La veilleuse en forme d'étoile projetait une lueur duveteuse et tamisée qui éclairait à peine les ombres dansantes sur les murs de la chambre de Théo. Anastasia s'approcha lentement de son fils, dont le visage semblait apaisé, malgré la question qu'il répétait chaque soir avant de s'endormir. Elle s'agenouilla près de lui, ses traits marqués par la fatigue mais empreints d'une tendresse infinie. Il était roulé en boule sous ses couvertures, serrant contre lui une peluche dinosaure, son souffle calme, mais son cœur, lui, agité par cette interrogation persistante.
Alors que la jeune femme s'apprêtait à lui déposer un baiser sur le front, il ouvrit les yeux, une lueur d'incertitude dans son regard.
— Maman...
Sa voix, pleine de doute, la toucha immédiatement.
— Tu crois qu'il m'aime toujours, papa ?
Anastasia s'assit prudemment sur le bord du lit, son cœur se serrant à l'idée de la douleur innocente que portait son fils. Elle prit sa petite main fragile dans la sienne, son contact demandant encore toute la chaleur d'un réconfort maternel. Un instant, elle chercha les mots justes, ceux qui protégeraient la sensibilité de Théo tout en répondant à sa question. Comment expliquer la perte à un enfant de presque sept ans, alors qu'elle-même peinait à comprendre l'absence qui l'étouffait chaque jour un peu plus ?
— Oui, mon poussin, répondit-elle, sa voix légèrement tremblante. Papa t'aime toujours, très fort. Il te regarde, même si tu ne peux pas le voir. Il sera toujours là, dans ton cœur et dans tes souvenirs.
Anastasia enlaça ses doigts fins dans les siens, cherchant à lui transmettre un peu de la chaleur et de la consolation qu'elle peinait à se donner à elle-même. Théo la fixa intensément.
— Mais pourquoi il est parti, maman ?
Cette question, simple mais dévastatrice, fit écho dans l'esprit d'Anastasia, ravivant des souvenirs douloureux et des interrogations sans réponse. Comment expliquer à son fils que son père, l'homme qu'ils avaient aimé, les avait quittés trop tôt, dans des circonstances qu'il ne pouvait pas comprendre à son âge ?
Elle prit une grande inspiration, cherchant à faire abstraction de la souffrance qui lui nouait la gorge.
— Parfois, les gens que l'on aime doivent partir, même si ce n'est pas juste, murmura-t-elle d'une voix douce. Mais il t'a laissé tout son amour. Cet amour est toujours là, dans tout ce que tu fais, dans ton sourire, ta gentillesse. C'est ce qui reste.
Anastasia effleura doucement son visage, ses doigts glissant sur sa peau encore si tendre. Un instant, elle ferma les yeux, ressentant la même douleur, la même absence. Chaque jour sans lui était une épreuve, mais pour Théo, elle devait rester forte. Elle devait trouver les mots pour lui.
— Tu te souviens de tous ces moments que vous avez passés ensemble ? Des câlins, des histoires, des jeux dans le jardin ? lui demanda-t-elle, cherchant à raviver les souvenirs heureux.
— Oui, je me souviens, répondit Théo, un éclat de lumière dans ses yeux. Il me disait toujours que j'étais son petit héros.
Il serra son dinosaure contre lui, comme pour se rassurer dans cette pensée précieuse.
Anastasia esquissa un petit rictus, une larme perlant au coin de son œil.
— Tu es toujours son héros, Théo. Toujours. Il serait tellement fier de toi. Et tu peux être fier de lui aussi.
Elle lui déposa un baiser sur le front, sa voix emplit de tendresse.
— Il t'aime, et il t'aimera toujours. Il est là, dans ton cœur, chaque fois que tu penses à lui.
La jeune femme se leva, se dirigeant vers la porte.
Le murmure de leur conversation résonnait en elle, une mélodie alliant tendresse et douleur. Avant de quitter la chambre, elle jeta un dernier regard à Théo, déjà à moitié endormi, son dinosaure serré contre lui.
Dans le couloir, Anastasia s'arrêta, le dos appuyé contre le mur. Elle ferma les yeux un instant, sentant le poids de la journée et de ses émotions l'envahir. Ensuite, elle poussa la porte de sa chambre et entra dans la pénombre. La jeune femme se dirigea immédiatement vers le dressing et alluma la lumière. L'intérieur était parfaitement rangé, comme à son image. Elle resta là quelques secondes, les bras croisés, le regard glissant sur les tissus suspendus. Et puis, presque naturellement, sa main se tendit vers l'étage du haut. Trois chemises de Matthew étaient pliées avec soin.
Ses doigts tremblèrent à peine sur les tissus. Une bleue d'abord, un peu râpée au col. C'était celle qu'il mettait régulièrement durant les barbecues de voisinage. Elle sourit malgré elle, le revoyant devant son grill, son tablier « grand chef » par-dessus. La blanche, un peu plus formelle. Et celle en lin, de couleur sable, qu'il portait volontiers en vacances, quand ils marchaient sur le sable fin de San Diego.
Anastasia serra la bleue contre sa poitrine. Elle n'y cherchait plus son odeur, qui avait disparu avec le temps, mais c'était plus comme un geste réconfortant. Elle la reposa doucement et attrapa un pyjama en satin bleu nuit, doux et ample. Après s'être changé, elle jeta un dernier coup d'œil aux chemises et éteignit la lumière du dressing.
La jeune femme s'installa confortablement sur le canapé, les jambes repliées, une couverture légère sur les genoux. Elle lança le premier épisode d'une série qu'elle avait commencé il y a quelques jours, sa tasse de tisane entre les mains.
Mais à peine le générique débuté que la sonnerie de la porte retentit, stridente dans le calme du salon. Anastasia sursauta, le cœur battant un peu plus vite que nécessaire. Avec une pointe d'agacement au vu de l'heure tardive, elle posa sa tasse, se leva et jeta un coup d'œil prudent à travers le judas.
Evelyn.
Anastasia la reconnut immédiatement, même si la lumière du palier la rendait un peu floue. Un soupir agacé s'échappa de ses lèvres, tandis qu'elle ouvrait la porte.
— Bonsoir, la salua-t-elle, en réprimant l'irritation qui commençait à monter en son for intérieur.
Evelyn, comme toujours, se tenait droite, les bras croisés comme si elle s'apprêtait à livrer un sermon.
— Bonsoir. Je voulais juste te prévenir que Lucas ne pourra pas venir à l'anniversaire de Théo demain.
Son ton était légèrement condescendant.
La jeune femme fronça les sourcils, surprise par cette annonce si soudaine.
— Je vois... Pourquoi ? Je pensais que tout allait bien entre les enfants, s'interrogea-t-elle, en essayant de cacher son agacement.
Evelyn leva les yeux au ciel d'un air dramatique avant de soupirer.
— Lucas est malade. Un bon gros rhume. Fièvre, nez qui coule, une vraie fontaine. Tu sais, ce genre de maladie où tu passes la nuit à essuyer des fluides corporels et à prier pour qu'il ne vomisse pas sur le canapé.
Elle ponctua sa phrase d'un regard appuyé.
— Ah, je vois... Eh bien, reposez-vous bien, alors, répondit Anastasia, essayant de clore poliment la conversation.
Mais sa despote de voisine, comme toujours, n'en resta pas là.
— Honnêtement, ça ne m'étonne pas trop. La moitié des gosses de l'école sont malades, et l'autre moitié est probablement en incubation. Mais bon, j'imagine que l'idée d'annuler l'anniversaire ne t'a même pas effleurée, n'est-ce pas ?
Anastasia arqua un sourcil, sa patience s'effritant de plus en plus.
— Annuler ? Pour un rhume ? Evelyn, les enfants tombent malades, c'est pas nouveau.
Cette dernière secoua la tête.
— Je vois, tu es de ces mamans qui pensent que le système immunitaire, c'est une affaire de destin. Moi, je dis juste qu'un anniversaire bourré d'enfants surexcités, de ballons couverts de bave et de gâteaux plein de postillons, c'est une épidémie en devenir. Mais bon, chacun sa vision de la parentalité.
Anastasia croisa les bras, déterminée à ne pas laisser traîner cette discussion. Mais visiblement, Evelyn avait gardé le pire pour la fin.
— D'ailleurs, en parlant de santé... Je pense malgré tout que ton fils devrait voir un psychiatre.
Son cœur rata un battement, et une vague de colère s'empara d'elle. C'était l'intrusion de trop.
— Théo va bien, répliqua-t-elle d'un ton posé mais ferme. Je gère très bien la situation, merci. Et je n'ai pas besoin de conseils sur la manière d'élever mon fils.
Evelyn haussa les sourcils, presque offensée par cette remarque qu'elle avait elle-même provoquée.
— Oh, mais je ne dis pas ça méchamment ! C'est juste que... Tu sais comment sont les enfants, parfois. Un petit rendez-vous, ça ne fait jamais de mal. Par précaution. Tu sais, pour éviter les... complications futures.
Elle accompagna sa phrase d'un sourire compatissant.
Anastasia inspira profondément, se forçant à rester calme.
— Merci pour ta prévenance, riposta-t-elle en réprimant un soupir. Je ferai de mon mieux pour tenir compte de ton avis.
Avant que sa voisine n'ait le temps de répondre, Anastasia fit un pas en arrière et referma sèchement la porte, mettant un terme définitif à cette conversation.
Elle se tourna vers la pièce, un léger soulagement la traversant, mais aussi une colère latente. Pourquoi fallait-il toujours que quelqu'un vienne juger son quotidien, ses choix, sa manière de faire face à tout ce qui lui arrivait ?
La jeune femme se laissa tomber dans le canapé, un soupir échappant de ses lèvres.
— Matt, tu me manques tellement, se chuchota-t-elle à elle-même.
Lorsque son mari était décédé, il avait laissé derrière lui une petite somme d'argent, juste assez pour qu'Anastasia et Théo puissent tenir un moment, le temps de reprendre pied.
Depuis, elle vivait avec cet argent, qui fondait comme neige au soleil. Et avec lui disparaissait leur confort. La jeune maman comptait chaque dépense. Elle se surprenait à comparer les prix jusqu'à la moindre boîte de conserve, à collectionner les bons de réduction et à scruter les étiquettes au supermarché.
Une larme perla au coin de ses yeux, silencieuse et chaude, et d'un geste automatique, elle l'essuya d'un revers de la main.
L'émotion la submergeait encore, à l'improviste, et c'était difficile pour elle de ne pas se laisser engloutir par cette douleur.
Anastasia se leva lentement, inspira profondément, puis se dirigea vers la buanderie.
L'ampoule au plafond vacilla un instant avant de s'allumer, baignant la pièce dans une lumière fatiguée. Elle s'approcha des étagères encombrées, déplaça quelques boîtes de conserves et attrapa un carton.
C'était le cadeau d'anniversaire pour Théo.
Une voiture télécommandée qu'elle avait achetée en soldes, il y a quelques jours. Elle l'avait trouvée presque par hasard, au fond d'un rayon dévalisé, et avait hésité longuement avant de la prendre.
La maman déroula le papier d'emballage bleu, orné de petits dinosaures aux couleurs vives. Elle attrapa un bout de ficelle dorée qu'elle avait trouvé au fond d'un tiroir et s'appliqua à emballer le jouet. Ses doigts s'attardèrent sur les coins, pliaient, lissaient, coupaient avec soin. A défaut de pouvoir offrir plus, elle offrait un geste plein d'amour.
Après un instant de silence, Anastasia se dirigea vers le salon. Elle passa près du canapé, où les coussins étaient encore légèrement enfoncés, comme si elle n'avait jamais quitté la pièce.
Ses yeux se posèrent un instant sur la porte vitrée menant au patio. Elle s'y rendit sans un mot, sans réfléchir, comme si l'air frais et l'obscurité l'avaient attirée sans qu'elle ne puisse en expliquer la raison.
Le patio était resté en l'état, figé dans le temps, comme si Matthew allait réapparaître d'un moment à l'autre, une bière à la main.
Il avait l'habitude de préparer le barbecue pour leurs soirées d'été, mais depuis sa disparition, l'appareil était resté là, sous sa bâche de protection, dans un coin. Elle n'avait jamais eu le courage de l'utiliser, comme si allumer ce barbecue aurait été une manière d'admettre qu'il n'était plus là. Ce simple objet devenait un symbole de tout ce qui lui manquait, de tout ce qu'elle n'arrivait pas encore à affronter.
L'air frais était plus doux ici, mais la solitude l'envahissait, et les larmes commencèrent à couler. Il n'y avait rien de plus simple, rien de plus lourd que cette sensation de vide.
Pourtant, la sérénité de la nuit fut brutalement brisée.
Là, contre la rambarde en bois, une silhouette qu'elle ne s'attendait pas à voir lui fit face. L'homme du parking.