Northgate, Seattle, 16 novembre 1996

Sam regarda sa montre en tirant la manche de son long manteau de fourrure. Dix-huit heures. Comme toujours, parfaitement ponctuelle. Le contrôle en toute circonstance, il n’y avait pas de secrets. Elle porta bien plus attention à la ruelle dans laquelle elle venait de s’engouffrer. C’était à se demander si les éboueurs prenaient la peine de se rendre jusqu’au fond de l’impasse. La crasse et son aspect lugubre qui inspirait l’insécurité ne donnaient clairement pas envie d’y mettre les pieds. Pourtant, c’était bel et bien sa destination. La porte de service de l’établissement à la devanture impeccable donnant sur la rue principale, le Greenwich.

Définitivement, le quartier de Northgate était faux, traître. Les principaux axes étaient propres à la population de travailleur honnête, puis il y avait le reste… Dès que l’on s’engouffrait hors de ces sentiers balisés, la réalité était bien moins reluisante. Parfait, selon ses standards et sa vision du monde.

Néanmoins, elle ne s’attarda pas. Il était temps de concrétiser sa nouvelle toile. Sam appuya sur la sonnette à côté de la porte en métal dont la peinture s'écaillait. Le système fit un bruit électrique et strident des plus désagréable. Puis elle fouilla sa poche à la recherche de ce qui allait lui ouvrir le passage sans qu’elle prononce le moindre mot. En attendant que la propriétaire des lieux se manifeste, Sam joua avec sa pièce d’or, son identité au sein de cette immense organisation qu’était le Méridien. « 006 – 152 » accompagné d’un œil. Son matricule ainsi que son rôle.

Lorsqu’elle entendit la visière de la porte claquer, elle leva aussitôt sa pièce en évidence avant qu’elle ne soit jugée sur son apparence. Une femme qui pouvait aisément se faire passer pour une préado à cause de son mètre quarante-huit et sa tête immanquable, une énorme tache de naissance sur le visage et les cheveux aussi bleus que son regard.

La visière claqua à nouveau après quelques secondes et la lourde porte de métal se déverrouilla et s’ouvrit sur une femme âgée, la soixantaine passée. Olga, la patronne de l’établissement et qu’à son insu, Sam connaissait très bien. Elle semblait clairement perplexe devant elle et sans relever par habitude, elle entra en indiquant :

— Je suis Sam, votre nouvelle coordinatrice d’activité. Je suis par défaut votre contact par rapport aux plus hautes instances du Méridien et je régule votre clientèle en fonction de leur résultat. Vous avez une sacrée réputation malgré que vous ne teniez pas l’établissement générant le plus de chiffres.

— La qualité et les résultats, c’est tout ce qui compte. J’espère que vous n’allez pas trier mes effectifs justes à la tête du client comme le précédent. Cela dit, je m’attendais à quelqu’un de…

— Plus âgé ? coupa Sam avec un air irrité et un léger sourire crispé. Les apparences sont trompeuses Olga. Est-ce que je suis vraiment majeur ? Suis-je bien plus âgé que je le parais ? Improbable, diriez-vous alors que je parais avoir la vingtaine ?

— Je dirais également plus discrète, ajouta Olga d’un ton parfaitement égal. Mais maintenant que vous le dites, j’aimerais connaitre votre âge.

— Pourquoi cachez-vous votre cou avec un foulard de si mauvais gout ?

Olga fut clairement prise au dépourvu par la question. Sam étira un sourire narquois en reconnaissant ce bref éclat qui venait de traverser le regard de la femme. Une corde sensible dont elle savait tout et avec laquelle elle n’hésiterait pas à jouer avec si l’envie la prenait. Après tout, « loi n° 8, Les Méridionaux sont intouchables ». Elle se plut à lui en rappeler une autre qui l’arrangeait grandement :

— Loi n° 1 ?

— Les questions causeront votre perte…

— Bien. N’oubliez pas qu’en cas de manquement aux commandements, même si votre établissement est précieux, je peux le faire tomber.

— Vous êtes une peste.

— Vous n’avez pas idée à quel point vous êtes loin de la vérité. Notre collaboration va être des plus enrichissante, ironisa-t-elle sans perdre son sourire mesquin.