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Svetlana

SLOVAQUIE, Bratislava

Les contrĂŽles de papiers n’ont jamais Ă©tĂ© mon fort. MalgrĂ© le fait que je sois sur le terrain, rien ne m'horripile le plus que de devoir passer mon temps Ă  jouer la police. MĂȘme si c’est littĂ©ralement mon boulot, je n’ai pas signĂ© un contrat pour foutre des contraventions et appeler la fourriĂšre. 

Ce que je prĂ©fĂšre, c’est l’action. Être en mouvement sans arrĂȘt, sentir l’adrĂ©naline couler dans mes veines
 Je veux qu’on me voie. Que l’on remarque qu’une femme est tout Ă  fait capable de faire le mĂȘme travail qu’un homme, si ce n’est plus. Non pas me regarder de haut et me rire Ă  la figure quand je retire un permis. Notre Ă©poque n’est toujours pas dans la capacitĂ© de le comprendre, c’est malheureux. 

Non, les femmes ne sont pas des objets. Nous ne sommes pas faibles et n’avons pas besoin d’homme pour nous protĂ©ger. Les femmes sont et resteront des ĂȘtres humains indĂ©pendants qui mĂ©ritent le respect et une garantie de vie similaires Ă  celle des hommes. 

Sans nous, ils ne sont rien. 

En intĂ©grant le poste de police de Bratislava, je ne m’attendais pas Ă  grimper les Ă©chelons aussi rapidement. Sans l’aide de Sandro, Adem et Viktor, je serais sans doute en train de moisir dans les basses villes pour trouver un job. J’ai conscience de souvent mettre les hommes dans le mĂȘme panier, mais je pourrais embrasser le sol d’avoir donnĂ© un peu de conscience et d’intelligence Ă  certains. 

Sandro, un beignet dans la main et l’autre partie dans sa bouche, se plaint depuis que j’ai coupĂ© le contact. Ses cheveux Ă©bouriffĂ©s me donnent envie de les recoiffer. Si je ne le savais pas si bordĂ©lique, je l’aurais fait depuis longtemps. Il est le modĂšle typique du flic amĂ©ricain avec ses sucreries, sa dĂ©sorganisation ainsi que sa flemmardise. 

Il est attachant et je suis contente d’ĂȘtre tombĂ©e sur lui Ă  mon arrivĂ©e. 

— À quoi tu penses ? questionne-t-il en s’essuyant la bouche avec la chemise blanche de son uniforme. Je suis sĂ»r que tu regrettes d’avoir acceptĂ© cette mission seule et que tu me veux avec toi. 

— Dans tes rĂȘves, le gĂ©nie. Je me demandais juste comment tu fais depuis toutes ces annĂ©es pour t’enfiler un paquet de beignet Ă  toi seul sans jamais recourir aux chiottes Ă  proximitĂ©. 

Il ricane avant de s’appuyer contre le siĂšge, le crĂąne sur l’appui-tĂȘte. Ses fossettes apparaissent quand un sourire vient habiter ses lĂšvres. Regard fixe droit devant lui, sans jamais me prĂȘter attention. 

Ce serait mentir de dire que Sandro n’est pas un bel homme. Ses traits asiatiques ont longtemps Ă©tĂ© un sujet tabou avec les autres membres de l’équipe. Tout comme le sexisme, le raciste banalisĂ© est encore beaucoup trop prĂ©sent. MalgrĂ© des annĂ©es de lutte et d’acharnement, il est triste de remarquer que l’Homme n’a pas l’esprit aussi ouvert qu’il veut le faire croire.

— J’ai un bon organisme, rien de plus ! s’amuse-t-il. Et encore, t'as pas vu tous les cookies que je mange une fois chez moi.

— Idiot.

Ses cheveux noirs sont tirĂ©s en arriĂšre, ce qui donne une vision complĂšte sur son visage. De son cĂŽtĂ© gauche, une cicatrice partant de son arcade s’étend jusqu’à sa lĂšvre infĂ©rieure. Aussi infimes soient-elles, d’autres balafres recouvrent partiellement sa mĂąchoire, se rĂ©pandant jusqu’à la naissance de son cou. 

GĂȘnĂ© que je fixe cette partie aussi longtemps, Sandro passe une main sur cette partie aprĂšs avoir avalĂ© la derniĂšre bouchĂ©e de son goĂ»ter. Il m’évite plus que jamais et mon cƓur se serre. Je comprends que malgrĂ© tous les efforts possibles, mon ami ne pourra sans doute jamais rĂ©ellement trouver une quelconque beautĂ© Ă  travers toutes ces marques. 

Je dĂ©tourne le regard pour reculer mon siĂšge au maximum dans le but de baisser le dossier. Jambes Ă©cartĂ©es pour me sentir plus Ă  l’aise, je rĂąle quand ma nuque craque aprĂšs un seul mouvement alors que la chaleur me monte Ă  la tĂȘte. Si je n’attrape pas de migraine dans les prochaines heures, je suis une grande chanceuse. 

— T’as pas une clope Ă  me dĂ©panner ? Les miennes sont dans ma veste.

Mon collĂšgue souffle et regarde mon blouson sur le siĂšge arriĂšre. Il m’envoie son coude dans les cĂŽtes tandis que l’envie de lui tirer les cheveux me dĂ©mange. Sandro sort son paquet de la boĂźte Ă  gant et moi le briquet de ma poche.

— T’es vraiment une droguĂ© Svet, c’est pas possible. Je pense mĂȘme Ă  te les facturer. 

— MĂȘme pas en rĂȘve p’tit gĂ©nie.

Il lÚve les yeux au ciel sans me quitter des yeux. Son attention est portée sur la clope qui se consume un peu trop rapidement. Presque déjà à moitié, je baisse la vitre pour ne pas nous intoxiquer et pouvoir me débarrasser des cendres. 

— La mission commence dans peu de temps. Tu te sens vraiment prĂȘte Ă  te jeter dans la gueule du loup ? 

Si je ne le connaissais pas aussi bien, je pourrais penser qu’il s'inquiĂšte pour moi. Il cherche par tous les moyens Ă  me faire abandonner et je ne souhaite pas en connaĂźtre la raison. Rares sont les gros dossiers dans ce genre, et c’est une opportunitĂ© pour tous. Voir sa carriĂšre grimper aussi vite avec une seule affaire est le rĂȘve absolu et, parfois, je me demande si nous avons bel et bien choisi le bon mĂ©tier. 

Il n’existe plus de mon flic comme avant, mĂȘme si je doute qu’au fond, ils n’ont jamais rĂ©ellement existĂ©s. Leur montĂ©e en grade est la seule option pour eux, ne se prĂ©occupant plus —ou voir plus du tout— du vrai danger. 

— Tu aurais dĂ» faire un constat au boss si tu voulais Ă  tout prix cette mission, crachĂ©-je en le dĂ©visageant. Ce n'est pas la peine de me mettre le doute Ă  quelques jours du grand moment, tu me connais mieux que personne. 

— Effectivement, je te connais mieux que personne, reprend-t-il avec amertume, se dĂ©tournant. Et je suis déçu de voir que ce n’est pas ton cas en pensant que je ne m'inquiĂšte pas pour toi. 

Ma respiration se coupe un instant. Finalement, il a peut-ĂȘtre raison. Je n’aime pas penser qu’un autre que moi puisse se prĂ©occuper de ma personne. 

— Notre contrĂŽle est terminĂ©. Rentrons. 

Ces derniers mots nous plongent dans un silence glacial, et je regrette un instant de ne pas avoir vu la vĂ©ritĂ© en face. Sandro n’est peut-ĂȘtre pas mon ennemi, mais pas non plus mon alliĂ©. 

***

La rĂ©flexion n’est pas faite pour tout le monde. En ce moment mĂȘme, je me demande sincĂšrement comment l’ĂȘtre humain peut ĂȘtre si dĂ©muni de bon sens. 

Les bras croisĂ©s contre ma poitrine, je fixe le suspect face Ă  moi. Anatoli Belinski, de sexe masculin, ĂągĂ© de vingt-six ans. Homme de taille moyenne et de corpulence normale. Ce russe a atterri sur le sol Slovaque il y a maintenant plusieurs heures et n’a pas dĂ©crochĂ© le moindre mot. Il est confiant, pourtant, s’il essaie de le cacher, il se sent Ă  l’aise. Un peu trop pour une premiĂšre garde Ă  vue, d’ailleurs. 

Casier vierge, Anatoli n’a commis aucune infraction depuis sa naissance. Nos confrĂšres russes ne nous ont pas rĂ©pondu depuis notre demande pour plus d’informations Ă  son sujet. Les radars satellites sont brouillĂ©s et je ne peux mĂȘme pas demander Ă  ce qu’on les pirate pour y trouver une quelconque information. 

Je claque ma langue contre mon palais pour attirer son attention. Son regard noir rencontre le mien, un sourire s’étire sur mes lĂšvres. Je ne sais depuis combien de temps on reste lĂ , en chien de faĂŻence, pour dĂ©couvrir qui de nous deux dĂ©tournera les yeux. 

— Pour la troisiĂšme fois, je ne vois pas en quoi acheter un tĂ©lĂ©phone Ă  clapet pose problĂšme. 

— Utiliser son smartphone personnel en arrivant dans un nouveau pays est une base solide, non ? Pourquoi avoir besoin d’un tĂ©lĂ©phone prĂ©payĂ© si vous en avez dĂ©jĂ  un ? 

Le suspect soupire avant de basculer sa tĂȘte vers l’arriĂšre. Rempli de dĂ©sespoir, il tourne son regard vers moi, ses yeux me suppliant d’intervenir en sa faveur. 

— La question n’est pourtant pas si compliquĂ©e, si ? demandĂ©-je sans parvenir Ă  cacher mon rictus. RĂ©pondez, nous avons des problĂšmes plus importants Ă  gĂ©rer. 

— Mais putain, je vous dis que j’ai rien fait de mal ! Vous n’avez pas le droit de me garder sans aucune preuve qui m’incrimine de quoique ce soit !

Le silence s’installe et je me tourne vers Viktor qui ne semble pas vouloir lĂącher l’affaire. Le tĂ©nĂ©breux est, certes, mon ami, mais, au travail, il n’est rien d’autre qu’un collĂšgue. Jamais il n’a agi de cette maniĂšre. 

Je le regarde du coin de l'Ɠil sans intervenir davantage. Les mains croisĂ©es l’une contre l’autre sur la table en mĂ©tal, la tension est visible. Sa mĂąchoire se contracte toutes les minutes. S’il n’en a pas terminĂ© rapidement, Viktor utilisera le sang d'Anatoli comme nouvelle peinture pour les murs. 

MalgrĂ© tout, le russe a raison. Nous n’avons aucune preuve de ce que Viktor avance et mĂȘme si c’était le cas, ce n’est rien d’assez solide pour ouvrir une enquĂȘte Ă  son Ă©gard. Mon collĂšgue est sous tension, c’est la seule explication concrĂšte que je trouve. Cette affaire nous met tous sur les nerfs. 

— Vous passerez la nuit derriĂšre les barreaux, histoire de rĂ©flĂ©chir plus clairement Ă  vos agissements. 

— Quoi ?

Il se lĂšve sans plus de cĂ©rĂ©monie sous les yeux du suspect et des miens. Viktor a franchi la limite imposĂ©e et je m’empresse de quitter la salle d'interrogatoire Ă  mon tour. Sa dĂ©marche, bien qu’elle soit rapide, me permet de faire le tri dans mon esprit. Comment en sommes-nous arrivĂ©s lĂ  ? 

— Viktor ! Je peux savoir ce que tu fais ? s’écrit le boss, faisant tourner tous les regards vers nous.

Sous son air cool se cache un cÎté sombre que je ne préfÚre pas voir. Son uniforme, légÚrement petit, met en avant son flingue de service.

— Mon travail, car il semblerait que les flics d’aujourd’hui se soient un peu trop Ă©pris de la corruption. 

Mon souffle se coupe, et, d’un geste de tĂȘte, il me fait signe de le suivre dans son bureau. Je ferme la porte avant de la verrouiller dans l’espoir d’avoir une conversation avec lui. Je n’ai pas face Ă  moi mon collĂšgue de travail, mais mon ami. 

Viktor se tire les cheveux en arriÚre pour parvenir à reprendre son calme. Dans ce genre de situation, il vaut mieux le laisser se gérer seul pour éviter une crise de colÚre. Il a beau savoir se gérer seul, un rien peut devenir un déclencheur. 

— Qu’est-ce qui se passe ? soufflĂ©-je entre mes lĂšvres, m’installant sur son bureau tandis qu’il prend place sur son fauteuil Ă  roulettes, me faisant face. 

Il faut quelques minutes pour qu’il reprenne son souffle. Comme s’il avait fait un marathon, il desserre sa cravate pour finalement la retirer complùtement. La jetant  à travers la piùce, il compte jusqu’à cinq pour faire quitter la pression que son corps subit.

— Svetlana, c’est une mission suicide, s’agite-t-il, comme s’il risquait sa place en parlant. Ils ne disent pas tout, il y a trop d’incohĂ©rence


— Mais tu racontes quoi là ? Sois plus clair Viktor, je comprends rien. 

Il secoue la tĂȘte, encore et encore. Cela n’arrange rien Ă  la situation, mais il s’arrĂȘte subitement. Viktor fixe du coin de l'Ɠil le coin de la piĂšce et, sans qu’il y ait besoin de plus d’explication, tout s’éclaire dans ma tĂȘte. 

Nous sommes surveillés et sur écoute. 

Cette fois-ci, c’est moi qui pars en vrille. Je ris comme si tout cela Ă©tait une mauvaise blague mais les paroles de Viktor me reviennent. 

Il semblerait que les flics d’aujourd’hui se soient un peu trop Ă©pris de la corruption. 

Alors, c’est pour cela que j’ai donnĂ© de ma personne ? Pour que l’argent achĂšte absolument tout, mĂȘme les plus braves d'entre nous ? 

— Écoute, je ne sais pas ce que tu racontes mais tu divagues complùtement, repris-je sous son regard noir. Tu penses vraiment que le boss serait du genre à me jeter dans la gueule du loup ? Plutît crever, ouais. 

— Svet


— Ça suffit, maintenant. Ferme lĂ  avant que je ne fasse un rapport pour ton comportement plus que dĂ©plorable, crachĂ©-je en cognant ma main contre son bureau. Nous ne sommes pas dans une sĂ©rie tĂ©lĂ©visĂ©e amĂ©ricaine, arrĂȘte ton cirque. 

Un blanc s’installe entre nous. Ses lĂšvres s’entrouvrent et se referment. Il veut me parler, tout dĂ©baller, mais il ne le fera pas. Pas entre ces quatre murs. SĂ»re de moi, je le fixe avec intensitĂ© pour prononcer les mots qui pourraient provoquer un Ă©lectrochoc. 

— Ma mĂšre t’invite Ă  dĂźner. Ce soir. TĂąche de ne pas ĂȘtre en retard. 

***

Dix minutes. Cela fait dix minutes que j’attends en bas de mon immeuble comme une sombre idiote. Il faut bien l’avouer, j’ai Ă©tĂ© bĂȘte de penser que Viktor allait, pour une fois dans sa vie, ĂȘtre Ă  l’heure pour un sujet aussi important soit-il. Aucun message de sa part pour me prĂ©venir,c’est tout lui. 

Une clope entre les lĂšvres, elle se consume Ă  mesure que j’aspire la nicotine qui dĂ©tend mes muscles. Mon col roulĂ© noir n’est pass suffisant pour me rĂ©chauffer. À cet instant, j’ai envie d’étriper Viktor pour me faire patienter dehors. Il se mangera mon coude pour me faire patienter de la sorte. 

Une porte claque derriĂšre moi et les cris me font froncer les sourcils. Habituellement, Ă  cette heure-ci, seul le calme est tĂ©moin de mon cĂŽtĂ© toxique avec les cigarettes. En plein milieu d’aprĂšs-midi, il est plutĂŽt rare d’entendre un boucan monstre dans l’immeuble ou dans ses alentours. Les seules personnes susceptibles de crĂ©er un tel raffut ne sont autres que les jumeaux. 

Quelle fut ma surprise en les dĂ©couvrant se chamailler —comme toujours— pour un sujet que j'ignore. Pour ĂȘtre honnĂȘte, je ne veux mĂȘme pas ĂȘtre mĂȘlĂ©e Ă  cela. Ce ne serait d’ailleurs pas une surprise de les voir au sol pour dĂ©terminer qui des deux est celui qui a la force d’étrangler l’autre.

— 
 j’ai beau te le rĂ©pĂ©ter, tu ne m’écoutes jamais de toute façon ! rĂąle Silvester en agitant ses mains dans tous les sens. C’est pas normal et on a beau ĂȘtre dans un quartier de dĂ©glinguer, ce genre de merde n’arrive que dans des sĂ©ries tĂ©lĂ©visĂ©es. Et puis tu l’as vue ? On dirait que


— Svetlana ? 

Comme sauvĂ© par le gong, Stanislav abandonne son frĂšre sous son regard outrĂ© et je ris en voyant son expression. Ce dernier croise d’ailleurs ses bras contre sa poitrine et soupire comme un gamin. MĂȘme si je vois qu’un sourire tente de se placer sur ses lĂšvres, je n’y prĂȘte pas attention. Le regard de Stanislav et la seule chose qui me retient Ă  cet instant. 

— Y’a pas quelque chose qu’on devrait savoir par hasard ? me voyant froncer les sourcils, il reprend non sans me fusiller du regard. T’as beau ĂȘtre une flic, on est tous dans le mĂȘme panier Svet. Si l’un de nous est dans la merde, nous le sommes aussi. 

Je souffle comme un bƓuf sous le ricanement de Silvester, qui, baisse la tĂȘte aprĂšs la claque derriĂšre qu’il vient de recevoir. De mon cĂŽtĂ©, il m’est impossible d'acquiescer le moindre sourire. Habituellement, ces deux-lĂ  sont l’une des sources de mon bonheur. Nos moments passĂ©s ensemble, mĂȘme rares, me permettent de garder la tĂȘte hors de l’eau quand j’ai affaire Ă  des dossiers un peu trop compliquĂ©s. 

— Sois plus clair, parce que je ne sais pas de quoi tu parles. 

Le plus sĂ©rieux des jumeaux me tend son tĂ©lĂ©phone sur lequel un fond noir apparait. Un texte d’au moins une dizaine de lignes en couleur blanche le remplit, tandis que des effets rouges clignotent pour but d’attirer l’attention. 

Mon souffle se bloque dans mes poumons et le tĂ©lĂ©phone entre mes mains peut tomber Ă  tout moment. Ce n’est pas uniquement mes doigts qui sont pris de tremblement, mais bel et bien l'entiĂšretĂ© de mon corps. Je sens la chaleur monter et aprĂšs avoir terminĂ© la lecture du message, je croise le regard des jumeaux. Aucun des deux n’a bougĂ©, attendant le verdict final. 

Ma plus grande peur est de partir au quart de tour devant les autres, surtout en compagnie de ces gamins. Ils me sont prĂ©cieux, et pour rien au monde je ne prendrais le risque de les perdre parce que je ne sais pas me gĂ©rer. Parce que ma mĂšre m’a attribuĂ© son pire dĂ©faut. 

— C’est bon ? Tu comprends maintenant ou c’est pas assez clair ?

— Silv’... interrompt son frùre. 

— Quoi ? crache Stanislav en remettant sa capuche sur sa tĂȘte aprĂšs un coup de vent. On a le droit de comprendre pourquoi on retrouve une mise Ă  prix de la tĂȘte de notre amie sur le darknet, non ? 

Un bruit de moteur attire notre attention. Je n’ai pas besoin de me retourner pour savoir de qui il s’agit. Quand une main se pose brusquement sur mon Ă©paule et qu’un raclement de gorge se fait entendre, ma supposition ne fait que se confirmer. Le brusque changement d’attitude de Silvester et Stanislav ne me perturbe pas plus que cela. J’y rĂ©ponds avec un haussement de sourcils. 

— Je suis au courant, le coupĂ©-je en redonnant le tĂ©lĂ©phone au jumeau pour rencontrer le regard de Viktor. On doit les mettre sur le dossier, il n’y a plus le choix. 

— ArrĂȘte de raconter des conneries ! 

Viktor passe ses mains dans ses cheveux en observant les alentours, tout comme Stanislav l’a fait aprĂšs l'arrivĂ©e de mon collĂšgue. Il ne le quitte pas des yeux et ne cherche pas Ă  cacher la mĂ©fiance qu’il Ă©prouve. Il renifle avec dĂ©dain tandis que mon collĂšgue rĂ©pond par un sourire. 

De l’amour à la haine, il n’y a qu’un pas. 

C’est ce que l’on dit, non ? Pourtant, je suis persuadĂ© que ces deux lĂ  ne pourront jamais se blairer. Le Stan’ a, depuis toujours, une mĂ©fiance presque impensable vis-Ă -vis des flics. Accepter l’idĂ©e que j’en sois une a Ă©tĂ© trĂšs compliquĂ© pour lui. DĂ©sormais, il sait qu’il n’a pas Ă  me mettre dans le mĂȘme panier que ces incapables qui ne font pas leur travail. Ou qui base leur source Ă  la seule vue de la couleur de peau sans chercher Ă  les innocenter. 

— Rentrons. 

Mon ton brusque m’attire tous les regards et je me dĂ©pĂȘche de fuir avant de sentir mes joues rougir. Ce que je dĂ©teste par-dessus tout est d’ĂȘtre au centre de l’attention. Savoir que les autres ont le pouvoir de deviner mes Ă©motions me plonge dans un malaise pesant.

J’entre dans l'immeuble en silence. Stanislav, Silvester et Viktor sur mes talons, je laisse la porte de mon appartement ouverte pour m’installer dans mon divan. La piĂšce sobre me donne parfois envie de me jeter par la fenĂȘtre, mais, cette simplicitĂ© me fait me sentir chez moi. 

— Tu laisses la porte ouverte chez ta mùre ? 

Viktor me lance un regard glacial avant de la fermer sous le rire de Silvester. Ce dernier, contre toute attente, semble avoir baissé sa garde. 

Les jumeaux s’installent prĂšs de moi sur le canapĂ©, Stanislav Ă  ma droite tandis que son frĂšre se trouve Ă  sa gauche. Viktor, lui, reste debout, face Ă  nous, maintenu par le mur adjacent Ă  la cuisine. Le silence, plus pesant que jamais, pourrait me faire Ă©touffer si la fenĂȘtre n’était pas grande ouverte. Je me retiens de sortir une cigarette pour que les effets de la nicotine me dĂ©tendent. 

— Alors ? souffle Stanislav, impatient en croisant ses bras contre sa poitrine. On peut savoir c’est quoi ce bordel ? 

— Dans tes rĂȘves, gamin, cette histoire ne vous concerne pas. 

— Gamin, moi ? s’emporte le noir en se redressant, prĂȘt Ă  bondir sur Viktor Ă  tout moment. Notre sƓur est impliquĂ©e dans une affaire archi douteuse et on doit te faire confiance les yeux fermĂ©s ? 

Je lĂšve les yeux au ciel, incapable de retenir le sourire attendrie qui s’approprie mes lĂšvres. Leur sƓur ? J’ai pas que cela Ă  faire de gĂ©rer des gamins. Seulement, j’ai beau me rĂ©pĂ©ter cette phrase, les battements anormaux de mon cƓur me prouvent que ce n’est qu’un mensonge. Il m’est inimaginable de penser Ă  ma vie future sans eux. Ils ont Ă©tĂ© prĂ©sents pour moi du dĂ©but Ă  la fin et je le serai en retour pour eux. 

— Vous pouvez pas la fermer deux minutes, sĂ©rieusement ? 

Mon rĂąle nous plonge dans un silence. Pas pesant, mais angoissant. Les regards froids de Viktor et Stanislav me sondent tandis que Silvester joue avec la manche de son pull. Il n’a jamais Ă©tĂ© le plus bavard de nous et dans ces situations, prĂ©fĂšre laisser son frĂšre tout gĂ©rer Ă  sa place. Il ne raffole pas des conversations sĂ©rieuses.

— Les autoritĂ©s japonaises, on ne sait trop pourquoi, nous ont refilĂ© une affaire. Une grosse affaire, insistĂ©-je. Une jeune femme a Ă©tĂ© retrouvĂ©e morte, noyĂ© dans le lac d’un couple haut placĂ©. Le dossier de l’enquĂȘte est beaucoup trop vide pour pouvoir trouver un suspect ou avoir mĂȘme une idĂ©e de ce meurtre. 

— Qu’est-ce qui te fait dire que c’est un meurtre ? commente Stanislav en fronçant les sourcils. Elle a trùs bien pu se noyer et voilà. 

— Voila ? 

C’est Ă  mon tour de plisser les yeux, envoyant des Ă©clairs Ă  celui qui a eu l'audace de prononcer ce simple mot. 

— On parle du corps sans vie d’une jeune femme. Des bleus ont Ă©tĂ© retrouvĂ©s sur son corps et son genou a Ă©tĂ© disloquĂ© et c’est tout ce que tu trouves Ă  dire ? Mais bordel, elle Ă©tait encore vivante quand on l’a dĂ©boitĂ© !

Ma phrase se termine dans un haussement de voix. Je tente par tous les moyens de contenir mes tremblements, mais rien Ă  faire. Le destin s’est sans doute liguĂ© contre moi pour vouloir me faire pĂ©ter les plombs Ă  quelques jours dĂ©cisifs de la rentrĂ©e de cette petite peste, et me voila sur le point de tout foutre en l’air. 

Viktor se dĂ©colle du mur, prĂȘt Ă  intervenir Ă  n’importe quel moment. Cependant, mon regard reste figĂ© dans celui de Stanislav qui se dĂ©compose. Il sert la mĂąchoire pour s’empĂȘcher de rĂ©pliquer tandis que je me mords la lĂšvre. Le goĂ»t mĂ©tallique du sang se propage dans ma bouche et retient une grimace de derniĂšre minute. 

— On est aussi dĂ©passĂ© par les Ă©vĂ©nements Svet, ajoute Silvester pour tenter une approche. Du jour au lendemain, on apprend que ta tĂȘte est mise Ă  prix, que tu es sur une affaire pour meurtre
 Pour meurtre, je sais pas si tu te rends comptes que celui ou celle qui se cache derriĂšre tout ça est prĂȘt Ă  tout pour se faire livrer ta tĂȘte dans sa boite Ă  lettre. 

Je m’affale dans le tissu. En effet, je commence Ă  prendre conscience qu’il a raison. Que toute cette histoire est vraiment tirĂ©e par les cheveux, et, par la mĂȘme occasion, que le meurtrier est prĂȘt Ă  tout pour sauver ses fesses.

Au dĂ©part, cette affaire ressemblait Ă  tout ce Ă  quoi j’ai toujours voulu faire. RĂ©pandre la justice comme elle le mĂ©rite. Au fil des jours, je commence Ă  penser que quelque chose cloche vraiment dans cette histoire. Les remarques de Viktor au poste ne m'ont pas aidĂ© et ce rĂ©sumĂ© du jumeau non plus. Les informations ne cessent de se mĂ©langer et je remercie intĂ©rieurement mon collĂšgue et ami de vouloir prendre mon parti. 

— Dangereux ou pas, il est trop tard, rĂ©torque-t-il sombrement. Elle intĂ©grera votre lycĂ©e pour coincer l’une des principales suspectes. Il est trop tard pour avoir des remords ou vouloir faire un retour en arriĂšre. 

Mon destin est scellĂ© Ă  partir de maintenant, et j’espĂšre ĂȘtre prĂ©sente pour placer Valeskia Polakova derriĂšre les barreaux. 

— Comment ça, elle va au lycĂ©e avec nous ? 

Le plus actif des jumeaux se relÚve à cette information pour me regarder avec une drÎle de mine. 

— Tu vas essayer de repasser le bac ? s'Ă©crit-t-il sous le rire de Viktor et de la mine dĂ©faite de son frĂšre. 

Il faudra beaucoup de temps pour lui expliquer.

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