Février 2022 :
Stender.
Le bâtiment se dresse devant moi comme un vieux château.
Certains élèves portent l'uniforme bleu impeccable, d'autres s'en foutent royalement.
Je resserre ma cravate bleu et doré une dernière fois et prends une grande inspiration.
Allez Ashley. Tu peux le faire.
Je m'avance vers l'entrée, tête haute, regardant autour de moi, et là...
PAF.
Je me prends un parpaing.
— Putain de parpaing, je souffle en me massant le nez.
Un ricanement résonne.
— Très sympathique.
Je lève les yeux. Aux dernières nouvelles les parpaings ne parlent pas.
Un brun. La veste de l'uniforme repose négligemment sur son épaule, la chemise semble faite sur mesure. Je lève le regard vers ses yeux bleus. Il est grand. Trop grand. Mince.
— Pardon. Je... pas parpaing ... vu t'avais pas
Et voilà. Bravo Ashley. Mélange tous les mots, ridiculise-toi encore.
Il rit, franchement cette fois. Super. Il se fout de ma gueule. Et il a raison.
— Et ici nouvelle fait ?
Je le fixe, sourcils froncés. Il sourit, l'air joueur.
— Pardon, c'était trop tentant.
Je secoue la tête, un sourire m'échappe malgré moi. Il me tend la main.
— Noah Aris.
Il mime une petite révérence.
— Pour te servir.
Je ris et l'imite avec une révérence exagérée.
— Ashley Kander.
Ses yeux brillent d'une lueur espiègle. L'air intimidant que lui donne sa carrure s'évanouit, on dirait un enfant.
— Je t'aime bien, toi.
Je sens une chaleur étrange dans ma poitrine.
Pas parce qu'un mec objectivement canon vient de dire qu'il m'aime bien.
Mais parce que... quelqu'un m'aime bien. Point.
Un groupe d'élèves passent à côté de nous en chuchotant et dévorant Noah du regard. Ce dernier leur adresse un sourire et un signe de la main et je suis sûre qu'elles vont s'évanouir.
Je me rappelle soudain du message de Lisa.
— Tu connaîtrais pas une certaine Lisa du conseil des élèves ? Elle devait me faire visiter.
Noah secoue la tête, hilare.
— Bonne chance.
Je fronce les sourcils.
— Pourquoi ?
Mais il regarde derrière moi et lève un doigt.
— Attends, je reviens.
Il fonce dans la cour vers un gars brun avec des écouteurs lui aussi ne porte pas la veste et sa chemise est ouverte sur un tee-shirt blanc. Il a l'air dans son monde, ignorant les filles qui lui courent après.
Et là, devant mes yeux, Noah lui saute dessus.
— Sammychouuuu ! Tu m'as trop manqué !
L'autre le fait passer au dessus de lui pour qu'il atterrisse au sol en râlant.
— On s'est vus ce matin, abruti.
Noah fait mine de pleurer au sol.
— Personne m'aime... Je vais me plaindre à Nana.
Le fameux « Sammychou » esquisse un sourire en coin.
— Je suis pas sûr qu'il te soutienne sur ce coup là.
Noah se tourne vers moi :
— Ashley, elle, me soutiendra !
Je me désigne du doigt :
— Moi ?
Puis son ami,
— Contre lui ? T'as vu ma taille ? Ma carrure? Je veux pas me faire dépecer.
Le concerné éclate de rire et me tend la main.
— Sam. Enchanté. Si Noah devient trop chiant, tu as ma bénédiction pour le jeter dans une poubelle, ça fera de mal à personne.
Je serre sa main pendant que Noah joue les victimes en arrière-plan.
Sam allume une clope. L'odeur me pique un peu le nez, mais je dis rien.
— Du coup, t'es nouvelle ?
Je hoche la tête, mais Noah me coupe en toussant.
— Sam, j'y vais ! Vu que tout le monde s'en fout de mon cul... Ashley, tu manges avec nous ce midi ?
Sam lève juste un pouce.
Moi, je bafouille un petit ok et Noah s'éclipse.
Super, il m'a même pas répondu pour Lisa.
Je me tourne vers Sam.
— Tu connais Lisa d...
— Ouep. Pas besoin de finir. Lis' ? Y'en a qu'une.
Je hoche la tête, un peu soulagée.
— Elle devait me faire visiter. Tu sais si elle va arriver?
— Quand je suis parti, elle dormait encore... Attends, je l'appelle.
Il sort son téléphone. Zéro réponse. Il réessaie plusieurs fois sans succès.
Il grimace.
— Elle était bien cuite hier. Je te garantis pas qu'elle arrive à l'heure.
Et là, comme par magie, une voiture de luxe débarque.
Elle est sublime, rouge et gracieuse même moi qui pige rien aux voitures, je suis impressionnée.
Sam la désigne d'un signe de tête.
— Voilà la princesse.
Une fille descend côté passager. Lunettes de soleil, démarche de mannequin, brushing de rêve, uniforme impeccable. Et comme les deux garçons, elle attire tous les regards.
Elle s'avance vers nous, passe son bras autour de l'épaule de Sam. Et se masse les tempes.
— J'ai une migraine horrible... Ne me laissez plus jamais boire autant. J'ai fait aucun truc honteux hier, rassure-moi ?
Sam ricane.
— T'as twerké au milieu du salon avec Noah puis t'a embrassé Tyler avant de vomir sur Kavin. À toi de voir si c'est honteux.
Elle grimace.
— Ok. J'efface cette info de ma mémoire.
Il recule en remettant son casque.
— Bon mesdemoiselles, je vous laisse sinon Noah va me faire une crise de jalousie.
Au moment de tourner les talons, il ajoute :
— Au fait, Lisa, Ashley. Ashley, Lisa.
Et il disparaît.
Lisa pousse un petit rire nerveux.
— Ok, oublie toute cette histoire s'il te plaît. C'est pas très cool comme première impression.
Je ris doucement.
— L'histoire de quoi ?
Elle me tire par le bras, hilare.
— Allez viens. Je vais te faire visiter. Et te laver le cerveau.
Je la suis, le cœur un peu plus léger.
Pour la première fois depuis longtemps... je ris.
On traverse l'entrée principale de Stender, et dès les premières secondes, je comprends que ce lycée est littéralement l'habitat naturel des « ferme-la je suis riche ». Haut plafond, escaliers en colimaçon, vitraux aux couleurs trop...trop, même les casiers ont l'air snob.
Lisa marche à mes côtés comme si elle possédait l'endroit.
— Bienvenue dans l'antre des obsédés de l'apparence, murmure-t-elle en m'indiquant les couloirs d'un geste large. Ici, chaque recoin a une histoire. Et probablement une caméra.
Je pouffe de rire.
— Sérieux ?
— J'espère pas. Mais ça t'a fait rire. Donc mission accomplie.
Elle m'indique les casiers.
— Zone 1 : là où les premières années se perdent, et où les couples viennent rompre en criant. T'as une chance sur deux d'y croiser une crise de larmes ou une déclaration d'amour gênante. Parfois les deux en même temps. Ça c'est... à voir, au moins une fois.
On continue.
— Zone 2, la salle des profs. Laisse tomber. Si t'y mets un pied sans convocation, ils te dévorent. Je crois qu'ils y élèvent un élève rebelle en cage. À vérifier. En tout cas, ça hurle toujours.
— C'est... rassurant.
Elle me fais un clin d'œil et m'entraîne dans un autre couloir. L'ambiance change : ici, ça rigole moins.
— Là, c'est la zone prépa concours, je vaux mieux que vous tous mais version hardcore. Autrement dit, évite les discussions de fond si tu veux pas déclencher une guerre sur Rousseau ou les crypto-monnaies. Et aussi si tu viens là tu bosse, la bibliothèque est au fond.
Je hoche la tête, faussement solennelle.
— Je retiens : ne pas évoquer Nietzsche à moins de vouloir me faire dépecer.
— Voilà... Tu comprends vite.
On passe ensuite par la cafétéria.
— L'arène de la bouffe. Ici, trois options : survivre, mourir, ou se faire recruter dans le groupe des Tupperware vegan-gluten-free sans lactose mais plein de jugement. Puisse le sort t'être favorable.
Je lève les sourcils.
— Et toi, t'es dans quelle team ?
Elle hausse les épaules.
— Celle qui pique des frites et disparaît avant qu'on ne la rattrape.
— Une survivante, donc.
Elle me sourit, complice.
On traverse la cour, immense, avec ses arbres bien taillés et ses bancs où s'entassent des groupes à l'énergie débordante.
— Là-bas, le banc des artistes torturés. En vrai, ils sont cools. Sauf qu'ils ont l'humour et l'égo d'un cactus.
— Aïe.
— Et juste en face, la table des cheerleaders ça parle pilâtes thé matcha et maquillage à longueur de journée et honnêtement je pense que toute l'herbe qu'elles boivent leur a grillé les neurones.
— T'as un surnom pour tout le monde ?
— Évidemment. C'est mon super-pouvoir.
Elle m'indique ensuite un bâtiment plus moderne, en verre.
— Là, c'est pour les arts, la musique, le théâtre.
— On a le droit d'y aller ?
— Si t'es prête à affronter une odeur constante d'acrylique et des débats sur les cordes vocales, oui.
Je ris.
Finalement elle m'emmène devant un bâtiment à part entouré d'une piste de course et à côté de laquelle se trouve un terrain de foot.
— Et pour finir le gymnase, quand tu viens en cours de sport c'est le pire endroit. Les profs nous prennent pour leurs chouchous des équipes de sport. Sinon le soir y'a parfois des matchs on a une équipe de basket, foot, rugby et handball.
— C'est un peu... vivant ici, en fait.
— C'est simple. Stender, c'est un cirque. Un peu toxique, exotique et parfois grandiose. Mais si tu sais où poser tes pieds... tu peux tenir debout.
On s'arrête devant une salle.
Lisa se tourne vers moi, soudain un peu plus sérieuse.
— Bon, là c'est ta classe. La fameuse C6.
— Tu fais genre c'est une prison.
— C'est une classe, logique.
Elle marque une pause.
— Tu veux un conseil ?
J'acquiesce.
— Observe. Ne donne pas tout de suite ta confiance. Et surtout... si Julie t'approche, reste discrète.
— Julie ?
Elle secoue la tête.
—La blonde qui rit comme un âne, mais tu verras bien, ça se trouve elle te calculera pas. Sinon... Blanche et Tyler sont plutôt cool.
— Tu vas survivre. Promis.
Je hoche la tête. Mon ventre se noue quand je pose la main sur la poignée.
Mais je me retourne une dernière fois.
— Merci. Vraiment.
Lisa hausse les épaules.
— C'est rien. Puis bon, j'ai twerké avec Noah et tout, tu l'as oublié je te dois bien ça.
Je ris. Elle aussi.
Et je pousse la porte.
Cher lecteurs lectrices
Voila voila Ashley est arrivée. Vous pensez qu’elle va s’en sortir ? A la semaine prochaine pour un nouveau chapitre !