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Partie 2 - Un espoir dans la nuit

Des lumières jaunes dansaient au loin quand il ouvrit de nouveau les yeux. Il ne put que les regarder sans mot dire, les suppliant silencieusement de l'emmener loin de cette vie de misère. Il était gelé. Ses membres tremblaient de manière incontrôlée sous la pluie glaciale qui inondait la forêt depuis quelques minutes maintenant. Le soleil entamait sa montée dans le ciel, il fallait croire qu'il avait passé la nuit la plus dure de son existence finalement.

Les sources lumineuses se rapprochaient. Il leva lentement la tête et plissa les yeux pour mieux les apercevoir. Deux silhouettes encapuchonnées se dessinaient dans l'horizon. Hallucinait-il ? Il avait tant espéré que l'aide tombe du ciel qu'il doutait de sa propre perception. Pourtant, bientôt, deux elfes en armure se stoppèrent à quelques mètres de sa position.

Toujours nerveux, Lazare les observa comme s'ils n'étaient que des fantômes, n'osant pas leur parler de peur qu'ils ne s'évanouissent. L'un des deux guerriers tendit sa lance en avant et s'approcha lentement. Il donna un coup dans la manticore et recula vivement, sur ses gardes. La bête ne bougea pas et ne bougerait jamais plus. Il adressa un signe de tête à son compagnon. Tous deux soulevèrent la créature et la posèrent plus loin, libérant le blessé de son entrave.

— Dimyo-mi sitquosi, chuchota l'un d'eux en le pointant à son camarade. Ryim itv wuvsi pun ?

(Celui-là respire. Quel est votre nom ?)

L'elfe tourna un œil désespéré vers lui. Il toussa un peu de sang et chercha à se redresser. Le guerrier posa une main sur son torse, lui ordonnant de rester couché, menaçant. Lazare se concentra pour aligner les quelques rares mots que son cerveau embrumé lui autorisait à prononcer.

— Ki tyot Lazare, nittehis fi... fi... Lothariel.

(Je suis Lazare, messager de... de... Lothariel.)

Douloureusement, il se força à bouger son bras jusqu'à l'une des poches déchirées de sa tenue de voyage. Il en fit tomber le sceau royal de Lothariel, sa cité de naissance. Le visage des deux guerriers devint de suite plus amical. L'un des deux ordonna à son camarade de rester près de lui et s'enfonça dans les fourrés tandis que le second s'approchait de lui. Il déchira précautionneusement les lambeaux de ses vêtements et tâta les blessures en tirant à intervalle régulier des grimaces. À sa tête, Lazare comprit immédiatement que ce n'était pas beau à voir.

— Wuyt ewib cieyduyq fi djepdi f'îvsi ip woi.

(Vous avez beaucoup de chance d'être en vie.)

L'elfe se mit à rire de manière incontrôlée. De la chance ? Lui ? Sa vie n'était qu'enchaînement de catastrophes, espoirs éphémères et désillusions. Les dieux devaient s'amuser de son tourment autant qu'il en souffrait.

Dans les légendes chantées par les troubadours de son peuple, un chant voulait que la valeur d'un individu se compte au nombre d'obstacles qu'il avait surmontés dans sa vie. Si c'était le cas, il serait probablement un dieu elfe à présent. S'il était né riche, peut-être même que ce serait effectivement le cas. Lorsqu'il était plus jeune, il avait toujours rêvé d'être chevalier-éclaireur, le plus haut rang accessible aux personnes de naissance infâme, c'est-à-dire celles ne descendant pas de familles anoblies. Lazare avait vite déchanté après avoir découvert que seuls les bourgeois pouvaient un jour espérer accéder à ce titre. Fils de messager, il avait été contraint de suivre la route de son père, comme l'exigeait la tradition familiale : une existence de misère, invisible et méprisée de tous.

Et pourtant, malgré toutes les épreuves qu'il venait de subir, il restait persuadé que ses responsables hiérarchiques ne jugeraient que son retard pour rentrer à Lothariel. Il finirait sans emploi, sans logement, avec ses deux filles à charge. Qui croirait ses histoires de manticores et de prince héritier trop empathique ?

La vie n'a aucune considération pour les héros du quotidien. Seuls les riches et les bien-pensants écrivent l'Histoire, si l'on en croit les livres ; personne ne chantera les louanges d'un petit messager pitoyable qui a survécu à une manticore par simple chance.

Les pas de chevaux lui firent relever la tête. L'elfe parti en éclaireur revenait vers eux, la bride de son cheval dans une main, celle de la jument de Lazare dans l'autre. Le fougueux animal, toujours nerveux, tapait de sabot en lançant des regards affolés autour de lui. Le garde vint aider le second à hisser le blessé sur son dos. Le contact de la selle lui arracha une grimace. Jaggadevi se tendit, mais n'opposa pas de résistance. Ses sauveurs attachèrent la jument à la selle du premier équidé et le convoi se mit en route.

Ils marchaient au cœur de la forêt depuis quelques heures maintenant. Les deux accompagnateurs de Lazare parlaient beaucoup, pour le garder éveillé, l'interrogeant sans cesse sur des sujets sans importance pour l'empêcher de sombrer dans l'inconscience. Il répondait avec plus ou moins de difficulté.

Lazare apprit ainsi d'eux qu'ils se trouvaient à une journée et demie de marche de Lothariel. Si proche et si loin à la fois pour un être qui pensait, il y avait encore quelques minutes, ne jamais revoir sa ville natale. Ils se dirigeaient vers Méaaras, le camp centaure installé sur les rives du lac Filmiur. Les gardes lui expliquèrent qu'on pourrait lui procurer des soins plus importants que ceux qu'ils avaient pu lui prodiguer pour le moment.

En effet, ils n'avaient pas pu faire grand-chose pour lui malgré toute leur bonne volonté. Ils bandèrent les plaies, posèrent des plantes ramassées en chemin sur ses morsures. Le venin de manticore coulant toujours dans ses veines, ils ne pouvaient rien lui faire ingérer : ni potion de soin ni anesthésiant. Lazare constatait cependant une amélioration. Les effets de la paralysie s'estompaient de plus en plus rapidement bien qu'il fût toujours incapable de bouger les jambes. À en juger par les messes basses des deux elfes, l'état de son genou était préoccupant. Aucun des deux n'osait y toucher, de peur de le faire hurler et attirer avec ses cris de nouveaux prédateurs.

Une fois arrivé à Méaaras, il pourrait regagner Lothariel avec la prochaine garnison de scientifiques elfes, deux semaines plus tard. Rester aussi longtemps au même endroit ne lui plaisait pas forcément, mais avait-il seulement le droit de faire la fine bouche après tout ce qui lui était arrivé ? Le futur s'ouvrait de nouveau devant lui et l'espoir réchauffait son cœur fatigué.

Épuisé, il finit par somnoler sur le dos de sa monture, le sourire aux lèvres.

********

— Ficuyv. Puyt tunnit essowit.

(Debout. Nous sommes arrivés.)

Lazare ouvrit lentement les yeux. Courbaturé, l'esprit prisonnier d'une fatigue nébuleuse, il eut grande difficulté à émerger. Faiblement, il poussa sur ses bras pour se redresser. Sa force l'abandonna aussitôt et il se laissa retomber sur le dos de sa jument. Trop douloureux. Trop fatigué.

Il poussa un grognement de frustration et se laissa tirer en arrière par ses deux sauveurs. Ils furent très doux et le placèrent avec délicatesse sur un brancard positionné à côté de l'animal. Le mouvement lui arracha malgré tout un gémissement de douleur. Sa jambe le faisait souffrir plus que tout le reste. Il avait l'impression qu'elle allait prendre son indépendance d'une seconde à l'autre et l'abandonner.

Deux mains fortes et poilues le recouvrirent d'une couverture en laine épaisse. Il finit par croiser le regard du centaure chargé de tirer l'attelage jusqu'à l'infirmerie. Cette vision familière lui arracha un sourire. L'homme-cheval fronça les sourcils, pensant certainement qu'il délirait sous l'effet de la fièvre. C'était peut-être le cas. L'elfe n'avait plus vraiment conscience de son environnement. Il avait l'impression d'être enveloppé dans du coton.

Les deux gardes attachèrent le brancard à la croupe de la créature hybride. Apprivoisés par leur peuple depuis deux millénaires, les centaures entretenaient de bonnes relations avec les individus de son espèce. En échange d'apprentissage et de connaissances, ils leur offraient médecine, techniques guerrières et science des étoiles. Se comprendre s'avérait parfois difficile, à cause des barrières du langage, mais les demi-équidés représentaient leurs plus fidèles alliés. En cas de guerre, les deux peuples s'entraidaient de manière naturelle et instinctive.

Lazare avait toujours admiré ces puissantes créatures qui lui donnaient un sentiment de sécurité lorsqu'il était enfant. Lentement, le convoi se mit en route. Le mouvement du brancard se répercuta fortement dans sa jambe, si bien qu'il se recroquevilla sur un côté. Combien de temps encore était-il condamné à souffrir ? Il espérait être rapidement soigné. Les yeux mi-clos, il se concentra sur les paysages défilant devant lui pour oublier le mal qui le rongeait petit à petit.

Méaaras était un lieu de passage clé pour les messagers et les armées elfes, bien avant d'être le refuge des centaures. Ici, personne n'était armé, tout le monde vivait dans une paix bienfaitrice, quoique très réglementée. Grâce à sa réputation de "zone blanche", comme on appelait les villes n'ayant participé à aucune guerre ces dernières années, un bon nombre d'hybrides d'élémentaires et de démons y séjournaient temporairement ou définitivement, à l'abri de la folie des hommes et des nains ne souhaitant que leur extermination pure et simple. Ils se promenaient tranquillement au milieu de parjures et bandits en exil ou de mages en quête de tranquillité pour étudier.

Le brancard de Lazare traversa le camp intégralement. De petites tentes se dressaient de façon désordonnée à sa droite et à sa gauche, peuplées de diverses créatures qui marchandaient, partageaient et discutaient gaiement. Des centaures, des elfes se penchaient sur son passage, le visage tordu d'une grimace à la vue de son état. Partout, des regards pleins de pitié le dévisageaient. Ils plongeaient l'elfe dans un profond malaise. Il n'avait jamais vraiment apprécié être le centre de l'attention, il préférait davantage les fourrés bien fournis et les ombres de la nuit.

À l'horizon apparut sa destination : un bâtiment primitif bancal, composé de boue et de bois séché posé maladroitement. Des cris et des gémissements s'échappaient de la porte, serrant son estomac d'appréhension. Où l'emmenaient-ils ? Dès qu'il passa le seuil, il fut pris d'un haut de cœur. Il régnait dans la pièce sans fenêtre une odeur nauséabonde, mélange de peur, de mort et de décomposition. Devant lui, réparties sur deux rangées, des formes cadavériques s'agitaient faiblement sous des draps blancs. Elles poussaient de temps à autre une plainte silencieuse ou un hurlement déchirant.

Lazare sursautait à chaque contact de ces mains sales, suppliantes, qui cherchaient à agripper les gardes dans de vains appels à l'aide. Des dizaines d'entre eux, toutes espèces confondues, étaient entassés dans l'espace exigu, les uns sur les autres, abandonnés de tous. Cette vision retourna l'estomac du messager, à la fois de douleur, de peur et d'écœurement.

Si l'Enfer avait un visage, il était sûr qu'il s'agissait de celui-ci.

Où avait-il atterri ? Cette question ne cessait de tourner dans son cerveau. Il n'était pas venu à Méaaras depuis sa formation de messager, il y avait plus de trente ans. Il ignorait tout de la vie menée par les habitants du lieu. Cette claque culturelle irréaliste le découragea. Finirait-il comme tous ces malheureux ? Ou pire, se pourrait-il qu'il attrape une maladie mortelle par manque d'hygiène ? La perspective de mourir ici le terrifiait encore plus qu'entre les pattes de la manticore. Se faire dévorer était douloureux sur le coup, mais ce n'était rien comparé à une longue agonie parmi les malades.

On le rangea contre un mur. Pendant que ses deux sauveurs retiraient l'harnachement du centaure, l'elfe put commencer à observer son environnement avec plus d'attention. À sa droite, une humaine en robe blanche se tordait de douleur dans son lit. Elle se serrait le ventre de ses deux bras et hurlait à qui voulait l'entendre qu'un certain "il" était en train d'arriver. Personne ne parut esquisser un geste vers elle.

Une fois le centaure détaché, les deux elfes tournèrent les talons. Ils l'abandonnèrent là, sans plus de préoccupations malgré ses faibles suppliques pour qu'ils restent près de lui. Lazare était terrifié. Son cœur menaçait de s'échapper de sa poitrine à chacun de ses battements, le suivant toujours plus intense que le précédent. Ses yeux s'agrandirent d'effroi, son souffle se fit plus rapide.

— Pi ni meottib qet mé ! T'om wuyt qmeôt ! Siwipib !

(Ne me laissez pas là ! S'il vous plaît ! Revenez !)

Il se redressa faiblement sur son brancard. Ils étaient encore dans son champ de vision, ils pouvaient encore l'entendre. Pourquoi ne se retournaient-ils pas ?

— Siwipib ! Siwipib ! s'égosilla-t-il, paniqué, en essayant vainement de se relever. Ki wiyz qet dsiwis odo ! Siwipib, qes qovoí !

(Revenez ! Revenez ! Je veux pas crever ici ! Revenez, par pitié !)

À force de s'agiter, le brancard se retourna. Des patients se mirent à hurler de peur autour de lui. Lui ne les entendait pas. Il rampait pitoyablement vers ses sauveurs, désespérément sourds à ses appels de détresse. Deux centaures déboulèrent d'une rangée de lits et lui attrapèrent les deux bras. Il se débattit, terrorisé, hurlant à pleins poumons sa peur et sa colère dans de longs hurlements bestiaux. Un des centaures cria quelque chose à son collègue pour couvrir sa voix. On plaça un foulard sur son visage, couvert de plantes bouillies.

Le monde se fit de moins en moins net. Les gardes ne devinrent plus que des silhouettes dans l'obscurité. Et il sombra dans les ténèbres, terrorisé.

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