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Kevin_Taccat
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Chapitre 2. Arrivée

Je fixe mon reflet dans le miroir. Un visage que je ne reconnais pas me dévisage.

Des yeux changeants, tantôt gris-bleu, tantôt mordorés, c’est selon la lumière et mon humeur. Des traits fins, presque androgynes. Des cheveux noir corbeau qui tombent en mèches désordonnées sur mon front. Une peau pâle qui semble n’avoir jamais connu le soleil.

On m’a pourvu du corps exact dont j’ai besoin : celui qui incarne au mieux l’image de la proie innocente et vulnérable.

Trois jours se sont écoulés depuis ma chute. Trois jours passés à me familiariser avec ce corps humain fragile. Trois jours aussi à construire l’identité d’Ash Reed, étudiant transféré en littérature.

J’observe l’appartement exigu que j’occupe temporairement. Les humains appellent ça un studio. Quatre murs, un lit, une kitchenette, une salle de bain minuscule. Le strict nécessaire. La propriétaire n’a posé aucune question quand j’ai payé six mois d’avance en liquide.

L’argent. Une des rares choses que j’ai réussi à matérialiser avec mes pouvoirs diminués. Une quantité limitée, tout juste assez pour survivre jusqu’à l’Éclipse Rouge, pas davantage. Une autre contrainte de ma punition.

Sur la table, les documents qui attestent de mon existence humaine. Carte d’identité, relevés de notes, historique académique… Tous parfaitement contrefaits. Une création née de l’ombre et de ma volonté. Mon dernier acte de création majeure avant longtemps. Ça et l’argent, ça m’a coûté toute mon énergie.

Je passe une main sur mon visage. La sensation est toujours étrange. Être confiné dans cette enveloppe charnelle, ça ressemble à être emprisonné dans un costume trop étroit. Chaque émotion, la faim, la fatigue, le désir … Toutes résonnent avec une intensité dérangeante et incessante.

Comment les humains supportent-ils cette cacophonie des sens ?

Je ferme les yeux et tente à nouveau d’invoquer une part de mon ancienne puissance. À peine une étincelle répond à mon appel. J’ai conservé si peu de mes capacités.

Quelle déchéance.

Moi qui ai purifié des légions entières d’âmes corrompues, me voilà réduit à séduire des humains pour survivre.

Je saisis mon sac. Il contient quelques vêtements, un ordinateur portable, des livres. L’attirail typique d’un étudiant. L’heure approche de me présenter à l’université.

*

L’Université Byron Clare se dresse devant moi comme une forteresse gothique. Tours élancées, gargouilles grimaçantes, vitraux aux teintes sombres. L’architecture semble conçue pour intimider. J’apprécie l’ironie. Un lieu d’apprentissage qui s’habille comme un temple dédié aux ténèbres.

Je gravis les marches de pierre usées par des générations d’étudiants. L’air est chargé d’une énergie particulière ici. Pas seulement l’excitation juvénile qui émane des humains autour de moi, mais quelque chose de plus ancien, de plus profond.

Des résidus magiques. Subtils. Presque imperceptibles pour qui ne sait pas écouter.

Des rites ont été pratiqués ici. Anciens. Puissants. Intéressant.

Je pousse les lourdes portes du bâtiment principal. L’intérieur est aussi imposant que la façade. Plafonds voûtés, boiseries sombres, portraits d’anciens doyens aux regards sévères. Un mélange de tradition et de privilège qui suinte des murs mêmes.

Le bureau des admissions se trouve au fond d’un couloir latéral. Une femme d’âge moyen, cheveux gris tirés en chignon strict, lève à peine les yeux quand j’approche.

— Nom? demande-t-elle d’une voix monocorde.

— Ash Reed. Étudiant transféré.

Un soupir fatigué. Quelques clics sur son ordinateur.

— Ah, oui. Nous vous attendions.

Elle imprime mon emploi du temps, un plan du campus, une liste de règlements. Gestes mécaniques, répétés des centaines de fois.

— Votre carte d’étudiant sera prête demain. En attendant, voici un laissez-passer temporaire.

Elle me tend une carte plastifiée.

— Résidence Morrison, chambre 304. La clé est déjà dans la serrure.

Pas de sourire. Pas de « bienvenue ». Parfait. Je n’ai pas besoin de chaleur humaine.

— Merci, réponds-je par pure convention.

Je tourne les talons, documents en main. Dans le hall principal, les étudiants se croisent, se regroupent, se dispersent. Un ballet humain chaotique et bruyant.

Je les observe, ces êtres éphémères aux émotions explosives. Si j’avais encore la vision de ma nature démoniaque, je verrais leurs auras, ces nuages d’énergie colorés qui entourent chaque être vivant. J’y lirais leurs peurs, leurs désirs, leurs corruptions.

Maintenant, je dois me contenter d’indices plus subtils. Un regard fuyant. Un sourire trop large. Des mains qui tremblent légèrement.

C’est à travers ces signes que je dois identifier mes cibles.

Je traverse le campus. Les résidences étudiantes sont séparées du bâtiment principal par une vaste pelouse où des groupes se prélassent sous le soleil automnal. Rires. Discussions animées. Quelques couples enlacés.

Tout ce spectacle me laisse froid. Ces humains ne sont que des instruments pour ma rédemption. Ou ma survie, plus exactement. Rien de plus.

La résidence Morrison est un bâtiment plus récent, moins imposant que le corps principal de l’université. Quatre étages de briques rouges, fenêtres uniformes, entrée fonctionnelle.

L’intérieur sent le désinfectant et la nourriture réchauffée. Le couloir du troisième étage est désert quand j’y arrive. Les portes fermées laissent échapper diverses musiques, conversations, bruits de jeux vidéo.

Chambre 304. La clé est effectivement dans la serrure, comme promis.

L’espace est plus grand que mon studio temporaire, mais tout aussi impersonnel. Lit simple, bureau, armoire, étagères vides. Une fenêtre donne sur la cour intérieure. Salle de bain partagée dans le couloir.

Je jette mon sac sur le lit et m’approche de la fenêtre. De là, j’observe les étudiants qui vont et viennent.

Un mouvement attire mon attention. Une jeune femme asiatique traverse la cour à pas rapides, plusieurs livres serrés contre sa poitrine. Elle s’arrête brièvement pour aider un étudiant qui a fait tomber ses affaires. Un sourire. Un mot gentil, sans doute. Puis elle reprend sa route, disparaissant dans un bâtiment adjacent.

Ce geste altruiste spontané me rappelle pourquoi j’ai été puni. Cette compassion que le Conseil a jugée comme une faiblesse impardonnable. Cette même faiblesse qui m’a conduit ici, dans ce corps limité, avec cette mission impossible.

Je me détourne de la fenêtre. Pas de place pour de telles pensées.

Je place méthodiquement mes affaires dans l’armoire. Vêtements. Livres. Ordinateur sur le bureau. Chaque geste calculé, efficace.

Une fois installé, je sors le plan du campus. Il me faut repérer les lieux stratégiques. Cafétéria. Bibliothèque. Salles communes. Les endroits où les étudiants se rassemblent, où je pourrai observer leurs interactions. Identifier les prédateurs parmi eux.

Je dois trouver sept âmes corrompues à purifier. Sept hommes dont la noirceur intérieure les pousse à blesser les autres. Sept transferts d’énergie, sept pénétrations spirituelles, sept marques différentes imprimées dans mon essence pour regagner mon immortalité. Je serai lié à tous simultanément, porteur d’une constellation de corruptions purifiées, chacune me transformant à sa façon.

Le premier cours de littérature comparative commence demain matin. D’ici là, je dois établir ma stratégie. Jouer le rôle de l’étudiant timide, vulnérable. Celui qui attire naturellement les prédateurs.

Je m’allonge sur le lit dur, fixant le plafond blanc. Les bruits de la résidence me parviennent étouffés. Musique, rires, discussions animées. La vie humaine dans toute sa banalité insipide.

Six mois. Sept âmes. Une mission.

Je ferme les yeux, mais le sommeil ne vient pas. Les démons n’ont pas besoin de dormir habituellement. Ce corps humain, lui, semble l’exiger. Encore une faiblesse à supporter.

Je sens la nuit tomber lentement sur l’université. Dans l’obscurité grandissante, je perçois cette étrange énergie résiduelle que j’avais remarquée plus tôt. Elle pulse doucement, comme un cœur ancien enfoui sous les fondations mêmes de cet endroit.

Cette université cache des secrets. Le Chasseur dont m’a parlé la Voix n’est peut-être pas la seule menace ici.

Un sourire froid étire mes lèvres. Peu importe. Rien ne m’empêchera d’accomplir ma mission. Ces humains, leurs secrets, leurs jeux de pouvoir. Tout cela n’est qu’un moyen pour atteindre mon but.

Je suis Azriel, démon déchu, exorciste des Hautes Sphères.

Et demain, ma chasse commence.

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