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Chapitre 6 - Christie

Christie 

2 98 02 ** *** ***

Rien ne vaut son numéro de sécurité sociale lorsque l’on doit se présenter, pensa-t-elle. Alors c’est ce que Christie a griffonné sur le bout de papier qu’on lui a tendu à son arrivée. 

Qu’aurait-elle pu écrire d’autre ? Christie, vingt-six ans, passionnée de jardinage, de thé au jasmin et aimant les longues balades en forêt ? Ah, et j’ai un chat nommé Gogh qui préfère vivre dans la rue qu’au chaud de mon appartement. Qu’est-ce que ça aurait dit sur elle ? A part que même un être qui passe la moitié de sa journée à dormir, et l’autre à se lecher les fesses ne l’aime pas assez pour rester auprès d’elle ? Christie avait le moral au plus bas depuis une semaine. Elle avait espéré que cette histoire de cadavre la rapprocherait un peu d’Agatha, mais cette dernière continuait de filtrer ses appels. Elle la comprenait. Parfois, elle aussi ne voulait pas se parler. 

Agatha agit toujours comme si Christie faisait exprès de se mettre dans des situations pas possibles, mais ce sont juste des choses qui arrivent. Si un pot de fleur doit tomber d’un balcon, ça doit forcément être sur le capot de sa voiture, et si un homme doit être poignardé à mort, c’est forcément dans son lit. Agatha en fait tout un drame, mais c’est Christie qui s’est réveillée à côté d’un cadavre. C’est elle qui a dû nettoyer le sang de son plancher, son lit, sa peau. C’est elle qui va se coucher chaque soir avec la peur au ventre que le lendemain, le cadavre ce soit elle, et que personne n’en sache rien. On ne retrouverait son corps que des semaines après, une fois que l’odeur nauséabonde de sa pourriture ne dérange les voisins. C’est à cause de cette pensée qu’elle était là ce soir. Si je disparais maintenant, personne ne s’en rendra compte. Cette pensée tournait en boucle dans sa tête, et ça lui donnait la nausée. Autant que de savoir que quelqu’un était rentré chez elle, et avait réussi à commettre un meurtre et repartir pendant qu’elle dormait juste à coté. Ou pire, d’imaginer que peut-être, elle avait eu un épisode psychotique ou un truc du genre, et qu’elle aurait pu tuer quelqu’un et totalement effacé le souvenir de sa mémoire. Cela l’a rendait malade. Christie n’avait plus du tout confiance en elle. C’est ce qui arrive quand toutes les personnes autour de soi ne cessent de douter de nous sans doute. Elle ne l’admettra jamais, mais Christie souffrait. Sa sœur s’inquiétait qu’elle soit une tueuse, mais elle ne s’inquiétait pas pour elle. 

Un homme mort dans sa chambre, et Agatha n’a même pas proposé à sa sœur de venir dormir chez elle quelque nuits, pour s’assurer que tout aille bien. Christie ne pouvait pas déménager, elle n’avait pas les moyens. Pourtant, elle ne supportait pas de s’allonger dans ce lit où la mort s’était invitée. Elle restait couchée dans son canapé pendant des heures, refusant de laisser le sommeil l’endormir assez pour lui faire baisser la garde. Elle ne tiendra pas longtemps avec si peu de repos à son actif. C’est pourquoi la soirée de ce soir devait être une réussite. Elle avait besoin d’un endroit où dormir quelques heures, avant de regagner le chaos de son appartement, de sa vie.

Christie se trouvait à une de ces soirées pour faire des rencontres. Celles pour célibataires endurcis, où l’on retient sa respiration du début à la fin. Non pas parce que tous les prétendants sont à couper le souffle, mais plutôt à cause de la robe noire trop serrée qu'elle s'est entêtée à porter, qui la force à maintenir ce sourire crispé. A cause de ces talons hauts qui veulent la mort de ses orteils et de son dos, mais qui lui font une si belle silhouette. À cause de la peur. La peur de dire un mot de trop, de finir encore seule, de faire un faux pas. La peur d'être soi-même. 

Alors quand l'entremetteuse leur a proposé son petit jeu : noter sur un petit bout de papier un petit mot pour se décrire, afin que celui qui la pioche tente de deviner qui on est… Elle n'a rien trouvé d'autre à écrire que ces treize chiffres. 

Et ça l'a ramené dix ans en arrière, lors de sa dernière année de lycée, où elle avait monté sa toute première manifestation à cause de ses treize mêmes chiffres. Enfin, surtout à cause du premier. Elle avait fait des pancartes marquées : “marre d’être le numéro deux”, ou encore “arrête de faire de moi le deuxième sexe, alors que tu ne serais pas là sans moi”. A l’époque, elle avait trouvé ses slogans géniaux, avec le recul, elle se rendait compte qu’elle aurait pu trouver bien mieux. L’idée de relancer une manif lui traversa rapidement l’esprit, elle se le nota mentalement pour la prochaine fois qu’elle s’ennuierait. Repenser à la Elle du lycée l’a fait sourire. Adolescente, elle ne voulait pas comprendre, elle voulait se battre. Lorsqu’elle regardait en elle, elle n’y voyait que de la rage. Elle était une adolescente en colère contre tout, contre la société patriarcale, contre ses parents même pas foutus de rester ensemble, et contre elle-même bien entendue. Et toute cette rage, elle l’évacuait en participant à des manifestions, à des gay prides où elle embrassait plus de filles que de garçons, en peignant des mots objecteurs de conscience sur les murs du lycée, en lançant des pétitions… La rage circulait dans ses veines et lui fournissait l’énergie des réacteurs nucléaires contre lesquels elle se battait également. Tout. Elle faisait tout ce qu’il y avait en son pouvoir pour se tenir occuper, et éviter d’être trop dans sa tête. Elle fuyait, certes, mais elle souriait en se disant que par la même, elle pourrait changer le monde, comme ils le pensent tous à cet âge. Et dans un sens, son monde a bien changé. Même si parfois, elle avait l'impression d'être toujours une adolescente en colère. Grandit-on un jour de ce sentiment ?

Imprévisible, impulsive, irréfléchie, on lui en a donné des adjectifs au cours de sa vie. Cependant, jamais on ne l’aurait qualifié de solitaire. Or, l’adolescente toujours entourée d’au moins une dizaine de personnes admiratives et impressionnées, se retrouvait être une adulte bien seule, que son propre chat fuit, et que sa propre sœur ignore. 

 — Je vous ai pioché.

Une voix grave l’a sortie de ses pensées. Elle leva les yeux vers son interlocuteur. Et elle leva encore un peu plus la tête.

 — Comme s’il y avait besoin d’être aussi grand, marmonna-t-elle.

Elle ne savait pas pourquoi elle se trouvait soudainement de mauvaise humeur, mais plus elle y pensait, plus elle se disait que ce speed dating était une idée désastreuse. Elle n’avait aucune envie de rester bien sagement assise à écouter un homme lui expliquer la vie comme si elle avait cinq ans, lui faire un compliment qu’il aurait déjà sorti à vingt autres femmes ce soir, et rire comme s’il était drôle. Cependant, l’homme devant elle était très beau, et Christie avala son moscow mule cul sec pour se donner une contenance. Il faisait deux bonnes têtes de plus qu’elle, malgré ses talons. Une coupe undercut rasé d'un peu trop près, laissant se rebeller ses boucles châtains claires. De grands yeux noisettes illuminés par le sourire espiègle qu’il lui adressait. Son nez était parsemé de taches de rousseur. Une carrure qui donnait à Christie l’envie de s’appuyer sur son bras pour voir s’il était aussi fort qu’il en avait l’air. Et une tenue beaucoup trop décontractée pour l’occasion. Là où les autres hommes avaient fait l’effort de mettre un costume, il portait un banal sweatshirt noir, avec un jean troué. 

 — Dois-je me mettre à genoux, plaisanta-t-il.

Christie sortie de sa contemplation et se mit à rougir.

 — Pardon ?

 — Si je suis trop grand… commença-t-il à s’expliquer… je ne suis pas doué pour ça….

Il passa une main dans ses cheveux, pour cacher sa nervosité, et Christie se mordit l'intérieur des joues. Elle devrait vraiment apprendre à tourner sa langue sept fois dans sa bouche avant de parler.

 — En effet, c’est la pire technique d’approche qu’on ne met jamais fait, déclara-t-elle en espérant que la rougeur nouvelle sur ses joues ne trahissait pas son mensonge. Elle se donna un petit coup de poing dans la poitrine pour rappeler à son cœur de battre, et commanda un nouveau moscow mule. Finalement, cette soirée commençait à devenir intéressante. 

 — Comment savez-vous qu’il s’agit de ma note ? demanda Christie en désignant le papier où sont noté ses treize chiffres dans la main de son prétendant. L'intéressé haussa les épaules, se donnant un air nonchalant, mais la dilatation de ses pupilles trahissait son intérêt, comme un chat devant une souris. 

 — Vous avez l’air d’une cinglée qui laisserait traîner son numéro de sécurité sociale de partout, se contenta-t-il de répondre, puis en se penchant un peu plus vers elle, il continua : vous savez tout ce qu’on peut faire avec un numéro de sécurité sociale ?

Son éclat de rire surprend Christie autant que son interlocuteur. Ses épaules se soulevèrent à chaque nouveau soubresaut de son rire, et Christie dû mettre ses mains autour de ses côtes pour calmer son fou rire.

 — Je suis sûr de ne pas être aussi drôle, commenta-t-il, sans pour autant parvenir à cacher son sourire.

 — J’ai un QI de 163, lui répondit Christie, alors oui, je sais tout ce qu’un cinglé pourrait faire avec mon numéro de sécurité sociale. Si jamais, après ce soir, quelqu’un tente une fraude à l’assurance maladie, je saurais que c’est vous désormais.

 — Est-ce un défi ? 

 — Tout dépend, qu’est-ce qu’on y gagne ?

 — Une consultation gratuite ?

Est-il possible de trouver son alter égo dans un speed dating ringard ? De toute évidence. Christie n’avait pas réalisé à quel point elle avait besoin de rire jusqu’à présent. 

 — Sans vous offenser, vous faites un peu tâche au milieu de tous les costards cravates… Je sais qu’il faut se différencier pour marquer les esprits, mais conseil d’amie, la prochaine fois que vous allez à un rendez-vous galant, mettez-vous un peu plus sur votre trente-un.

 — Je n’avais aucunement l’intention de venir à un speed dating, confia-t-il, j’allais acheter de la bière à la supérette avant qu’elle ne ferme. C’est trop tard maintenant, je suppose.

 — Et donc vous vous êtes incrusté à cette soirée parce que vous avez loupé le coche, mais aviez besoin de votre dose d’alcool ? Bon dieu, c’était trop beau pour être vrai. Un alcoolique. Écoutez, c’était sympa mais…

 — Je suis venu à cette soirée, parce que je vous ai vu rentrer, et je vous ai suivi.

 — D’accord. C’est flippant. Je vais partir maintenant.

Christie tenta de rejoindre un groupe un peu plus loin à côté du bar. Il l’a retient pas le bras.

 — Non, attendez. Je me suis mal exprimé. Je vous ai repéré depuis un moment maintenant.

 — Je vais me mettre à crier si vous ne me lâchez pas.

Il la lâche mais se met en travers de son chemin.

 — Non, ce n’est pas ce que je voulais dire. J’aurais dû laisser Angie s’occuper de ça. Écoutez, je ne suis pas un pervers, ou un stalker, ou un harceleur…

 — C’est exactement ce qu’un pervers, stalker ou harceleur dirait.

Il lui tend une carte de visite.

 — J’ai une entreprise. Et j’aimerais vous embaucher.

 — De toute évidence, vous ne m’avez pas assez bien observé, parce que de un je suis une terrible employée, et de deux, certes je suis sexy, mais je refuse de faire le trottoir. Je respecte les prostitués de tout mon coeur, mais je préfère que le sexe reste un loisir.

 — Ce n’est pas ce genre d’entreprise, répondit-il pince sans rire.

Il la suit dehors.

 — Je suis à la tête d’une équipe de surdoués qui aide différents organismes à résoudre des problèmes insolubles pour la plupart des gens. Je vous ai vu, il y a trois ans, place de l’étoile, et j’ai été totalement soufflé par votre capacité d’adaptation, votre rapidité d’action, et votre ingéniosité. C’était le bazar à l’époque, et vous avez disparu dans la foule avant que je puisse vous approcher. 

Elle repense à cette soirée place de l’étoile.

 — Ce soir, dès que je vous ai vu traverser la rue, je vous ai reconnu, et j’ai sauté sur l’occasion. Je ne voulais pas vous faire peur. Mais notre équipe a besoin de quelqu’un comme vous.

 — D’impulsif et d’irréfléchi ?

 — Quelqu’un de réactif, et de rassurant. Nous ne sommes pas les rois de la communication…

 — Sans blague.

 — Mais vous, vous savez y faire avec les gens. 

Elle hésite. 

 — Ce n’est pas un plan chelou ou une secte ?

 — Promis.

 — Et je n’aurais pas besoin d’enlever mes vêtements ?

 — Jamais.

 — Je vais y réfléchir.

Elle commence à partir.

 — Attendez.

 — C’est la deuxième fois que vous m’attrapez le bras en une soirée, je dois m’attendre à autant de contact si je signe avec vous ?

 — Désolé. C’est juste, que maintenant, je sais que vous avez vingt-six ans, je connais votre département de naissance, et votre QI est de 163, mais quel est votre nom ?

 — Christie Poirot.

 — Enchanté Christie, moi c’est Harley David.

 — Harley, ça fait très…. féminin ?

 — Ma mère espérait une fille. Vous êtes déçu ? Mon prénom ne vous convient pas ?

 — D’accord. Le prénom est un point sensible, c’est noté. Au revoir.

Elle s’éloigne.

 — Christie ! Appelez moi, d’accord ?

Elle lui fait un bref signe de la main, tandis que le son de ses talons aiguilles s'éloignent déjà au bout de la rue. Son instinct lui hurlait de s'éloigner au plus vite de ce Harley. Il sentait la lavande et les ennuis, et c'était une combinaison bien trop dangereuse pour Christie.

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2 Comments

1 month
Alors Harley David je - Bonjour monsieur 😏 Super chapitre, ça donne envie de lire la suite, même si ça sent le plan fion ಠ⁠◡⁠ಠ
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1 month
Oui mais il sent la lavande okay ! 😅
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