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Carmina-Xu
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05

Le Greenwich, Seattle, 11 février 1999

Sam consulta sa montre en faisant les cent pas dans l’entrée de service. Elle espérait que ce nouveau client savait être ponctuel car elle détestait ça. Enfin, depuis qu’elle s’en occupait, elle se montrait intransigeante à ce sujet. Elle avait autre chose à faire que d’attendre. Néanmoins, cette fois-ci, la sonnette désagréable retentit avec de l’avance.

Par réflexe, elle réajusta les deux baguettes en métal qui coiffaient son chignon. Puis elle poussa le petit escabeau pour pouvoir ouvrir le judas et observer le nouveau venu. Sam découvrit qu’il était plutôt grand et large d’épaules. Cependant, ce qu’elle voyait le mieux, c’était la pièce qu’il présentait, doré et frappé d’une épaisse lettre « M ». Un client validé comme ils disaient au sein de la structure. Évidemment, les vols arrivaient, elle en savait quelque chose, mais un collectionneur qui ne connaissait pas les lois et le fonctionnement du Méridien se faisait vite repérer.

Aussitôt, elle claqua le judas pour le refermer et descendit de son escabeau en le poussant du pied pour l’écarter. Elle déverrouilla la lourde porte de métal blindé et l’ouvrit en se décalant pour que ce nouvel arrivant entre. Ses yeux se levèrent avec étonnement. Les grandes personnes ne l’impressionnaient pas, elle avait l’habitude à cause de sa taille, mais elle trouvait qu’il émanait quelque chose de… Particulier.

Sans surprises, le regard vert de cette armoire à glace blonde légèrement grisonnante fit le tour de la pièce en cherchant son interlocuteur sans se douter qu’il s’agissait d’elle. Son costume beige impeccable avec son manteau de fourrure lui donnait une allure scandinave qui allait de pair avec son visage. Clairement, il possédait un charisme flagrant. À première vue, il devait s’approcher de la cinquantaine. Sam plissa des yeux en apercevant la cicatrice blanche qu’il avait à l’oreille, comme si elle avait été fendue et recousue. Une impression de déjà-vu… Elle le détailla encore, ce visage ne lui parlait pas, même vaguement. Cet homme la remarqua enfin en plantant son regard dans le sien, la jugeant sans l’ombre d’un doute. Machinalement, elle se présenta en refermant la porte :

— Bienvenue au Greenwich Dimitri. Je suis Sam, la Coordinatrice du secteur.

Dimitri l’observa comme si elle était une curiosité, mais elle ne le relevait pas. L’habitude, supposait-elle depuis qu’elle montrait sa tache de naissance et ses cheveux bleus pétants. Cependant, elle le contourna pour se rendre à la table où elle avait déjà préparé ses papiers pour se débarrasser de ceci le plus rapidement possible. D’un ton neutre, elle lui demanda :

— Votre pièce s’il vous plait.

Toujours en silence avec un regard froid dénué d’expression, Dimitri plongea une main à l’intérieur de son manteau. Non mais vraiment… S’il pensait qu’il l’impressionnait, c’était loupé. Ce n’était pas le premier, mais ce soir, elle n’avait pas envie de réagir et de montrer qu’elle était une forte tête détestable quand elle cherchait à l’être. C’était fatigant d’agir constamment ainsi même si c’était une manière de se protéger. Lorsqu’il la lui tendit et qu’elle l’attrapa, il ne la lâcha pas. Il lui demanda avec un accent scandinave marqué :

— On s’est pas déjà vu quelque part ?

Sam leva les yeux avec étonnement sur Dimitri en lui offrant une réaction qu’elle aurait aimé ne pas avoir. En même temps, elle força un peu pour récupérer sa pièce. Tout en observant sa face, elle se reprit en le corrigeant :

— J’en doute fortement. Scandinave à votre accent… « 02 432 »… Effectivement, Europe du Nord.

— Norvégien pour être exacte.

Elle retint de justesse sa petite grimace. La Norvège… Elle avait passé du temps là-bas. Le froid lui plaisait, mais elle ne pouvait jamais s’éterniser. Puis l’Europe dans son ensemble ne lui rappelait pas du tout de bons souvenirs. Elle lui rendit sa pièce et commença à prendre des notes tout en lui répondant dans un norvégien impeccable :

— Il n’y avait que trois possibilités avec cet accent, Norvège, Suède ou Finlande.

— Vous le parlez très bien pour une Américaine…

— Normal, je ne le suis pas… Et je suis polyglotte aussi.

— Vous venez forcément de ce coin, on n’apprend pas le norvégien par pur plaisir.

— Peut-être, qui sait ? Suis-je obligée de vous rappeler les lois du Méridien ? demanda-t-elle avec un air parfaitement effronté.

— Oh pas la peine, je les connais par cœur. Numéro un, les questions causeront votre perte.

— Alors faites attention à ne pas franchir la limite.

— Je n’oserais pas me mettre dans le collimateur d’un Coordinateur. Vous avez déjà tous la réputation d’être capricieux et sans mauvais jeu de mots, vous jugez à la tête du client.

— Ce n’est pas préférable que d’avoir affaire à un Juge ?

Dimitri étira un petit sourire arrogant qui eut le mérite de lui arracher le sien. Elle devait l’admettre, elle aimait bien sa répartie. Différente de celle de Benjamin, mais de surface intéressante. Reste la profondeur… Enfin pour le moment, elle devait surtout le jauger pour connaitre sa fiabilité et en toucher deux mots à Olga. Sam termina ses notes et rassembla ses feuilles pour les garder en main. Tout en se dirigeant vers la porte, elle lui indiqua :

— Suivez-moi.

 Sam le mena dans le couloir qui rejoignait la salle principale. En plus de l’avoir sur les talons, elle sentait encore une fois son regard sur elle. Ce n’était pas le genre de chose auquel elle faisait attention en général à moins d’être sur la défensive, mais là elle trouvait ça dérangeant. En arrivant devant le bureau d’Olga, l’odeur de cigarette ne lui agressa pas trop les narines, signe qu’elle n’avait pas trop enfumé la pièce. Comme à sa mauvaise habitude, elle entra en même temps qu’elle toqua en indiquant à Dimitri de rester où il était. Elle informa la vieille femme en déposant ses feuilles sur le bureau en russe :

— J’ai fait l’entrée du nouveau, tu n’as plus qu’à le confirmer comme utilisateur de tes services. 

— En parlant de service, c’est de ton fait que le gérant de l’Emerald Cleaner s’est tiré une balle ?

— J’ai rien à me reprocher. Je lui ai juste mis la pression, pas le pousser à l’acte. Si tu le permets, j’ai pas que ça à faire.

— Tu es si innocente que je n’arrive même pas à te croire Sam, ironisa Olga en lui tendant une petite corbeille.

— C’est ça qui est amusant. Vérité ou mensonge, qui est capable de faire la différence ?

— Sauf que j’ai le sentiment que le jour où la vérité éclatera avec toi, ça te fera très mal.

— Oh mais je suis pas la seule dans ce cas, n’est-ce pas Olga ?

À nouveau, elle lui offrit son grand sourire arrogant en lui rappelant qu’elle savait des choses à son sujet sans pour autant lui donner un indice. Sa survie relevait de la chance et d’une erreur de calcul. Néanmoins, Sam prenait soin de choisir ses mots avec la vieille femme pour ne pas se trahir elle-même. Olga avait raison. La vérité, aussi improbable était-elle, risquait de faire mal. Après un bref coup d’œil sur son bureau chaotique où elle aperçut encore une fois le contrat de Kolkov, elle quitta le bureau sans rien dire de plus. Elle ne l’avait pas encore donné… Quand elle referma la pièce, elle retrouva Dimitri qui l’attendait, adossé contre le mur. Celui-ci commenta avec un sourire en coin :

— Russe. Ça fait déjà trois langues. Je me demande combien vous en connaissez.

— Un certain nombre. Ça au moins le mérite d’être pratique pour les clients étrangers. Comme vous par exemple, ironisa-t-elle. Bonne maitrise, mais votre accent est terrible à entendre.

— Quel tact.

— Pourquoi en ferais-je preuve ? Puis vous allez découvrir que certains sont bien pires que moi aussi pour le peu que vous vous croisiez.

Quand elle rentra dans la salle commune vide, elle secoua un peu le panier qu’elle tenait dans les mains pour se faire une idée des clients qui pourrait éventuellement se présenter ce soir. Elle remarqua qu’elle possédait la pièce de Benjamin alors qu’elle venait de le tacler par plaisir. Amusante coïncidence. En revanche, le fait qu’elle se trouvait là lui permettait de comprendre qu’il avait encore refusé un contrat. Même s’il était bon, il ne les achevait pas aussi rapidement… Elle soupira. De toute évidence, elle allait devoir le virer un temps. Sam indiqua à Dimitri :

— Installez-vous au comptoir, je dois ouvrir les portes.

Il s’exécuta en quittant son manteau. En déverrouillant l’entrée tout en faisant bien claquer le mécanisme pour que les deux agents de sécurité l’entendent, elle jeta un œil à Dimitri. Il avait une sacrée carrure… Sam soupira à cause de sa propre pensée. Elle ne devait pas se laisser distraire par ce genre de chose. Créer des liens, quels qu’ils soient, n’était que source de problèmes.

Tranquillement, elle contourna le comptoir tandis que les premiers clients s’installaient. Elle posa sa corbeille à l’abri des regards et grimpa sur l’estrade qui lui permettait de se grandir. Sans que ça la surprenne, elle vit Dimitri étirer un léger sourire moqueur. Elle l’avertit d’un air effronté :

— Faire des commentaires par rapport à ma taille est futile. Au pire, vous finirez avec quelques doigts cassés.

— C’est tentant, mais comme on dit, plus les personnes sont petites, plus elles sont terribles. Puis je croyais que la violence n’était pas tolérée ici.

— Et vous n’avez pas idée à quel point je peux l’être si j’estime que c’est nécessaire… Et c’est le cas, confirma-t-elle avec un ricanement, mais trouver des excuses, c’est facile. Puis la patronne préfèrera m’écouter plutôt que son client.

— Ce qui revient à dire que vous faites de l’abus de pouvoir.

— Complètement. Mais qui parmi les Méridionaux le ne ferait pas ? Numéro neuf, « les juges ont tous les droits ». On peut dire que c’est un bel aveu de ce fait.

— Critiquer ouvertement les lois, ce n’est pas ce qu’il y a de plus intelligent, les Méridiens peuvent avoir les yeux partout. 

— Critiquer ? Je ne fais que dire ce qui se cache derrière des mots qui ont été choisis à la fondation de l’organisation deux cent ans plutôt. Je suis peut-être au-dessus de tous les services associés, mais les Coordinateurs n’ont pas une position interne aussi élevée.

— Serait-ce un aveu de faiblesse ?

— Je tiens à vous rappeler que je peux vous radier si j’en ai envie. Je croyais que vous ne vouliez pas vous mettre dans le collimateur d’un Coordinateur ? reprit-elle d’un air mesquin. Bref, qu’est-ce que je vous sers ?

— Un bourbon, s’il vous plait.

Sam le servit avant de passer à un autre client qui se rendait au comptoir. Naturellement, elle retrouva sa routine en prenant parfois le temps de continuer de discuter avec Dimitri. Même s’il se montrait plutôt direct lui aussi, elle trouvait qu’il avait le mérite d’être agréable et de faire preuve d’esprit contrairement à certains.

Au bout de deux heures de service, Dimitri s’absenta en la surprenant par sa politesse. Néanmoins, elle savait que cela s’annonçait de courte durée quand elle remarqua Benjamin se lever d’une table. Sam l’avait vu arriver et s’installer. Étrangement, il n’était pas venu au comptoir comme à son habitude alors que ce n’était pas la première fois qu’elle faisait une entrée en sa présence. Techniquement, elle s’en moquait, ce n’était pas comme si son attention était importante pour elle. Cependant, elle n’était pas sûre de vouloir comprendre ce que son comportement signifiait.

Quand Benjamin s’installa en prenant la place qu’occupait Dimitri en ayant le culot de pousser le verre qu’il n’avait pas terminé, elle lui servit par réflexe un bourbon sans qu’il le lui demande. Il le leva avec son éternel petit sourire en coin pour la remercier. En même temps que le sien s’étira, elle ne put s’empêcher d’ouvrir les hostilités :

— Et bien Benjamin ? On est timide aujourd’hui ?

— Un nouveau ?

— Quelle observation, tu m’épates.

— Tu sais bien que c’est un jeu. Plus on a de choses à cacher, plus ça le rend intéressant.

— T’as pas une tête de quelqu’un qui s’amuse là, remarqua-t-elle en perdant son expression pour redevenir neutre.

— Même si c’est un nouvel arrivant, tu ne prends pas la peine de parler autant d’habitude.

Sam retint son soupir. Et voilà qu’il se remettait à analyser le moindre de ses faits et gestes. Mais pourquoi ça lui semblait différent ? Elle ne sentait pas un « jeu » cette fois. Même si son expression montrait tout le contraire, elle trouvait le choix de ses mots et son regard plus sérieux que d’ordinaire. Sur l’instant, tourner à la dérision cet échange lui parut plus judicieux :

— Peut-être parce que je le trouve charmant lui. Comme si ça m’intéressait, soupira-t-elle en rangeant une bouteille.

— Cela dit, vu comment il t’observait quand t’avais le dos tourné, il va se prendre un mur. Il n’a pas les bons arguments, commenta-t-il avec un sourire qui en disait long.

— Voyons Ben, ce n’est pas parce que je suis insensible à ton charme que ça fait forcément de moi une lesbienne.

Tout en lui servant un beau sourire arrogant et mesquin, elle s’amusait de sa réaction. Il la regardait avec stupéfaction, comme si elle l’avait pris au dépourvu pour une fois. Puis Benjamin la scruta en essayant de comprendre si ce qu’elle venait de prononcer était vrai ou non. Malheureusement, il ne put obtenir de réponse que Dimitri était de retour. Si lui gardait un air léger, ce n’était pas le cas de Benjamin qui s’était fermé comme une huitre. Dimitri leva un sourcil perplexe et Sam préféra les ignorer sur le moment et continuer ce qu’elle faisait. Cette situation lui paraissait étrange. Est-ce que Benjamin avait voulu lui dire quelque chose finalement ? Ses pensées n’allèrent pas plus loin quand ce dernier demanda sans la moindre trace d’émotions dans sa voix :

— Sam, je veux récupérer ma pièce.

Elle le regarda un instant sans surprises. Il comptait donc partir maintenant… Et après on disait que c’était elle qui était lunatique ? Quelle blague… Néanmoins, elle déposa le verre qu’elle tenait et fouilla sa petite corbeille à la recherche de la pièce. Elle le posa sur le bois du comptoir et la glissa devant l’homme, mais quand il voulut la prendre, elle garda le doigt dessus pour la bloquer. Avec une froideur qui ne l’impressionna pas, elle clarifia :

— Tu iras voir si l’herbe est plus verte ailleurs comme tu m’as dit l’autre jour. Tu as fait ta diva avec nos propositions alors vas les chercher autre part. Loi numéro six, nos offres sont indiscutables. Le Greenwich t’est inaccessible pour les six prochains mois.

Ce fut bien la première fois où elle vit Benjamin lui jeter un regard noir. Avait-elle finalement réussi à obtenir une réaction sincère de sa part ? Elle fut encore plus surprise de constater qu’il n’essayait pas à contester sa décision lorsqu’elle lui permit de récupérer sa pièce. Il régla la consommation qu’elle lui avait servie sans un mot et se leva. Même si son regard restait noir, il esquissa un petit sourire arrogant quand il lui lança :

— Et bien à dans six mois la naine bleue.

Sam serra des dents et contracta la mâchoire pour ne pas le renvoyer se faire foutre dans toutes les langues qu’elle connaissait. Néanmoins, elle se retint de surenchérir. C’était rarement une bonne idée de le faire avec Benjamin, c’était lui accorder de l’attention. Parfois, elle se demandait si ce n’était pas ce qu’il cherchait. Elle le surveilla jusqu’à ce qu’il sorte.

Si autant de regards n’étaient pas braqués sur eux, elle aurait soufflé de soulagement. Elle n’avait pas envie de lever la voix aujourd’hui. En parlant de voix, ses yeux se posèrent sur le piano à queue qui trônait au centre de la salle. Celle qui pouvait exprimer ses émotions sans qu’elle prononce le moindre mot. Celle qui pourrait la trahir si l’on savait réellement l’écouter. La seule chose qui lui donnait vraiment le sentiment de vivre. Dimitri qui était resté silencieux jusqu’à maintenant lui demanda :

— Il y a un pianiste des fois ?

— Oui, c’est moi.

— Je vous connais à peine et je vous trouve surprenante…

— Vous m’en direz tant… Pour l’originalité, on repassera.

— Vous savez jouer Für Elise de…

— Je n’aime pas spécialement Beethoven. Je trouve Chopin, Paganini ou Rachmaninov plus intéressant.

— Pourtant, elle a une histoire amusante.

— Elle a du sens que si on le lui en accorde. Et rien n’empêche de réécrire l’histoire encore et encore.

Cela dit, elle avait vraiment envie d’aller jouer maintenant. De toute façon, les clients connaissaient les règles quand elle quittait le comptoir : personne ne bouge. Elle n’avait pas besoin de le préciser à Dimitri, il allait très vite le comprendre. Tranquillement après s’être bien essuyé les mains, elle fit le tour du bar pour rejoindre le piano.

Avec une infime précaution après s’être assise, Sam leva le capot qui cachait le long clavier. Si quelque chose avait réellement du sens à ses yeux, c’était bien cet instrument. Jouer était bien plus qu’une passion, c’était un besoin viscéral. Une chose que son esprit ne pouvait pas oublier même s’il avait perdu ses origines. « Für Elise »… Pourquoi pas finalement ? Cela faisait une éternité qu’elle n’avait pas interprété quelque chose de doux. Quelle ironie que ce soit un client qui lui ait demandé…

Sans vraiment prendre la peine de chauffer ses doigts et ses poignets, elle commença la partition en la jouant de tête. Très vite, le silence s’installa dans la salle. Tout le monde l’écoutait, plus personne n’osait l’interrompre. Elle-même se perdait dans des émotions lointaines. Rien n’avait de sens dans ce monde, excepté cette voix qui la trahira peut-être un jour, mais qui faisait partie d’elle.

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