La porte de l’appartement s’ouvrit sur les rires du couple. Ils rentraient du concert de leur groupe de rock préféré, s'empêchant mutuellement de tomber de rire. Ils avaient pris pour habitude de chanter à tue-tête les chansons qu’ils avaient retenu à chaque fin de concert, jusqu’à se tromper dans les paroles. Cette fois-ci, ce fut le plus grand des deux qui avait perdu.
- Chéri, tu me pèse là ! rigola le plus petit.
En guise de réponse, le plus grand embrassa ses cheveux roses pâle, dont la teinture commençait à dépérir. S’en allant vers la chambre où ils dormaient tous deux, le rockeur aux cheveux noir s’effondra sur les draps, ne prennant pas le temps de retirer ses bottes.
Râlant comme toujours en le voyant aussi paresseux, son petit ami en profita pour l’admirer un peu. Depuis tout ce temps, il ne connaissait par coeur. Grand, cheveux mi-long, un bouc toujours coupé à ras, le corps svelte et parsemé d’une musculature visible, le regard d’un cuivre magnifique et une voix magnifique. Elle était si chaude, douce, remplie d’une malice que beaucoup lui connaissaient. Il était certes tête brûlée, mais faisait toujours attention à ne blesser personne. Il aimait sincèrement et sans filtres. Loin des touchés et câlins, c’était par ses cadeaux et attentions aux détails qu’il régalait: une boisson, un massage, une oreille attentive. Il faisait toujours de son mieux pour satisfaire ceux qui lui rendaient sa bonne humeur.
Les sons qui sortaient de sa fine bouche s'accordaient parfaitement avec le talent unique du jeune homme : la musique. C’était dans ce domaine justement où ils s’étaient rencontrés, lui jouait de la batterie, son instrument de prédilection et son amant de la guitare. Un club de musique avait ouvert à ce moment dans leur établissement et ils s’y étaient inscrits. Rapidement, le feeling passa entre les deux et ils finirent ensemble, formant un groupe de rock avec leur meilleure amie.
S’approchant du lit, le petit-ami secoua doucement l’épaule de son copain : «Dagon, enlève au moins tes bottes.», grommelant, le concerné ne semblait pas prêt à sortir de ses songes : « Pas maintenant Pinky…». Ce surnom faisait toujours sourire le rosé : «Pinky », un surnom qu’avaient adopté tous ses amis. Rare était les fois où on ne le voyait pas habillé d’un vêtement rose, à présent émancipé de sa famille, s’était ses cheveux qui était de cette couleur si particulière.
Une couleur qui lui avait valu aussi de nombreuses insultes, une couleur de « fille » selon certains, de “pédale” ou de “travelo” selon d'autres. Il savait à quel point les adolescents pouvaient être mauvais, avec le temps il fit abstraction de ce genre de commentaire, de cette jalousie maladive. À ses yeux, ceux qui pensaient ainsi n’étaient rien d’autre que des refoulés, des malheureux qui crachaient la haine d’eux même sur ceux qui, comme lui, s’assumaient mentalement et physiquement. Oui il était gay, oui il assumait sa relation avec le “bad boy” du lycée, oui il était “gothique” pour certain, trop “effeminé” pour d’autre, mais bordel qu’il aimait cette sensation de liberté. Hurler à plein poumon lorsqu’il chantait avec ses amis, voir les regards tantôt admiratifs, tantôt dégoûtés des passants dans la rue. Mais surtout, sentir tout l’amour de son chéri dégouliné à chaque seconde sur son corps. Un regard qui savait aussi perçant que délicat. Aussi bien sensuel que capricieux.
Dagon avait toujours été ouvert sur la discussion, aussi bien sur son passé turbulent que sur ses problèmes actuels: la santé de sa petite sœur, les conflits avec ses parents. Pour lui seul comptait la vérité.
Revenant à la réalité, le jeune homme enleva sa veste avant de la poser sur la chaise du bureau, venant doucement enlever les bottes de son copain qui avait plongé dans les bras de morphé. Il vint lui enlever son manteau en cuir qu’il alla accroché au salon.
Lorsqu’il retourna dans la pièce de nuit, le grand dormeur était à présent sur le dos, les cheveux en pagaille et la bouche grande ouverte. Pinky ne put retenir un gloussement de sortir de sa bouche, il replaça quelque mèche des cheveux de son tendre aimé, remarquant la grande boucle d’oreille pendant sur le coussin. C’était la même qu’il portait depuis leur rencontre, et bien avant sûrement. Il disait que c’était l’un de ses cadeaux les plus précieux que sa mère adoptive lui avait offert, il l’a gardait tout le temps sur lui. Les rares fois où il ne l’avait pas c’était lorsqu’il venait dormir ici, dans ces occasions il arborait de simple piercing orné de cristaux cuivrée. Alors cela l’avait étonné de le voir la porté, il ne s’en était certainement pas rendu compte. Alors avec la plus grande délicatesse, il enleva la boucle d’oreille et se retourna pour la poser sur la commode.
Au même moment, le déchirement de vêtement l’inquiéta. Ce n’était pas normal, c’était comme si on coupait volontairement un vêtement trop petit. Pourtant, son copain était toujours endormi, certes il avait grogné au moment du bruit, mais rien de plus.
Il se retourna avec une lenteur terrifiante, craignant les prochaines secondes. Espérant que personne ne s’était introduit dans son lieu de vie, remontant les jambes de l’endormi, plongé dans la pénombre de la pièce, il avança son regard vers ses hanches, puis son ventre avant d’enfin accéder au visage de son bien aimé, éclairé par la lumière du couloir. C’est là qu’il vit l’horreur, le dégoût, non.
Ce qu’il voyait était inqualifiable, il voulut réveiller son copain, enfin si c’était bien lui, mais à part un gémissement, aucun son ne sortit de sa bouche.
Ce simple bruit rappela le somnoleur à la réalité, alors qu’il sentait son esprit se concentrer sur les bruits alentour, il sentit quelque chose de différent chez lui. Tout d’abord il n’avait plus ni sa veste, ni ses bottes. Ensuite, il éprouvait une pression sur son bas de dos qu’il ne connaissait que trop bien et le froid qui vint se glisser sur ses omoplates ne faisait que confirmer ses craintes. Lorsqu'il ouvrit les yeux, la première chose qu’il vit fut cet épais duvet ébène recouvrir ses bras et tout le reste de son corps. Les mouvements fluides mais frénétiques du membre serpentin se baladent sur le coin de son regard et cet inconfort de ses os coincés dans un position dans laquelle il ne devrait pas être était atroce. Son regard se tourna vers son amant qui était clairement au bord de la crise de nerf, ses larmes menaçaient de couler, tout comme sa voix qui s’échappait de sa bouche tremblante. Il se passait ce qu’il craignait de pire, son secret lui avait été dérobé.
«Pin-Pinky » Sa voix tremblait au même rythme que ses respirations, elle n’arrivait pas à sortir. «Qui es-tu ?». Cette phrase brisait son cœur en deux morceaux, son regard se posa sur les draps du lit, sa queue venant par instinct s’enrouler autour de sa taille et ses ailes se replier sur ses épaules la créature répondit: “C’est moi… Dagon, ton petit-copain.” Il n’osa pas le regarder dans les yeux, ni entendre les bruits qu’il réalisait, il ne voulait plus rien entendre, plus rien sentir, plus rien voir. Il voulait se terre loin de tout, loin de cette discussion qu’il avait repoussée depuis trop longtemps. On l’avait pourtant prévenu lorsque le moment était venu, mais il voulait attendre un peu plus longtemps c’est tout. Attendre que son chéri montre des signes de suspicion, mais rien n’était venu, ni ces signes, ni son courage qui encore aujourd’hui lui manque.
- Qu’est-ce que tu es ?
Il releva le regard, il sursauta, alors il le redescendit et répondit d'une voix chaude, mais cassante.
- Un- Un chiross… Il vit à son regard qu’il ne comprenait pas ses termes, alors il reprit, Une sorte de chauve-souris si tu préfères.
- Qui t’as fait ça ?
- Personne ! Il osa lever son regard, je suis né comme ça…
Il se tut de longue minute, il n’avait plus le choix, il devait le dire, quitte à souffrir autant crever l'abcès.
- Léon. J’ai toujours été comme ça. Que ce soit pendant notre rencontre, qu’avant.
Les minutes qui suivirent furent terribles, Dagon n'osait lever son regard vers son petit copain qui restait inévitablement silencieux. Les seuls bruits que la créature écouta furent leur battements de cœur qui étaient tout autant chaotiques que leur expression. “Tu m'as menti ?” Relevant le regard, le plus grand des deux eut beaucoup de mal à voir si Léon posait une question ou s'exprimait simplement. “Réponds moi ! Tu m'as menti ?” Il respira de nouveau, soulagé avant de répondre “uniquement sur ce point là.”, les minutes se suivirent et s'enchaînaient rapidement.
- J'ai besoin d'être seul.
- Je comprends…
Se levant du lit, le chiross attrapa ses affaires qu'avait posées son copain sur le sol et la chaise. Au moment d'attraper sa boucle d'oreille, il remarqua bien sûr que son copain l'évitait volontairement, il enfila sa veste et sortit de la pièce, mais il se retourna bien vite lorsque la voix du rosé lui arriva à ses oreilles.
- Tu sors comme ça ?
- Non, je ne veux plus t'effrayer avec mes transformations. Le rassura-t-il d'un sourire mélancolique.
Et c'est ce qu'il fit, de nouveau sous forme humaine, le rocker monta sur sa moto et s'en alla vers sa maison, loin de toute forme de vie. Il rejoingnit sa famille et surtout son lit qui lui manquait terriblement.