La chaleur l’étouffait. Aleksandar essaya d’écarter son col trempé par la sueur de sa gorge sans paraître inconvenant. Le jeune homme jeta un coup d’œil peu amène au titanesque dôme de verre et de fer étincelant. L’idée du nouvel empereur d’affubler sa salle du trône d’un tel ouvrage était à tout le moins saugrenue. L’oncle d’Alek n’avait eu de cesse d’être des plus acerbes contre cette folie dans la cité portuaire la plus ensoleillée du continent. Même dans les derniers mois de sa vie, Telekar, persiflait sur la sénilité de l’Empereur qui confondait serre royale et salle du trône. Un sourire fugace apparu sur les lèvres fines d’Alek à présent qu’il pouvait confirmer les dires de son oncle. La somme dépensée pour cette prouesse architecturale n’avait d’égale que sa démesure. Les piliers de fer étaient couverts de délicates arabesques de bronze mimant des vignes entrelacées avec des figures de sirènes aux queues de poisson. Pour celles les plus proches du sommet du dôme, elles étaient affublées d’ailes prêtes à s’envoler. Malgré l’inadéquation de l’ouvrage pour son office, Alek ne pouvait que reconnaître que les artistes s’étaient surpassés, la finesse des sirènes étant époustouflante de réalisme.
Il prit une profonde inspiration pour essayer d’au moins obtenir un peu d’oxygène. Le jeune homme le regretta instantanément. Les effluves des parfums onéreux, mêlés aux fortes odeurs corporelles de l’assemblée des nobles sous le dôme, lui soulevèrent l’estomac. Même les habituels cancans et rires de la cour étaient plus ténus. Il n’était pas le seul à suffoquer. Les sangs bleus s’agitaient beaucoup moins qu’à leur arrivée.
Alek s’adossa à l’un des piliers, rêvant de pouvoir ôter son uniforme militaire noire aux épaulettes dorées. Les boutons de bronze représentant le burwal, symbole de sa famille, luisaient sous la lumière du soleil, attirant des coups d’œil immédiatement suivis par des commentaires chuchotés par le groupe de curieux. Une unique maison portait comme emblème un animal aussi féroce que celui ayant un corps de dragon marin à cinq tentacules et à la tête monstrueuse ouverte sur des rangées de crocs. Même celles arborant des prédateurs essayaient d’en adoucir l’agressivité. Les puissants Ducs d’Eromielle ne se préoccupaient pas d’une telle mièvrerie, lui avait expliqué son oncle quand Alek l’avait questionné sur le sujet.
Le jeune duc détonnait encore plus alors que les autres nobles paradaient dans des atours chatoyants couverts d’ornements de bronze dont les pierres précieuses scintillaient. Même si les hommes se contentaient de nuances de bleu et de marrons, contrairement aux femmes enveloppées dans des crinolines criardes. Plus l’individu était tapageur et croulant sous les pierres précieuses, plus son rang était élevé. Sauf encore une fois pour le Duc d’Eromielle, au sommet de la hiérarchie, et qui pourtant n’arborait aucune gemme, comme s’il continuait à ne pas vouloir s’intégrer à l’empire. Aucun noble n’avait pu rencontrer Aleksandar avant ce jour. Les rumeurs allaient bon train avant son apparition. Allait-il oui ou non rompre avec la tradition de sa famille et enfin se plier aux coutumes de la cour ? Les regards désabusés sur sa tenue avaient été bien plus éloquents que n’importe quel claquement de langue désapprobateur.
Alek s’agita pour ajuster son uniforme. Il se sentait déguisé, mal à l’aise dans cet uniforme. Le jeune homme était lucide. Il lui manquait l’imposante silhouette de son oncle pour bien porter cette tenue. Sa délicate constitution et sa peau livide trop souvent privée de soleil tranchaient avec l’aspect militaire et noir du vêtement.
Il déglutit et s’appliqua à paraître nonchalant contre son pilier de fer, les bras croisés sur sa maigre poitrine. Un robot, automate humanoïde de bronze aux articulations pleines d’engrenages et aux boulons de cuivre étincelants s’éloigna de la valse des autres qui se faufilaient à travers les nobles avec leurs plateaux de rafraîchissement. Ses roues l’entraînèrent vers le pilier du jeune homme. Alek grimaça. Le phalène doré de l’Empereur était gravé sur le torse de ces créatures aux yeux circulaires empli de mesenil vert. Une telle débauche de robots alimentés par cette substance si précieuse écœurait le duc, bien plus que l’ambiance feutrée faussement raffinée de la cour. Comme d’habitude, pour le faste de l’imminente cérémonie réunissant les nobles dans le cœur battant du pouvoir impérial, l’Empereur n’avait pas lésiné sur la dépense. Encore un trait de l’empire contre lequel pestait Telekar. Encore une fois, Alek pouvait maintenant rejoindre feu son oncle dans ses protestations.
Le robot s’inclina dans un étrange grincement ténu de ses rouages scintillant d’huile en lui tendant le plateau des longs doigts filiformes. Des coupes de champagne se mélangeaient à celles de vin à la robe d’un rouge sombre. Pas un seul verre d’eau en vue. Alek commençait à soupçonner le monarque de vouloir rendre sa cour malade pendant la cérémonie avec cette serre et cet alcool. A moins que tous les verres d’eau aient été pris. Mais il en doutait. Déjà, les visages étaient rougis autrement que par la chaleur du dôme. Des visages qui se tournaient de plus en plus vers lui, avides, guettant son prochain geste. Il était particulièrement impoli de ne pas accepter un verre tendu par l’un des robots impériaux. Il était plus acceptable de cracher des molards sur l’un des sangs bleus réunis ici. Mais cela signifiait que, dès l’annonce de l’arrivée de l’Empereur, Alek serait obligé de terminer son verre avant de s’incliner devant le premier pas de son souverain dans la salle. Mais, il ne tenait pas à succomber à un malaise suite au mélange de chaleur, déshydratation et alcool. En particulier en face de toute cette assemblée, réunie en ce jour pour son intronisation officielle en tant que Duc d’Eromielle.
L’absence de son oncle lui tordit encore plus les intestins. Son cœur s’emballa dans sa poitrine. Qu’aurais-tu fait, mon oncle ? Le malaise ou le molard ? songea Alek. Les secondes s’égrainaient. De plus en plus de nobles se taisaient pour se tourner vers lui. La nausée devient plus franche. S’il ne se décidait pas dans les prochaines secondes, ce n’était pas un molard, mais son déjeuner qui allait tapisser le sol de marbre vert. Sa vision commença à se brouiller, sa respiration plus saccadée. Par le Sans-Nom ! Oh non ! Non, non, non pas maintenant… Pas une crise maintenant… La sueur assombrit les pointes brunes de ses cheveux sur sa nuque avant de dévaler sa colonne vertébrale en grosses gouttes. Il était incapable de bouger, de voir les yeux verts du robot, d’entendre, de penser. Son corps était tendu, comme statufié dans une tentative de fuite. Il allait s’effondrer, éclater en mille morceaux sur le sol. Soudain, une ombre l’enveloppa. Une main imposante lui serra l’épaule. Le poids était douloureux. Des piaillements crissèrent sous son crâne. Une voix douce et grave souffla à son oreille.
— Respire gamin. Ancre tes pieds dans le sol. Maintenant prend une grande inspiration. Il n’y a personne qui regarde, vas-y. Une grande inspiration, allez.
Son oncle… Il était là. Des larmes piquèrent les yeux d’Alek. Il se força de suivre les conseils de la voix familière.
— Cinq… Quatre… Trois… Deux… Un… retiens et expire… Cinq… Quatre… Trois…Deux… Un.
Peu à peu, sa respiration finit par s’apaiser sans plus d’effort. La sensation de la pulsation dans son crâne se dissipa. Les muscles douloureux de son corps se détendirent. Les effluves ignobles se frayèrent un chemin jusqu’à lui et il réalisa qu’il était toujours debout contre le pilier dans la salle du trône. Il essuya d’une main tremblante les larmes qui lui brouillaient encore la vision. Ses jambes se dérobèrent, vidées de leur force. La main lâcha son épaule et le rattrapa par le coude, le maintenant à peu près vertical. Alek leva les yeux. Il sentit son cœur se serrer, une boule dans la gorge. Au lieu des prunelles sombres des Ducs d’Eromielle, des iris bleus d’acier l’observaient au milieu d’un visage buriné par les années passées en mer. La vieillesse avait dégarni l’homme, mais il avait gardé toute la droiture et la sévérité qu’Alek lui avait toujours connues quand il venait dans le bureau de son oncle.
— Amiral Metelil, souffla Alek. Merci.
L’homme hocha la tête. Alek rougit en se rendant compte que ce qu’il avait pris pour des piaillements était en réalité les bavardages du groupe d’amies qui entouraient l’épouse de l’Amiral, formant un paravent entre lui et le reste de la cour cachant sa crise. Dame Phileta lui adressa un clin d’œil complice avant de se retourner vers ses amies, leurs voix un peu plus animées que de raison sous la chaleur. Le robot avait fini par s’éclipser, son plateau probablement vidé par ces dames. Metelil finit par lui lâcher le coude, lorsqu’il fut certain que le neveu de son vieil ami n’allait pas s’effondrer.
— Telekar aurait dû te former à la cour, gamin, grogna l’amiral. J’appréciais beaucoup ton oncle, qu’Ela le garde auprès d’elle en son paisible royaume, mais on n’apprend pas à naviguer au milieu des requins en restant sur la terre ferme.
La remarque arracha un pâle sourire fatigué à Alek. Il se sentait libéré d’un poids dont il n’avait même pas conscience jusqu’à présent, l’atmosphère poisseuse sous le dôme plus respirable. Il eut le sentiment d’être redevenu l’enfant protégé au milieu du manoir familial.
— Redresse-toi, ordonna l’Amiral. La tête haute. Tu es le Duc d’Eromielle à présent. Si tu veux envoyer l’Empereur se faire paître avec sa coupe de champagne, tu es le seul qui peut le faire. D’autant plus quand tu abordes cette tenue et le burwal. Tu es à la tête de la plus importante fortune, armada et du duché le plus puissant de l’Empire. Un geste de toi et le phalène se retrouvera à nager dans les abysses. Ce n’est pas pour rien que…
— Les derniers mots de mon oncle furent de m’implorer de ne pas m’opposer inutilement à l’Empereur. Nous avons besoin de lui. Depuis l’installation de l’industrie à Eromielle, la majorité de la nourriture vient du reste de l’Empire. N’ayant pas envie de devenir empereur, je vais éviter de l’envoyer barboter dans les abysses. De plus, mon oncle m’a imploré de ne pas risquer ma vie tant que je n’avais pas d’enfant.
Une expression de stupeur flotta sur le visage de Metelil. Maintenant, Alek avait la gorge brûlante. Un goût amer lui tapissait la bouche. Il s’adossa de nouveau au pilier, les yeux perdus dans le vague. Le vieil homme tenta de se lisser une moustache disparue depuis longtemps, l’air plus pensif. Il s'apprêta à exprimer sa réflexion, mais son épouse émit un glapissement outré. Un noble débonnaire, couvert de broches de cuivre et de saphirs, son épouse bien plus jeune que lui traînée dans son sillage, fendit le groupe de Dame Phileta pour parvenir au jeune duc. Les dames jetèrent un regard courroucé à l’impoli, mais elles ne dirent rien. Le nombre de broches et de saphirs hurlait son statut de comte, bien plus haut placé que l’Amiral impérial dans la hiérarchie. Elles n’avaient pas le droit de lui adresser la parole sans y avoir été invitées par lui ou la comtesse. Il en était de même pour l’Amiral qui se raidit à l’approche du noble. Alek se redressa, les battements de son cœur de nouveau incontrôlables. Pendant un horrible instant, il se crispa, craignant une nouvelle crise face à l’inconnu. Les yeux noisette au milieu des joues rougies par l’alcool pétillaient bien trop. Il attendit, un énorme sourire radieux sur des lèvres gercées vacillant au bras de son épouse dont les joues étaient colorées par autre chose que l’alcool. Elle esquissa un rictus en une tentative catastrophique de paraître aimable.
Alek les regarda. Il attendit qu’ils se présentent. Mais rien. Un lourd silence qui s’éternisait avec le brouhaha ambiant sous le dôme de verre. Le sourire du noble s’effaçait au fur et à mesure que le cœur d’Alek accélérait avec ses nausées. Soudain, la lumière s’alluma dans son esprit. Le Duc d’Eromielle était le plus puissant dans la hiérarchie impériale après l’Empereur. S’il ne parlait pas à l’homme en premier, ce dernier ne pouvait pas s'adresser à lui. Alek se racla la gorge, essaya de se redresser comme le lui avait préconisé Metelil toujours à ses côtés.
— Oui ? croassa-t-il.
Autant pour le charisme du Duc d’Eromielle actuel, songea Alek. Mais le sourire du comte redevient plus radieux tandis que le rictus de son épouse cédait à une mince ligne fine désapprobatrice. Il ne savait pas ce qu’il avait fait pour offenser la comtesse, mais ses yeux lançaient à présent des éclairs qu’elle ne tentait plus de dissimuler. Au loin, les dames et l’épouse de l’Amiral s’étaient remises à discuter si bruyamment que les autres nobles avaient aussi haussé le ton. Désormais, le brouhaha martelait et se réverbérait dans le dôme de verre. Alek retient de justesse une grimace.
— Ah mon ami ! Je suis ravi de vous revoir enfin ! Vous étiez si jeune lorsque votre mère vous a présenté à nous. Mais oh ! Pardonnez-moi ! Je pense que vous ne devez pas vous souvenir de moi. Je suis Hanok, comte de Philomon.
Alek faillit faire un pas en arrière, mais son dos colla contre le pilier, coincé entre le mur et l’enthousiasme du comte. Cet homme ne lui disait rien. Il essaya de se remémorer les comtés qu’il avait étudiés avec son oncle. Mais impossible. Celui de Philomon ne lui revenait pas. Et avec la chaleur, les odeurs écœurantes, les effluves d’alcool qui émanaient de son interlocuteur, le volume insoutenable des conversations mondaines, ses pensées se brouillaient. La confusion devait se lire sur son visage, car le sourire du comte s’évanouit quelque peu.
— J’étais un proche ami de votre défunte mère, qu’Ela la garde en son paisible royaume.
Ah ! C’est lui ! réalisa Alek avec soulagement. Le comte Hanok avait pendant longtemps courtisé sa mère avant son mariage avec son père et avait entrepris de faire échouer la cérémonie avec une fallacieuse accusation de meurtre et de trahison à l’encontre du marié. Les mots s’échappèrent de ses lèvres sans contrôle.
— Mais pas tant de mon défunt père, qu’Ela le garde en son paisible royaume.
Là, le sourire radieux fondit tout à fait, tandis que le rictus de l’épouse revenait. L’Amiral pouffa. Le comte pâlit et tenta de rire à son tour avec une fausse légèreté. Le son ressemblait plus à celui d’une porte grinçante.
— Oh vraiment ! C’est une vieille histoire, balaya-t-il. J’ignorais que votre oncle m’en avait gardé rancune si longtemps au point de vous la transmettre. Il est vrai qu’à l’époque du mariage de vos parents, j’étais épris de votre mère. Et que de la voir épouser le puissant Duc d’Eromielle ait pu, l’alcool aidant, m’embrouiller l’esprit au point que je ne prononce quelques paroles malheureuses.
— Ce n’était point de la rancune, rectifia Alek sans réfléchir à plus de diplomatie, l’esprit bien trop embrumé. Mais le constat d’un fait que vous admettez par vous-même.
— Comme je le disais, c’est une vieille histoire. Et il me tardait de vous rencontrer. Votre oncle vous a tenu éloigné de la cour pendant si longtemps. Vous avez les traits harmonieux de votre mère et les yeux de votre père.
Il y eut un flottement. Un silence étrange. Alek ne savait pas comment traiter les paroles du comte. Ce n’était pas amical. L’homme ne l’avait pas accosté par courtoisie. Les doigts de l’Amiral s’étaient indéniablement crispés sur le pied de son verre de vin. Un robot tenta une nouvelle approche. Metelil hésita un bref moment. Alek sentit sa gorge se nouer, son regard figé sur le maudit automate, le cœur battant, oubliant le comte et son épouse. Sans un mot, le vieil ami de son oncle parti intercepter le robot. Le soulagement détendit instantanément les épaules d’Alek. Il n’y aura pas d’autre crise, songea-t-il. Tu n’en feras pas de nouvelle. Le comte lui souriait, semblant attendre quelque chose, peut-être une réaction.
— Euh merci, comte, hasarda le jeune homme.
Les deux époux se jetèrent un regard en biais, mélange d’interrogation, pitié et curiosité. Hanok se racla la gorge.
— Veuillez m’excuser, vous avez dû être distrait. Je disais que c’était bien dommage.
— Quoi donc ?
— J’avais peur que votre mère ne soit soumise à la malédiction des Eromielle lorsqu’elle a épousé votre père. Ce qui n’a pas manqué d’arriver. Sa disparition si soudaine… Quel dommage vraiment.
La main de la comtesse se crispa sur le bras de son époux. Alek se figea. Il avait subitement très froid. La salle du trône se brouilla alors qu’il avait désormais toute son attention focalisée sur le comte.
— Je vous demande pardon ? siffla-t-il.
Les lèvres du comte s’arquèrent en un sourire carnassier.
— Votre lignée n’est pas réputée pour la longévité naturelle de ses membres. Je crois bien que personne n’a passé les quarante ans. Y compris les époux ou épouses des Eromielles. Quelle tristesse. Mais, je crois, le membre le plus jeune de votre famille qui a succombé et disparu sans laisser de traces était votre sœur aînée ? Mais peut-être que je me trompe, je ne connais guère la généalogie des Eromielles.
Il soupira, faussement affecté, son sourire carnassier hantant ses yeux noisette au milieu des joues rougies. Il tapota irrévérencieusement le bras tétanisé d’Aleksandar. Son souffle franchissait à peine ses lèvres, sa nuque crispée. Il était incapable de repousser .
— Je peux toutefois affirmer que vous êtes le dernier de votre lignée. J’espère que vous serez le premier à réchapper de cette tragique tradition. Mais vous avez l’air d’un bon garçon. Je suis certain que la bénédiction de l’Empereur vous aidera à rompre la malédiction. Quel dommage aussi que votre oncle l’ait perdu… Il aurait peut-être pu rester un peu plus longtemps parmi nous.
Alek n’avait jamais entendu quelqu’un le menacer auparavant. Ni même enfant pour une simple bêtise. Et il n’avait jamais entendu quelqu’un menacer son oncle. Mais il la reconnaissait, cette menace, tapie dans les mots et l’attitude hypocrite du comte. L’homme savait quelque chose. La maladie de son oncle qui l’avait si lentement affaiblie avant de le mener au royaume d’Ela. La disparition de ses parents et sa sœur. Hanok savait quelque chose. Les yeux d’orage du jeune duc se plantèrent dans le regard bleu.
— Enfin, soupira le comte. Je suppose que cela était inévitable après tout…
Il fut interrompu par une trompette et se retourna vivement. Un robot avec un étrange chapeau haut de forme piqué d’engrenage de cuivre et de phalène d’or s’avança dans l’encadrement des immenses portes de verre forgé, tandis que les nobles s’agitaient en une chorégraphie bien exécutée. Les verres furent finis. Les robots furent chargés des coupes vides et s’éclipsèrent. Les nobles s’alignèrent. L’Amiral revient, à grandes enjambées, pour pousser sans ménagement un Aleksandar déboussolé au premier rang. L’automate au chapeau ouvrit la bouche d’où en sortit un magnétophone sur lequel jouaient des reflets verts. La voix métallique et légèrement éraillée s’éleva sous le dôme soudain silencieux.
— Sa Majesté, l’Empereur Zelemir de la maison Kelendil, souverain des six duchés, maîtres des mers septentrionales et méridionales, incarnation du Grand Unificateur, gardien de la paix et de la prospérité, béni du Sans-Nom et le Conseil Impérial.