillance stratégique, vous avez des projets personnels, en parallèle de tout ça ? Une passion, peut-être ?
Je m'apprêtais à répondre, mais Rowan fut plus rapide.

— L'art, apparemment, dit-il avec un sourire qui n'en était pas vraiment un. Et une certaine préférence pour les autoportraits un peu... exhibitionnistes.

Je me tournai lentement vers lui, le regard froid.

— Oh non, répondis-je d'une voix douce. Je préfère les œuvres plus profondes, plus subtiles. Celles qui ne s'exposent pas sans pudeur au premier regard.

Son sourire s'étira, comme s'il savourait chaque pique.

— Touché, murmura-t-il en reprenant une gorgée de vin.

— Vous avez toujours été aussi... perspicace ? répliquai-je sans ciller.

— Et vous ? Toujours aussi délicieusement impertinente ?

Sa voix avait baissé, comme un murmure destiné uniquement à moi. Intime. Puéril. Je sentis une chaleur remonter le long de mes cuisses, non pas à cause du désir, mais à cause de la rage contenue dans chacun de mes muscles et par l'envie de lui arracher la bouche de mes propres mains.

Sous la table, je sentis légèrement son genou frôler le mien. Volontairement ? Je ne savais pas. Je ne voulais pas savoir.

Mais je ne me reculais pas. Pas cette fois.
Sa main glissa doucement sur sa serviette, et il laissa traîner ses doigts à quelques centimètres de ma cuisse, sans me toucher. Juste assez près pour que je le sente. Juste assez pour que je sache qu'il pouvait le faire— et qu'il ne le ferait que quand il aurait envie de me voir perdre le contrôle.

— Vous vous entendez déjà à merveille, lança sa mère en riant doucement. sans se douter une seule seconde que sous la surface glacée de notre conversation, le feu couvait.

Je me penchai légèrement vers Rowan, feignant un sourire charmeur, presque complice.

— Vous perdez votre temps, soufflai-je à voix basse, assez pour que seule lui entende, je n'ai toujours pas l'intention de vous rendre la vie facile.

Il me fixa, ses yeux gris soudain plus sombres, plus sérieux.

— Parfait, murmura-t-il. Parce que je ne suis pas le genre d'homme à aimer les femmes dociles.

Et pendant un instant, ce ne fut plus le dîner qui m'entourait, ni les regards des parents, ni les rires en fond. Juste lui et son arrogance à n'en point finir et l'irritation qui menaçait presque de m'arracher la peau.

     La fin du dîner approchait, mais l'air n'avait jamais été aussi dense. Trop de sourires polis, de compliments déguisés, de verres de vin vidés pour masquer l'inconfort.

Et entre Rowan et moi, ce n'était plus une tension. C'était une tempête en huis clos.
Il n'avait pas bougé de mon côté depuis le début du repas, pourtant chaque regard échangé, chaque mot prononcé sous couvert d'élégance résonnait comme un coup d'échec.

Et je savais qu'il avait compris : je ne plierai pas.

— Je crois que je vais prendre l'air quelques minutes, annonçai-je calmement, déposant ma serviette en tissu sur l'accoudoir de ma chaise.

Seigneur même le tissu de leur serviette était soyeux.

Je sentis les regards des parents sur moi, certains un peu trop curieux, d'autres soulagés. Peut-être croyaient-ils que je voulais déjà fuir ce qu'ils appelaient un "un bon parti".

Mais ce n'était pas la fuite. C'était la maîtrise.
Je quittai la pièce sans me retourner.

La fraîcheur de la nuit mordit ma peau dès que je sortis sur la terrasse arrière. Le jardin Bellwood ressemblait plus à une œuvre architecturale qu'à un simple espace vert. Un silence parfait, presque oppressant, régnait entre les haies parfaitement taillées, les statues de marbre et les allées de graviers blancs.

Et puis, bien sûr...

— Vous partez déjà si vite ? lança une voix familière dans mon dos, plus douce que je l'aurais imaginé.

Je me figeai une seconde, puis me retournai. Rowan sortait à son tour, ses mains dans les poches de son pantalon noir, l'air faussement détendu. Mais ses yeux, eux, brûlaient d'un feu silencieux.

— Vous me suivez maintenant ? répliquai-je, sourcils haussés.

— Disons que je m'assure que vous ne vous enfuyez pas avec une cuillère en argent.

Je soufflai du nez, un rire sarcastique à peine contenu.

— Je vous déçois, Bellwood. Je pensais que vos piques seraient un peu plus...mordantes.

Il s'approcha. Lentement. Comme un prédateur jouant avec sa proie.

— Si je vous mordais vraiment, Esmeray, souffla-t-il une fois assez près pour que je sente son souffle contre ma joue, vous ne seriez pas en état de répondre.

Je plantai mon regard dans le sien, déterminée à ne pas flancher, même si ma peau frissonnait là où sa voix venait de caresser l'air.

— Vous vous surestimez.

— Ou peut-être que je vous cerne mieux que vous ne l'aimeriez.

Il s'arrêta juste devant moi. Pas de contact. Juste une proximité inconfortablement intime. Mon cœur battait trop fort, trop vite— pas par peur. Par colère et défi. Un mélange aussi toxique que j'avais réellement envie de lui planter l'un de leur couteau de table en pleine nuque.

— Je signerai ce contrat pour vos beaux yeux, murmura-t-il, mais ne vous attendez pas à ce que je sois un mari aimant, ou même courtois.

— Tant mieux, répliquai-je d'une voix basse et tranchante. Je ne cherche pas un mari. Encore moins un homme qui croit que son arrogance pourrait m'effrayer.

Un silence. Pesant. Presque sensuel. Puis il sourit, ce sourire à mi-chemin entre l'arrogance et la fascination.

— Tu es un poison, Esmeray Campbell.

— Et toi donc, Rowan Bellwood.

Il me fixa quelques secondes de trop. Puis, dans un murmure à peine audible :

— J'ai toujours eu un faible pour ce qui me brûle les doigts.

Et sans un mot de plus, il tourna les talons et disparut dans l'ombre du manoir.

Je restai là, seule, le cœur battant, les lèvres presque tremblantes.

Et dans le silence de la nuit, je sus une chose avec certitude :

J'allais finir par le tuer de mes propres mains.

   À notre retour dans la salle à manger, j'ai directement dit au revoir à nos hôtes avant de finalement partir sans attendre que Chelsea ou mon père m'y autorise.

Bien que cet endroit soit charmante, j'avais encore du travail à finir au bureau et j'en avais besoin pour me changer des idées.

Le silence du trajet retour fut aussi tranchant qu'une lame neuve.

Dans la voiture, mon reflet sur la vitre m'observait comme une autre version de moi-même – celle qui n'aurait pas répondu, qui se serait contentée de sourire poliment, d'ignorer ses provocations. Une version que je méprisais autant que j'avais méprisé chacun des mots suaves échappés des lèvres de Rowan Bellwood.

Je serrai les dents, les phares des voitures défilant comme des flashs de colère. Mon téléphone vibra sur le siège passager. Un message.

Chelsea : « J'espère que tu n'as pas fait l'idiote. Ton père est mécontent, ne gâche pas nos relations avec les Bellwood.»

Je verrouillai l'écran sans répondre. Comme si la colère paternelle pouvait me faire plier. Qu'ils aillent tous brûler en enfer avec leurs alliances, leurs manoirs figés dans le temps et leurs contrats arrangés sous des couverts de champagne millésimé.

Je ne serais pas un pion. Pas cette fois.

Quand j'arrivai devant le bâtiment de Campbell Design, il était presque 23 heures. Le hall était vide, silencieux, éclairé seulement par les veilleuses murales. Je retirai mes talons dans l'ascenseur, le tapis de moquette amortissant mes pas comme une caresse.

J'avais besoin de travailler. De contrôler. De me replonger dans un monde où les règles étaient les miennes.

Mon bureau, à l'étage supérieur, me salua avec sa lumière tamisée, son parfum subtil de bois vernis et de café froid. Je me laissai tomber dans le fauteuil en cuir, tirant mes cheveux en arrière pour relâcher la pression accumulée dans ma nuque.

L'écran de mon ordinateur s'alluma. Des chiffres. Des dossiers. Des décisions. Ici, personne ne me regardait comme une future épouse, comme une menace à apprivoiser. Ici, j'étais juste Esmeray Campbell, j'étais juste moi.

Je passe une main lasse sur mon visage et laisse échapper un long soupir, avant de sortir une barre protéinée de mon tiroir. D'un geste mécanique, j'attache mes cheveux, puis j'étale sur le bureau les derniers documents nécessaires pour le meeting à venir.

Quand j'ai repris les rênes de l'entreprise de ma mère — au plus grand désespoir de mon père et de sa prétendue femme —, le chaos était déjà bien enraciné. Pendant plus de trois ans, j'avais fermé les yeux sur les manigances de mon géniteur. Tout avait commencé en douceur : de modestes achats ici et là, presque insignifiants. Puis, peu à peu, la majorité des fonds qu'il siphonnait avait été engloutie dans des casinos, des vacances luxueuses, et une certaine idée décadente de la vie qu'il offrait à Chelsea.

Mais leur chute avait vraiment commencé le jour où j'ai décidé de leur couper l'accès aux comptes de l'entreprise. C'est là qu'ils ont voulu me transformer en monnaie d'échange avec les Bellwood. Leur vengeance, aussi prévisible que pathétique, ne m'a jamais surprise. Mon père n'a jamais agi pour autre chose que l'argent. Quant à Chelsea, et sa fille Janine, être liées — de près ou de loin — à une famille comme les Bellwood, c'est l'assurance d'ouvrir toutes les bonnes portes et de satisfaire leur insatiable cupidité.

Ce qui continue à me fasciner, c'est qu'elle n'ait pas sacrifié Janine à ma place. C'aurait été la solution la plus logique, non ? La plus simple. Mais dans leur esprit tordu, me livrer — moi, la fille légitime, celle qui refuse de plier — c'était bien plus stratégique. Plus symbolique. Me réduire à une transaction, une offrande parfaitement enveloppée, leur permettait de couler une vie paisible, aux frais de ma souffrance.

Peut-être qu'ils se disaient que, pour une fois, je serais enfin utile à quelque chose. Ou peut-être qu'il y avait une forme de jouissance perverse dans l'idée de m'humilier, de m'enchaîner à une famille comme les Bellwood pendant qu'eux se délectaient de leur confort volé.

Peut-être qu'à leurs yeux, c'était enfin l'occasion de me rendre utile. Un dernier service à leur rendre avant de me broyer pour de bon. Ou peut-être que l'humiliation faisait simplement partie du plan — m'enchaîner aux Bellwood, m'offrir comme une pièce d'échec sacrifiée, pendant qu'eux savouraient leur luxe volé, confortablement installés sur les ruines de mon héritage.

Une énième humiliation. Une de plus, si parfaitement orchestrée que j'aurais presque pu l'applaudir.

Je me suis surprise à envisager de prendre rendez-vous chez une psychologue. Juste pour voir si, pour une fois, tout cet argent pouvait servir à quelque chose d'utile. Ou au moins m'apprendre comment arrêter de me tourmenter et me consumer.

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HEART OF LUST

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