‼️‼️TRIGGER WARNING : VIOLENCE ET DROGUE. si vous êtes sensible à ce genre de choses, je vous invite à ne pas lire la suite. Protégez-vous.‼️‼️
Le wagon roulait doucement sur les rails, bercé par le bruit du métal contre le sable. Cepheyra se laissa aller contre l'épaule de Ronald, cherchant un peu de repos malgré la douleur croissante due à l'excès de stimulation que son corps avait subi. La lueur orange de l'horizon passant à travers la fenêtre du wagon, baignait son visage d'une lumière douce et chaude, presque apaisante. Le paysage dévasté par le conflit entre Xylen et Klathor s'étendait devant elle, métamorphosant une nature luxuriante en un désert sec et tranchant, où le sable venait cisailler les cavités rocheuses qui leur servaient de refuge.
—Le désert de l'âme... pensa-t-elle.
Sous cette étendue désertique, des cavernes avaient été creusées par milliers, donnant naissance à des artères labyrinthiques, dignes d'une colonie de fourmis. Là, dans les profondeurs, se trouvaient des pierres à l'aspect violine et mystérieuses, nommées Stases. Elles permettaient de catalyser les souches que les Algors collectaient au fil de leurs explorations dans le Flux Synaptique. Utilisées avec d'autres minéraux, elles conservaient l'énergie nécessaire à éclairer les cavernes, à faire fonctionner les wagons de transport, mais surtout à alimenter le Noyau de la colonie, situé au cœur de la Zone 0.
L'histoire de cette guerre divine, qui avait changé irrévocablement le visage de leur monde, continuait à résonner dans sa mémoire. Combien de fois avait-elle entendu ce récit ? Bien trop. Une lutte titanesque entre Xylen, seigneur de l'infime et Klathor, maître de la destinée. Une guerre qui avait fracturé l'espace et le temps, censée préserver leur humanité, leur destin. Elle savait que ce récit édulcoré ne tenait pas la route, qu'une partie de l'histoire avait été endiguée pour préserver cette prospérité factice. Tout en elle était en alerte. Ce qu'on l'obligeait à protéger, n'était qu'un simulacre. Ses voyages dans le Flux lui avaient ouvert les yeux, mais elle devait à tout prix les fermer à nouveau pour rester à sa place, pour éviter que le doute ne la consume entièrement. Devoir garder son calme, sa clarté d'esprit face à ses frères et sœurs de l'orphelinat qui, eux, menaient une existence sereine dans cette utopie. Pour préserver leur gaîté, leur sourire, leur joie de vivre, leur innocence, elle devait faire cavalier seul. Se battre contre une hiérarchie vieille de plusieurs décennies. Lutter contre un destin tracé d'avance, au risque de détruire le travail de tant d'autres, qui n'aspiraient qu'à la paix.
— Un jour ... Je découvrirais la vérité, Ronald.
Les mots s'échappant sans qu'elle ne puisse les retenir.
— Je trouverai un moyen. Peu importe ce que je dois faire, ajouta elle dans un murmure à peine audible.
— Tu sais que c'est risqué, ce que tu dis là, répondit Ronald qui tourna la tête vers elle, le regard grave.
Elle hocha la tête, le regard plus déterminé que jamais. Il était probablement le seul à vraiment la comprendre, à voir au-delà des apparences. Et, même si le monde semblait être un endroit de plus en plus morne, régi par des règles absolus, elle savait qu'il y avait encore une possibilité de découvrir une voie différente. Une voie qui lui appartiendrait, à elle, Cepheyra, et non à l'Algor qu'on attendait qu'elle soit. Ses paupières, lourdes, se fermaient lentement. Le paysage désertique s'estompait tandis qu'elle plongeait dans un sommeil fragile, où elle espérait enfin trouver un peu de paix.
Un souvenir. Des séquelles d'un passé tourmenté.
Les images projetées sur l'écran étaient une succession ininterrompue d'horreurs. Les enfants, en proie à des tremblements incontrôlables, se trouvaient pris au piège de ce spectacle insoutenable. Leurs yeux, forcés à observer, ne pouvaient se détourner. Les visages étaient défigurés par la peur, chacun reflétant une horreur unique. Les larmes n'étaient plus qu'un faible reflet de leur douleur, englouties dans les sinistres reflets du métal et du sang.
Le froid glacial de la pièce n'était rien comparé à cette brume glacée qui infestait leur âme. Chaque seconde paraissait être une éternité, une lente agonie qui dévorait tout espoir de rédemption. Et pourtant, quelque chose en Cepheyra résistait. Elle était là, parmi ces enfants, observant en silence. À travers les yeux de son corps d'enfant, elle endurait cet enfer, mais quelque chose en elle résistait. Une force, faible mais tenace, l'empêchait de sombrer dans cette folie collective.
Elle se souvenait de la sensation du cuir qui limait ses poignets et de ses chevilles, de l'air glaciale dans ses poumons. Mais ce qui la hantait le plus, c'étaient les regards vides de ceux qui, autour d'elle, avaient abandonné toute lutte. Leur absence de volonté, leur résignation totale. C'était cela qui la terrifiait.
Puis, comme un signal perçant la brume, elle se souvenait du moment où son propre reflet lui était apparu sur l'un des écrans, après une décharge particulièrement intense. Ses yeux étaient injectés de sang, son visage crispé de douleur, mais il y avait aussi... Quelque chose d'autre. Peut-être de la colère, peut-être de la révolte. Une étincelle qu'elle n'avait pas su voir à l'époque, mais qu'elle reconnaissait désormais.
L'image de ce souvenir douloureux se superposait aux ténèbres qui s'emparaient de son esprit. Chaque image, chaque son s'imprimaient profondément dans sa mémoire, comme des cicatrices indélébiles. Cepheyra ferma les yeux, mais cela ne suffisait pas à échapper à l'horreur qui bouillonnait sous sa peau. Elle sentait ses muscles tendus, sa gorge sèche, son cœur battant de manière irrégulière, désordonnée. Cette pastille rose — ce poison doux et sucré — symbolisait la soumission, un point de non-retour où tout semblait irrémédiablement perdu. Elle l'avait prise à de nombreuses reprises, dans un état de léthargie comme les autres enfants. Ce n'était pas une récompense. C'était une manière d'éteindre l'esprit, d'effacer chaque trace de l'âme.
Le souvenir se dissipa alors qu'elle revenait peu à peu à la réalité. Le cliquetis métallique des wagons, le souffle lourd de Ronald à ses côtés, la ramenèrent à l'instant présent. Mais le poids de ces réminiscences, comme tant d'autres, était indélébile. Un fardeau qu'elle porterait aussi longtemps qu'elle vivrait. Peut-être, un jour, parviendrait-elle à comprendre pourquoi cette souffrance devait être traversée pour atteindre quelque chose de plus profond, cette étincelle d'humanité qu'on leur avait toujours refusée.
Elle avait survécu à cet enfer, et pourtant, chaque souvenir la ramenait ici, au fond de ce wagon, prête à succomber à nouveau sous le poids des fantômes du passé. Sa respiration devint haletante, comme si elle luttait contre une marée déchaînée. La chaleur de Ronald à ses côtés, son bras protecteur toujours autour d'elle, n'empêchait pas la distance entre elle et son passé de se réduire, inexorablement, comme un piège qui se refermait.
Pas maintenant.
Elle serra les dents, chaque fibre de son corps tendue pour empêcher l'effondrement. Pas devant Ronald. Pas devant ces souvenirs qui menaçaient de la consumer. Elle n'était plus cette enfant fragile, enchaînée dans une salle froide, la chair marquée par des décharges électriques et la douleur, mais un être forgé dans la souffrance. Une Algor. Une survivante.
Elle inspira profondément, tentant de calmer son corps en proie à l'agitation, cherchant à se raccrocher à la réalité. Mais tout semblait flou, les contours de l'avenir aussi incertains que le sable balayé par le vent.
— Tu dois avancer.
Un brin de lucidité qui lui permit de repousser la nausée qui montait en elle. Ce souvenir ne la définirait pas, il ne serait pas son héritage. La révolte, l'espoir, même s'ils paraissaient lointains, existaient encore quelque part, enfouis dans les profondeurs d'elle-même. Le silence du wagon la harcelait alors que ses pensées tournaient en spirale, mais elle s'efforça de respirer lentement, de revenir à l'instant présent.
— On y est presque. murmura Ronald.
—Reste avec moi, Cepheyra.
L'empathie qui éprouvait à son égard pouvait se lire dans ses yeux.
Elle hocha lentement la tête, soutenant son regard avant de le détourner, veillant à masquer un spasme de douleur.
Les roues du wagon grinçaient sur les rails, un bruit monotone qui semblait presque apaisant, en contraste avec la tempête qui faisait rage en elle. Elle n'avait plus la force de lutter contre ses propres démons. L'angoisse, la douleur, les souvenirs s'amalgamaient en une masse informe et oppressante qui l'écrasait. Ses doigts, pris de frénésie, cherchaient un remède. Le remède. Ce cachet âcre qu'elle connaissait trop bien. Dans ce silence imposé par la substance, elle pouvait enfin respirer, même si elle savait que ce répit était artificiel. Chaque respiration lui coûtait, chaque battement de cœur résonnait avec une lourdeur insupportable, mais au moins, pour un instant, elle n'était plus complètement submergée par la vague de violence intérieure.
Le temps, dans ce petit coin d'espace, semblait suspendu. Les voix métalliques de l'annonceur résonnaient vaguement dans son esprit, lointaines, presque irréelles, comme si tout devenait flou, brumeux. La réalité s'éloignait, emportant avec elle les hurlements de ses souvenirs. Pourtant, la douleur, elle, ne disparaissait jamais tout à fait. Elle avait appris à vivre avec, à prétendre l'ignorer, mais chaque instant de répit laissait un goût amer, comme une trêve fragile et éphémère.
Épuisé, son corps s'affaissa contre le dossier de la banquette, succombant au poids immense qui l'accablait.