La forêt s'ouvrait devant lui, inondée par les rayons mordorés du soleil couchant, aussi verdoyante et hospitalière qu'à son habitude. Elle n'avait rien à voir avec la vision glaciale et dangereuse que ses rêves lui avaient façonnée, lui offrant plutôt de véritables trésors de la nature. Un beau lac où partir pêcher à toute heure ; de nombreux coins où poussaient les champignons les plus goûtus ; et même un terrain de jeu parfait, semé de troncs et de dénivelés pour jouer avec les louveteaux du clan. Il n'y avait aucun masque étrange de loup accroché aux branches, rien si ce n'était des feuilles aux couleurs de feu et des pommes de pin, et le Wendigo était une calamité contenue de l'autre côté de leur territoire, incapable de traverser la rive. Il n'y avait donc rien à craindre, ce n'était qu'une frayeur nocturne parmi tant d'autres.
Pourtant, Kjell se sentait fébrile. Éclaireur pour les chasseurs de son clan, il avait l'habitude de ce sentiment d'excitation, d'être à l'affût du moindre danger ou de la moindre proie, les oreilles et les yeux grands ouverts. Mais les drôles de frissons qui le parcouraient depuis le rêve qu'il avait fait, quelques nuits plus tôt, le rendait soucieux. La forêt était la même, il en connaissait même tous les recoins pour y avoir longuement crapahuté plus jeune, mais quelque chose ne tournait pas rond. Il se sentait constamment sur ses gardes, comme si quelque chose allait ramper des ombres pour l'attaquer, et se montrait davantage irritable qu'à l'accoutumée. Il s'était même pris la tête avec le groupe qu'il était censé accompagner à la chasse, parce qu'il n'avait pas apprécié qu'ils remarquent et commentent son humeur actuelle.
Il n'était plus le même, et il le ressentait jusque dans ses os. C'était une appréhension, une fièvre étrange. Et quand il cherchait à comprendre, il revoyait dans son esprit les orbites creuses de la bête le regarder en retour. Entre frayeur et fascination, Kjell ne savait plus quoi penser ni ressentir. Il avait essayé de demander aux plus vieux loups du clan ce que signifiaient les masques lupins qu'il avait vu dans ses rêves, mais tous écartaient ses inquiétudes. « Ce n'était qu'un rêve », « Tu as une drôle d'imagination », qu'ils l'avaient simplement rassuré d'un sourire se voulant réconfortant. Seule Griselda, une vieille guerrière n'ayant plus toute sa tête, lui avait vaguement parlé d'anciennes coutumes de vieux clans qui devaient façonner des masques d'animaux pour pouvoir se transformer. On les disait leurs ancêtres, éloignés de trop nombreuses lunes pour en avoir gardé le compte. Pour Kjell, se transformer en loup semblait aussi naturel que de respirer, à tel point que d'y parvenir à l'aide de masques semblait trop magique pour être réel. C'était une capacité tout à fait normale, pour un Homme-Loup, que de pouvoir prendre forme lupine à volonté ; c'était un don de la Mère Louve, créatrice de toute chose, qui en était l'origine. Et non pas de drôles de masques en bois, d'autant plus que nul ne pratiquaient la magie si ce n'étaient quelques rares initiés.
Les masques ne revinrent pas hanter ses nuits, mais ils demeurèrent bien présents dans ses pensées. Ses rêves ne revinrent toutefois pas tout à fait à la normale, puisque de nombreux soirs virent la visite d'orbites creuses l'observant depuis les profondeurs de la forêt. Il lui semblait même parfois sentir un souffle glacial effleurer sa peau à lui en donner la chair de poule. Mais le plus étrange dans tout cela, c'était la sensation de vide qui semblait l'habiter après ces visions, cette espèce de manque dont il ne comprenait pas la provenance. Il ne se risquait pas à en parler autour de lui, par crainte de passer pour un fou auprès de ses semblables. Après tout, qui d'autre qu'un dérangé pour voir ses rêves habités par la malédiction-même de la forêt, que tous se faisaient un devoir d'oublier et dont on lui avait appris dès l'enfance à ne pas parler ?
Désireux de se sortir toutes ces pensées de la tête, Kjell se mit à souvent partir couper du bois après ses rondes de surveillance. Dans la meute d'Hommes-Loups, il servait surtout à repérer les dangers et surveiller les frontières de leur territoire, ainsi que les migrations de proies susceptibles de les nourrir. La forêt qui habitait leur village s'étendait à l'horizon sans limite, tantôt au bord d'un lac tantôt en haut des montagnes. À tel point qu'elle était la maison de trois clans, dont le sien, qui se retrouvaient en son centre toutes les pleines lunes pour s'échanger des nouvelles : de nouvelles naissances, des décès, des mariages, des maladies, des famines... Ou du moins, c'était le cas avant l'arrivée du Wendigo sur leurs terres. La bête était apparue non loin du clan de Kjell, celui des pieds-bleus (en honneur aux cercles de champignons y poussant abondamment), et avait été emprisonnée de l'autre côté du fleuve grâce aux talents magiques des Shamans. Toutefois, les deux autres meutes – le clan de la Lune Argentée – pour ses nombreux étangs – et le clan d'Ekyl – nommé pour l'alpha le plus brave les ayant dirigés – ont coupé les ponts pour protéger les leurs, par crainte de voir le monstre franchir l'entrée de leurs villages.
Kjell avait pris l'habitude de s'égarer plus loin que ce que sa ronde prévoyait, et de se rendre au plus profond de la forêt où se réunissaient habituellement les clans. La mousse avait envahi tous les arbres, s'étendant le long de leurs racines et formant de douillettes alcôves où se reposer. De vieilles statues, ressemblant encore vaguement à des loups malgré le passage du temps, entouraient la zone comme des protecteurs. Les louveteaux avaient pour habitude de les décorer de fleurs lorsqu'arrivait la belle saison, mais ils n'étaient désormais habillés que de toiles d'araignées et de feuilles mortes. Avec un soupir, Kjell lâcha le bois qu'il avait récupéré lors de son expédition avant de s'adosser contre une des statues. Sortant un vieux canif de sa poche, il se mit alors à le tailler avec des gestes sûrs et réguliers, la lame raclant l'écorce jusqu'à lui donner forme. D'habitude, il se plaisait à sculpter de petites figurines grossières ou des flûtes, dont il jouait toujours avec plaisir, mais il avait un autre projet en tête. Dans une tentative de sortir ce qui lui envahissait le crâne, Kjell se mit à façonner un masque. Lentement et avec précaution. Il dût toutefois partir lorsqu'il vit le soleil commencer à décliner à l'horizon, parti depuis déjà bien trop longtemps pour passer inaperçu, mais il était satisfait de ce qu'il avait entre les mains ; ce n'était pas encore un masque, ni tout à fait une tête de loup, mais on commençait déjà à en discerner les traits. Il avait étonnamment hâte de continuer, la même passion le prenant que quand il s'amusait à sculpter des flûtes de différentes tailles.
Le chemin du retour se fit sans encombre, l'entrée du village s'élevant rapidement sous ses yeux. Celle-ci était formée de deux arbres centenaires plantés face à face, dont les branches s'étaient au fil du temps réunies et entrelacées en des formes indissociables. Souvent en fin de saison, des cercles de délicieux pieds-bleus venaient en entourer les énormes racines.
« Kjell, tu es enfin rentré ! », s'exclama soudainement une voix à sa droite. « Jusqu'où t'es-tu encore aventuré ? »
Sa mère, Yvana, était une louve au pelage gris perle, presque bleu. Ses yeux bruns, seuls éclats de couleur sur son visage pâle, ressortaient vivement. Ses cheveux étaient tressés maladroitement, et inondés de fleurs ; sûrement une oeuvre des jumelles, Kiha et Noha, dont sa mère s'occupait en début de journée.
« J'ai pas vu le temps passer, c'est tout. » Kjell s'excusa en s'avançant vers elle avec un petit sourire faussement penaud. Il lui offrit une accolade comme il était coutume de le faire avec ses proches, sa joue venant frôler affectueusement la sienne.
« C'est toujours la même chose avec toi…, elle soupira en lui rendant son geste, et Kjell ne put s'empêcher de l'embêter davantage.
– Je peux dire la même chose, tu sais ? »
Ils rentrèrent ensemble dans le village, aussitôt salués par les quelques membres affairés devant leurs maisonnées. Elles étaient presque toutes faites de rondins de bois et décorées de végétations ou de tissus colorés, bien que certaines soient carrément construites autour du tronc d'un arbre centenaire ou soutenues dans ses branchages. La leur était basique, de plein pied, mère comme fils ayant plutôt rapidement le vertige, mais joliment décorée. Si lui se plaisait à sculpter le bois, elle avait une passion dévorante pour le tissage de tissus et la création de vêtements.
Se plantant devant la porte de leur demeure, Yvana se tourna vers lui :
« Est-ce que tu as ramené ce que je t'ai demandé ?
– Oui, j'ai quand même pas oublié ! Attends, tiens. » Fouillant dans le sac en bandoulière où il rangeait ses quelques affaires, dont son canif, Kjell en sortit différentes plantes colorées. Celles-ci servaient usuellement de pigments pour teindre les tissus, mais surtout pour confectionner les peintures faciales que tous les membres du clan se faisaient un devoir de porter. Elles représentaient leur appartenance à leur tribu tout autant que leur individualité. Yvana maquillait toujours ses pommettes de trois larmes bleues, séparées par de fines lignes dorées ; Kiha et Noha, les jumelles de cinq ans, portaient les mêmes rayures rouges sur leurs fronts que leur père. Et Kjell, quant à lui, se faisait également une variante de sa mère. Lui aussi possédait des points bleus sous les yeux, au nombre de quatre, ainsi que des lignes dorées pour les séparer ; mais il y avait ajouté de plus petits points, parfois blancs parfois dorés, ainsi qu'une fine ligne rouge autour des yeux. Tout le monde lui disait que son père, de son vivant, avait constamment les yeux soulignés de rouge et de jaune. C'était donc un hommage à ses deux parents, tout en demeurant une peinture faite à sa sauce.
« Oh, qu'est-ce que c'est que ça ? » Demanda sa mère en jetant un oeil à son sac, ayant vu un morceau de bois dépasser. Elle s'en empara sans que Kjell ne l'en empêche, l'examinant avec des sourcils de plus en plus froncés. « Un masque ? C'est pour m'aider à raconter des histoires aux petites ou… » Elle se tut soudain devant son manque de réponse, avant de soupirer. Sans être au courant de l'entièreté de ses rêves, ou même de la présence d'une bête cauchemardesque, elle savait qu'il s'agissait d'un détail qui l'avait frappé. « C'est en rapport avec tes rêves, n'est-ce pas ? Les masques … Je pense que tu devrais en parler avec le Shaman, Kjell, peut-être que les esprits cherchent à te dire quelque chose. »
« Oui, oui… tu as raison. Mais je crois que faire ce masque m'a fait du bien. Et tu as raison, il peut aussi servir pour compter tes histoires aux filles ! Je devrais peut-être en faire un plus terrifiant ? Comme un énorme grizzly !
- Arrête, je vais avoir leur père sur le dos si elles font des cauchemars à cause de toi ! Je t'aime, Kjell, mais pas au moins de me retrouver avec un Vald furieux voulant ma peau. Tu sais bien qu'ils les choient comme une mère poule.
- Je sais surtout à quel point tu le trouves à ton go–» Kjell ne put finir sa taquinerie que sa mère lui avait planté ses doigts profondément dans les flans, lui coupant le souffle.
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Quelques jours plus tard, à son retour de sa ronde habituelle, Kjell se décida à suivre le conseil de sa mère : le shaman et alpha de son clan en connaissait un rayon sur les rêves et leurs interprétations. Il pouvait même, à ce qu'il avait entendu, parler avec les fantômes de leurs ancêtres pour obtenir une guidance sage et juste. Le shaman était normalement un rôle à part, censé appuyer l'alpha – ou chef de meute – dans ses décisions grâce au soutien des défunts, mais Panos était un cas particulier. Il avait hérité des rênes du clan à la mort du précédent chef, dévoré par le Wendigo, et avait à l'unanimité du clan conservé la position une fois la situation de crise derrière eux. Kjell pouvait comprendre, c'était après tout grâce à la sagesse du Shaman qu'ils étaient parvenus à se protéger du monstre peu après son apparition, de nombreuses années plus tôt, et que la meute avait survécu : de nombreux loups avaient péris entre les crocs affamés du monstre, mais le Shaman avait usé de pouvoirs magiques exceptionnels pour emprisonner la bête de l'autre côté du fleuve délimitant leur territoire. Les plus vieux du clan se faisaient qui plus est toujours un plaisir de narrer sa bravoure hors du commun en ces temps de désespoir, ou de décrire à quel point le Wendigo était une créature immonde et terrifiante sans pour autant l'avoir vu. Le dévoreur de forêt. On le disait gigantesque, tout d'ossements recouverts, et en proie à une faim abyssale. Nul ne connaissait la raison de son existence, mais ils s'accordaient pourtant à dire qu'il s'agissait d'une véritable malédiction dont le Shaman était parvenu à les protéger.
« Shaman, j'aimerais vous parler d'une… vision que j'ai eue. J'ai besoin de vos lumières. »
Kjell attendait donc devant la hutte colorée du shaman, le regard perdu sur les nombreuses plantes grimpantes qui couraient le long des façades. Il n'osait entrer sous peine de lourdes représailles, comme il en avait toujours été coutume : la demeure du shaman était celle des esprits et des malades, les premiers n'étant à interrompre sous aucun prétexte, les seconds demandant repos et isolement. Et Kjell n'avait de toute façon aucune envie de déranger un esprit, ou même d'en rencontrer un. La perspective qu'un homme puisse les entendre, et surtout les comprendre, rendait l'autre côté bien trop réel à son goût. Il préférait demeurer dans le déni, à se croire au-dessus des limites – déjà bien plus poussées que celles des mortels – de l'existence des autres hommes-loups.
Pas un bruit ni un mouvement dans la bâtisse pour lui faire comprendre que le Shaman avait entendu sa requête, mais Kjell ne s'en inquiéta point. Le Shaman les entendait toujours, après tout, et il n'avait pas attaché de tissu rouge au battant pour indiquer son absence. Il savait pourtant que ce dernier partait régulièrement cueillir des plantes pour ses remèdes, et notamment pour guérir les séquelles qu'il avait récupérées de son affrontement avec le Wendigo.
Malgré la porte close, les émanations puissantes d'ambre et d'autre mixture herbale lui chatouillaient tout de même les narines. Il discernait des relents de consoude et de gingembre sauvage, qui lui rappelaient la pâte odorante que sa mère appliquait minutieusement sur ses plaies lorsqu'il se blessait plus jeune. Il y avait toutefois une odeur, bien dissimulée derrière toutes les autres, qui ne manquait jamais de lui donner des hauts les coeurs sans qu'il ne soit pour autant capable de la reconnaître.
« Entre, Kjell. »
La voix chaude du Shaman se fit entendre à travers la porte, et Kjell n'attendit plus pour entrer. Aussitôt, toutes les odeurs qu'il avait déjà pu percevoir lui envahirent les sens et lui confirmèrent qu'il était bien chez le guérisseur.
Panos se tenait dans l’ombre de sa hutte, drapé dans une tunique de lin et de peaux, ses longs cheveux noués en une natte brouillonne tombant sur son épaule. Ses yeux, perçants et d’un doré éteint, semblaient sonder Kjell avant même qu’il n’ait ouvert la bouche.
« Désolé pour l'attente, je terminais avec Waren. » Panos lui sourit légèrement avant de lui offrir une accolade, sa joue s'arrêtant à quelques millimètres d'effleurer la sienne. Il le guida ensuite d'un geste de la main à s'enfoncer plus loin dans la maison, pour retrouver une pièce plus tranquille. Tous les murs étaient recouverts de dessins alchimiques ou de décorations rappelant la lune et ses différents états. Pas étonnant, c'était après tout à elle, la lune, leur Mère Louve, qu'ils devaient tout.
L’intérieur de la hutte était empli d’herbes séchées suspendues au plafond, de crânes d’animaux peints de symboles, et de petites coupelles où brûlaient des encens aux odeurs entêtantes. Au centre trônait un feu mourant dans un foyer de pierre, projetant des ombres dansantes sur les murs.
Panos s’assit sur une pile de fourrures et indiqua à Kjell de faire de même. « Alors ? Dis-moi ce qui trouble ton esprit. »
Kjell sentit sa gorge se nouer un instant.
« Ce sont mes rêves… ou peut-être des visions. Elles sont récurrentes et… troublantes. Je me trouve dans la forêt, mais elle est différente, oppressante. Il y a des masques de loups accrochés aux branches, et ils me fixent comme s’ils étaient vivants. »
Le Shaman resta impassible, l’encourageant à continuer d’un simple hochement de tête.
« Et puis il y a cette créature. » Kjell sentit un frisson lui parcourir l’échine. « Immense, couvert d’un pelage noir comme la nuit, avec un crâne d’os et des yeux… vides, mais qui me transpercent. Il ne m’attaque pas, il me regarde seulement. »
Il s’interrompit un instant, cherchant ses mots. « Je ressens quelque chose d’étrange à son contact. Une peur viscérale, bien sûr, mais aussi… un appel. Comme si quelque chose en moi répondait à sa présence. »
Un silence pesant s’installa, uniquement troublé par le crépitement du feu. Panos soupira profondément avant de se redresser légèrement.
« La fièvre du Wendigo… » murmura-t-il.
Kjell fronça les sourcils. « La fièvre du Wendigo ? »
« Je ne peux pas en être certain, mais cela y ressemble, répondit Panos, le regard grave. – C’est un mal ancien, une malédiction insidieuse. Ceux qui en sont atteints ressentent d’abord des visions, des cauchemars, une obsession pour la créature. Puis vient le changement… »
Le jeune homme se raidit. « Quel genre de changement ? »
Panos le fixa avec intensité. « Cela dépend. Certains succombent, se perdent dans la faim et la folie, jusqu’à devenir autre chose. Si c’est bel et bien ce que je pense, tu risques d’être un danger pour le clan, Kjell. »
« Tu dois être prudent, reprit Panos avec une voix plus basse, plus douce mais non moins inquiétante. Car si cette fièvre grandit en toi, alors il te faudra choisir. Entre l’homme et la bête. Entre l’appel du Wendigo et celui de la Mère Louve. »
Kjell sentit un frisson glacé lui parcourir l’échine.
« Tu es sûr de n'avoir rien touché, dans ces rêves ? »
demanda Panos en ouvrant à nouveau les paupières. « Aucune offrande, aucun objet que l'on t'aurait tendu ? »
Kjell fronça les sourcils, pensif.
« Non... enfin, si. Il y avait un masque. Il était suspendu à une branche, et... je crois que je l'ai effleuré. Mais ce n'était qu'un rêve. »
Le Shaman se tendit imperceptiblement, puis se leva pour fouiller parmi ses potions. Il en extirpa une fiole emplie d'un liquide violacé qu'il versa dans la marmite. L'eau gronda aussitôt, comme agitée d'une vie propre.
« Donne-moi un de tes cheveux. »
Kjell obtempéra sans réfléchir, arraché à ses pensées par le ton impératif du Shaman. Panos prit la mèche et la laissa tomber dans le breuvage. D'abord, il ne se passa rien. Puis, sous leurs yeux, le liquide se teinta d'un noir d'encre avant de virer au rouge profond, semblable à du sang fraîchement répandu sur la neige.
Le Shaman blêmit, ses traits se durcissant.
« Par la Mère Louve...» souffla-t-il. « Ce n'est pas qu'une fièvre de Wendigo... Tu es lié à lui.»
Kjell sentit son estomac se nouer.« Lié ? Qu'est-ce que cela signifie ? »
Il avait peur de comprendre. Quand on parlait de Lié, on évoquait en général les âmes-soeurs… et il n’était pas imaginable qu’une bête comme le wendigo en aie un. Panos posa sur lui un regard lourd de conséquences.
« Cela signifie que le Wendigo ne s'est pas contenté de t'effrayer dans tes songes. Il t'a marqué. Vous êtes des âmes-soeurs. »