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PaulineGallois
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Chapitre 8

Au petit matin, je quitte l'auberge vêtue d'une chemise et d'un pantalon de marin volé sur une des cordes à linge de la blanchisserie de l'auberge. J'ai laissé ma robe sur une pile de linge. La soie à elle seule, même abîmée, vaut encore plusieurs dizaines de francs. Cela devrait suffire à dédommager le tenancier si on lui réclame des comptes. Du moins, j'essaie de m'en persuader pour étouffer mes scrupules.

Je n'ai conservé que la lettre de mon oncle, tâchée d'humidité, le globe en verre et un des sachets de gros sel que je garde toujours dans mes poches. Maintenant que je n'ai plus mes vêtements soigneusement ourlés par Hortense, la magie s'est rapprochée et forme un cercle timide autour de mes jambes.

J'essaye d'en ignorer le murmure insistant.

Mon sommeil a été ponctué de cauchemars, peuplé d'ombres pesantes, et les sifflements du flux, plus puissants que jamais, ont failli me rendre folle.

Lorsque j'ai voulu me débarbouiller, à l'aube, le miroir m'a renvoyé une image étrange. Celle d'un adolescent maigrichon, le visage hâve, les cheveux en bataille, grossièrement taillés.

Je souffle sur mes mains et un nuage de vapeur s'échappe de ma bouche tandis que je marche vers le port. J'ai laissé mes gants derrière moi. Quand je songe que je rechignais à les porter à la maison... À présent, leur absence m'angoisse.

Je croise des marins vacillants, visiblement encore éméchés de la veille et mon corps réagit instinctivement en s'écartant avec effroi.

— Dégage, gamin, râle un pêcheur barbu en me gratifiant d'un coup d'épaule.

Je reste immobile, paralysée et tremblante.

Le pêcheur poursuit sa route sans me prêter plus d'intérêt. Des dockers me dépassent sans me jeter la moindre œillade. C'est comme si j'étais devenue invisible.

J'enfonce mon bonnet de laine sur mes cheveux coupés ras et me remets en route pour déboucher sur les quais.

L'orage a rincé les pavés des dépouilles de poissons et un brouillard léger monte de l'eau saumâtre. Un peu partout, on déferle les voiles, et on embraque les cordages. Des cris résonnent poussés tantôt par les équipages des navires, tantôt par les mouettes qui tournoient déjà autour des mâts.

Ma poitrine se serre en détaillant les visages des hommes sur le port. J'identifie certains que j'ai interrogés la veille et me détourne de peur qu’ils me reconnaissent. J'évite les dockers car leur simple vue me coupe la respiration. Si par horreur je reconnaissais la voix d'un de mes agresseurs, je crois bien que je perdrais tout ce qu’il me reste de courage.

Au bout d'un long moment d'hésitation, mon choix se porte sur un petit chalutier à la coque écaillée. Son propriétaire démêle un filet de pêche en préparation du départ et je ne crois pas l'avoir déjà vu.

— Bonjour, je lui lance timidement.

J'ignore si c'est ma voix fluette ou ma diction qui me trahissent, mais l'homme me toise en fronçant le nez.

— Je cherche un bateau pour traverser.

— Combien ? grommèle-t-il tout en mâchonnant sa chique.

Je déglutis et triture le col rêche de ma chemise. Nous y sommes. La partie épineuse du problème.

— Je n'ai pas grand-chose... je commence. Mais je peux travailler avec vous en guise de paiement ?

Son regard parcourt mon corps, mes bras et s'arrête sur mes mains. La magie tourne paresseusement et de temps à autre un fil d’énergie se tend vers moi, comme pour m'effleurer. J'use de toute ma volonté pour ne pas reculer.

— T'as déjà pêché en haute mer, mon gars ?

— Oui, je mens.

Son expression m'indique clairement qu'il n'en croit pas un mot. Il crache son tabac dans l'eau.

— J'ai pas b'soin d'un môme dans mes pattes. Mon rafiot est trop petit pour que j'm’encombre d'un gringalet dans ton genre.

Je hoche la tête, déçue, mais pas surprise. Je m'apprête à faire demi-tour quand le pêcheur m'interpelle :

— Hep ! S'tu veux du boulot, j'crois qu'ils cherchent un mousse sur la Boussole.

— Quoi ?

— La Boussole, répète lentement le pêcheur avec l'air de penser que je suis demeurée. Le bateau. Là-bas. Un d'leur matelot m'a dit qu'ils feraient escale à Londres.

Il me désigne un trois-mâts amarré un peu plus loin. Sa taille écrase les navires de pêches alentours.

— Leur mousse a décarré hier.

J'oscille d'un pied sur l'autre hésitante.

— Pourquoi est-il parti ?

L'homme hausse les épaules et balaye ma question d'une main.

— Bah ! Qu'est-c'que j'en sais ? Pt'être qu'il comptait faire comme toi : traverser la mer et tailler sa route. Ou pt'être bien qu'il cuve sa paye, ivre mort au fond d'une taverne du port. Pas mes affaires. Moi j'te donne un tuyau gamin, t'en fait bien c'que tu veux.

Je murmure un remerciement et laisse l'homme à ses filets.

Les mains enfoncées dans les poches de mon pantalon, je me dirige lentement vers le navire qu'il m'a désigné.

J'observe son gréement d'un œil critique. Visiblement la Boussole est une bombarde qui a connu de meilleurs jours. Sa coque est passablement usée malgré les renforts en fer et je remarque de larges entailles dans le bois du bastingage.

Les abords du vaisseau sont en pleine effervescence. Des dockers hissent de lourdes caisses sur le pont à l'aide d'un système de poulies. J'avance en détaillant chaque homme, à la recherche du capitaine. Ou du moins de son second. Il doit forcément y avoir quelqu'un pour superviser le chargement...

— Toi là ! Écarte-toi ! me lance un géant sur le quai, emmitouflé dans un épais manteau de laine.

Je rentre la tête dans les épaules et me fige comme un lapin pris dans un collet. Le flux siffle et crache tel un chat effarouché.

— T'es sourd ? Tu veux te prendre un tonneau sur le coin de la tête ?

L'homme s'avance et m'attrape pour m'éloigner du rebord du quai. Je me dégage instinctivement et recule de plusieurs pas. Mon visage doit sembler si affolé que le marin lève les mains en l'air en signe de paix.

— C'est dangereux de traînasser si près du bord pendant les manœuvres. Qu'est-ce que tu fiche ici ?

— Je... je... bafouillé-je le cœur au bord des lèvres. Je... je...

— Tu tu tu, quoi ? T'es perdu ou bien ?

— Je cherche du... du travail. On m'a dit que la Boussole avait besoin d'un mousse.

Il se raidit, surpris. Ses yeux se plissent et je glisse à nouveau mes mains dans mes poches avant qu'il ne remarque mes doigts épargnés par le travail.

— T'es déjà monté sur un bateau au moins, petit ?

J'hésite. Mentir ne m'a pas aidé avec le pêcheur. J'ai beau m'être déguisée en marin, je n'en ai ni la carrure ni le phrasé. Je devine que cette fois encore mon mensonge sera vite percé.

— Non... je murmure. Mais je suis prêt à apprendre.

— C'est quoi ton nom ?

— Louis... Louis. Je m'appelle Louis. Louis Reynaud.

Je suis à deux doigts de me gifler. Pourquoi ai-je besoin de bafouiller et d'insister sur mon nom comme une ahurie ? L'homme doit me prendre pour un idiot consommé parce qu'il ne s'en formalise pas et désigne l'agitation sur le navire. Je peux entendre d'ici les cris fuser sur le pont tandis que tout l'équipage s'affaire.

— Bon, c’est ton jour de chance Louis. J’ai besoin d’un mousse et on largue les amarres dans quelques heures. Qu’est-ce que tu dis de ça ? Si t'as des affaires à emporter, je te conseille de...

— Je n'ai rien. Je suis prêt.

L'homme se tait et hoche la tête avec une moue, comme si croiser des adolescents sans le sou et sans un seul bagage était monnaie courante.

C'est peut-être le cas, je songe.

— Suis-moi.

Il me guide jusqu'à la passerelle et je grimpe à sa suite sur le navire. J'effectue mes premiers pas sur le pont d'un bateau dans un état presque second, partagée entre l'émerveillement et l'inquiétude. Dans d'autres circonstances, je jubilerais.

— Brebant ! tonne mon guide d'une voix si puissante qu'elle m'arrache un sursaut d'effroi.

Un matelot à la mine maussade tourne la tête dans notre direction. Il bloque le cordage entre ses mains sur un taquet du bastingage et s'avance en traînant ses longs pieds sur les planches mal calfatées du pont.

— M'sieur Leroy ?

— Je vous ai trouvé un mousse.

Le regard du marin s'éclaire puis s'assombrit en quelques secondes d'intervalle lorsqu'il m'aperçoit. Une moue déforme sa bouche.

— Sauf vot' respect m'sieur Leroy, j'crois que l'gamin est pas plus marin que j'suis danseuse de cancan.

— Eh bien, vous lui apprendrez le métier Monsieur Brebant. Et qui sait, il vous apprendra peut-être à danser. À moins que vous préfériez vous charger seul des corvées qui incombaient à ce sale petit déserteur dont j'ai déjà oublié le nom ?

— Gaston, grommèle Brebant la mine sombre.

— Voilà. Installez notre jeune ami et offrez-lui de quoi s'occuper. S'il est encore là au moment de larguer les amarres, considérez qu'il fait partie de l'équipage.

— Oui, Monsieur.

Leroy se tourne ensuite vers moi et me gratifie d'une tape sur l'épaule qui manque de m'envoyer au plancher.

— Tu viendras me voir dans les quartiers des officiers lorsque Brebant te donnera repos. Il faut t'inscrire au registre du navire.

— Je ne dois pas signer quelque chose avant de commencer plutôt ? osé-je faire remarquer.

— Tout à l'heure, mon gars. Voyons déjà c'que t'as dans le ventre.

Leroy hoche la tête, avec un sourire railleur, comme s'il s'agissait d'un bon mot. Il se détourne pour grimper sur la dunette à l'arrière du vaisseau. Je le suis du regard. Étrange.

Je dois avouer que je ne m'attendais pas à être embauchée si vite et sans plus de formalité. Mais je suppose que c'est ainsi que cela fonctionne sur les navires de commerce. Je m'abîme un instant dans les haubans et les voiles encore ferlées sur les vergues.

Je fais partie d'un équipage.

Enfin... presque.

Lorsque je vais raconter ça à Siméon... Je lâche un gloussement nerveux.

— Tu m'suis où tu comptes les mouettes ? aboie Brebant, me tirant instantanément de ma rêverie.

Il me guide vers l'entrepont auquel on accède par une échelle de bois étroite et glissante. Des hublots minuscules projettent de minces rayons de jour qui peinent à éclairer les entrailles du vaisseau. Mes yeux s'habituent peu à peu à cette pénombre et je distingue ce qui ressemble à une salle de repos, encombrée de caisses et de tonneaux, et plus loin, une espèce de cuisine minuscule. La majorité du mobilier est fixé au sol par des vis solides, et à mon grand soulagement tout, ou presque, est en bois. Seuls quelques larges tuyaux en fontes serpentent le long des cloisons.

— Le capt'aine et son second dorment sous la dunette. Nous, on crêche ici.

Il me désigne un espace attenant où s'alignent des hamacs suspendus et quelques couchettes empilées jusqu’au plafond. Au centre, j'aperçois un long banc de bois. Brebant soulève l'assise et révèle en dessous un espace creux. Comme un coffre.

— Tu ranges tes affaires là-d'dans.

Il m'observe un instant, comme s'il attendait quelque chose de ma part et j'écarte les bras. Hors de question de sortir le globe en verre ici.

— Je n'ai rien.

Il secoue la tête et lâche le couvercle qui se rabat avec un claquement sec. Son regard parcourt mon corps et ce qu'il voit lui arrache une grimace mauvaise.

— Tu vas te cailler les miches sur le pont, m'enfin c'pas mon problème.

— Et pour...

J'hésite sur la formulation et rougis.

— Les lieux d'aisance ?

L'homme éclate de rire et désigne un espace séparé par une simple parois de bois offrant à peine l'intimité nécessaire. Une odeur putride s’en échappe. Je n’ose pas m’en approcher.

— On a nos propres latrines et un bac de lavage pour le linge. Grand luxe.

Il se fend d'un simulacre de révérence avant d'ajouter d'une voix moqueuse :

— C'est le mousse qui s'occupe de nettoyer les latrines d’ailleurs. Tu feras aussi la lessive, la vaisselle et filera un coup de main au cuistot. En plus de briquer le pont et d’aider aux manœuvres.

Je refreine un mouvement de recul. Je ne m’attendais certes pas à ce que mon séjour soit une partie de plaisir mais tout de même… Brebant rigole de plus belle en détaillant mon expression écœurée. Ma réaction l'amuse et il s'en délecte. Je commence doucement à comprendre la défection de mon prédécesseur.

— J'te laisse dix minutes pour décider si tu veux toujours rester ici ou te carapater. Avec tes mains toute blanches, t'as l'air d'un valet de pied qui se serait perdu, mon gars. J'paris qu'tu préfères vider les pots de chambres des rupins maintenant qu't'as vu nos quartiers, pas vrais ?

Il rigole et m'abandonne pour remonter sur le pont.

Je vacille un instant en contemplant le décor spartiate. Au-dessus de moi, j'entends résonner les pas des marins qui arpentent le pont. Toute la carcasse du vaisseau craque et chancelle. Je peux sentir son roulis sous mes pieds et dans mon estomac.

C'est juste une traversée, je songe. Une journée tout au plus.

Dans la nuit, la Boussole s'ancrera au port de Londres et je n'aurais qu'à m'enfuir pour retrouver oncle Antoine. Tout sera terminé et j'aurais une excellente histoire à raconter. La magie cessera enfin de me tourmenter. Plus de chuchotis, plus de brûlures au fer.  

Quelques heures, c'est tout.

Je prends une profonde inspiration et me détourne pour remonter sur le pont.

***

Si Brebant est surpris de me voir lorsque je me présente à lui, il n'en montre rien. Au lieu de quoi, il me charge d'un énorme sac de toile qui doit peser la moitié de mon poids. Je titube.

— Sur tes épaules, crétin, me conseille-t-il d'une voix bourrue. T'vas casser les brindilles qui t'servent de bras sinon.

Il hisse en même temps sur son dos un autre sac en lui imprimant un ample mouvement de balancier et se dirige vers l'écoutille qui mène à la cale. J'imite tant bien que mal son geste. Mon fardeau retombe sur mes épaules et me coupe pratiquement la respiration. J'avance derrière Brebant, courbée et titubante.

Nous faisons ainsi plusieurs allers-retours pour charger le vaisseau, et en quelques minutes je ruisselle de transpiration et souffle comme un bœuf. Mes genoux tremblent tellement que je ne sais pas quel miracle je parviens encore à tenir debout. Sans parler des oscillations du pont qui mettent mon équilibre à rude épreuve.

J'ai beau peiner, ahaner comme un animal en fin de vie, Brebant ne me laisse pas un instant de répit. Lorsque toute la cargaison a été chargée, il me fourgue un long cordage entre les mains et m'intime sèchement :

— Enroule moi ça proprement. Qu'ça traîne pas dans nos pattes.

Je m'exécute, heureuse d'effectuer une tâche qui ne nécessite plus de me démettre une épaule. Le chanvre goudronné me pique néanmoins les doigts et le cordage paraît sans fin. Lorsque je suis à la moitié de mon ouvrage, Brebant m'arrache la corde des mains.

— Pas comme ça.

Il me fait recommencer sous les regards amusés de l'équipage. Je rougis alors que les quolibets fusent.

— Alors Brebant ? Encore à jouer les nourrices ?

— C'est qui ce cul-terreux que Leroy t’a collé ?

J'ai la nette impression que mon mentor se renfrogne un peu plus à chaque remarque. Son impatience s'accentue sous mes gestes maladroits :

— Un nœud de chaise j't'ai dit ! Bon sang, t'sais même pas faire un p'tain d'nœud correct, triple mouette ?

À cet instant, j'aperçois du coin de l'œil un homme monter à bord. Je reconnais les galons avant même de voir son visage et mes doigts s'emmêlent. Je fais tomber mon ouvrage.

Poret, le visage fermé, s'avance sur le pont et balaye le navire d'un regard fatigué. Je baisse la tête et ramasse la corde à demi enroulée, les mains moites. Il va me reconnaître. Dès qu'il posera les yeux sur moi, j'en suis certaine il se rappellera la fille avec laquelle il a voyagé en train depuis Paris et...

Son regard passe sur moi et continue son chemin sans s'arrêter. Leroy se précipite pour lui souffler quelque chose et je me figure un instant qu'il prononce mon nom. Une goutte de sueur coule le long de mon échine. Mes mains deviennent moites. Je ferme les yeux, comme si cela pouvait me dissimuler.

— Qu'est-c'que tu fiches ? aboie Brebant en me secouant par l'épaule. Tu dors maint'nant ?

Je cligne des paupières. Juste à temps pour voir Poret et Leroy se diriger vers la dunette, au pas de course. Ils ne m'accordent pas un regard. Le capitaine ne m'a même pas remarquée. Je relâche lentement mon souffle.

— L'est pas vif l'nouveau mousse dites voir, rigole un matelot perché dans un hauban au-dessus de nous. Hé, Brebant ! Ça t'fait drôle d’pas être le plus con à bord, nan ?

— Ta gueule, Jacques ! répond ce dernier en lui présentant son majeur.

Mon visage vire au cramoisie et je grimace. Ma mère se serait probablement évanouie de honte en me voyant frayer avec ce genre de brutes grossières. Lorsque tout cela sera fini, il me faudra éluder les détails sordides pour l'épargner.

Mes doigts peinent sur la corde rêche. Son épaisseur la rend difficile à manipuler et le goudron qui l'imprègne dépose une fine pellicule collante sur mes mains.

Quelques minutes plus tard, Leroy surgit sur le pont et beugle à la cantonade :

— Timonier ! À la barre ! Affalez-moi cette misaine. On largue les amarres, les gars !

Des cris de joie répondent à ses ordres. Des matelots se jettent dans les haubans et grimpent avec une célérité époustouflante pour détacher les voiles. D'autres se précipitent sur le bastingage afin de relever l'ancre. J'observe, bras ballants, ce spectacle avec des yeux ronds.

Brebant semble m'avoir complètement oubliée, et s'occupe de hisser les voiles avec trois autres hommes. Le pont résonne de cris et d'appels. C'est comme si chaque matelot savait exactement ce qu'il avait à faire alors que je n'y comprends rien et ne sais pas où me mettre pour ne pas gêner les manœuvres.

Les ordres fusent en tous sens et mes oreilles bourdonnent. Une brise glacée s'insinue jusque sous mon bonnet pour siffler contre mon oreille. À moins que ce ne soit la magie.

 La Boussole s'écarte du quai et son balancier s'accroît. Je vacille en cherchant mon équilibre. Le roulis de la coque me donne la nausée. J'inspire à grande goulée l'air frais chargée des parfums iodés pour dompter les protestations de mon estomac.

Appuyée contre le bastingage, les doigts crispés sur le bois usé et rongé par le sel, j’expire profondément pour calmer les battements de mon cœur.

— Ça va mon gars ? me lance une voix venue d'en haut.

Je lève lentement les yeux vers les haubans. Accoudé nonchalamment à l'échelle de cordages, le dénommé Jacques me gratifie d'un sourire en coin.

— On est pas encore sorti du port et t'as d'jà le mal de mer ?

Je secoue la tête. Si je prononce un mot, je crois que je vais rendre mon dernier repas.

"Voyons déjà c'que t'as dans le ventre."

Je comprends avec un train de retard la plaisanterie de Leroy.

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