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Sunnysunny15
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Chapitre 3

« C’était la seule solution… » se répéta Ozalée pour la dixième fois en tapotant de manière compulsive la vitre du bus dans lequel elle s’était réfugiée, la crâne appuyé contre le verre froid.

La route défilait sous ses yeux, triste ruban noir maculé de boue verglacée et de feuilles détrempées de la dernière pluie. Elle ne pouvait s’empêcher de ressasser les derniers évènements, dégoûtée de la tournure que prenait les choses.

Tout ça à cause d’une satanée sortie à la piscine… Mais elle n’avait plus le choix. Elle n’avait plus sa place parmi eux, obligée de s’en séparer pour protéger ses arrières… La blonde serra les dents, luttant contre les larmes alors que les images de ses deux seules amies proches s’imposaient dans sa tête. Les deux seules filles en qui elle avait confiance… même avec elles, elle se devait de prendre ses distances désormais… Imaginer le visage déçu de Justine acheva d’anéantir son humeur déjà bien massacrante… S’il existait un double fond dans son gouffre de déprime, elle l’avait visiblement trouvé et sauté dedans.

Elle chassa son chagrin naissant, méditant sur la familière solitude qui l’attendait bien sagement, en haut de son arbre.

« Quel karma de merde… yeux de merde… vie de merde… »

Le temps qu’elle énumère tout ce qui était merdique dans son existence le bus était en approche de son arrêt. Bougonne, elle descendit sans bruit, traversa le quartier et arriva devant sa porte avec trois bonnes heures d’avance. Elle entra. Au moins les odeurs de son foyer la réconfortèrent un peu. Elle retrouva sa mère et sa sœur dans le salon, occupées à regarder un drama coréen sur Netflix. Comment faisaient-elles pour supporter un tel niveau de niaiserie ? La blonde l’ignorait, et cela restera probablement un mystère pour elle jusqu’à la fin de sa piètre existence…

- Tiens, déjà rentrée ma chérie? S’étonna Helen, la mère de famille, ses fins cheveux bruns teintés de blond étalés en éventail dans le canapé.

Ozalée décida de sortir son meilleur jeu d’actrice, bien qu’elle reste une piètre comédienne et Helen un détecteur de mensonge chevronné.

- Oui. Il y a eu un changement de programme… Et puis les jours se raccourcissent en ce moment, je sais que tu n’aimes pas quand je traîne dehors trop tard, prétexta-t-elle, tout de même assez sincère au final.

- Il est encore tôt, tu avais le temps, constata la mère bienveillante. Mais je te remercie de te préoccuper de ça.

- C’est normal…

Les beaux yeux verts teintés de gris de la femme ne mirent qu’une milliseconde à détecter un souci. Quand l’instinct vous tenait…

- Tout va bien ? Tu n’as pas l’air en forme. Un problème avec tes amis ?

Ozalée se figea dans ses mouvements, la remerciant intérieurement pour ce magnifique et involontaire retournement de couteau dans la plaie bien à vif. Elle camoufla son mal-être derrière un bâillement non-feint.

- Un coup de fatigue, je vais me reposer dans ma chambre… déclara-t-elle en retournant dans le couloir.

- D’accord ma biche, tu me raconteras ta journée après ?

- Si tu veux…

La petite sœur, Inès, n’écoutait la conversation que d’une oreille, partagée entre la série et les pop-corn qu’elle s’efforçait de faire rentrer dans sa bouche gloutonne sans baver sur les couvertures.

Ozalée grimpa l’escalier en direction de l’étage, alourdie par ses sentiments négatifs qu’elle refusait de partager. Là non plus il ne valait mieux pas donner la vraie raison de son retour anticipé… Connaissant sa mère elle serait capable de la faire changer de lycée, ce qu’elle n’était pas sûre de vouloir tenter malgré l’avalanche de problèmes qui s’amenait à l’horizon. Bien sûr sa famille était au courant pour ses yeux, mais ça n’en restait pas moins un sujet délicat pour la jeune fille.

Une fois dans sa chambre, elle abandonna son sac dans un coin en se promettant de le vider plus tard (avant qu’il n’empeste l’humidité par exemple), se déchaussa et s’affala dans son lit. Ici, elle était sûre d’être en sécurité, loin du monde extérieur et de son jugement.

Elle n’avait jamais laissé personne entrer dans ce qu’elle considérait comme son cocon, mis à part sa sœur et ses parents bien sûr. Et encore… Jusqu’à présent aucun de ses amis n’avait jamais mis un pied chez elle. Et cela lui convenait parfaitement.

Mais même au cœur de son jardin secret, l’angoisse et l’appréhension du lendemain se disputaient dans son ventre, lui collaient à la peau… Elle sortit son portable de sa poche, qu’elle avait malencontreusement laissé en silencieux, et découvrit en le déverrouillant une collection de notifications : trois appels en absence de Justine et pas moins d’un million de messages de Laela, rien que ça…

« Il fallait me le dire si j’étais devenue ministre… »

La gorge sèche, elle écouta le dernier message laissé sur le répondeur :

- « Allô Ozalée ? C’est encore moi: Justine. S’il te plaît réponds, on s’inquiète… Les garçons disent que tu es repartie chez toi à cause d’une migraine… Mais Laela et moi aimerions en avoir le cœur net, tu as disparu sans prévenir… S’il te plaît rappelle-moi quand tu entendras ce message. Bisous. » BIP

- Une migraine ? Répéta Ozalée dans un souffle, incapable de se sentir rassurée en dépit de ce mensonge inventé par ces quatre garçons beaucoup trop curieux.

Elle raccrocha sans laisser de message. C’était trop tard, elle ne pouvait pas revenir en arrière sans prendre de risques, peu importe leurs stratagèmes, elle ne tomberait pas dans le panneau.

Elle passa à Laela, qui avait dû se prendre pour la Lucky Luck du clavier. Les messages défilèrent sur l’écran quand elle remonta la conversation avant de les lire du plus ancien au plus récent :

« - Ozalée ?

- Oza t’es où ?

- ?????????

- Pourquoi tu réponds pas ?

- S’il te plaît réponds… Appelle au moins Juju !

- Elle est en train de faire un infarctus… et je vais pas tarder à la suivre !

- Ozaaaaaaaaaa !!!!!!

- Je sais que tu reçois mes messages !

- Ozz je vais me fâcher !

- Ozaléeuuuuuuuuuh…

- Youhouuuuuuuu !!!

- Esprit esprit es-tu lààààà… MANIFESTES-TOIIIIII !!!!!!!!!

- Attention à toi ou c’est la fessée !!

- …

- T’es pas morte au moins ? »

Un rictus crispé presque imperceptible atteignit ses lèvres bien malgré elle.

« Celle-là alors… Elle ne changera jamais, son portable est une véritable mitrailleuse quand elle est déterminée… »

Elle se convaincs de lui répondre avant de retrouver son avis de recherche placardé partout dans sa ville et d’avoir une meute de flics qui lui colle au train… Sa propre vision de l’enfer en soit…

La blonde lui adressa un bref signe de vie et lui demanda de passer le message à Justine, puis elle éteignit l’appareil en quatrième vitesse et l’abandonna sur la table de chevet avant de recevoir une nouvelle salve de questions. Elle avait besoin de calme, et ses deux anciennes amies de comprendre… quand bien même si sa méthode était lâche… Elle savait que les garçons finiraient par propager l’information… c’était de vraies pipelettes… Laela et Justine allaient être au courant tôt ou tard et la rejeter, comme les autres…

Tout en préparant son sac de cours, elle se força à penser à autre chose, à se dire des phrases rassurantes. Elle n’avait que dix-sept ans après tout, la situation finirait bien par s’améliorer… Elle devait simplement continuer à se montrer prudente…

Ses affaires rangées ou prêtes pour le lendemain, Ozalée décida de s’occuper l’esprit en décorant quelques pages de son journal. La plupart du temps elle ne faisait qu’y écrire, mais quand elle ne parvenait pas à trouver les mots elle préférait y coller des choses. Le scrapbooking, au même titre que la lecture, avait toujours su la détendre. Confortablement installée à son bureau, elle ne releva pas le nez de ses stickers, rubans et autres fournitures diverses avant plusieurs heures. La collection de photos polaroids exposées sur ses murs semblaient la contempler dans sa tâche d’un regard figé. Elle aimait aussi immortaliser les bons moments avec ses proches, les remémorer lui donnait le sourire lorsqu’elle en avait besoin. Certaines d’entre elles représentaient le groupe d’amis : à la plage, en pleines vacances d’été, à la fête foraine saisonnière ou encore simplement en ville ou au parc. La blonde n’y apparaissait jamais mais peu lui en importait, les personnes présentes semblaient être heureuses. Elle en attrapa une, pensive, l’une des rares photos où le groupe entier y posait, assis en cercle dans l’herbe en plein pique-nique.

Le regret assombrit de nouveau son cœur, elle la raccrocha sur son support et entreprit de remettre de l’ordre sur sa table. L’appel de sa mère la fit émerger de sa chambre, l’invitant à venir manger. La mort dans l’âme dissimulée au mieux, elle descendit au salon, ses chaussons rouges Minnie fixés aux pieds. Même en période de déprime il ne fallait pas oublier le sens du style, aussi subjectif puisse-t-il être…

- Ce soir c’est sushis ! Déclara fièrement Helen, les mains pleines de plateaux repas.

- Oh c’est vrai ? Trop bien ! Se réjouit platement la jeune fille.

Elle attrapa des canettes de soda dans le frigo et les bols qui manquaient pour la sauce. Inès se balançait sur sa chaise grinçante en jouant avec les baguettes. La fillette cessa ses bêtises pour observer sa grande sœur. Elle avait les mêmes yeux que sa mère, et la faculté de remarquer la moindre fausse attitude. Au grand damne d’Ozalée.

- C’était cool ta sortie ? Lui demanda-t-elle de son habituelle voix fluette étouffée par une boule de riz.

- Dans l’ensemble, oui, affirma la blonde après avoir englouti un maki.

- Vous avez fait quoi ?

- Oui racontes-nous ma chérie, renchérit Helen, un verre de coca light à la main, un doux sourire aux lèvres.

Pensive, la jeune fille touilla des graines de sésame dans le soja, sans intention de le manger.

- Oh la routine à la piscine : blagues, rires, jeux…

« Sauvetage de noyade et prise de tête » entendit-elle vibrer dans son crâne, mais elle se ravisa à leur raconter ce léger détail. Le groupe a été énergique, comme d’habitude.

- Hum…

La mère de famille médita quelques secondes, se réjouissant tout à coup de ses propres pensées.

- Maintenant que j’y pense c’est vrai que vous êtes ensemble depuis un moment. J’aimerais beaucoup les rencontrer, ça te plairait de les inviter ici un jour ?

Les morceaux de poissons reprirent vie dans l’estomac retourné de l’adolescente. Elle manqua de s’étouffer avec une algue, une fin glorieuse…

- Oh hum… Oui ce serait sympa ! Mais je ne sais pas si c’est une bonne idée… enfin… tu sais…

Elle soupira, fatiguée d’avance de ce débat.

- Non rien laisse tomber…

- Qu’est-ce qui ne va pas chérie ?

- C’est rien maman… je préfère ne pas en parler…

Helen afficha une moue préoccupée. Inès quant à elle plissa le nez en la scrutant, tout juste assez haute sur sa chaise.

- Tu as peur qu’ils te trouvent bizarre ? Lâcha-t-elle sans aucune délicatesse.

- Inès ! Râlèrent les deux autres.

- Bah quoi ?

Ozalée roula des yeux en engloutissant le reste de son repas. Tout en remplissant le lave-vaisselle elle lança un autre sujet.

- Papa n’est pas encore rentré ?

- Non, il boit un verre chez des amis, il ne rentrera pas avant un moment, expliqua Helen en rassemblant les plats vides. Je peux te piquer les gros sushis au piment ?

- Fais-toi plaisir.

- Yes !

- On se remet la série ? Quémanda Inès, télécommande à la main.

- Allez ! Tu te joins à nous Ozz? Proposa la mère.

- Hum… hésita la blonde, dont l’idée de se gaver de scènes à l’eau de rose ne l’enjaillait pas plus que ça. Non merci, je dois terminer mes devoirs…

- Oh… d’accord, comme tu voudras…

- Bonne nuit maman ! Inès !

- Bonne nuit !

Ses dents brossées, l’adolescente remonta dans sa chambre, plongée dans l’obscurité. Elle alluma ses guirlandes et sa lampe de chevet et se laissa choir au fond de son lit, fixant silencieusement son vieux plafond. Loin d’être fatiguée, elle passa la majorité de sa soirée à écouter de la musique en notant les quelques idées d’écriture qui furetaient dans sa tête. Elle s’essaya à les mettre en ordre sur ordinateur, échoua, s’ énerva, laissa tomber et s’offrit plutôt une séance lecture. Entre temps sa mère et sa sœur se rendirent dans leur chambre et se couchèrent, la laissant seule éveillée dans la maison.

Fatiguée d’être éblouie par la luminosité de sa chambre, Ozalée finit par se replonger dans le noir, uniquement dérangée par la lointaine lueur des lampadaires et le rayonnement argenté de la pleine lune. La chambre baignait dans une ambiance bleutée, qui ne cessait de clignoter dès qu’elle fermait les paupières. Elle était lassée de cette routine d’insomniaque. Les mêmes nuits se succédaient inlassablement, et l’évènement s’aggravait avec cette fichue lune beaucoup trop lumineuse… L’agacement le plus total se lisait sur ses traits, et elle n’avait aucun rideau à tirer, un comble… Elle ne pouvait que ruminer ses pensées sombres du lendemain en maugréant des grossièretés à peine audibles.

De très légers coups contre sa porte de chambre la firent sursauter. La large carrure de son père apparut dans l’entrebâillement.

- Salut papa, murmura la jeune fille.

- Coucou, tu n’arrives pas à dormir ?

- Je me débrouille, t’inquiètes pas… C’était bien ta soirée ?

- Arrosée, ricana l’homme en lui faisant un signe de la main assez gauche. À demain, essaye de dormir.

- C’est ce que je fais… Ne loupe pas le lit…

Nouvel esclaffement de la part du fêtard avant de se diriger vers la chambre conjugale à l’étage du dessus. L’adolescente souffla du nez en refermant sa porte sans un bruit. Un grincement provenant de derrière elle attira son attention. Elle avait reconnu le craquement familier des branches de son arbre, dont les feuilles caressaient sa vitre quand il était au meilleur de sa forme. Seulement la saison n’y était pas propice en ce moment… Un étrange malaise la gagna. Son instinct lui souffla qu’elle était observée. Elle se força à ignorer cette impression en se moquant d’elle-même.

« Arrête tes bêtises espèce de chochotte ! Comme si quelqu’un allait t’observer depuis ta fenêtre… »

Encore un grincement, puis un discret mouvement à l’extérieur. Cette fois le malaise s’intensifia. Elle ne put s’empêcher de porter un regard suspicieux vers le dehors. Le large tronc coupait sa vision du jardin en deux. Une épaisse branche couverte d’une écorce rugueuse se tendait tel un long bras sinueux en direction de sa fenêtre. Il lui semblait tout à coup que l’arbre avait poussé de plusieurs centimètres, cognant délibérément contre sa vitre au gré de la brise automnale là où il en était incapable auparavant.

- Mais qu’est-ce que…

Elle ouvrit la fenêtre, invitant la fraîcheur du soir à se répandre dans sa chambre. Une décharge électrique dans son crâne la fit douter sur l’intelligence de cette action. Les longs doigts de bois lui giflèrent le visage au passage d’une violente bourrasque, elle les écarta en pestant, aveuglée par des feuilles volantes provenant d’autres végétaux. Ozalée releva la tête.

Et soudain elle le vit.

Le monstre qui l’observait. Une silhouette lugubre, humanoïde, plus large encore que l’arbre qui la soutenait. Perchée là, juste en face d’elle. Noire, totalement noire, noire jusqu’à la pointe de son épaisse chevelure, recroquevillée à quatre pattes, en équilibre, figée dans une posture crispée. Ozalée y vit un homme.

Son sang se figea dans ses veines. Ses yeux éclairaient la cause de sa terreur d’une lumière blafarde. Elle était pétrifiée de stupeur, dans l’incapacité de produire le moindre son malgré son envie de hurler. L’intrus redressa la tête avec lenteur, comme sujet à une espèce de transe, dévoilant un visage sombre et inexpressif camouflé par de longs cheveux d’ébène. Un bruit de gorge résonna dans le silence morbide de cet instant, une vibration continue et hypnotisante. Une paire d’yeux d’un rouge scintillant la dévisagea en retour, démoniaques. Ce fut la goutte de trop lorsqu’elle les vit cligner.

Au bord de la nausée, l’adolescente s’empressa de claquer la fenêtre et de la fermer le plus vite possible avant de se rouler en boule sous le bureau. Au bord de la crise d’angoisse elle attendit, attendit, et attendit encore, le cœur cognant dans sa poitrine pendant que ses oreilles étaient à l’écoute de potentiels déplacements. Mais rien. Elle n’entendit plus rien. Pas même le grattement des branches contre la vitre. Le silence était de nouveau roi. Après ce qui lui sembla être une éternité, elle osa s’aventurer en dehors de sa cachette. Le haut de son crâne dépassa timidement du meuble. La peur au ventre, elle crut qu’elle allait se retrouver nez à nez avec le monstre. Là aussi elle eut tort. Il n’était pas au niveau de sa fenêtre. Elle constata qu’il n’était plus du tout là en fait, évaporé dans la nature sans prévenir. L’arbre était vide, mais toujours agrandi, sorte de preuve de ce qui venait de se passer. Un petit rire nerveux lui échappa, mêlé de sanglots étouffés. La rechute de l’adrénaline était terrible. Elle épuisa ses dernières forces à se traîner dans son lit et se blottir au fond de ses couvertures, de retour dans l’enfance et ses réflexes ridicules.

« Mais c’est quoi ce bordel ? » pensa-t-elle avec angoisse et amertume tout en se sentant sombrer.

Il était trois heures du matin.

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