Il courrait.
Il regardait droit devant lui, ses pieds battant le sol humide de mousse au rythme effréné de sa respiration ; il avait pourtant beau avancer, les arbres semblaient se refermer peu à peu sur lui comme la bouche d'un grand prédateur n'attendant qu'à le dévorer. Il n'y avait ni lumière ni espoir. Rien à l'horizon, si ce n'était des troncs à perte de vue, recouverts de masques à tête de loup pendant comme des têtes dénuées de corps. Et les branches, telles des serres, cherchaient à le griffer et à le freiner pour l'attraper.
Enfin, une grotte. Il s'y précipita, pour se protéger de la forêt de son enfance devenue soudainement ennemie, mais une masse géante l'accueillit. Une bête, dont il ne voyait qu'un pelage dru aussi noir que les ombres, et qui paraissait palpiter au rythme de son propre coeur. Elle se tourna, deux orbites vides semblant pénétrer au plus profond de son âme, et il se retrouva dans la peau d'un lapin pétrifié devant un chasseur. La bête était tout à fait monstrueuse, avec son crâne d'os et ses yeux – deux fossettes creuses – remplis de néant. Ils semblaient tout voir et ne rien voir en même temps, mais il avait la certitude que la bête l'avait vu et l'observait : il le sentait aux sueurs froides qui glissaient le long de son échine. Elle ne bougea pourtant pas, se contentant de le jauger en faisant parfois claquer ses mâchoires osseuses, et il remarqua que seul son visage était fait d'ossement. Ses oreilles étaient dressées sur son crâne, semblables à celles de ses compères loups, et son corps tout entier était recouvert d'une fourrure étonnament glaciale. Comme si aucun soupçon de vie ne l'habitait, ou qu'il portait l'hiver lui-même dans son pelage.
Il avait un véritable cadavre devant lui. Une bête étrange, coincée entre la vie et la mort, et dont il n'avait entendu la description qu'à travers les bouches tremblantes de ses ancêtres.
Le wendigo.
Et soudain la lumière brûlante du soleil vint l'aveugler, effaçant de sa rétine l'existence même de cette bête d'outre-tombe, et termina d'éloigner les frissons glaciaux qu'avait amené cette vision.