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Sunnysunny15
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Chapitre 1

En une belle après-midi, Ozalée descendit du bus pour rejoindre la piscine municipale de sa ville. Elle et son groupe d’amis s’y étaient donnés rendez-vous vers quatorze heures suite à l’absence surprise de l’un de leurs professeurs. Ils avaient le reste de la journée pour eux. Elle était en avance.

Se dépêchant d’entrer, l’adolescente remarqua très vite qu’elle était la première arrivée. Personne à l’horizon, mis à part une femme à l’accueil qui la scrutait avec méfiance par-dessus son magazine. La jeune fille l’ignora, préférant se poser sur un banc plutôt que de lui adresser la parole. Son attention se focalisa au hasard sur le sol carrelé. Elle regrettait déjà de ne pas avoir emporté une trousse de secours en se rappelant les piles électriques qui s’apprêtaient à débarquer d’une minute à l’autre.

Un rictus nerveux naquit inconsciemment sur son visage. Au bout de quelques minutes, deux nouvelles personnes se présentèrent à la porte, reconnaissables à leur éclat de rire et à la cadence soutenue de leur pas. Ozalée releva la tête. Deux filles se dépêchèrent vers elle, animées d’une joie de vivre contagieuse. Leur belle chevelure brune et châtain se balançait sur leurs épaules vêtues d’épaisses vestes en cuir.

- Justine, Laela, comment ça va ? Les salua la blonde en les regardant à tour de rôle.

La brune, Laela, lui rendit son sourire en s’arrêtant près d’elle. Une bienveillance sans bornes se lisait dans son regard chocolat.

- Ça va très bien, pas de changement depuis ce matin. Et toi ? Toujours en avance comme d’habitude.

Ozalée acquiesça tranquillement, puis se tourna vers sa deuxième amie, celle qui lui avait fait découvrir l’un de ses romans préférés. Justine. Ses beaux yeux pétillants d’un gris profond la sondèrent avec minutie, débordants d’affection. Son expression joyeuse forma des petites fossettes au coin de ses lèvres et de ses paupières. Ses cheveux frisés avaient été un peu malmenés par le vent. Sans réfléchir, Ozalée se leva et replaça une mèche dans le bon sens avant même de réaliser son geste. Elle se figea en attendant la réaction de la châtain, cette dernière la gratifiant de son attention d’un petit rire solaire.

Le trio s’observa, calme, serein, à peu près harmonieux dans son ensemble depuis leur première rencontre il y a de cela plus de deux ans. Bien qu’Ozalée, la dernière arrivée, peinait à être confiante à 100 %, Justine et Laela étaient toujours là, prête à combler ce qui était à combler, déterminées à raccrocher les wagons. Tous les wagons…

- Les garçons ne vont pas tarder j’imagine… S’inquiéta la blonde au bout d’un moment.

- Ils sont sur la route, l’informa Laela en désignant son portable. Tu devrais peut-être songer à échanger ton numéro avec eux un jour, tu ne crois pas ?

Ozalée afficha une moue peu convaincue.

- Qu’est-ce que tu voudrais que je leur dise ? C’est pas comme si on allait à la piscine tous les jours…

- Oui on sait mais peut-être que vous arriveriez mieux à communiquer ainsi, hasarda Justine, sans pression.

Les lèvres légèrement pincées, la jeune fille haussa les épaules en admettant qu’elle y réfléchirait. Bien qu’elle n’en voyait pas trop l’intérêt. Après tout qu’est-ce que cela changerait d’envoyer des messages banals à des personnes auxquelles elle avait toujours du mal à s’ouvrir malgré le temps passé ensemble ? Elle l’ignorait, et ne préférait pas trop s’y attarder davantage. Elle se reconnecta à la réalité.

D’autres adolescents arrivèrent en courant à l’accueil. Quatre garçons dégoulinants de sueur, rouges comme des coquelicots, et aussi essoufflés que des marathoniens en plein mois d’août… On était en octobre… La réceptionniste fronça les sourcils en avisant leur état.

- La douche est obligatoire avant la baignade, grinça-t-elle depuis le derrière de son magazine

- Merci du rappel, fit l’un des nouveaux arrivants, Dayan, sans une once d’ironie dans son regard océan

Tandis que la femme grommelait dans son coin, le groupe se rassembla, déjà remarquable de par sa taille et sa tendance bruyante.

- Bah alors qu’est-ce qui vous arrive ? La police vous cours après ? Se moqua gentiment Laela en leur tendant une bouteille d’eau.

- Pire que ça… Le bus nous est passé sous le nez alors qu’on se rassemblait et on a dû tout traverser à pied… ricana nerveusement Elliot, un maigrelet aux yeux verts en surveillant discrètement les moindres faits et gestes d’Ozalée.

Cette dernière préféra prendre un peu de distance, observant en silence pendant qu’un autre garçon brun à l’épaisse carrure, Tora, vidait la bouteille d’une traite. Il essuya sa bouche d’un revers de manche avant de remercier la brune.

- Plus jamais je fais ça… soupira-t-il, en nage.

- Je confirme évite… grimaça Justine malgré elle en fronçant le nez sous l’odeur accrue de transpiration.

- Faut voir le bon côté des choses, au moins nous sommes à l’heure, déclara Dayan. Et puis c’était pas si terrible !

Il lança une œillade à l’intention de Laela, qui souffla du nez en le regardant des pieds à la tête.

- Aussi sportif sois-tu, tu serais beaucoup plus crédible sans toute cette sueur…

Sly, le dernier membre du groupe, un petit filou aux yeux rieurs se dressa derrière son ami dépité pour passer son bras par-dessus ses épaules, mine de rien.

- Bon allez, on devrait aller se changer avant de se faire arrêter pour violation des Conventions de Genève, les interrompit-il d’un ton enjoué. On se retrouve dans quinze minutes ?

- Arrondissez à vingt le temps de vous shampooiner, lança Laela en se dirigeant vers le vestiaire des filles.

S’esclaffant de la raillerie, les garçons disparurent dans le leur, leurs rires résonnant contre les murs mal isolés.

Justine pouffa discrètement en levant les yeux au ciel, juste derrière la brune. Ozalée leur emboîta le pas, habitée par un malaise progressif. Elles se changèrent rapidement, verrouillèrent un casier en commun et gravirent les escaliers menant aux douches et aux bassins.

Le reste du groupe les attendait, pressés de se jeter à l’eau.

- Alors ? Qui c’est qui se shampooine ? Répliqua Sly, ses cheveux châtains collés au front

- Arrête de faire genre on vous a entendu sprinter pour nous devancer… soupira la brune

- L’eau est bonne ? S’impatienta Justine en les bousculant pour s’approcher du rebord.

- Aucune idée, Elliot veut pas tester, ricana Tora, occupé à se frictionner le mollet.

- Puisque je vous dis que je veux pas me chopper un rhume ! Protesta l’adolescent, un peu douillet sur les bords.

- Rho ça va tu vas pas claquer…

- C’est pas toi qui possède un budget spécial Kleenex…

- Ça on est jamais sûr… lâcha Dayan d’un air innocent, mais le ton sur un tout autre registre.

Laela et Ozalée plissèrent le visage de dégoût.

- Alors ça c’est crade… commenta cette dernière en se postant sur le rebord, les bras serrés autour de la poitrine.

- Eurk dégueulasse !! scanda Justine

Elle préféra se jeter à l’eau plutôt que d’écouter leurs bêtises, la jeune fille disparut sous la surface en éclaboussant tout le monde. Ozalée ressentit un long frisson au contact de l’eau fraîche. Elle se pencha vers le rebord, puis se ravisa in-extremis en voyant les autres débarquer. La blonde s’écarta pour laisser passer Laela, Sly et Dayan et se rassit plus loin.

- A nous deux ! Déclara Tora dans un cri guerrier en hissant Elliot sur ses grosses épaules avant de foncer tel un footballer américain.

- NAN !!! AU SECOURS !!!! beugla le frêle garçon ballotté comme un vulgaire sac de riz.

Un SPLASH sonore se fit entendre à l’impact. Le groupe grimaça en remarquant qu’ils avaient fait un magnifique plat digne des meilleures vidéos fails. Elliot remonta en couinant, le ventre rouge et les larmes aux yeux.

- Aaaaah sa mère !!!

- Je compatis à ta douleur, lui dit Sly, le rire au bord des lèvres.

- Je te maudis Tora !!

- Qu’est-ce qu’il fout d’ailleurs ? S’interrogea Dayan après un moment de silence.

L’œil nerveux, les cinq jeunes observèrent l’eau autour d’eux, leurs membres remuant pour les maintenir la tête à l’air libre. Elliot hurla comme une fillette alors qu’il se faisait tirer vers le bas, assez pour lui faire boire la tasse, Justine s’écarta en crachant d’un air félin, prête à défendre ses pieds si besoin. Laela scrutait la masse informe louvoyant en-dessous d’eux, tout comme Sly et Dayan qui suivaient sa progression. Ozalée se décida enfin à retenter son entrée tout en surveillant les autres distraitement. Les jambes dans le bassin, elle resta dans une position courbée le temps de décider si elle préférait se baigner avec eux ou repartir se rhabiller illico. Seule elle n’avait aucun mal à être ainsi. Mais à cet instant précis, entourée de ce groupe, uniquement vêtue d’un maillot deux pièces noir qui ne couvrait que le minimum, elle ne se sentait pas à sa place, trop exposée. Et elle se demandait vraiment comment les autres pouvaient être aussi tranquilles ainsi… D’ailleurs pourquoi la regardaient-ils tous ainsi tout d’un coup ? Quelque chose n’allait pas ?

Elle remonta instinctivement l’une de ses jambes pour cacher un maximum de sa peau pâle, les yeux plissés. Et deux bras la saisirent autour de son cou et de son ventre, la traînant avec force sous la surface avant qu’elle n’ait le temps de réfléchir. Elle se fit retourner sous l’eau, le liquide s’infiltra dans son nez resté ouvert. La panique et l’énervement remplacèrent la surprise de l’assaut, et de ce fait elle s’agrippa à la silhouette qui l’étreignait beaucoup trop étroitement à son goût. Elle parvint à lui échapper quelques secondes, juste assez pour se rétablir et se trouver en meilleure position pour riposter. Un ventre se colla à son dos, déclenchant une alerte dans ses entrailles. Trop proche. Elle décocha un coup de pied dans ce qui semblait être la jambe de l’adversaire et le repoussa d’une brusque poussée d’épaule, puis se propulsa à la surface. Ses cheveux détrempés l’empêchèrent de distinguer ce qui l’entourait, cependant un râle tout près d’elle lui fit comprendre que Tora était l’auteur de l’attaque. Ozalée se tourna vers lui et écarta sa tignasse, ils froncèrent les sourcils simultanément.

- Tu viens vraiment d’essayer de me noyer là ? Siffla-t-elle entre ses dents serrées.

- Dans notre monde on appelle ça chahuter et jouer, répliqua-t-il en brassant vers elle. Je pensais que ça t’amuserait.

- Si tu pouvais chahuter d’une manière moins dangereuse ce serait sympa… et préférable pour la survie de tes fesses… cingla la blonde en lui envoyant une gerbe d’eau pour le tenir à une distance raisonnable.

- Chochotte…

- Grosse brute, recommence et tu chouineras…

Le brun plissa les yeux, visiblement amusé.

- C’est une menace ?

- Un avertissement… À toi de voir si tu veux respecter le panneau de délimitation ou te le prendre en pleine poire…

Ses traits soudain indéchiffrables firent réfléchir Tora sur le sérieux de ses paroles, dans le doute il préféra arrêter de l’asticoter, la déception et la frustration du rejet pesant au creux du ventre.

Il se reprit une gerbe, plus grosse. A son grand étonnement un timide rictus un peu maladroit apparut brièvement avant de disparaître, remplacé par d’autres attaques aquatiques. Les autres délaissèrent le malaise de cette blague malhabile pour se joindre à la bataille et très vite la piscine fut secouée de remous. Des éclaboussures allèrent s’écraser contre des parties du sol encore sèches. Au bout de longues minutes acharnées le groupe se trouva essoufflé et décida de faire une pause avant d’organiser le prochain concours de plongeons. Tous sortirent de l’eau à différentes allures. Tora et Ozalée traînèrent un peu. L’une souhaitant profiter encore un peu de la fraîcheur de la piscine en plus de pouvoir s’y dissimuler. L’autre par difficulté, handicapé par une douleur lancinante à la jambe, celle qui avait été précédemment percutée et déjà raide de sa longue course à travers la ville. Il grimaça de douleur à l’approche d’une crampe, tenaillé par une vague de fatigue. Il lança une œillade à la blonde, occupée à se laisser flotter vers l’échelle du bassin.

- Eh…

- Mmh ?

Elle pivota dans sa direction. D’un simple coup d’œil elle remarqua son expression de souffrance.

- Tu es blessé ? Qu’est-ce qu’il y a ?

Le souffle manquait au garçon, sa vision se détériorait de seconde en seconde maintenant, submergé par la souffrance et une envie de dormir irrépressible qui lui firent oublier de nager. Une profonde torpeur l’engloutit. La dernière chose à laquelle il pensa avant de s’évanouir fut l’idée que sa camarade ressemblait vaguement à un nénuphar avec la chevelure ainsi éparpillée autour de ses larges épaules blafardes.

Il coula sans bruit. Une enclume attirée par le fond sous les yeux agrandis d’horreur de la blonde, qui resta pétrifiée sans parvenir à faire la connexion entre la situation d’urgence et le moment présent. Un instant elle resta dans le déni, croyant à une deuxième blague de mauvais goût. Une sensation fantôme la fit même sursauter en pensant être saisie à la cheville.

Les voix lointaines de ses amis la sortirent de sa torpeur lugubre, arrachée et reconnectée de force à la réalité, elle poussa un cri étranglé, suspendu entre le beuglement et le juron, incapable de se retourner vers eux. Sa voix s’éleva, plus inquiétante que n’importe quelle alarme.

- … Cher… Chercher… Allez chercher de l’aide vite !!

Rapide comme l’éclair Justine sprinta vers la sortie, manquant de déraper lors de ses virages tortueux sur le sol détrempé. Elle disparut dans un couloir.

L’attention d’Ozalée ne se détachait pas de la surface trouble de la piscine, à l’exact emplacement où Tora avait disparu. Les secondes semblèrent durer des heures, et chacune d’elles qui s’écoulait laissait échapper un peu plus la chance de pouvoir agir. La jeune fille en prit conscience avec l’arrivée de l’adrénaline qui se mit à pulser dans ses veines. Une suite sans fin d’images d’actions se déployèrent dans son esprit. Ce qu’elle s’apprêtait à faire aurait de graves répercussions, mais elle sentait l’urgence l’envahir. Un choc électrique traversa son corps, galvanisa ses muscles qui se bandèrent comme la corde d’un arc neuf. Son organisme devenait une machine.

Une bulle crevant la surface fut son signal de départ. Elle plongea. Les cris de ses amis ne transpercèrent pas le liquide. Tout n’était plus que silence.

Jamais Ozalée n’avait nagé si vite, agressant, traversant sans hésitation les trombes d’eau à coups de paumes et de jambes contractées à l’extrême. Le chlore lui brûlait les yeux, la rendant aveugle, l’obscurité réveilla la lumière surnaturelle de ses iris sans qu’elle n’y prête aucune attention malgré tous ses efforts pour garder cette particularité secrète. Plus personne ne devait savoir… et pourtant cette idée de laisser mourir ce garçon pour ça lui donnait envie de vomir, bien pire que de s’exposer encore… de souffrir encore… hors de question.

Elle saisit dans son sillage ce qui semblait être un poignet humain au milieu de ce brouhaha de bulles. Le sang battait la chamade contre ses tempes douloureuses par la pression et le manque d’air. Animée d’une force qu’elle soupçonnait à peine, elle agrippa les aisselles de son ami et se propulsa depuis le fond du bassin vers ce qu’elle espérait être la surface… l’oxygène… la vie…

« Tu ne crèveras pas ici imbécile ! Et moi non plus ! » hurla-t-elle à plein poumons dans sa tête prête à exploser.

Après d’interminables efforts à fendre l’eau à grands battements de jambes, Ozalée parvint à faire ressortir leur tête. À bout de souffle, elle puisa la force nécessaire pour le hisser jusqu’au rebord, les mâchoires crispées pour maintenir le corps à moitié conscient de Tora hors de son tombeau. Dayan et Sly se jetèrent à ses côtés pour lui prêter mains fortes tandis que Laela et Elliot aidaient à les hisser sur la berge.

Sur cette dernière, Ozalée sentit tout son corps se vider de son énergie. Un ballon en plein dégonflage… à peine réactif quand Laela agita son épaule pour la maintenir éveillée malgré la fatigue causée par ce sauvetage. Elle entrouvrit les paupières, étalée en étoile de mer. Sa tenue n’avait plus si grande importance désormais. La conversation à sens unique de la brune lui revenait en un écho ouaté, étouffé par ses oreilles bouchées. Elle ne chercha même pas à assembler les quelques syllabes entendues pour en reconstituer des mots. Cela ne faisait plus partie de ses fonctions. Dès que l’univers cessa sa petite danse dans son champ de vision la jeune fille fit rouler sa lourde tête vers la silhouette de Tora.

Dayan était penché sur lui, concentré sur sa respiration. Il semblait se remettre. Mais sa poitrine se soulevait de manière faible et saccadée, quelque chose gênait. Elliot pâlit et s’agrippa à son voisin.

- Il faut libérer ses poumons…

- Je veux bien mais…

- Bouche à bouche et PLS, déclara Sly en se plaçant de l’autre côté du corps. Pince lui le nez et commence Dayan.

- Pourquoi m-

- Tu lui feras une déclaration d’amour plus tard ! S’emporta Laela, le rouge aux joues.

Embarrassé au possible, Dayan s’exécuta. Il pinça les sinus de Tora et se baissa pour lui transmettre de l’air du bout des lèvres, mais une réaction brusque du brun le fit s’écarter en hâte. Tora se redressa, repoussa ceux qui l’entouraient et recracha une gorgée d’eau chlorée en toussant comme un damné, toute vivacité revenue. Quand il parvint à retrouver un souffle correct, quoique laborieux, il se rassit, les yeux éberlués.

- Il est vivant !! Fanfaronnèrent Elliot et Dayan.

- On dirait bien… admit Tora d’une voix rauque après s’être ébroué. Oh bordel…

Il se tint le crâne entre ses larges mains, pris d’assaut par un mal tenace.

- Tiens, bois un coup, j’ai des barres de céréales dans mon sac aux vestiaires, l’informa Sly.

- Merci…

Entre deux gorgées, son regard terne de fatigue croisa celui de la blonde. Cet échange le tétanisa… Les images de ses derniers souvenirs défilèrent dans sa mémoire, mais il refusa de s’y attarder. La perspective d’avoir échappé à l’instant aux griffes de la mort était déjà bien assez effrayante… inutile d’y rajouter ses éventuelles hallucinations.

Ozalée le toisait, sans aucune émotion apparente si ce n’est un certain soulagement, ses membres ramassés autour d’elle à présent. Elle bailla en silence, encore trempée de sa baignade. Le danger était bien passé, elle avait besoin de se détendre.

- Eh… murmura Tora

- Mmh ? Répéta-t-elle pour la deuxième fois de ces cinq dernières minutes.

Un sourire reconnaissant naquit sur les lèvres du brun.

- Merci beaucoup…

- Je t’en prie, commença la blonde avec une certaine douceur qui ne se retranscrit pas dans ses traits. Mais ne refais plus jamais ça…

- J’y veillerai… frémit-il en détournant les yeux.

Ozalée hocha pensivement la tête, puis se tourna vers Laela qui s’occupait en lui faisant des tresses dans ses longues mèches.

- Justine ne revient toujours pas, remarqua-t-elle.

- C’est louche… il vaudrait mieux aller voir, décida la blonde en engageant un mouvement pour se relever.

La brune l’en empêcha cependant, ses doigts aux ongles soignés la forcèrent à reposer ses fesses sur le sol humide.

- Reste calme ma belle, je te sens encore fébrile, mieux vaut que tu te reposes.

- J’ai pas fait une épreuve aux jeux olympiques non plus, ça va… protesta la nageuse bougonne, les bras resserrés.

Laela la toisa avec une mine estomaquée, même Elliot ne put s’empêcher de lâcher un rire nerveux, réfugié sous une serviette.

- Euh… Tu l’as bien regardé ? Tora doit faire facilement dans les 90kg bien tassés… Va pas nous dire que tu soulèves ça tous les jours…

L’intéressé lui lança une œillade peu amène.

- C’est clair qu’avec toi elle aurait eu beaucoup moins de mal…

- En attendant elle a réussi, constata Dayan en la félicitant d’un rictus.

Ozalée se détourna, de plus en plus gênée, désireuse de passer à autre chose rapidement.

- C’est grâce à l’eau… On a pas la même masse sous l’eau…

- Certainement, souligna Sly en la scrutant depuis sa place.

La blonde préféra ignorer la sensation pesante sur sa nuque. Sly faisait souvent ça… toujours à essayer de l’analyser… Il dissimulait un esprit vif derrière ce visage enjoué qui la mettait mal à l’aise quand il la prenait pour cible. L’arrivée tardive de Justine fut son salut. Un homme peu athlétique la succédait, dont le chuintement répétitif de ses claquettes en plastique provoqua l’agacement immédiat chez Ozalée. Laela lui maintenait doucement les épaules.

- Tora ! Ozalée ! Ça va ? Les appela une Justine prudente sur chacun de ses pas, à peine essoufflée.

- Que s’est-il passé les enfants ? La coupa le maître nageur, un trentenaire au ventre tendu sous un tee-shirt blanc inondé d’une sueur âcre et d’une horrible odeur de tabac, en aucun cas le profil de la profession en somme.

Ozalée l’observa sans décrocher un mot. Tora sifflait à chaque inspiration. Dans un soupir ce fut Laela qui prit la parole.

- Notre ami a fait un malaise alors qu’il était encore à l’eau, l’une d’entre nous a plongé pour le repêcher. Il n’y a pas de blessé.

- Ça, c’est à moi d’en déterminer. Comment te sens-tu maintenant ? Demanda l’adulte au jeune homme secoué, visiblement retourné à l’idée d’avoir failli à la sécurité durant son poste de surveillance.

- Ça ira, merci, le rassura Tora, encore un peu faiblard mais bel et bien conscient.

L’homme prit le temps de l’ausculter quand même, sûrement animé d’une culpabilité dévorante qui ne demandait qu’à être étouffée. Il lui tendit une barre de fruits, lui conseilla de rentrer se reposer et de veiller à sa respiration durant les prochaines heures. Le groupe se détendit un peu à l’écoute de ce diagnostic, se permettant jusqu’à quelques railleries. Ozalée jeta une discrète œillade à Laela, la voix grondante.

- Je peux me lever maintenant ?

- J’imagine… admit la brune à contrecœur, surprise de ce changement d’attitude soudain.

La blonde ne se fit pas prier. Par chance ses jambes fonctionnaient encore très bien, quoique raidies par de futures courbatures. Elle se voyait déjà enfiler ses vêtements et se poser dans un coin, seule et loin de toute cette agitation. Et surtout très loin de ce sale type.

- Eh toi ! C’est toi qui l’a remonté ? L’apostropha l’homme, juste derrière elle.

« Et merde… » pesta la blonde en son for intérieur en se retournant.

Son hochement de tête fut presque imperceptible, elle prit grand soin de garder une distance raisonnable avec lui. Il tendit une main vers elle.

- Approche, je dois t’examiner.

Elle ignora son geste.

- Non merci ça ira…

- C’est le protocole.

- Je vous dis que c’est pas nécessaire… déclina-t-elle, s’imaginant déjà en route vers les vestiaires.

Le contact de la peau moite du maître nageur contre la sienne lui fila une décharge électrique dans tout l’avant-bras.

- Viens par là…

- Lâchez moi ! BAS LES PATTES ! Finit-elle par aboyer.

Elle se dégagea sans ménagement et le toisa de haut en bas en le défiant de réessayer. L’adulte se renfrogna.

- Sale caractère ta sauveuse… commenta-t-il à l’intention de Tora dans une vaine tentative de sauver l’ambiance.

Peine perdue, tous le dévisagèrent avec mépris, bien que Sly jubilait de la scène en secret, avide de ce genre de tension. Et il ne fut pas déçu. Ozalée se planta devant lui.

- La sauveuse au sale caractère elle t’emmerde, cracha la blonde avec un ton si froid qu’il laissa le groupe pantois.

Choqué, l’homme garda le silence plusieurs secondes en la fixant, peinant à traiter l’information reçue. Le groupe la dévisagea telle une folle.

- Oooh la vaaache, murmura Elliot, dissimulé derrière Dayan.

Justine et Laela se regardèrent en silence, prêtes à intervenir.

- …Pardon ? Chuchota l’insulté d’une petite voix serrée.

- Vous m’avez bien entendue. Je vous emmerde et c’est sincère, déclara-t-elle, une rancœur sourde au fond des yeux. Et vous savez pourquoi ?

Le maître nageur bomba ce qu’il avait de torse en la scrutant, à peine plus grand qu’elle. Ils se jaugèrent un instant, face au rebord, l’agressivité naissante.

- C’est votre horaire de garde je suppose… quinze heures, pause café, pause clope… séance drague avec l’hôtesse d’accueil… et la surveillance en option… c’est ça ? Devina la blonde, l’œil tranchant.

- Je te défend de juger ma façon de travaill-

- Le seul problème avec votre fantastique planning et train-train de vie c’est votre putain de fainéantise. C’est votre putain de fainéantise qui met en danger les gens qui se baignent ici. C’est votre putain de fainéantise qui met la PUTAIN de vie de ces PUTAINS de gens entre parenthèses parce que vous avez la PUTAIN de flemme de surveiller ce PUTAIN de bassin !

- TU VAS BAISSER D’UN TON AVEC MOI JEUNE FILLE ! TU ME DOIS LE RESPECT !

- Du respect ? Il va falloir faire mieux que ça pour que je vous l’accorde ! Parce que laisser des jeunes se noyer et toucher les gens sans leur consentement n’a rien de respectable à mes yeux ! Ça fait des années que ça dure ! Des années que vous surveillez comme ça ! C’est bien beau de jouer l’adulte responsable après que tout soit fini ! Commencez par agir en tant que tel avant de la ramener !

- Tu n’es qu’une connasse d’inconsciente… finit par cracher l’homme hors de lui.

Le groupe retint son souffle, incapable de se détacher de l’échange. Certains regrettaient de ne pas avoir de pop-corn. D’autres de ne pas pouvoir achever l’ennemi d’un simple regard furieux.

- Et vous un connard d’incompétent… complices de harceleurs… mais ça vous devez même pas vous en souvenir… j’aurais dû porter plainte il y a un moment… siffla l’adolescente tout juste assez fort pour qu’il l’entende et pâlisse sous la menace.

Justine dévisagea son amie, l’inquiétude dans les traits, bien qu’elle ne soit pas sûre d’avoir réellement bien compris. Ozalée la regarda brièvement, assez longtemps pour que l’homme perde ses moyens et cherche à abattre sa colère sur la jeune fille.

- ESPÈCE DE SAL-

Elle para d’un simple geste et l’envoya valdinguer dans la piscine avant qu’il ne termine sa phrase, les éclaboussant tous une nouvelle fois. Elle se retint de lui cracher dessus quand il remonta à la surface, le visage assombri de rage.

- Apprend à nager, la prochaine fois que je te croise… Je te coule…

Elle l’abandonna à sa honte, ignora ses amis qui accueillaient ses actions avec une énergie inattendue, éprouvante… Sa colère se dissipait, déjà remplacée par une lassitude et un certain regret. Sa serviette à la main, elle s’engouffra dans le couloir menant aux douches puis aux cabines de change, appliquée à essorer ses cheveux, laissant des traces humides sur son passage. La blonde fit volte-face en détectant des bruits de pas dans son dos. Justine et Laela l’avaient rattrapée.

- Ozalée ça va ? S’inquiéta la châtain, se retenant de lui offrir un contact réconfortant. Tu avais l’air de le connaître…

- C’était juste un imbécile… Pardon pour ce débordement, je ne sais pas ce qui m’a pris c’était ridicule… soupira la blonde d’une traite.

- Ridicule ? Répéta la brune incrédule. Attends attends attends… Pour toi ça c’était ridicule ? C’était génial oui ! Tu as vu comment il a volé ?

La jeune fille grommela d’embarras.

- Où est-ce que tu as appris ces réflexes ? S’intéressa Justine, l’enthousiasme plus contenu.

- Mon père… et quelques cours de self-défense, rien de très compliqué je vous assure…

- Tu pourrais m’apprendre ? La supplia Laela avec des yeux de chat.

- …c’est vraiment rien… plus tard si vous voulez… on ferait mieux d’aller se changer… se déroba leur amie.

- D’accord, comme tu veux, abdiqua la brune.

- Ça tient toujours pour l’aprèm chez moi ? Proposa Justine en vidant le casier.

Les deux autres filles approuvèrent, faibles sourires réjouis aux lèvres. Laela ouvrit son sac rempli à craquer.

- Évidemment ! Il faudra juste le rappeler aux garçons.

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