À la fin du repas, certains soldats sont allés dans les appartements dédiés aux invités, d'autres sont allés visiter le palais. Le prince ainsi que la princesse héritière se sont retirés afin de vaquer à leurs propres occupations tandis que le commandant Halvorsen est resté auprès de la reine. Ensemble, ils marchent à travers les couloirs que l’homme reconnaît à peine. L’alpha avait déjà pénétré au sein du palais royal autrefois lorsque la vie était moins obscure. La nuit est tombée assez tôt en cette septième semaine de printemps tandis que le vent frais annonce les regrets de l’hiver. La lumière de la pleine lune se reflète sur l'armure grise du marquis Halvorsen, sa cape orange virevolte au gré de ses pas qui se veulent légers. 

La vieille reine le mène en direction d’un escalier dont la finalité s’avère être une porte noire à double battant. Celle-ci s'ouvre sans même que la dame ait besoin d’actionner les poignées, des hommes vêtus d’un drapé noir à capuche abritent la pièce lugubre. Dans un silence morbide, ils accueillent les nouveaux venus d’une simple inclinaison de la tête. Bien que des chandelles éclairent les lieux, cela ne permet pas de distinguer correctement le visage des employés. Certains prient des divinités auxquelles plus personne ne croit, d’autres allument de nouvelles bougies tandis que les restants s'occupent du corps de la défunte. À la vue de celle-ci, le trentenaire se raidit le temps de quelques secondes, mais décide de reprendre rapidement contenance. La dernière chose qu’il souhaite est de perdre son flegme dans une ambiance indigeste. Le blond recule discrètement afin de prendre plus de distance avec sa souveraine. Ses iris se contractent à la vue du corps sans vie de son ancien adversaire. 

Les paupières closes de la défunte sont maquillées d'un fard à paupières orange, ses cheveux blonds penchent vers le gris dû à la vieillesse. Sa peau flétrie et blême s'illumine grâce à une crème avec laquelle son corps est embaumé dans le but de conserver son cadavre quelques jours de plus. Une robe blanche, couleur du deuil à Dusirene, embellis ce qui reste de celle qui fut la princesse du peuple. Le commandant comprend bien vite que cette salle est dédiée aux défunts de la famille royale. De toutes les pièces composant l’immense bâtisse, ce sous-sol est le dernier endroit où il désire manifester sa présence. 

— Comment la trouves-tu ? Demande soudainement la reine. 

Pris de court par la question, l’homme respire furtivement avant de répondre.

— Reposer. 

— Et sur le champs de bataille ?

— Enrager. 

Elle avale sa salive bruyamment et prend la main glaciale de sa sœur dans la sienne. 

— A-t-elle éprouvé des regrets ?

— Oui, mais je ne saurais dire lesquels votre grâce. 

— Vider la pièce. 

Les bénisseurs d'outre-tombe sont surpris, d’abord, ils s’observent brièvement et la seconde d'après exécutent l’ordre donné par la souveraine. L’écho des derniers pas quittant la salle résonne avant que le grondement de la fermeture des portes ne claque. La vieille dame repose la main du cadavre et tourne autour de la table de marbre où gît sa jumelle. Elle se positionne face au marquis et les deux se dévisagent durant un temps incalculable. 

— Aleksander Halvorsen, héros de la couronne. 

L’alpha hoche brièvement la tête en signe de remerciement pour ce titre, bien qu'il pense qu'il ne le mérite pas. 

— Je devrais donner ta main à ma fille. 

Le cœur du chevalier se met à battre plus fort sous la contrainte. L’homme n'aime pas cette idée, et ose relever ses prunelles en direction de sa majesté.

— Enfin, c'est ce qu'elle souhaiterait. 

Le trentenaire expire discrètement sa crainte, s’obligeant à rester pudique vis-à-vis des émotions qu’il peut dévoiler face à son interlocutrice. 

— Je suis fils illégitime, cela ne semble pas être une bonne idée.

— L'opinion publique est de ton côté. 

Contraint d’obéir, l’alpha ne sait quoi répondre et ne veut pas lui faire plus d'affront. 

— La mort de ma sœur était mon choix, commandant Halvorsen. 

Les lèvres du trentenaire s'entrouvrent légèrement, il a ressassé des milliers de fois le moment où ils en viendraient à converser sur ce sujet.  L’alpha redoute tant cet instant, et pour cause, il a éliminé la jumelle de la souveraine afin que la guerre cesse. Cependant, Vibeke De Skov restera à jamais une princesse et une personne importante pour la reine Raylene. 

— C'est moi qui ai décidé qu'elle se retrouve sur cette table au moment où nous parlons. 

Le vassal acquiesce, mais un poids aussi lourd ne peut s’effacer aussi facilement.

— Ses quatre mois de conflits internes ont terrorisé notre nation comme si nous étions en guerre durant quatre cents ans. Gronde-t-elle d’une voix sombre. Si la reine se relève, son peuple le doit aussi.

— Oui votre majesté. 

— Bien, finit-elle par souffler. Ne t'en fais pas pour Francine elle t'oubliera vite et sera occupée à se préparer aux fonctions de future souveraine. 

— Qu'en est-il du prince Hubert ? Ose questionner le marquis. 

— Je donne sa main à la princesse Belinda.

Les yeux du jeune alpha se sont posés automatiquement sur le corps de la princesse déchu.

— Mon clan, c'est diviser et mon pouvoir s’amenuise. Autrefois, j'ai promis à son père que je veillerai sur elle, bien qu'elle ne soit pas de sang noble. Ennemi ou non, j'ai trop perdu pour encore souhaiter le décès d'un de mes proches.

Belinda n'est pas de sang noble, elle est la fille de l'ex-mari de la défunte princesse. Avant leur divorce, la reine Raylene De Skov lui avait donné le titre de princesse, bien qu'elle ne soit pas l'enfant de la princesse Vibeke De Skov. Elle a toujours apprécié la petite fille qui est devenue une jeune femme entre-temps. Belinda n'a jamais fait preuve d'animosité en dépit du fait que son ex-belle-mère ait tenté d'usurper la couronne de sa jumelle. Quelques semaines plus tôt des rumeurs circulaient disant que Vibeke avait tenté de corrompre Bélinda, mais la jeune bêta aurait refusé de trahir la reine Raylene, pour qui elle a juré fidélité. Il semble que les dires fussent vrais. Désormais, la guerre civile est terminée, tout cela fait partie du passé. 

L’avenir est ce qui tracasse tous les nobles Dusirois, tout leur or, on était dilapidé durant les quatre mois qui ont suivi le conflit. Les caisses du royaume sont vides, le peuple ne va pas tarder à sombrer dans la famine. Les récoltes risquent d’être mauvaises, il leur reste la pêche et le commerce extérieur avec les nations voisines. Cependant, cela risque d’être long et éprouvant pour leur nation. D’ici là, le commandant ne sait pas comment le royaume va tenir debout. Des bâtiments ont été défoncés par les catapultes à travers tout le pays et les architectes dont la mère oméga d’Aleksander croule sous les demandes d’aide à la reconstruction. Il ne manque plus qu’une tempête s’abat sur le royaume et Dusirene sera dévasté. L’après-guerre est encore plus difficile que l'œil de l’ouragan lui-même, toutes les thématiques auxquelles pense le marquis, la reine y a réfléchi elle aussi. L’alpha se demande quelle politique la souveraine va-t-elle adopter pour la réhabilitation de leur pays. Cela prendra des années s’il le faut, mais ils ne peuvent pas rester les bras croisés. 

—  La guerre c'est terminer rapidement, commence-t-elle par dire d’une voix fatiguée. Les vieilles reines se comprennent entre elles après tout. 

Ne sachant pas où elle veut en venir, le chevalier l'écoute attentivement.

— C'est le royaume d'Erath qui m'a prévenu du coup d'État à mon encontre. 

L'étonnement se dessine naturellement sur le visage d'Aleksander. 

— Erath... Souffle-t-il pour lui-même. 

— Nous nous sommes préparés en amont en feignant les apparences, mais le résultat reste le même.

Alex veut lui en demander plus, mais cela relève du secret politique, son regard rempli de curiosité vaut mieux que mille mots. Cependant Raylene ne dira rien, il le sait bien. 

— Ton bataillon était le plus proche de l'avancée de l'usurpatrice, ta réussite a été une surprise pour tous.

— Protéger la couronne reste notre mission principale.

— Libère ton cœur de toute modestie et sentiment de culpabilité, un devoir prochain t'attend.

Toujours tout ouïe, l’alpha reste suspendu à ses lèvres. 

— Des années durant j'ai cherché la flamme de l'espoir, et comme une aide ne vient jamais sans une autre en retour, je suis prête à partager notre lumière avec mes alliés de demain.

Les sourcils d'Halvorsen se froncent face à cette nouvelle énigme.

— Aleksander Halvorsen tu es notre espoir, et j’ai accepté de t'offrir au royaume d'Erath.  

Son cœur cogne contre sa tempe due à la stupeur.

— Ta mission est de les sauver comme tu l'as fait pour nous.