Février 2022 :
Les gouttes de pluie glissent lentement le long de la fenêtre, traçant des chemins sur la vitre embuée. Je les regarde sans vraiment les voir. Hier encore, je pensais que partir réglerait tout. Que quitter cette ville suffirait à laisser le passé derrière moi. Mais ici, dans cette voiture, une pensée amère s'insinue en moi : Et si rien ne changeait ?
Je secoue la tête je refuse. Plus jamais.
Je croise le regard de ma mère dans le rétroviseur. Son expression est dure, presque lasse. Elle ne comprend pas. Elle ne comprendra jamais. Mais cette fois, ça n'a plus d'importance, je ne pouvais pas rester.
Nous arrivons. Mon père gare la voiture dans l'allée, et je sors immédiatement, prenant une grande inspiration. L'air est frais, chargé de cette odeur de terre mouillée après la pluie. Nouvelle ville. Nouveau départ.
La maison est simple, en briques, sans âme. Juste un décor de transition. Ça me va. Je n'ai pas besoin d'attaches.
Dans ma chambre, les cartons sont déjà là. J'ouvre le premier et tombe sur une photo de James et moi, prise l'été dernier. Mon cœur se serre. James... Il a été mon refuge, avant tout ça. Et pourtant, aujourd'hui, je l'ai laissé derrière. La sensation d'étouffer me rattrape. Non, pas ici, je veux pouvoir respirer ici.
Je serre la photo entre mes doigts un instant avant de la ranger dans un tiroir. Tourner la page. Avancer.
Un bruit de notifications me ramène à la réalité.
Message inconnu :
Coucou ! Je m'appelle Lisa, je fais partie du conseil des élèves de Stender. L'école m'a passé ton numéro pour qu'on fasse connaissance. Lundi, je te ferai visiter l'école et t'aiderai à te repérer. Tu as des questions ?
Rapide, efficace. Je tape une réponse courte.
Moi :
Non, merci
Je pourrais poser mille questions. Mais non. Je veux voir par moi-même.
Je sors mon carnet, celui où j'ai écrit mes résolutions après... l'accident. Je relis les trois premières lignes :
1. Éviter les conflits. Ils ne sont que problèmes.
de toute façon je veux me concentrer sur moi.
2. Ne plus subir le silence. Si mes parents refusent de changer, alors ce sera sans eux.
celle ci s'avère difficile vu leur coté parents poule...
3. Ne plus me laisser marcher dessus.
La plus dur de toute, le dire est une chose... Le faire... plus compliqué...
Je ferme le carnet avec détermination.
Lundi, je ne serai plus celle qu'ils ont brisée.
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Mauvaise journée.
C'est ce que je me dis avant même de poser un pied hors du lit. Et j'avais raison.
À peine réveillée, ma mère commence à me prendre la tête :
T'as fini de déballer tes cartons ? T'as lu le règlement de la maison ?
Elle enchaîne. Règles de sécurité, couvre-feu, messages obligatoires à chaque déplacement : quand j'arrive, quand je pars, quand je monte dans le bus, quand j'en descends, quand je respire.
J'ai dix-sept ans, mais une gamine de six serait plus libre que moi.
Aujourd'hui, elle devait rester à la maison avec moi. Un dernier jour tranquille.
Sauf que non. Astreinte. Urgence à l'hôpital.
Et me laisser seule à la maison ? Impensable.
Me voilà donc coincée dans une salle d'attente glaciale, à regarder l'horloge se foutre de ma gueule.
Je soupire pour la quinzième fois en une demi-heure quand la porte s'ouvre. Un garçon entre, capuche noire, masque chirurgical noir sur le visage. Tout en lui hurle qu'il ne veut pas être approché.
Il jette un coup d'œil rapide dans ma direction, puis va s'asseoir à l'opposé.
Silence. Trente longues minutes.
Puis, sans prévenir, il relève la tête :
— Ça fait combien de temps que t'attends ?
Je sursaute un peu, relève les yeux.
— Euh... 30 ma mère pas vraiment.
Je m'emmêle dans mes mots. Super.
Un petit rire moqueur s'échappe de sous son masque.
— Va falloir que tu me la refasses, celle-là.
Je rougis, puis marmonne :
— Ma mère travaille ici. Voilà.
Il hoche la tête, amusé.
— Super... en gros, moi je suis bien parti pour aller me faire foutre.
Je souris malgré moi.
— Fallait aller aux urgences si c'était grave.
Cette fois, c'est lui qui rit franchement.
— Ouais... nan très mauvaise idée.
Je fronce les sourcils.
— Pourquoi ?
Son regard s'accroche au mien. Des yeux verts profonds, presque trop pour être vrais.
Puis, comme s'il décidait que j'avais gagné le droit de savoir, il murmure :
— Un gosse de riche aux urgences... et t'as toute la presse qui débarquent.
Il ricane, mais je sens que ce n'est pas qu'une blague.
Je l'observe, plus attentivement. Il est fatigué, pâle. Il serre parfois les dents comme s'il avait mal.
— Si c'est vraiment grave, je peux demander à ma mère de venir, propose-je.
— Et ça t'apporterait quoi ? me répond-il, un peu méfiant.
Je hausse les épaules.
— Une bonne action ? Ou... une connaissance dans cette ville ?
Il m'observe longuement. Puis lâche :
— T'es nouvelle ?
J'acquiesce.
— J'entre à Stender. Et toi ? T'as toujours pas répondu. Tu veux que j'aille la chercher ou pas ?
Un éclair passe dans ses yeux.
— On va à la même école. Et non, t'inquiète, ils sont sûrement débordés.
Je me lève.
— Raison de plus pour pas te laisser crever ici. Ça serait dommage de n'avoir personne a qui dit bonjour lundi.
Et sans lui laisser le temps de protester, je file dans le service de ma mère.
Elle est penchée sur des dossiers, concentrée.
— Maman ? Y'a un garçon dans la salle d'attente avec moi. Il dit qu'il va pas bien mais veut pas aller aux urgences...
Elle relève la tête, ses sourcils se froncent.
Elle regarde brièvement autour d'elle, puis me suit dans le couloir.
Quand on arrive, le garçon est allongé sur deux chaises, le bras sur les yeux, l'autre main plaquée contre sa tempe.
À peine le voit-elle que sa voix s'élève :
— Nate !
Je fronce les sourcils. Elle le connaît ?
Elle se précipite vers lui, s'agenouille pour l'aider à s'asseoir.
— Qu'est ce qui t'arrive?
Il la regarde, surpris. Puis ses yeux glissent vers moi.
— Attends... c'est ta fille ?
Ma mère soupire, visiblement habituée à ce qu'il évite les questions. Elle évite de répondre elle aussi le forçant à enlever sa capuche.
Ses boucles brunes tombent sur son front... et là, je remarque enfin le sang mêlé à ses cheveux.
Il saignait depuis tout ce temps... pas étonnant qu'il soit pâle.
— Combien de fois je vais devoir te dire de donner ton nom à l'accueil en arrivant !
Ma mère fulmine en examinant sa plaie, lui pour sa part secoue doucement la tête.
— Je veux pas d'un putain de traitement de faveur.
C'est moi qui intervient cette fois-ci.
— C'est sur qu'avoir le crâne ouvert c'est mieux.
Il hausse les épaules sans me regarder vu que ma mère inspecte toujours son crâne.
— Si je m'étais évanoui ça l'aurait fait chier.
Ma mère lui met une tape sur le bras.
— Viens. Faut que je te fasse un scan.
Nate se lève sans protester. Mais juste avant de quitter la pièce, il se retourne vers moi.
— Et toi ? T'as un nom ?
Je souris.
— Ashley.
Il hoche la tête.
— À lundi, Ashley.
Un clin d'œil.
Puis il disparaît dans le couloir, suivi de ma mère.
Je reste là, mon sourire figé.
Nate.
À ce moment-là, j'ignore encore tout.
Mais je retiens son prénom.
Et ce regard.
Ce premier contact.
Ma nouvelle vie ne sera peut être pas si terrible...
Cher lecteurs/lectrices
J'espère que vous avez apprécié ce premier chapitre et Nate et Ashley. J’ai hâte de vous raconter la suite. On se retrouve la semaine prochaine pour un nouveau chapitre !