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𝙲𝙷𝙰𝙿𝙸𝚃𝚁𝙴 𝟶𝟷

Valeskia
SLOVAQUIE, Bratislava
18:24

Je pose le dernier carton au sol près de mon bureau. Ce lieu marque le début d'un véritable tournant pour moi. Ce n'est pas une simple envie de changement, mais une nécessité.

La pièce, vide de toute couleur, est à présent mon nouveau chez moi. Là où je pourrais me réfugier sans que quiconque puisse abuser de moi. Où du moins, pas entre ces murs. En quittant le Japon, elle n'a pas abandonné ses habitudes de base. Nos séances de bonnes conduites s'effectuent toujours dans le cabanon au fond du jardin, pour mon plus grand malheur. 

Ivana Polakova.

Une cause du déménagement. À cause de son comportement inacceptable, j'ai dû quitter mes amis, ceux que je considérais comme ma deuxième famille. C'est de sa faute si je suis ici, dans une autre ville, à des milliers de kilomètres de mon véritable foyer. Comme si fuir était la réponse à toutes nos questions.

Cette maison est sans doute plus grande que celle dans laquelle j'habitais. Je pense que ça doit d'ailleurs être le seul point positif à cet emménagement. Refuser était comme tendre une perche à mes parents, qui n'auraient pas hésité à me faire porter toute la responsabilité. Comme si j'étais la responsable de nos erreurs passées.

Les murs de la chambre sont blancs, rendus ternes par cette seule et unique couleur. Un bon coup de pinceau et quelques affaires à sortir des cartons, ça devrait suffire. Je me gifle mentalement pour avoir garder autant de souvenirs avec moi car même si j'ai la place nécessaire, l'épuisement m'assomme avant même d'avoir commencé.

Mon dernier IPhone ne fait que vibrer sur mon bureau, et un sourire indescriptible s'affiche sur mes lèvres en voyant les notifications qui défilent sur l'écran. Le smartphone à présent entre mes mains, mon pouce fait défiler les messages qui s'envoient sur le groupe de discussion que je partage avec mes amis. Certains me demandent comment je pourrais vivre sans eux, dans un lycée qui accueille toutes sortes de personnes. D'autres se préoccupent un peu plus de mon bien-être, en me questionnant sur mes sentiments.

Depuis toujours, il a été très difficile pour moi d'accepter l'aide des autres. Qu'on se demande ce que je pense et ressent.

La confiance que je donne n'est pas à sens unique, et je peux aussi bien mettre du temps à la donner, mais rapidement la reprendre. Il ne suffit que d'un geste, une seule parole qui ne me convient pas pour partir au quart de tour. Je ne suis pas facile à vivre, et rester à mes côtés à ses bons côtés comme les mauvais.

Je pose une bonne fois pour toute mon téléphone sur mon nouveau bureau pour pouvoir me concentrer. Parfois, j'ai l'impression de pouvoir décrocher rapidement. Je ne peux faire deux choses en même temps, et c'est sûrement ce qui agace le plus mes parents. 

Les mains sur les hanches, je détaille mes cartons qui jonchent le sol, comme s'ils allaient se déballer tout seuls. Le courage me manque, mais un bruit sourd contre ma porte me réveille. Je m'abaisse alors sur le premier carton qui se trouve à ma portée.

— Valeskia ? Je peux entrer ?

Sans attendre une quelconque réponse de ma part, ma mère entre dans la pièce et laisse la porte entrouverte. Elle parcourt la pièce du regard avant de me détailler de haut en bas. À la recherche de la moindre imperfection, elle ne se demande même pas comment j'ai fait pour m'en sortir en classe économique.

Le voyage le plus de ma vie, d'ailleurs. Très peu de place pour mes jambes, je devais me coltiner deux sacs qui ne pouvaient pas être mis en soutes. Les repas étaient en options mais heureusement pour moi, ma carte à le privilège d'être utilisée n'importe où.

— Tu ne t'es toujours pas installée ? grimace-t-elle en dévisageant quelques affaires éparpillées à même le sol, comme si c'était une honte. Ne perds pas plus de temps, ne crois pas trouver une excuse pour toute cette saleté.

— Tu peux le faire à ma place, si tu veux, je suis épuisée de devoir me plier en quatre alors que c'est toujours Ivana qui fait des erreurs ! répliqué-je avec brutalité, redoutant sa réaction.

Le cadre fut brusquement retiré du bureau pour venir se cracher sur le sol, se brisant sous mon regard impuissant. Mes yeux s'agrandissent et sans que je puisse prendre la parole, une main entre en contact avec ma joue. Une chaleur monte le long de mon corps pour se réfugier sur la partie meurtrie qui vibre. Un picotement intensifie la douleur de la gifle et la honte habituelle vient s'emparer encore une fois de moi. 

— Comment oses-tu me parler de la sorte, alors que j'ai toujours fait pour te préserver ?! sa voix rauque détruit le silence qui s'était installé dans la pièce. Regarde-moi quand je te parle, au lieu de fuir à chaque opportunité !

De manière lente, ma tête se tourne pour affronter le regard déçu de ma mère qui refait surface à presque chacune de nos interactions. Ses cheveux blonds tirés aux quatre épingles dans un chignon me font frissonner, comme si je pouvais ressentir la douleur qui fait hurler son crâne. À force d'avoir les cheveux attachés de la sorte, elle sera la première à devenir chauve.

— Range-moi tout ça, avant que je te donne une bonne raison de le faire.

Elle quitte ma chambre sur ces derniers mots, en me laissant dans la solitude qui m'accompagne depuis cet accident. Malgré le fait que je ne sois pas la responsable de notre déménagement, mes parents me tiennent en partie coupable pour cela. Tout comme eux, je suis une simple victime du comportement d'Ivana qui ne semble pas vouloir apprendre de ses erreurs. 

Mes yeux se posent sur une silhouette qui s'arrête au pas de ma porte. La dureté de son visage me frappe presque et sans échanger la moindre parole, Ivana sourit de toutes ses dents avant de continuer son chemin. Je ne peux pas nier qu'en sa présence, mes émotions sont imprévisibles. Son regard glacial n'a rien à voir avec le mien, et je me demande réellement comment elle peut partager mon sang.

Un soupir s'échappe de mes lèvres et, en quelque pas, j'arrive à l'entrée de mon terrier. Je scrute le couloir avant de claquer la porte, dans l'espoir d'avoir un peu de tranquillité.

Après avoir quittée mes amis les plus fidèles à l'aéroport, j'ai dû subir un voyage d'au moins treize heures avec une escale d'une heure. Les pleurs d'enfants le rendait interminable et heureusement pour moi —ou malheureusement— le verrouillage mécanique des portes était activé. L'état plus que déplorable de l'avion me donnait des hauts le cœur et je devais faire preuve d'une concentration extrême pour ne pas vider mon estomac. 

Le reste de ma famille, par contre, c'est autre chose. Ils avaient pris un vol d'une heure plus tôt pour être en première classe. Leur excuse pour m'abandonner à mon propre sort ? Nos bagages étaient trop nombreux. La seule solution pour tout prendre était de sacrifier quelqu'un pour voyager au sein des pouilleux. 

Je me place au milieu de la pièce pour la détailler une nouvelle fois. Si je veux me sentir à l'aise le plus rapidement possible, je dois me l'approprier. Mon regard tombe inévitablement sur la photo qui jonche le sol, entouré d'éclats de verre. Le cadre est fichu, mais je suis rassurée de voir que la photo est toujours en bon état. C'est à présent le seul souvenir qui me reste, et je ne suis pas prête de lui dire adieu.

Je m'abaisse pour saisir l'image entre mes doigts, traçant le contour des silhouettes présentes. Ma silhouette au centre, entouré de mes amis pour un dernier au revoir, j'avais l'impression d'être la femme la plus forte. Ils m'avaient donné l'attention qui suffisait à me sentir importante à leurs yeux. 

Je me relève, photographie en mains, pour le poser sur mon bureau. Mon doigt glisse une dernière fois sur mon visage souriant. Cette séparation est pour moi la pire, comme si une partie de moi était manquante. Ils étaient pour moi tout ce que j'avais, et je pouvais fuir la réalité en restant à leur côté.

Désormais, je ne sais pas si je serai un jour capable de donner autant ma confiance.

***

SLOVAQUIE, Bratislava
19:45

Les dîners en famille sont devenus ma hantise. Devoir écouter les éloges que ma sœur reçoit arrive souvent à me mettre dans une colère noire. Elle pose sur elle le regard qu'elle m'avait autrefois donné. Avant tout cela, j'étais la prunelle de ses yeux. Désormais, toute son attention est reportée sur Ivana qui, pourtant, reste la plouc de la famille.

Son visage de poupée la rend immature. Ses cheveux abîmés à cause des balayages blonds lui arrivent au milieu du dos. Ses lèvres refaites ne lui donnent aucune grâce, en partie car elles ressemblent un peu trop aux miennes. Ses vêtements avec une ou deux tailles au-dessus ne cessent de la rendre horrible à mes yeux. Avec nos moyens, elle devait trouver des habits qui lui vont amplement. À la place, elle ressemble plus à une plouc qu'à une membre de notre famille. 

Depuis petite, il me semble avoir toujours été en concurrence avec Ivana, surtout depuis notre entrée au collège. Je peux d'ailleurs maudire les parents, qui pensaient qu'avoir deux jumelles ne serait que bénéfique. S'ils pensaient que nous allions nous apprécier en nous forçant l'une à l'autre à s'aimer, ils s'étaient trompés en voyant que c'est tout le contraire qui s'est produit.

À mes yeux, elle est insupportable. Et je sais que c'est réciproque. Il semblerait que les petites attentions que me donnent notre mère suffisent à la rendre verte de jalousie. Pourtant, cela n'arrive uniquement pendant les grands événements. Sur ce point, il semblerait que j'incarne la perfection et Ivana n'arrive pas à s'y faire. 

Vivre dans mon ombre ne la facilite pas pour socialiser comme elle le voudrait. 

Ils ne m'aiment pas pour ce que je suis. Ils te voient à travers moi, comme la sœur de Valeskia Polakova. 

Mes lèvres s'étirent sur le côté en repensant à ces mots, ceux qu'elle avait prononcés à la fin de notre année. Elle était tellement en colère contre moi, qu'elle avait osé dire tout ce qu'elle pensait depuis le début. En m'avouant ceci, elle devait penser que je tomberais dans le panneau pour me manipuler. Cependant, Ivana semble oublier un peu trop souvent qu'on ne peut pas me battre à mon propre jeu. 

— Comme convenu, personne ne doit connaître la raison de notre arrivée soudaine dans cette ville. annonce mon père en bout de table, qui nous fixe avec Ivana tour à tour. Je n'accepterai pas que cette histoire s'ébruite davantage, au risque d'avoir les Národná kriminálna agentúra* à nos trousses.

Sa mine fermée me juge un instant avant d'offrir un sourire réconfortant à ma sœur face à moi, comme s'il voulait ne pas l'inquiéter de ses propos. Ma mère, à la gauche d'Ivana, lui caresse les cheveux, comme si les gestes pouvaient porter plus de force que les mots. Moi, je suis seule. Une place vide me sépare de mon père, comme si l'idée de ma présence était trop dure à accepter.

Je joue avec ma fourchette pour tirer la nourriture dans mon assiette. Le saumon coupé en petits morceaux se mélange parfaitement avec la purée de pomme de terre truffée, un assorti de couleur qui me donne mal à la tête. Les conversations fusent mais je n'y suis pas conviée. Ivana est au premier plan, l'attention de mes parents sur elle, je suis persuadée qu'elle jouit sur place. Dans ce genre de situation, j'ai l'impression de ne pas avoir ma place dans la famille Polakova.

— Tu ne manges pas ?

Me demande Ivana, ce qui nous plonge dans un silence pesant. Ils me fixent et je sens la chaleur me monter aux joues. Ivana souhaite jouer son rôle de jumelle préoccupée ? C'est peu probable, surtout en sentant mon ventre se nouer sous leurs regards, comme si j'étais une bête de foire.

— J'ai mangé tard avec mes amis ce midi. réponds-je en appuyant sur ce mot sans cesser de la fixer. C'est peut-être pour ça que je n'ai pas d'appétit.

— Et bien tu devrais finir cette assiette, tu en as besoin.

Sur ces mots, elle fourre un morceau de saumon dans sa bouche avec un rictus pour reprendre la conversation interrompue avec nos parents.

— Je suis sûr que tout se passera bien, reprend mon paternel d'un ton qui se veut rassurant. Même avec tes difficultés, tu auras ton diplôme en fin d'année, et tu seras dans l'université la plus prestigieuse du pays. 

Le son s'efface peu à peu après ces mots. Comme si je n'existais pas, même les domestiques ont plus d'estime aux yeux de mes parents. Je masque le poisson avant de poser ma fourchette sur la table, le dos droit tandis que mes jambes restent croisées. Le son de leurs couverts claque contre les assiettes en porcelaine, et ce seul bruit réussi à me faire grincer des dents.

Plus loin, dans la cuisine, ma vision se tourne vers Rose, l'une des gouvernantes.

Pour autant que je me souvienne, elle a toujours été présente dans ma vie. Depuis petite, c'est cette femme qui s'occupe de moi, comme sa propre fille. Elle a pris la place de ma mère, de là à me rendre trilingue.

Après la guerre qui a confronté la France et l'Allemagne, Rose s'est retrouvée seule. Son mari, engagé volontaire, n'était pas revenu. Elle m'a expliqué que comme beaucoup de femmes de cette époque, elle avait dû apprendre à survivre dans un pays ravagé, à gérer la maison, les papiers, le silence.

Comme elle me l'a souvent répété, elle ne pensait pas survivre à ces affrontements. Jusqu'à ce qu'ils prennent fin pour de bon. Mais comme nombreux hommes partis au front, Alphonse, son mari, a péri dans la guerre, la laissant dans une profonde tristesse.

C'est seulement quelques années plus tard, après s'être remis lentement de sa disparition, qu'elle a quitté la France pour s'installer en Slovaquie. Rose ne voulait plus vivre sur les traces du passé, en ayant son esprit tourné vers Alphonse. Du haut de ses soixante-deux ans, elle est au mieux de sa forme, me faisant parfois douter de son âge.

Elle me lance un sourire réconfortant, puis se détourne pour s'atteler à la vaisselle. 

Pendant ce temps, je fais tout mon possible pour ne pas lever les yeux au ciel face à la lenteur dans laquelle ils mangent. Les rires accompagnent leur dire et d'un commun accord silencieux, ils quittent la salle à manger pour se rendre dans le séjour.

Je suis seule, une fois de plus. Parfois, je me demande si les choses seraient différentes entre nous. Si, en changeant mon comportement ou ma manière d'être, je pouvais espérer qu'ils soient plus tolérants et présents avec moi.

Au fond, tout ce que je sais, c'est que du moment que je ne suis pas Ivana, je ne pourrais être aimée.

Je me lève à mon tour. Déposant un rapide baiser en croisant Rose, qui s'apprêtait à débarrasser, j'en profite pour m'éclipser sans plus tarder.

Tout ce que j'ai envie de faire c'est de me poser, sans penser à quoique ce soit d'autre. Mes chaussures résonnent contre les escaliers et je me tiens à la rambarde pour ne pas faire de faux pas. Ce ne serait pas étonnant de me voir au sol d'une minute à l'autre, le cul à l'air et les cuisses ouvertes...

Je traverse le couloir sans me familiariser avec les autres pièces. Si tout se passe bien, nous resterons dans cette demeure pendant des années avant de déménager si notre routine ne satisfait plus ma mère. Le seul problème étant Ivana, qui peut tout foirer d'un jour à l'autre. 

À ma droite, la porte de l'une des pièces est entrouverte, et je me dis que c'est la chambre de ma jumelle. Au lieu d'être dans le salon avec mon paternel, elle se retrouve installée sur son lit, notre mère derrière elle. Dos à moi, la matriarche ne me prête aucune attention. Seulement, c'est tout son contraire. La tête tournée à l'instant où mes pas se sont stoppés, un sourire horripilant habite ses lèvres. Mais elle ne retient pas une grimace de douleur quand notre mère passe de la crème sur ses cicatrices à peine refermées. 

De cette façon, elle s'amuse avec moi. Ivana a toujours été celle qui voulait tirer les ficelles de mon esprit. Elle veut que je culpabilise pour ses actions, mais de nous deux, c'est elle qui a un grain. Pas moi.

Son regard plein de malices me prouve une fois de plus qu'elle cache bien son jeu. Que j'ai le rôle principal de sa propre histoire. 

Arrivée dans mon nouveau refuge, je referme le plus doucement possible la porte. Hors de question de leur donner un moyen de me faire des remarques. Je pense que j'en ai vu assez aujourd'hui et que je ne suis pas à l'abri d'une séance de bonne conduite. 

Je me décompose en m'adossant contre la porte. Les cartons renversés sur le sol et mes livres déchirés, des centaines de pages sont éparpillées dans toute la pièce. Ma table de chevet est renversée tout comme ma chaise de bureau. Ce qui me servait de coiffeuse est presque inutilisable et j'espère de tout cœur qu'elle a au moins épargné mon maquillage. 

Seul mon bureau semble intacte, si ce n'est que des traces de crayon noir sur la surface. Mon ordinateur ainsi que mon uniforme ont été sauvés et, rien qu'avec cela, il n'y a plus de doute sur la personne responsable de tout ce bordel. 

Maman a pour habitude de me punir quand je dépasse les bornes, d'où les séances de bonnes conduites. Ivana semble avoir été préservée de cette méthode, mais, tout comme moi, il arrive que sa chambre soit dans le même état que la mienne. 

Si ce n'est plus.

La solution que j'ai trouvée pour limiter les dégâts matériels est de verrouiller ma chambre à chaque sortie, même pour quelques minutes. Connaissant son esprit embrouillé, il lui arrive souvent de faire des crises parfois inexplicables. À défaut de s'en prendre à nous, elle détruit le peu de chose qui nous apporte de la joie. 

Du moins...

Découragée à la simple idée de devoir mettre les mains dans ce bordel, je m'empare de mon smartphone dans le premier tiroir du bureau avant de m'installer sur mon lit. Jambes croisées et dos contre la tête de lit, je défile aléatoirement mes notifications. Des centaines de notifications sont apparues, pourtant, seulement une retient mon attention. 

> MeiMei vous a supprimé du groupe.

Mon cœur s'emballe et un rire hystérique me prend, à tel point que je me redresse pour ne pas virer au rouge. Mon sang pulse dans mes veines et ma respiration s'accélère.

Je ne fais pas une crise, c'est autre chose...

Je deviens complètement tarée.

J'ai délaissé mon téléphone il y a deux heures. Deux putain d'heures durant lesquels ils devaient délibérer de ma place dans le groupe en me mettant de côté. Deux heures pendants lesquels ils devaient se réjouir de leur petite combine stupide pendant que je mangeais comme une porcasse et que la moitié de mon assiette a fini à la poubelle. Deux heures durant lesquelles je me souciais plus de l'image que je pouvais rendre à ma famille qu'aux personnes que me servaient d'amis. 

Mes nerfs sont à fleur de peau —plus que d'habitude— quand je clique sur le profil de cette salope de Mei. Quelle fut ma surprise en voyant son profil indisponible ? Impossible de contacter les autres, leurs comptes introuvables dans la barre de recherche. Seul celui de Leo me reste accessible et je m'empresse de lui envoyer un message. Mes ongles tapent avec force contre l'écran tandis que ma mâchoire reste contractée. Je tremble de tous mes membres, à tel point que je pourrai exploser mon téléphone contre le mur. 

Je me rassure en me disant que c'est sûrement une erreur. Je vois là cette seule explication. Ils n'auraient tout de même pas attendu que je quitte le Japon pour me tourner le dos, n'est-ce pas ? Mei, cette salope qui passait la plupart de ses journées chez moi. Qui étaient bien vu par mes parents, à tel point qu'elle avait doublé les séances de bonnes conduites... Non, rien de tout cela n'a de sens. 

Et Sabrina ? Celle qui pleurait dans mes bras quand son abruti de copain la forçait à restreindre ses repas ? Je passais mes journées à lui remonter le moral, jusqu'à recevoir les remontrances d'Ivana. 

Mon jouet favori n'est jamais à la maison... Comment je m'amuse moi, maintenant ? 

Ma colère s'estompe un instant pour laisser sa place au stress qui émerge en moi comme une avalanche. Ma jambe tressaute sur le lit, j'inspire le plus d'air possible avant de cliquer sur son message. Il lui a fallu trois minutes pour répondre. Les trois minutes les plus intenses de ma vie, et une douche ne serait pas de refus pour retirer la sueur qui me colle. 

La seule réponse de sa part que j'attends, c'est une excuse sincère pour la frayeur qu'ils m'ont fait, car personne, et je dis bien personne, ne peut se sortir vainqueur d'un quelconque affront envers ma personne. 

Où je ne m'appelle plus Valeskia Polakova.

La note vocale de Leo me fait de l'œil, mais, avant toute chose, j'enfonce plus profondément que nécessaire mes Airpods. De cette façon, il n'y a aucun moyen pour Ivana de me tenir du bout de la baguette. Je ne serais pas étonnée de savoir que cette folle a placée des micros un peu partout dans ma chambre. 

Mon doigt glisse avec lenteur sur l'écran avant d'actionner le message vocal. 

« — Tu sais Valeskia, c'est pas toi, c'est nous... » commence-t-il avant d'inspirer une bouffée d'air sans parvenir à cacher son gloussement. « C'juste que tu vois, contrairement à toinous, on a de vrais problèmes, tu sais ? Tu étais un peu le boulet qu'on devait se trimballer et franchement, je regrette de ne pas te l'avoir dit avant mais... t'es vraiment un sale coup. »

Si seulement sa tirade pouvait s'arrêter ici, mais non. Il a fallu que je reconnaisse un rire féminin en arrière-plan pour que ma colère soit totale. Les mots de Leo resteront gravés un moment dans ma tête et, je sais qu'au fond, je ne pourrais jamais vraiment passer à autre chose si je ne lui rends pas la monnaie de sa pièce. 

Un deuxième vocal apparaît et mes sourcils se froncent devant les quelques secondes de son message. Mon sang pulse dans mes veines, à tel point que je serais prête à exploser à tout moment. Il est temps de mettre fin à cette mascarade une bonne fois pour toute. 

« Tu nous empoisonnes la vie par ta simple présence, tu sais ? Je me suis toujours demandé ce que Sabrina pouvait bien te trouver... » Il se passe cinq secondes — que j'ai comptées — avant que la voix de Mei ne reprenne. « J'espère que tu réussiras à t'en sortir dans ta famille aussi tarée que toi ! » 

Après cela, impossible de lui envoyer des messages. Mes doigts martèlent le clavier numérique mais rien n'y fait. Je suis dans une boucle sans fin, où aucun message n'arrive à destination. Leo m'a, comme tous les autres, bloqué sans me laisser le temps de lui répondre. Peut-être voulait-il simplement se sentir puissant ? Il avait, pour une fois, les cartes en main. Il avait le pouvoir de me voir tomber de mon trône sans aucun effort, alors il se satisfait de ce sentiment insignifiant.

Le cœur au bord des lèvres, il me faut un effort monstre pour ne pas vider mon estomac sur mes draps propres. 

Rose me priverait de ma balance. 

Je ne sais pas depuis combien de temps je persiste à actualiser les profils de ceux en qui j'avais confiance. Une fatalité bien trop dure à avaler. 

Furieuse d'avoir été aussi naïve, mes tremblements ne cessent de se décupler. Je secoue désespérément la tête, comme si toute cette mauvaise blague allait prendre fin d'une seconde à l'autre. 

Je reviens sur les messages du groupe —avant que je ne sois supprimée— pour les lire. Les messages datant d'une heure sont normaux. Seulement, c'est à partir du message de Mei que tout change. Une seule et unique phrase a changé l'ambiance du groupe, je peux le sentir à travers l'écran. Cette salopea ouvert les hostilités et les autres l'ont suivi. 

Elle a pris ma place, mon rôle.

MeiMei >
Franchement... il ne voudrait pas mieux la supprimer ? Elle nous bouffe depuis tellement longtemps ! Mais c'est vous qui voyez...

Après cela, les autres ne se gênent pas pour exprimer leur opinion. Est-ce étonnant de voir que Sabrina est la seule à ne pas avoir partagé son opinion ? Son profil est affiché à côté de tous les messages, la seule preuve qui m'affirme qu'elle a néanmoins lu tous les messages. Moi qui pensais être sa seule véritable amie parmi tous les autres, je me suis trompée. Une fois de plus. 

Plus je lis les messages et plus la réalité me frappe. J'ai fait l'ignorante en me reposant sur mes acquis, restant persuadée que jamais je ne pourrais être celle trahie. Que Valeskia Polakova est la seule capable de tenir les rênes. 

La sueur qui colle mes vêtements à l'odeur de la vengeance, et je serais celle qui se mettra en travers de leur chemin. Ils ont fait la seule chose à ne pas faire avec moi et seul l'avenir sera en mesure de dire si j'ai été clémente avec eux. 

* Národná kriminálna agentúra : NAKA pour son diminutif, l'agence criminelle nationale traite des affaires mafieuses, économiques, meurtres de haut niveau et de corruption.

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5 Comments

23 days
Très bonne ambiance ! Je trouve que c'est intriguant dès le début et on a envie d'en savoir plus, c'est mené parfaitement, sans trop en dévoiler, tout ça me rend curieuse, la lecture est très fluide.
J'aime beaucoup l'atmosphère, la tension avec Ivana, et les tonnes d'interrogations qui viennent avec, c'est vraiment tentant, je sens que ça sort clairement du lot et ça me plaît 😉
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30 days
Meuf, c'est une dinguerie ce que tu as écrit là !!
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24 days
Mais merci ?? Venant de toi je le prends vraiment bien
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1 month
Je trouve que tu mènes ton chapitre de main de maître, on ressent bien la solitude de Valeskia dans sa propre famille et la manipulation d'Ivana, leur rivalité... Il y a juste quelques fautes par ci par là, pas énormément donc ça gêne pas trop la lecture ! En tous cas c'est très intriguant 👀
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24 days
Merci ! Tu es parvenue à déceler l'ambiance dès le début, ainsi que la facette d'Ivana 👀
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