Valeskia
SLOVAQUIE, Bratislava
7:30 pm
Jâai bonne mine.
Câest ce que je me rĂ©pĂšte depuis une bonne dizaine de minutes.Â
InstallĂ©e sur ma chaise de bureau, je mây adosse complĂštement sans arrĂȘter de me fixer Ă travers la glace. Mes cheveux blonds sont tirĂ©s vers lâarriĂšre dans un chignon qui me fait mal au crĂąne. Jâai lâimpression que ma tĂȘte va exploser dans les prochaines minutes si je ne retire pas ces Ă©lastiques et pinces. Seulement, je nâai pas le droit de le faire. Aucune erreur de ma part sera acceptable. Â
Ce soir, un grand dĂźner est organisĂ© dans notre demeure. Cela fait moins de deux jours que nous avons posĂ© nos pieds sur le sol Slovaque, mais cela nâa pas empĂȘchĂ© mes parents de retrouver leur place d'antan. Leur balade dans Bratislava, avec leur accoutrement hors de prix, a attirĂ© absolument tous les regards. Les plus anciens, eux, ont reconnu la puissance de Zuzana et Ć tefan Polakova. La prestance quâils dĂ©gagent ont lâhabitude de secouer les personnes qui les entourent.Â
Il nâest pas trĂšs compliquĂ© pour les habitants de propager des rumeurs. Sans doute par manque dâamusement, câest une source de joie pour celles et ceux en manquent de potins. Alors, quand l'arrivĂ©e dâune nouvelle famille Ă circuler dans la ville, nombreuses sont les personnes qui voulaient faire notre connaissance.Â
OĂč du moins, jusquâĂ reconnaĂźtre le visage familier de mes parents.Â
La robe rose bonbon Ă©pouse mes formes, mais pas autant que je le voudrais. Dans cette sociĂ©tĂ© malsaine, il faut savoir mettre toutes ses chances de son cĂŽtĂ© pour se faire respecter. De mon cĂŽtĂ©, je sais davance que je nâaurais aucun mal Ă me faire une place.Â
Depuis quelques annĂ©es maintenant, jâai appris Ă vivre en dehors de la normalitĂ©. Les dĂźners dâaffaires, les rendez-vous jamais trop loin des tapis rouges⊠Tout cela fait partie de mon quotidien depuis que mes parents se sont fait une place dans le milieu.Â
Je suis leur fille aĂźnĂ©e, nĂ©e quelques minutes avant Ivana. Je me dois de faire bonne impression. Mes sentiments ? Rien Ă faire. Mes envies ? Rien Ă faire. Tant que je souris et que je suis polie, je suis la plus parfaite Ă leurs yeux.Â
â Valeskia, tu es prĂȘte ?Â
Passant sa tĂȘte dans l'entrebĂąillement de la porte, Ivana me fixe avec un empressement non dissimulĂ©. Je la dĂ©visage sans pour autant rĂ©pondre Ă sa demande, ses joues rougissent Ă mesure que les secondes sâĂ©coulent. Ses cheveux blonds sont, contrairement aux miens, relĂąchĂ©s dans son dos. Sa robe rose nâest pas aussi imposante que la mienne, et, Ă ce constat, un sourire naĂźt sur mes lĂšvres.Â
AprĂšs tout ce quâelle veut me faire croire, il semblerait quâelle ne soit pas aussi importante aux yeux des parents quâelle ne le fait croire. Ses habits ne sont pas Ă la hauteur des espĂ©rances de notre famille, dâautant plus que les remarques nĂ©gatives touchent uniquement ma sĆur.
Nây tenant plus, ma jumelle s'Ă©claircit la gorge dans lâespoir de me tirer une autre expression que de l'indiffĂ©rence. Si elle reste plantĂ©e au pied de la porte de la sorte, ma mĂšre ne perdra pas une seconde pour trouver le moyen de me tenir responsable de notre retard.Â
â Ă ton avis, aboyĂ©-je en levant les yeux au ciel, jâai lâair dâavoir terminĂ© ?
Un rire lui échappe avant de remettre son masque de fille fragile.
â Je sais pas⊠mais Ă voir ton visage plĂątrĂ©, je dirais que oui ?
Je me dĂ©compose sans pour autant lui donner ce quâelle veut : mes larmes.Â
Cette petite peste a toujours aimĂ© me voir suppliante, le visage tordu de douleur face Ă lâignorance constante de nos parents. Je mâen suis rendue compte quand elle serrait ses cuisses Ă chaque fois que jâavais une mine douloureuse, ou le visage baignĂ©e de larmes.
â Quand tu aura peut-ĂȘtre compris que ta jalousie maladive te rend laide, tu auras peut-ĂȘtre le droit de converser avec moi.
Je ferme mon miroir de poche avant de le poser sur mon bureau. Sans la lĂącher du regard, mon reste reste ancrĂ© dans le sien. Je sais que câest impossible pour elle, mais elle doit comprendre que jâai retirĂ© la cible quâelle mâavait collĂ©e sur le dos. Elle a vraisemblablement commencĂ© ce jeu malsain entre nous, mais je serai celle qui y mettra fin. Elle a beau ĂȘtre une fille pourri gĂątĂ©e, je le suis davantage.Â
Ivana ne peut sâen prendre quâĂ elle.Â
Alors que je pensais en avoir fini avec ma sĆur, cette derniĂšre efface tout semblant de peine sur son visage. Ă la place, elle affiche un sourire mesquin sur ses lĂšvres rouges. Seul le dĂ©dain est le sentiment que je perçois Ă©manant dâelle.
â Ma douce ValeskiaâŠ
Son pouce atteint ses lĂšvres et ses dents arrache le blanc de son ongle qui dĂ©passe. De lĂ oĂč je suis, je peine Ă le percevoir mais je sais ; sa peau naturellement pĂąle est maintenant colorĂ©e de son propre sang.Â
â Si tu penses que je nâai aucun droit sur toi, câest que tu es encore plus naĂŻve que je le pensais.Â
Je ricane sans humour pour ne pas perdre la face. Ivana mâa habituĂ© depuis longtemps avec ses deux facettes distinctes de sa personnalitĂ©, mais le fait est que ce cĂŽtĂ© me fait froid dans le dos. Si son regard aurait la capacitĂ© de me tuer sur place, elle nâempecherait pas ses puslions de me faire trembler dâhorreur.
â Je leur dirais que tu as encore beaucoup de travail. Tu sais, pour cacher le reste de tes imperfectionsâŠÂ
Elle me quitte sur ces paroles en laissant la porte entrouverte et je sens ma gorge se nouer. Contrairement Ă ce que voudrait croire, entendre des paroles de ce genre âsurtout venant dâelleâ me touche plus que je ne le voudrais.Â
Une fois seule dans ma chambre, ce sont mes propres dĂ©mons qui me tiennent compagnie.Â
***
SLOVAQUIE, Bratislava
10:16 pm
â Tu ne peux vraiment pas faire un effort ? ArrĂȘte un peu de tirer cette tronche.Â
Je me crispe aux paroles tranchantes de ma mĂšre, mais mes lĂšvres trouvent tout de mĂȘme le moyen de sâĂ©tirer pour simple rĂ©ponse. Si cette soirĂ©e ne peut pas mieux se dĂ©rouler, je nâai aucune envie de nourrir sa colĂšre. De son cĂŽtĂ©, mon pĂšre ne me porte aucune attention. Je dois ĂȘtre parfaite et ce, peu importe la situation dans laquelle je me trouve.Â
â Câest impossible pour elle, maman⊠tu le sais bien, soupire timidement Ivana. Valeskia restera toujours Valeskia. Une adolescente un peu trop indisciplinĂ©e.Â
â Tu as vraisemblablement raison. Je ne sais pas comment jâai pu faire pour me coltiner une enfant pareil.Â
Elle me quitte sur ces derniers mots. Ma sĆur, de son cĂŽtĂ©, rĂ©alise son activitĂ© prĂ©fĂ©rĂ©e ; me jauger de sa tĂȘte aux pieds avec une petite mine. Tout ce qui vient dâelle nâest que mensonge et manipulation. Parfois, jâen mĂȘme Ă me demander si nous sommes vraiment diffĂ©rentes lâune de lâautre.Â
Pour une raison que jâignore, elle replace mon dĂ©colletĂ© un peu trop plongeant. Dâune caresse sur ma peau nu, ses sourcils se froncent tandis que ma mĂąchoire se contracte dâelle-mĂȘme.
â Veilles Ă ce que ton corps ne soit pas trop visible.Â
â Comme si tu tây intĂ©ressais.Â
Ivana ricane et se dĂ©tourne sans plus dâexplication. Elle joue entre le chaud et le froid, et, jâai beau ĂȘtre la mieux placĂ©e pour comprendre certains aspects de son comportement, je nâai pas toutes les cartes en main. Elle a toujours Ă©tĂ© comme cela, et, elle le sera toujours.Â
Le salon, habituellement vide, accueille une dizaine de familles venues pour lâoccasion. Les lumiĂšres me bousillent les yeux mais je fais lâeffort de ne pas mâen plaindre. Câest rare que la vie habite autant l'endroit oĂč je vis. Je dois bien avouer que la fiertĂ© dâĂȘtre autant entourĂ© me fait rougir.Â
Je sais que l'hypocrisie ne fait que croĂźtre, et que, si autant de familles dĂ©cident de venir, câest uniquement pour savoir si nous nâavons pas perdu de notre valeur. VoilĂ pourquoi je me dois dâĂȘtre une autre personne que moi. Ce soir, je ne suis rien dâautre quâune Polakova. La fille aĂźnĂ©e de la famille qui fait trembler par un simple nom.Â
Valeskia doit se taire pour devenir la plus grande âfausseâ fiertĂ© de ses parents. Toute faiblesse a Ă©tĂ© laissĂ©e Ă la porte de ma chambre au moment oĂč je lâai quittĂ©e pour saluer les invitĂ©s.Â
â Mademoiselle Polakova ?Â
Me retournant pour rencontrer la personne qui a posĂ© sa main sur mon Ă©paule, je plisse les yeux pour rencontrer ceux dâun garçon qui semble avoir mon Ăąge. Des cheveux bruns, parfaitement coiffĂ©s vers lâarriĂšre, il m'offre un sourire ravissant qui pourrait faire tomber nâimporte qui. Moi la premiĂšre, si je ne sentais pas le regard noir de ma soeur Ă quelques mĂštres de lĂ .Â
â Vous ĂȘtes bien lâhĂŽte de la soirĂ©e, je me trompe ?Â
â Mes parents le sont, rĂ©pliquĂ©-je assurĂ©ment en soutenant son regard. Mais je suis autant chez moi quâeux le sont, donc⊠je suppose que oui ?Â
Il ricane, lâune de ses mains tatouĂ©e devant ses lĂšvres sans dĂ©tourner une seule seconde son attention. Jâai rĂ©ussi, par je ne sais quel moyen, Ă lâaccaparer. Dans ses yeux, un voile âdont je nâarrive pas Ă en connaĂźtre lâorigineâ assombrit ses pupilles dĂ©sormais dilatĂ©es.Â
â Pardonnez-moi pour mon impolitesse. Je suis Arien Mclean,Â
Ce faisant, il capture ma main gantĂ© dâune dentelle blanche pour y dĂ©poser ses lĂšvres et, si jâĂ©tais une vraie idiote de premiĂšre, je nâaurais pas remarquĂ© son envie irrĂ©sistible de me dĂ©vorer.Â
â Valeskia, mais je pense quâil est inutile de vous le rappeler ?Â
Arien acquiesce mollement sans me quitter du regard. Habituellement, jâaurais tout fait pour rejeter son attention sur moi. Il est bel homme. Savoir que câest vers moi quâil est venu me fait me sentir diffĂ©rente.
â Mon paternel nâa fait que des Ă©loges sur le vĂŽtre, sourit-t-il en glissant sa main le long de mon bras, dĂ©gageant la bretelle de ma robe. Il me fallait rencontrer la perle rare dont je ne cesse d'entendre parler.Â
â Je suis la plus apte Ă rĂ©pondre Ă toutes vos questions, rĂ©ponds-je avec taquinerie.
La malice dans mes yeux, la chaleur dans les siens⊠mon bas ventre mâenvoie des signaux que je nâarrive pas Ă dĂ©chiffrer. Pendant un instant, je veux arrĂȘter de penser et foncer tĂȘte baissĂ©e, sans avoir Ă me prĂ©occuper de lâavis de qui que ce soit.
Ma mĂšre hurle de rire Ă chaque blagues un peu mauvaises de nos voisines. Depuis le dĂ©but de la soirĂ©e, mon pĂšre est au bar pour parler d'affaires et de lâentreprise de notre famille, accompagnĂ© dâhommes et femmes un peu trop attirĂ©s par sa façon dĂ©tachĂ©e et calculateur. Ivana, quant Ă elle, me suit comme mon ombre. Si elle ne le fait pas, elle tente dâattirer un tant soit peu lâattention des invitĂ©s, qui, eux, semblent la snober comme un fantĂŽme. Moi, jâai la chance dâavoir un homme avec qui mâamuser pour la soirĂ©e.Â
â Puis-je vous faire dĂ©couvrir le jardin ? susurrĂ©-je Ă son attention, plantant mes ongles sur sa chemise. Je pense que vous apprĂ©cierez notre piscine intĂ©rieure.
Son regard persiste sur moi. Pour rien au monde je voudrais dĂ©tourner le regard de celui qui me tient pendant quelques secondes la tĂȘte hors de lâeau.
Mes mains deviennent moites sans mĂȘme que je ne sache pourquoi. Ce nâest pas la premiĂšre fois que je suis dans ce genre de situation, et pourtant, câest lâune des seules ou des sensations Ă©tranges me barbouille.Â
â Volontier, cependant, jâai une bien meilleure idĂ©e Ă vous proposer.Â
***
Quand il me parlait dâune meilleure idĂ©e, je ne mâattendais pas à ⊠ça.
Les spots de lumiĂšres crĂ©ent une ambiance lĂ©gĂšre et sensuelle. Les femmes, tout comme les hommes, ne se limitent pas Ă un pĂ©rimĂštre de sĂ©curitĂ©. Ils se frottent les uns contres les autres sans aucune pudeur. Les murs rouges de la boĂźte de nuit sont dĂ©corĂ©s de divers tags que je ne peux visualiser Ă cause de la pĂ©nombre.Â
AprĂšs mâavoir forcĂ© âlittĂ©ralementâ à me changer pour une tenue plus dĂ©contractĂ©e, Arien et Moi avons quittĂ© ma prison dorĂ©e pour nous balader dans les rues de Bratislava. Je dois dire que câĂ©tait la chose la plus excitante que jâai faite en arrivant ici. Ne pas ĂȘtre constamment surveiller mâa permis de me sentir libre, mĂȘme pour quinze petites minutes.Â
Je ne sais dâailleurs par quel miracle Ivana ne nous a pas suivi. Toujours sur mon dos, elle Ă©tait introuvable quand jâai quittĂ© la fĂȘte.Â
La main sur ma cuisse, Arien ne mâa pas lĂąchĂ© dâune semelle. Veillant Ă ce que je ne reste pas seule, il m'accompagne me rafraĂźchir au bar, ou, surveille mes arriĂšres quand une envie pressante m'empĂȘche de m'amuser. Trois jours que jâai mes rĂšgles et je le remercie de me faire oublier mes douleurs beaucoup trop atroces.Â
â Jâai repĂ©rĂ© un ami dans le coin, attends-moi ici !
â Quoi ?Â
Il ne me laisse pas argumenter quâil traverse dĂ©jĂ la foule en folie. Les personnes alcoolisĂ©es se font de plus en plus nombreuses, Ă tel point que je commence Ă regretter dâavoir quittĂ© la soirĂ©e pourrie en lâhonneur de notre famille. Ce serait dâailleurs un miracle quâils ne se soient pas aperçus de mon absence. Tout comme mes parents, Ivana ne se prive pas de me dicter la maniĂšre dont je dois gĂ©rer ma propre vie. Je la dĂ©teste un peu plus chaque jour pour utiliser ses talents de manipulation sur nos parents.Â
Jâessaie de repĂ©rer celui qui mâa abandonnĂ© plus tĂŽt, sans succĂšs. Tous ces corps en mouvements me donnent la nausĂ©e tandis quâune bile remonte dans ma gorge.Â
Ce nâest pas la premiĂšre fois que jâai affaire Ă une situation de stress, seulement, je suis seule. Je ne peux pas gĂ©rer le monde autour et mes crises en mĂȘme temps. Je gonfle mes poumons pour prendre le maximum dâair avant dâexpirer tout le CO2 dont je suis capable.Â
Merci Ă ma psychologue un peu bizarre de mâavoir appris Ă bien respirer.
Malheureusement, cette pause est de courte durĂ©e. En face de moi se trouve non pas Arien, mais une silhouette totalement noire. Avec la capuche qui recouvre son visage, je ne peux savoir sâil sâagit dâun homme une dâune femme, mais une chose est sĂ»re, ce nâest pas lâhomme que je connais qui souhaite me faire une blague.Â
Les nĂ©ons rouges s'Ă©teignent, crĂ©ant une panique gĂ©nĂ©rale. Je ne ferme pas mes yeux. Je ne dois pas le faire. Je me retourne, encore et encore, pour sentir le moindre changement dans lâatmosphĂšre, tandis que ceux qui se pensent drĂŽles effraient les plus peureux.Â
Un souffle. Un seul et unique souffle arrive Ă couper ma respiration. Sa main glisse de ma joue Ă mon cou pour le serrer, mais pas suffisamment pour m'empĂȘcher de respirer. Cette personne souhaite juste me faire peur, rien dâautre. Elle a dĂ» le faire aux autres, je ne suis pas la seule Ă avoir attirĂ© son attention.Â
Un torse rencontre mon dos sans aucune douceur. Ma tĂȘte est basculĂ©e soudainement vers lâarriĂšre, comme prise au piĂšge contre celui qui en a dĂ©cidĂ©. Un jeu ? Sans doute, mais je ne veux pas ĂȘtre la petite souris effrayĂ©e par un clown qui veut juste amuser ses potes.Â
Alors que jâallais lui Ă©craser le pied avec mon escarpin, les lumiĂšres couleurs sang reviennent et je suis poussĂ©e vers lâavant. La pression redescend mais personne ne fait attention Ă moi, trop occupĂ© Ă sâassurer que leur effets personnels ne se soient pas fait dĂ©robĂ©s. Je nâai jamais eu autant plus envie que maintenant de sentir les yeux rivĂ©s sur moi pour sâassurer que rien de mal ne me sera fait.Â
La prĂ©sence de lâinconnu est Ă quelques mĂštres de moi. Je le sens, je le sais. MĂȘme si je meurs dâenvie de me tourner pour insulter cet inconnu de tous les noms, mes pieds restent parfaitement ancrĂ©s dans le sol collant de cette boĂźte.Â
Le flash de cette silhouette vetu de noir me reviens, comme une réponse aux milles et unes questions que je pose.
Câest la goutte de trop.
La chaleur me monte aux joues. Non pas d'excitation, mais dâune peur bien plus rĂ©elle. Bien plus importante que tout ce que j'ai pu avoir Ă faire.Â
Câest lui.
Sâil a rĂ©ussi Ă me dĂ©busquer jusquâici, câest que nos mouvements Ă©taient trop prĂ©visibles. Un vrai psychopathe de son genre ne se laisse pas facilement berner, et, je m'en veux rĂ©ellement dâĂȘtre celle qui a attirĂ© tout ce mal Ă Bratislava.
Je dois fuir.
Je me rĂ©pĂšte cette phrase en boucle avant de prendre mes jambes Ă mon cou. Je ne me focalise pas sur mon prĂ©nom hurlĂ© par Arien qui mâa abandonnĂ©, ni mĂȘme sur les tĂȘtes qui se retournent vers moi Ă chaque bousculade. La seule chose que je ressens, câest la course quâil effectue pour pouvoir mâattraper dans ses filets. LâadrĂ©naline me propulse en avant et jâai beau manquer de m'Ă©taler sur le sol, je ne ralentis pas pour autant.Â
Je dĂ©boule dans les WC que je pensais rempli. Avec grande surprise, la piĂšce est totalement vide. MĂȘme si je ne vĂ©rifie pas chaque cabine, il est Ă©vident quâelles le sont aussi. Un silence de mort mâen est tĂ©moin, la sueur coule davantage sur mon front. Des mĂšches mouillĂ©es y sont collĂ©es, et jây passe ma main pour dĂ©gager ma vue.Â
La porte âque jâai pu au prĂ©alable fermĂ© Ă clefâ tambourine sous des hurlements. Il y met tellement de force que je ne serais pas Ă©tonnĂ©e quâelle cĂšde dans les minutes qui suivent. La fatigue me joue sĂ»rement des tours. En ce moment mĂȘme, je suis sans doute auprĂšs de ma mĂšre qui me sermonne de rĂ©flexion, sous le regard amusĂ© de Ivana qui reprend contenance quand lâattention est portĂ©e sur elle.Â
Mon corps bouillonne et mon coeur ne semble pas vouloir se calmer. Mes pupilles sont dilatĂ©es, et, alors que je me passe les mains sur mon visage, un Ă©niĂšme coup est portĂ© avant dâĂȘtre accueilli par le silence. Je suis sur le point de fondre en larme, de tout exploser pour reprendre la situation en main. Je suis seule, paumĂ©e et sans dĂ©fense. DerriĂšre la porte se trouve peut-ĂȘtre encore le malade qui a pris son pied en se faisant passer pour une personne que je crains.Â
Tout concorde pour que le destin mâenvoie un signal. Le signal de trop.Â
Celui qui annonce la fin du jeu quâil a lui-mĂȘme lancĂ©, Ă cause de cette nuit-lĂ .