Elya, 21 juin 2036
— Et bien… La fin approche… murmurais-je pendant que j’observais le ciel ensanglanté par la fenêtre.
— Ça fait un moment qu’il en parlaient…
Je me retourne brusquement, pris en flagrant délit de ma non-concentration (qu’on va me reprocher). Et effectivement, je fais face à ma collègue, Clara. Impossible de la louper avec ses longs cheveux bouclés. Il est rare de la voir en débardeur extrêmement fin, sous sa blouse blanche. Mais avec la montée soudaine de la chaleur, nous avons dû couper tout chauffage et machine. Pourquoi ? Car nos collègues commencent à mourir, un à un. En un temps d’hiver, il fait au moins 24 degrés dans l’atelier, en pleine après-midi. On est monté d’un coup à presque 50 degrés. Mais malgré ça, on est obligé de continuer à travailler.
Je soupire.
— Je sais bien. Ça ne date pas d’hier, cette histoire d’effondrement et de fin du monde. Déjà, entre 1135–1202, Joachim de Flore avait déjà mentionné la fin du monde dans Le Livre de l’Apocalypse. Sans compter le nombre de Sibylles médiévales qui annonçaient des cataclysmes dans le futur. Certains astrologues médiévaux aussi, expliquais-je à Clara. Au fil de notre évolution, la mention de fin du monde n’a jamais disparu.
— T’en as des connaissances, siffla-t-elle avec admiration.
C’est juste de la culture générale…
— Bon, concentre-toi plutôt sur ton boulot au lieu de penser au pire.
Sur ces mots, Clara tourna les talons, allant à son propre poste, se concentrant presque immédiatement sur son travail. Je balaye d’un œil rapide l’atelier qui est assez vide, depuis que les guerres en Europe nous privent de toutes ressources et la planète ne nous fait pas de cadeau. Avec la chaleur et la famine, l’humanité commence à s’éteindre peu à peu. Certains disent que c’est juste une phase et que tout ira bien. Mais, moi, je ne suis pas convaincue de notre situation en Europe.
Aux USA, les cyclones et tornades se font de plus en plus dévastateurs, la faille de San Andreas a condamné la Californie à vivre sous l’eau. L’Afrique de l’Est et le Japon ont également été condamnés à sombrer dans les océans. Et il y a un mois, la faille de Saint-Malo s’est créée. Donc les prochains à sombrer, ce sera nous.
Je quitte mon poste, errant dans le bâtiment. J’avance, tête baissée, pensive, sans regarder ce qu’il se passe autour de moi.
Je le sais. Nous sommes déjà morts.
À force de vider la terre, de pomper son sang — pétrole, uranium, minerais — pour faire avancer nos machines, nos avions, nos cargos pleins de marchandises inutiles... À force de couper, d'arracher, de brûler tout ce qui dépassait.
À force de consommer tout, de pêcher tout, de tuer tout ce qui respirait encore, juste parce qu’on le pouvait.
La planète, elle, n'a jamais eu besoin de nous. Nous étions une anomalie, une erreur de croissance, un virus qui croyait être un dieu.
Maintenant, elle se venge. Elle étouffe. Elle s’échauffe. Elle se délite. Et dans sa colère, elle nous recrache comme une infection qu’elle aurait tolérée trop longtemps.
Mais ce n'est que sa réponse à notre suicide. Parce que depuis le début, nous portons en nous cette pulsion : produire plus, posséder plus, dominer plus.
Parce que nous étions programmés pour creuser notre propre tombe, sourire en tombant dedans, et appeler ça "progrès".
Ce n'était pas une erreur de parcours. C'était notre seule destination possible.
Je passe à côté de la fenêtre qui donne tout droit sur la ville qui tombe en ruine, les cadavres qui commencent à se multiplier, qu’il soit humain, animal ou végétal. Personne n’y survivra.
Et c’est là que je réalise vraiment.
Mes rêves qui ne se réaliseront jamais : vivre à Londres, voyager, aider au plus les animaux et écrire mon histoire. Et je n’ai rien fait. Pourquoi ? Parce que je me suis dit qu’il y avait le temps. Je devais faire mon passeport. Mais je ne l’ai jamais fait, prétextant que je n’avais pas le temps. Écrire un livre ? J’avais commencé, j’avais avancé, mais l’IA nous a peu à peu remplacé, j’ai abandonné. Pour la SPA, j’attendais d’être complètement indépendante. Alors, comme tout le monde, j’avais ce cheminement de ‘métro-boulot-dodo’, passant mon temps libre sur TikTok.
La sonnerie du boulot retentit, signalant notre fin de journée. Go les vestiaires où tout le monde se précipite pour rentrer chez soi. Logique.
— Bonne soirée, tout le monde ! Que le sort puisse vous être favorable ! criais-je dans les vestiaires.
Il eut un écho de rire et de réponse simultanée. Pourquoi je dis ça ? Car beaucoup d’entre nous ne reviennent pas. Je suis au pied de la porte, inspirant un grand coup.
C’est parti…
Je fonce vers l’extérieur, la bouffée de chaleur qui vient me brûler la peau. Je me précipite vers ma voiture. Je l’allume et démarre. Bon, je suppose que ce sera mon dernier trajet, comme nous avons plus de gazole. J’ouvre la fenêtre. En roulant, j’aperçois l’illusion d’air frais. Ce n’est qu’une illusion, mais ça fait du bien.
En roulant, je me perds encore dans mes pensées. Personne ne survivra. Plus personne n’aura la chance de formuler cette formule féérique “il était une fois”. Nous sommes la première génération de notre fin. Tout ce qu’on peut apercevoir, ce sont ces champs de ruines, plus aucune plantation vivable, rare où se trouve l’électricité et le réseau de nos jours. Ma radio reste allumée, grésillant, percevant des mots : “Faille”, “Rennes”, “Morts”. C’est tout ce que j’ai. Mon téléphone reste posé sur mon siège passager. Et contre attente, je reçois une notification. Je freine brusquement. C’est le seul endroit où j’ai un minimum de réseau. Je mets les Warning et regarde mon téléphone. C’est une info d’info : la faille de Saint-Malo s’est agrandie et élargie. Je vais directement sur TikTok, avec un peu de chance, il y aura bien eu des vidéos qui ont été postées.
J’ouvre précipitamment l’application, attendant un miracle et…
BINGO !
Dans mon fil d’actualité, je tombe directement sur une vidéo de la faille, un gouffre qui engloutit tout sur son passage. On dirait la vibe du film 2012, sorti en France, en 2009. La putain de faille est rendue à Rennes… J’éteins mon téléphone, le jetant sur le siège passager. Je reprends la route, sans me soucier de ma vitesse, voulant à tout prix rentrer chez moi.
Ce qu’il se passe est tout droit sorti d’un cauchemar. Depuis la préhistoire, nous n’avons fait qu’évoluer. Tout ce qui a été créé par l’Homme nous a mené à notre perte. L’intelligence humaine, ou devrais-je dire, la connerie humaine, nous à causé notre perte. Le plus grand a eu lieu entre 1760 et 1840, lors de la révolution industrielle. C’est précisément là que l’humain a merdé dans son évolution. Nous étions condamnés à partir de ce moment-là.
En arrivant à la maison, je constate qu’il y a personne. Il est presque 17h30. C’est bizarre. Et malheureusement, ici, je ne peux même pas envoyer de message ni rien. Je soupire. Tant pis. Je descends de ma voiture pour aller directement chez moi, dans ma chambre. Je prends un livre, ‘Half Sick of Shadows’ de Laura Sebastian et je m’installe dans mon lit, oubliant le monde autour.
Une heure plus tard
J’entends des bruits bizarres. Un bruit similaire à un craquement lourd et sourd. Je lève la tête, les sourcils froncés, intrigués par le bruit étrange et inquiétant. Les murs de la maison commencent à trembler, les battements de mon cœur s’accélèrent. Ma respiration s’accélère, tandis que le sol tremblait. Et quel est mon premier réflexe de gogole ? Sortir dehors !
Je me précipite à l’extérieur et je vois le paysage cataclysmique s’offrir à moi. La putain de faille s’était rendue en Mayenne ! Ce n’était pas du tout dans les prévisions scientifiques !
Je recule d’un pas, courant, tentant de m’enfuir. Mais c’est perdu d’avance, la faille m’avait englouti. Je hurle, de peur, de regret, de remords. Les souvenirs défilent, avec le bruit assourdissant des débris. J’essaie de m’accrocher à quelque chose, mais en vain. Les larmes coulent, les débris dansent autour de moi et la dernière chose que je verrais, c’est ce ciel rouge sang qui s’éloigne peu à peu, me condamnant à un silence sombre et solitaire.
Dans ce noir absolu, je voir apparaître une lumière violette, scintillante, qui prit la forme d’un loup. Il me fixe et se met à hurler. J’étais tellement obnubilée que je n’avais pas senti cette chaleur naissante et cette brûlure sur mon épaule gauche. Le loup violet disparaît, laissant place à une lumière blanche.
— Par la Grâce des Divinités, accordez à cette enfant, vos souhaits sur son Destin en lui accordant son Animal Totem !
Hein ? Quoi ? Animal Totem ? C’est quoi ce délire ?! Je suis où ?!
Au début, tout est flou, je tourne ma tête. Ma vue se fait un peu plus nette et je peux y voir une femme aux chevaux roux bouclés, aux yeux verts. Elle semble être ma mère.
Je tourne ma tête de l’autre côté, pour y voir un vieux, à la très longue barbe blanche avec une tenue druidique avec sa tenue en matière naturelle, une ceinture en cuir autour de sa taille avec beaucoup d’herbes différentes, un pendentif et un bâton orné de runes et de pierres précieuses. Il a une tête horrifiée, reculant lentement. Derrière lui, se trouve un gars brun, aux grains yeux de beauté, aux yeux marron.
— C’est impossible… murmure le Druide, en reculant et en continuant à me fixer. Son souffle est court, les yeux complètement écarquillés.
Le brun s’avance tandis que la rousse fronce les sourcils en observant mon épaule.
— Ain, que se passe-t-il ? demanda le brun, l’inquiétude prenant place dans sa voix.
— Et bien… Il semblerait que votre fille, Monsieur Novalis, ne soit pas comme les autres…
— Comment ça ? la voix de Monsieur Novalis est tranchante, me faisant un frisson dans le dos.
Ain le dévisage quelques instants, semblant chercher les mots, avant de faire face au brun.
— Dites-moi, Reed Novalis, est-ce que dans notre histoire, il y a déjà eu une femme ayant le Totem du Loup ?
— Quoi…?
Hein…?
Le regard de Reed pâlit instantanément et se précipita vers moi. Malgré ses tremblements, il prit mon minuscule bras délicatement. Lorsque son regard tombe sur mon épaule, il recule, lâchant brusquement mon bras. La rousse le regarde avec inquiétude. Elle me pose dans un berceau, où les trois pouvaient voir le loup qui décore à présent mon épaule.
— Ain ! s’écria Reed. Qu’est-ce que ça signifie ?!
Ain recule, non seulement surpris par le cri de Reed, mais aussi effrayé par… moi.
— Je ne sais pas ! se défend-il. Les Divinités lui ont donné le Loup ! Ils l’ont choisi !
— Je me contrefiche de ça ! Le Totem Loup est un emblème des hommes et non des femmes ! Et ce, depuis la nuit des temps !
Il se tourne brusquement vers la rousse.
— Et toi… Débrouille-toi avec cette anomalie !
Il tourna les talons, mais la rousse courut vers lui, lui attrapant son bras.
— Je t’en supplie, Reed, supplia-t-elle, tu ne peux pas nous laisser ! ME laisser avec cette chose ! elle pointa son doigt vers moi, les larmes coulant sur ses joues.
— Ce n’est pas mon problème.
Reed Novalis partit, laissant la rousse, Ain et moi, seuls. Ain avait la tête baissée, ayant les deux mains sur son bâton.
— Je vais vous laisser, Fayl… avec…
Fayl jette un regard vers moi, un mélange entre la colère et la tristesse.
— Cécilya.
Sur ces paroles, Ain hocha la tête et partir à son tour. Fayl restait loin de moi, comme si j’étais une maladie à éviter.
C’est comme ça que commença ma nouvelle vie.
Ma réincarnation.