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IsaacEvans
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1 - [Je suis muet.]

C'est en bùillant à s'en décrocher la mùchoire que Tristan suit les élÚves de sa classe, jusqu'à la salle qui avait été attribuée aux Terminales Littérature. Comme lors de chaque nouvelle rentrée scolaire, la piÚce recueille tout le brouhaha des élÚves se retrouvant aprÚs ces deux mois de séparation. Chacun partage avec son groupe d'amis, ce qu'iel a fait durant cette période : les voyages, les soirées, les rencontres, les flirts d'été et tout autre type d'événement survenu.

FidĂšle Ă  lui-mĂȘme, le chĂątain de dix-sept ans prend place au tout dernier rang, vers le milieu pour ĂȘtre face au tableau. Il lĂąche son sac sur le sol et s'assied, bĂąillant Ă  nouveau avant de s'Ă©craser la tĂȘte sur sa table. S'il le pouvait, il continuerait bien volontiers sa nuit. Reprendre le rythme des cours est bien trop difficile pour lui – comme pour tant d'autres Ă©coliers – qui s'Ă©tait couchĂ© Ă  pas d'heure chaque nuit.

Encore une nuit à finir un bouquin au lieu de dormir. Sa mÚre l'avait prévenu, mais bon... Quand on dort pas, autant plonger dans un univers fantastique, non ? Il a des somnifÚres, ouais, mais il préfÚre l'ambiance de la nuit à l'idée de s'endormir à coups de pilules. Pas sûr que les profs ou les facs apprécient, mais tant pis. C'est pas lui qui a décidé de naßtre insomniaque.

Ah~... Ce qu'il aimerait dormir, lĂ , de suite. Mais il va devoir attendre au moins la fin de l'appel.

Madame Flochet, enseignante de Français et Histoire-gĂ©ographie, frappe dans ses mains, espĂ©rant amener le silence dans sa classe. C'est donc cette vieille bique exĂ©crable qui va ĂȘtre leur professeure principale.

— Silence, s'il vous plaĂźt, ordonne-t-elle. Vous vous raconterez vos vacances Ă  la pause. Vous ĂȘtes en Terminale Ă  prĂ©sent. Il serait temps que vous intĂ©griez que le temps de cours est fait pour travailler et non pour papoter. Le bac est Ă  la fin de l'annĂ©e, bien plus proche que ce que vous croyez. Le cours commence dĂšs maintenant. Sortez vos cahiers.

La moitiĂ© des Ă©lĂšves se met Ă  rĂąler et souffler, tout en sortant leurs affaires, dĂ©jĂ  Ă©nervĂ©s des ordres de la professeure. Certains pestent mĂȘme aprĂšs elle, en l'insultant de diffĂ©rents noms d'oiseaux – mais discrĂštement tout de mĂȘme, ayant bien trop peur de se faire prendre.

— Allez, on se dĂ©pĂȘche, rouspĂšte l'enseignante. Je vais faire l'appel.

Elle s'installe derriĂšre son bureau et se munit de son carnet de prĂ©sence, puis nomme les Ă©tudiant un par un, ne quittant pas une seconde les lignes des yeux. Tristan, s'Ă©tant enfin positionnĂ© correctement et gribouillant dĂ©jĂ  la premiĂšre page de son cahier, entend les mĂȘmes patronymes que les deux annĂ©es prĂ©cĂ©dentes.

— Yvan GuĂ©rin.

— PrĂ©sent.

— Dylan Guissel.

Tiens. Voilà un nom qu'il lui était inconnu, mais auquel personne n'avait répondu.

— Personne de ce nom ici ? grogne la professeure, toujours sans relever le nez de son carnet. Tant pis, on passe à la suite.

Le chĂątain remarque qu'on gesticule Ă  cĂŽtĂ© de lui, il tourne le regard vers une tĂȘte qu'il n'avait encore jamais vu dans sa classe. Un visage mat entourĂ© d'une tignasse brune aux reflets caramĂ©lisĂ©s – frisĂ©e Ă  la limite des boucles, couvrant les oreilles de son propriĂ©taire – lui arrivant pratiquement dans les yeux. Ces derniers, de l'angle dont Tristan les voyait, semblaient ĂȘtre noirs. Une sorte de panique Ă©manait d'eux. Le mĂ©tis tentait d'attirer l'attention de l'adulte en faisant des signes pour manifester sa prĂ©sence. Son voisin de classe comprit donc qui il Ă©tait, comme d'autres Ă©lĂšves, mais il prend avec eux.

— Madame, l'interpelle-t-il. Dylan est juste ici, le pointe-t-il avec le pouce.

L'enseignante relĂšve enfin la tĂȘte pour localiser l'Ă©lĂšve dans la piĂšce.

— Et il ne peut pas rĂ©pondre lorsqu'on l'appelle ? Il a encore besoin des autres pour parler Ă  sa place, arrivĂ© en Terminale ? grommele-t-elle.

Le mĂ©tis s'empresse de prendre un feutre noir ainsi que son carnet, puis se mit – les mains tremblantes – Ă  Ă©crire dessus. Tristan, intriguĂ©, les sourcils doucement froncĂ©s jette un Ɠil Ă  se qui se passait Ă  cĂŽtĂ© de lui.

[Je suis muet.]

C'était donc ça. Son voisin de classe ne parlait pas. Mais comment se faisait-il que cette vieille mégÚre ne semble pas au courant d'une telle chose ? C'était clairement le genre d'information qui ne passe pas outre auprÚs du corps enseignant, enfin pas en temps normal.

Alors que le nouvel élÚve allait soulever sa pancarte, il vit que l'appel avait repris et le regard de l'adulte était à nouveau scotché vers le bureau. Il décide alors d'abandonner et de tourner sa page.

— Bien. L'appel terminĂ©, nous allons pouvoir commencer, dĂ©clare Madame Flochet. Je serai votre professeure principale pour cette annĂ©e. À cette heure-ci, chaque semaine, vous aurez Histoire-gĂ©ographie avec moi. Pour le premier chapitre, nous allons voir la Mondialisation.

L'appel terminĂ©, Tristan somnolait dĂ©jĂ , la tĂȘte posĂ©e sur sa main, le visage tournĂ© vers la droite. Il Ă©tait comme ça tous les matins, Ă  moitiĂ© assoupi en dĂ©but de cours. Ce n'Ă©tait pas de la flemme. Juste une fatigue chronique. Les professeurs s'Ă©taient habituĂ©s, sauf madame Flochet. Elle continuait de le reprendre chaque fois qu'il avait le malheur de cligner un peu trop longtemps des paupiĂšres.

La jambe droite de Dylan rebondit sans rĂ©pit. Tic, tac, tic, tac. Comme une bombe Ă  retardement sous la table. Il veut l'arrĂȘter, mais son corps n'Ă©coute plus. Il s'accroche Ă  sa propre respiration, comme si elle Ă©tait capable d'endiguer le raz-de-marĂ©e qui lui monte dans la poitrine. Il se sent nausĂ©eux. Une douleur dans la poitrine qu'il ne connaĂźt que trop bien : une autre crise d'angoisse qui le menace de faire surface. L'intĂ©rieur des lĂšvres mordues inconsciemment pendant que les pensĂ©es fusent dans sa tĂȘte.

Va-t-il rĂ©ussir Ă  se faire des amis ici ? Et si les gens se moquent de lui, parce qu'il ne peut pas parler ? Et si il devient une bĂȘte de foire ici aussi, avant qu'on ne perde tout intĂ©rĂȘt pour lui ? Tout le monde le regarde lĂ , non ? ForcĂ©ment, ils doivent tous avoir les yeux rivĂ©s sur lui. Il s'est dĂ©jĂ  fait remarquĂ© par les rĂ©flexions de la professeure... Non, ils sont sĂ»rement tous occupĂ©s Ă  discuter avec les autres le plus discrĂštement possible ou en train de comater sur leur chaise. Mais peut-ĂȘtre qu'on lui jette des regards de temps en temps, parce qu'il est Ă©trange ? 

Il ne regarde personne. Surtout pas. Le moindre regard croisĂ©, et c'est foutu. Il a cette impression qu'on peut lire en lui comme dans un livre ouvert – sauf que les pages sont griffonnĂ©es, dĂ©chirĂ©es et en feu. Il fixe son cahier sans en voir une ligne. Juste des mots flous, des lignes tremblantes, et son cƓur qui cogne dans sa gorge comme s'il voulait sortir par lĂ .

Sa bouche a ce goĂ»t mĂ©tallique familier. L'estomac en vrac, les tempes moites. Il veut vomir, mais se lever en plein cours pour aller aux toilettes, dĂšs le premier jour, c'est sĂ»r, tout le monde va le remarquer, tout le bahut va parler de lui. Encore. Il ne reste que cette annĂ©e et le lycĂ©e, ce sera terminĂ©. Les cours, les Ă©lĂšves, les professeurs, plus jamais. Mais le bac... va-t-il le rĂ©ussir ? Et s'il rate l'examen ? Il va devoir doubler son annĂ©e. Donc il restera en cours une annĂ©e de plus. Un nƓud dans la gorge. La boule au ventre. Il veut rentrer chez lui. Juste sa chambre. Son lit. Se cacher.

Et puis il y a les larmes, en embuscade. Pas prĂȘtes Ă  tomber, mais lĂ , tapies dans un coin de ses yeux, comme des gamins qui attendent qu'on dĂ©tourne le regard pour sauter dans le vide. Il cligne, fort. Il avait appris Ă  les repousser comme on chasse une poussiĂšre. 

Pendant que des scĂ©narios catastrophe dĂ©filent en boucle dans la tĂȘte mĂ©tisse – incendie, explosion, Ă©vacuation, tsunami, attaque extraterrestre... il prĂ©fĂ©rerait encore penser Ă  ça –  la sonnerie retentit, Dylan sursaute. Ses doigts agrippant les rebords de sa table comme un naufragĂ©. Autour de lui, la classe s'anime, des sacs s'ouvrent, des voix fusent de soulagement pour la majoritĂ©. L'un d'eux laisse mĂȘme s'Ă©chapper un rĂąle de plaisir suivit d'un « enfin ! ».

— Je vous revois pour la derniĂšre heure de la journĂ©e, annonce la vielle femme. De seize Ă  dix-sept. Nous entamerons le programme de français.

Commencer et terminer la journĂ©e avec elle, cette rentrĂ©e devenait presque un cauchemar. Sur ses mots, elle quitte la salle et les Terminales se remettent Ă  discuter de ce qu'ils avaient commencĂ© il y a une heure – et dĂ©jĂ  continuĂ© durant le cours pour certains.

Dylan hĂ©site. Doit-il se prĂ©senter ? Surpasser son angoisse du rejet et essayer de faire des amis ou plutĂŽt rester seul et faire profil bas ? À sa gauche, son voisin de classe lui, s'est Ă  nouveau avachis sur sa table, la tĂȘte entre ses bras.

Soudain, le brun se rend compte qu'il n'a mĂȘme pas remerciĂ© celui-ci pour l'avoir aidĂ© durant l'appel. Et si il pensait qu'il Ă©tait ingrat et malpoli ? Il le dĂ©teste peut-ĂȘtre dĂ©jĂ . Il veut lui dire « merci » tout de suite, cependant il a peur de dĂ©ranger son camarade qui est tranquillement en train de se reposer. Il pourrait le dĂ©tester encore plus aprĂšs ça. Il se dit qu'il attendrait plus tard que le chĂątain se relĂšve pour le remercier.

— Tristan est toujours en train de pioncer lui, ricane Yvan – grand, maigre, toujours affalĂ© comme un spaghetti trop cuit – placĂ© deux rangĂ©es devant le sujet de cette remarque.

— Toujours, affirme Patricia – grande gueule frisĂ©e au rire de hyĂšne. On ne le changera plus dĂ©sormais. Il sera complĂštement rĂ©veillĂ© aprĂšs le prochain cours, plaisante-t-elle.

— Ça ne l'empĂȘche pas pour autant de dire « Bonjour ». Hein, tĂȘte de nƓud.

En réponse à leur plainte, la main du chùtain s'élÚve et se secoue de droite à gauche avant de retomber, ce qui les fait rire.

— C'est ça, rendors-toi, marmotte.

— J'Ă©conomise mon Ă©nergie pour les trucs vraiment importants. Comme... respirer, dĂ©clare faiblement Tristan.

Quelques rires fusÚrent. Dylan, lui, ne fais rien, mais ses muscles se relùchent. Juste un peu. Il écoute. Il observe. Et dans ce vacarme qui lui donnait envie de se recroqueviller sous la table, il y avait ce garçon qui, pour une raison inconnue, en quelques mots marmonné, avait réussi à le faire tenir encore un peu.

Le cours de LittĂ©rature commence. TroisiĂšme annĂ©e avec Monsieur Mafhoud : la classe connaĂźt la voix grave, le ton posĂ©, les lunettes rondes qui glissent toujours au bord du nez. Il ne pose jamais de questions inutiles. Il connaĂźt leurs goĂ»ts en lecture mieux qu'eux-mĂȘmes.

Il fait l'appel, d'un ton monocorde. Quand il arrive Ă  :

— Guissel Dylan ?

Tristan, affalé sur sa table, lÚve mollement une main en direction du nommé.

— PrĂ©sent.

Un rĂ©flexe, presque dĂ©jĂ  naturel. Il ne bouge pas la tĂȘte, ne relĂšve pas les yeux. À cĂŽtĂ© de lui, Dylan garde les bras croisĂ©s sur la table. Cette fois, il ne doit pas laisser passer l'occasion, lorsque leur regard se croisent, le garçon muet lui sourit timidement et hoche une fois la tĂȘte en signe de remerciement. L'autre lui rend un sourire rassurant.

Monsieur Mafhoud note simplement. Pas un mot de plus.

Mais quelques tĂȘtes se tournent dans la salle. Les chuchotements commencent. Certains cherchent du regard le fameux "Dylan". D'autres froncent les sourcils : pourquoi est-ce Tristan qui rĂ©pond ? Ceux qui ont compris et vu la pancarte plus tĂŽt gardent le silence ou pas, pour les commĂšres de service. D'autres hĂ©sitent et n'osent pas demander.

Dylan sent tout. Les yeux. Les chuchotis. Les silences trop pesants. Il serre les dents. Il a dĂ©jĂ  vĂ©cu ça – mais c'est toujours aussi Ă©touffant. L'impression d'ĂȘtre un point d'interrogation ambulant. Et d'un coup, tout ce qu'il a fait pour se fondre dans la masse s'Ă©croule.

Monsieur Mafhoud referme sa liste, sans relever l'agitation. Il s'adresse Ă  la classe, puis pose les yeux sur Dylan, briĂšvement.

— Si besoin, tu n'hĂ©sites pas, d'accord ?

Simple. Net. Juste ce qu'il faut.

Dylan hoche la tĂȘte, lentement. Un hochement discret, presque imperceptible. Mais Ă  l'intĂ©rieur, ça vrille un peu. Parce que cette phrase, prononcĂ©e comme une Ă©vidence et non comme une exception, le touche plus que prĂ©vu.

Et puis, sur sa gauche – lĂ  oĂč il ne veut pas regarder – il sent le regard de Tristan. Un regard tranquille. Sans pression. Puis ce petit sourire Ă  peine esquissĂ©, presque complice. Comme s'il lui disait : t'inquiĂšte, je suis lĂ .

Et pour la premiĂšre fois depuis qu'il est entrĂ© dans cette classe, Dylan sent que peut-ĂȘtre... il n'est pas si seul.

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