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Chapitre 3

Quand le couple regagna le rez-de-chaussée, Kimberly picorait des chips tortillas qu'elle trempait dans une sauce indéterminée, assise sur le canapé en face de la cheminée. Alexander, appuyé sur le cadre d'une fenêtre, fumait son énième cigarette de la journée, le regard perdu. L'extérieur n'était plus qu'un gouffre noir insondable dans lequel soufflaient des bourrasques blanches. Le vent hurlait, agitant les branches comme des fouets contre les carreaux. Quant à Matthew, il sirotait un verre de jus de fruit, pianotant en rythme la surface en bois du bar, son casque suspendu autour de son long cou. Un feu chaleureux crépitait dans l’âtre et projetait des ombres mouvantes sur les murs. Jay trouva qu'il apportait une touche de romantisme au lieu. Encore une fois, il aurait préféré profiter de cette semaine de vacances en duo avec Hannah, plutôt que de se coltiner son insupportable clique. Ils n’avaient jamais eu de moment d’intimité tous les deux. Il y avait toujours un ami ou de la famille dans les parages.

— Ça va tout le monde ? demanda Hannah, d'un ton enjoué.

En entendant la voix de son amie, Kimberly se retourna, un air soulagé peint sur son visage.

— Hannah, je t'en prie. Dis-moi que ton oncle a acheté autre chose que ces conserves pourries. Je n'ai rien avalé depuis ce midi, je meurs de faim !

— Le cellier se trouve à la cave. David a dû y déposer les courses. Qu'est-ce que vous voulez manger ? On dîne, ensuite, je vous montre vos chambres.

— Des spaghettis à la bolognaise, lança Kimberly, sans réfléchir. Je pourrais en manger des tonnes.

— Je ne sais pas si j'ai tout ce qu'il faut, répliqua Hannah, Matthew ?

Celui-ci haussa les épaules sans desserrer les dents. Elle se tourna vers le fumeur.

— Xander ?

— Débrouillez-vous. Par contre, je veux bien une bière, si t'as.

— Pas d'alcool ce soir. On doit être en forme demain. Et toi ? termina-t-elle.

— Je ne suis pas très difficile, répondit Jay, je mangerai ce qu'il y a. Même ces boîtes infâmes, s’il le faut.

Elle lui prit la main.

— Viens donc m'aider à choisir.

Ils descendirent dans une cave aménagée. L'air, chargé de cette odeur caractéristique de pierres humides, était légèrement plus frais qu'au rez-de-chaussée sans pour autant rivaliser avec les températures négatives de l'extérieur. Sur leur droite, des étagères métalliques croulaient sous le poids de provisions hétéroclites : sachets de riz et de pâtes impeccablement alignés, boites de conserves empilées les unes sur les autres, fruits et légumes, biscuits et céréales, paquets de café et sachets de thé, diverses bouteilles d'alcool… Finalement, David, ignorant les goûts de ses invités, avait pensé à tout.

Hannah se dirigea vers les étagères et se jucha sur la pointe des pieds, son index tapotant la pointe de son menton. Chose qu'elle faisait chaque fois qu'elle réfléchissait. Jay se campa à ses côtés pour la contempler. Il adorait quand elle faisait ça.

— Qu'est-ce qu'on pourrait bien se faire à manger avec tout ça ?

— On dirait que ton oncle s'attendait à ce qu'on passe l'hiver ici.

— C'est quelqu'un de très prévoyant, et la nature peut se montrer très imprévisible.

— Comme avec cette tempête.

— Exactement.

Jay appuya son épaule contre un mur.

— Alors, qu'y a-t-il au menu ce soir ? demanda-t-il.

— Laisse-moi réfléchir un instant. Je n'ai pas envie de faire que de monter descendre.

— Si tes amis ne sont pas contents de ton choix, ils descendront eux-mêmes.

— T'es dur avec eux, tu sais ?

Jay croisa ses bras sur son torse

— Je les trouve parfois un peu immatures.

— Toi aussi, tu as eu vingt ans, lui fit-elle remarquer.

— Hum, je n'étais pas comme eux.

Le doyen du groupe se dirigea vers un congélateur tout en longueur. Son léger bourdonnement était le seul son audible dans la pièce.

— Y a peut-être quelque chose d’intéressant, là-dedans.

— Non, n'ouvre pas, intervint Hannah, en s'interposant entre lui et le coffre.

Sa voix était plus ferme que d'habitude et ses yeux brillaient d'une étrange lueur.

— Pourquoi ? Tu planques un cadavre ? la taquina-t-il.

La main de sa petite amie se referma brusquement autour de son poignet, alors qu'il s'apprêtait à soulever le couvercle.

— Attends !

Il resta un instant pantois. Hannah était montée dans les aigus, comme lorsqu'elle avait peur. Pourquoi réagissait-elle ainsi ? Qu'avait-elle à cacher là-dedans ? Son regard glissa vers le congélateur. D'accord, ce truc était assez gros pour contenir un corps, mais il plaisantait. Il se dégagea doucement de sa prise et l'ouvrit malgré l’avertissement de sa petite amie. Il resta interdit un instant, avant de s'esclaffer :

— Quoi, c'est ça que tu ne voulais pas que je voie, fit-il, en désignant la carcasse d'un daguet conservé à l'intérieur. Tu sais que si je passe mon examen, je suis amené à voir pire que ça au long de ma carrière.

Elle repoussa une mèche derrière son oreille, les joues rouges de honte.

— Tu dois quand même trouver ça bizarre, qu'il soit ni dépecé ni dépouillé. Mon oncle l'a percuté avec son tout terrain la semaine dernière. Habituellement, quand il chasse, il garde les parties comestibles pour nous et offre le reste aux chiens des chasseurs du coin. J'ignore pourquoi il ne l'a pas encore fait. Il n'a sans doute pas trouvé le temps.

Jay examina l’animal de plus près. Il y avait quelque chose d'étrange dans son regard vitreux, comme s'il le fixait encore du fond de ses yeux morts. Puis il repensa au crâne accroché au-dessus de la porte et imagina David Lewis décapiter cette pauvre bête, retirer la peau et nettoyer l’os pour la transformer en un nouveau trophée. Voyant qu'Hannah attendait une réaction de sa part, il s'essuya le front.

— Ouf, je préfère ça. Pendant un instant, j'ai cru que j'étais casé avec une sérial killeuse.

— Tu as eu peur ? le provoqua-t-elle.

— Non, j'ai trouvé ça sacrément sexy.

— Fais attention à toi, je peux encore te dévorer tout cru.

— J'ai hâte de voir ça.

Il mit ses mains sur ses joues et lui embrassa le front.

— Alors, je suis pardonné ? demanda-t-il.

— Je n'ai jamais pu t'en vouloir longtemps.

Il s’écarta.

— Allez, dépêchez-nous de remonter, sinon tes amis vont se faire des films.

— Ne t'inquiète pas pour ça, le rassura Hannah, Kim est au courant pour nous deux.

— Ah oui ?

— C'est ma meilleure amie. Je lui dis quasiment tout.

Hannah retourna face aux étagères. Son oncle avait pensé à tout, sauf à de la sauce bolognaise. N'étant pas d'humeur à la cuisiner elle-même, elle s'empara d'une boîte en carton.

— Mac' and cheese ? proposa-t-elle.

— Va pour mac' and cheese.

Tant pis pour les goûts culinaires de Kimberly.

Après le dîner, qui se déroula sans accroc, Hannah leur montra leurs chambres. La fatigue du trajet pesant sur chacun, personne n'avait proposé de veiller ce soir. La tempête de neige avait renversé la parabole, rendant la télévision inutilisable, et le couple Lewis ne possédait aucun jeu de société qui aurait pu animer leur soirée. De plus, ni l'un ni l'autre n'avait eu la force de rester discuter en se regardant dans le blanc des yeux pendant des heures. Comme l'avait souligné la nièce des propriétaires ; ils devaient être en forme demain, car ils allaient beaucoup marcher à travers la forêt. Jay avait hâte. Pas pour découvrir l'existence ou non de ce wendigo, mais pour explorer la région dans laquelle sa bien-aimée avait grandi. Elle ne parlait que trop peu de l'accident dont elle avait réchappé à l'âge de cinq ans. Il savait néanmoins que le drame s'était produit non loin de ce chalet et que ses parents n'y avaient pas survécu. Jay espérait qu'elle parvienne enfin à se confier à lui durant ce séjour, non par curiosité morbide, mais parce qu'après cette discussion concernant sa cicatrice, il avait réalisé que, contrairement à ses croyances, elle n'était pas totalement guérie de son passé.

C'était pourtant l'impression qu'il avait eu en la rencontrant à l'université de Twin Cities. Lui était dans sa dernière année de criminologie et présentait le campus aux futurs étudiants, dont Hannah, qui y entrait pour des études de littérature anglaise après une année sabbatique. Durant toute la visite, il n’avait pu détacher ses yeux de la jeune femme vêtue d’une robe jaune fleurie. Si sa cicatrice était la première chose qu'il avait remarquée chez elle, ses grands yeux ronds et bleus l'avaient captivé ensuite. À la fin du tour, il avait pris son courage à deux mains et lui avait demandé son numéro de téléphone portable. Elle avait répondu qu'elle n'en possédait pas. Si Jay avait d'abord cru qu'il se faisait rembarrer, elle lui avait pris la main pour y inscrire son numéro fixe sur la paume au feutre noir. Il l'avait appelé le soir même et ils ne s'étaient plus lâchés depuis.

Le chalet disposait de quatre chambres. Celle occupée par le couple Lewis — partis en voyage de leur côté — resta inoccupée. Kimberly et Alexander partageaient la leur, tandis que Matthew et Jay occupaient la seconde chambre d'amis. Hannah et lui s'étaient mis d'accord au début de leur relation et attendaient le mariage pour aller plus loin. Son oncle et sa tante étaient de la vieille génération, très conservatrice, si bien qu'Hannah avait dû jouer des pieds et des mains pour que ceux-ci autorisent cette soirée, et encore plus la présence de Jay. Non pas qu'ils ne l'appréciaient pas. Tous les trois s'entendaient très bien, mais un homme reste un homme, avait dit une fois David, je sais à quoi pensent les garçons de son âge. Jay comprenait leur point de vue. Même si attendre le mariage paraissait pour lui un peu arriéré, il ne s'était jamais lancé dans une relation sans une pensée pour l'avenir. Il ne voyait pas l'intérêt de fréquenter une personne si l'objectif n'était pas de finir ses jours avec elle. Avant Hannah, il avait connu deux histoires d'amour de plus ou moins longues durées. Toutes les deux avaient été mises à terme par l'autre partie. Selon elles, il allait trop vite et cela les effrayait. Comment pouvait-on avoir peur de l'amour ? se demandait-il parfois.

Jay se tourna dans son lit, écoutant le vent qui hurlait dans la charpente. Si la météo ne se calmait pas avant demain, pas sûr que leur escapade resterait d'actualité. Sur le lit d’à côté, Matthew était allongé sur le dos, son regard rivé au plafond.

— Je peux te poser une question ? lui demanda Jay.

— Ouais.

— Tu y crois, toi ? Aux… comment ça s'appelle déjà… Aux wendigowak ?

Il y eut un moment de silence durant lequel Jay crut que son camarade de chambre s'était endormi, ou l'ignorait, mais celui-ci répondit finalement :

— Je pense que toute légende porte une part de vérité en elle. Mais, si tu me demandes si je crois à un géant de glace anthropophage. La réponse est non.

Puis il lui tourna le dos et enfila son casque, mettant fin à leur échange.

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17 days
La fin du chapitre est intéressante ! Pourquoi est-ce que Matthew est présent s'il n'y croit pas ? Car depuis le début, on pense qu'il n'y a que Jay qui semble méfiant.
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