Défi n°3 - Les mots imposés, 19 avril au 03 mai 2025
Liste 1 : Antenne - Organisation - Ambassadeur - Rouille - Dernier
Liste 2 : Moule - Crédit - Chic - Conservateur - Veuve
Liste 3 : Sirop - Saucisse - Crochet - Ceinture - Prisme
Tag se demandait si cette journée infernale allait finir par s’achever ou si elle allait finir par l’achever, lui. Tout avait si bien commencé… il aurait dû se douter que cela n’allait pas durer, que les problèmes allaient vite le rattraper.
— Par mes antennes, quelle idée j’ai eu d’accepter ce poste de garde ! J’aurais mieux fait de m’abstenir, marmonnait-il entre ses mandibules alors qu’il avançait à foulées pressées dans le labryrinthe des couloirs de la colonie.
Il tournait au coin d’un virage serré quand une masse le percuta de plein fouet, envoyant voler le fragment rond de saucisse qu’il portait tant bien que mal au-dessus de sa tête. Sa précieuse prise lui échappa et vola jusqu’à la paroi opposée contre laquelle elle rebondit pour aller assomer un très chic individu.
— Mais c’est pas vrai ! Fais donc attention où tu vas, soldat.
Tag, aussitôt son équilibre retrouvé, s’empressa de s’excuser auprès de la belle demoiselle qui lui faisait face, la demoiselle qui venait de le percuter. La demoiselle responsable de cet accident. Mais Tag n’était personne, rien qu’un soldat, et le dernier au pied de la hiérarchie militaire avec ça. À peine assez bien pour qu’on l’autorise à être chaire à canon — qui sait, peut-être que ça aussi, il le raterait. Après tout Tag a toujours été connu pour celui qui rate tout ce qu’il entreprend, à croire que le moule du parfait petit soldat s’était cassé avant sa naissance.
La belle offensée le contourna, son menton levé haut, prenant bien garde à pas ne serait-ce que frôler Tag ; on disait que son manque de talent inné pour quoi que ce soit était contagieux. Elle ne fit que quelques pas avant de pousser un cri d’effroi.
Tag se figea sur place avant de se retourner lentement dans la direction de la demoiselle pour voir ce qui lui causait un tel émoi. Elle était au chevet du très chic individu assomé par le fragment de saucisse.
— Monsieur l’ambassadeur, réveillez-vous ! Je vous en prie, monsieur l’ambassadeur !
Une pierre lui tomba dans l’estomac “Monsieur l’ambassadeur” ? Tag pâlit, si tant est qu’une fourmi puisse pâlir. La belle demoiselle se tourna vers lui, du venin dans les yeux.
— Toi. As-tu la moindre idée de ce que tu as fait ? S’il meurre… sa veuve…
Un long frisson parcourut son corps et elle redoubla d’efforts pour ranimer l’ambassadeur évanoui, ses suppliques entrecoupées de références à la mystérieuse potentielle veuve.
— Soldat, ordonna-t-elle soudainement, va chercher du Sirop, vite !
Du sirop ?
— Oui madame, répondit Tag en essayant de dissimuler sa perplexité, tout de suite madame.
Il s’empressa de se diriger vers les réserves, chaque seconde compte lors d’un accident tel que celui-ci. Le jeune soldat n’avait aucune idée des effets de l’usage de sirop dans les cas de perte de connaissance infligés par des bouts de saucisses volantes. Malgré son septicisme marqué, le jeune soldat allait aussi vite qu’il le pouvait, slalomant entre les ouvrières et les autres soldats aussi rapidement que ses réflexes le lui permettaient.
Tag fini par arriver aux réserves. Sa course folle s’acheva dans une glissade qui l’envoya se fracasser dans la paroi de la petite cave. Par chance sa trajectoire évita de peu les piles d’aliments précairement empilés, un peu plus et il fichait en l’air l’organisation des réserves alimentaires de toute la fourmilière !
— Tout va bien jeune homme ?
Un visage ancien, antique même, surplombait Tag, ses yeux plissés d’une inquiétude sincère.
— Sirop ? Accident. Besoin. S’il vous plaît.
— Je ne suis pas sûr de comprendre mon garçon. Du Sirop ? Un accident ?
Tag acquiesça faiblement, les effets de sa propre chute rendant sa réflexion difficile. Il tenta de remuer une patte, puis une autre jusqu’à ce qu’il soit sûr que chacun de ses six membres soit en état de fonctionner, après quoi, il se mit debout précautionneusement.
— Et voilà.
Le vieux gestionnaire des réserves lui tendit un baton au crochet duquel pendait un petit récipient fait d’une fine couche de métal tacheté de rouille ; Tag le réceptionna avec douceur entre ses mandibules. Au fond de la fiole brillait l’éclat luisant du sirop et une douce effluve sucrée montait jusqu’à ses narines, séductrice.
— Et fait attention à toi, mon garçon, c’est une vilaine chute que tu viens de faire.
Tag acquiesça une nouvelle fois en silence, mais avec plus de force que précédemment. Il entreprit le chemin inverse de l’aller, attentif à ne pas trop agiter le fragile récipient. Sa tête lui tournait légèrement et il dut rebrousser deux fois son chemin après avoir pris la mauvaise intersection. Il atteignit enfin le lieu de l’accident de l’ambassadeur, celui-ci étant toujours évanoui à son arrivée.
— Ah ! Pas trop tôt, tu as fait le tour du pays avant de revenir ?
— No–
— Tcht. Ne réponds pas, ce n’était pas une question. Disparaît, soldat.
Bien que sa curiosité le poussa à rester, Tag obéit sur le champs à la demoiselle. Vu le nombre de désastres qu’il avait déjà initiés depuis ce matin, il valait mieux pour tout le monde qu’il s’empresse de rentrer chez lui, là où il ne pourrait plus blesser personne, ce qu’il fit non sans ronchonner tout du long.
Tag commençait à en avoir marre. Il en avait marre d’être considéré comme un danger ambulant ; marre d’être perçu comme un raté. Marre que personne ne lui donne jamais de crédit pour toutes les choses qu’il faisait bien, parce que oui, il lui arrivait de faire des choses bien. Mais il restait toujours Tag l’Échec aux yeux de la colonie. Il resterait toujours Tag l’Échec, c’était comme ça qu’il était né et c’est comme ça qu’il mourrait.
— Non, s’exclama-t-il soudainement alors qu’il passait dans une galerie presque déserte à la périphérie de la colonie, c’est terminé ! À partir d’aujourd’hui je ne serai plus Tag l’Échec ! Je refuse ce prisme, ce mode de pensée conservateur ! Ce déterminisme ! Nous ne sommes pas destinés à rester les mêmes toute notre vie. Je leur prouverai, oui, je leur prouverai !
Et ainsi exalté par ses propres paroles, Tag s’enfonça dans une galerie inconnue, une de celles qui font une ceinture tout autour de la fourmilière, une frontière protectrice contre les dangers du vaste monde et patrouillée par l’élite d’entre les élites. Ce soir allait être le premier jour du reste de sa vie, une vie libérée de la pression de la fourmilière, libérée de l’échec de sa vie. Oui, Tag le sentait, ce moment marquait un nouveau départ, une renaissance.
Liste 1 : Antenne - Organisation - Ambassadeur - Rouille - Dernier
Liste 2 : Moule - Crédit - Chic - Conservateur - Veuve
Liste 3 : Sirop - Saucisse - Crochet - Ceinture - Prisme
Pour ce qui est de son périple... ahem, j'ai décidé de ne pas le partager parce que j'aime à croire qu'il peut atteindre le bonheur...