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Mellija
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Chapitre 2

《On mesure l’union d’une famille à sa capacité à traverser ensemble les étapes difficiles.》de Clément Auray

♡♡♡

Le repas est accompagné d'un silence apaisant. Charlotte dévore son assiette, et se ressert une deuxième fois, à notre plus grand bonheur. On peut penser qu'elle reprend du poil de la bête comme ça, mais les apparences sont parfois trompeuses. Ce ne serait pas la première fois. Il lui est déjà arrivé de se réveiller un matin, de prendre son vélo pour une balade et de revenir en plein midi le sourire aux lèvres, puis de ne plus sortir de sa chambre pendant des jours. Mamy Li a dû lui apporter ses plateaux repas devant sa porte. Elle n’y touchait presque pas. Alors ce soir nous restons sur nos gardes. Toutefois, le fait qu’elle nous accompagne pour dîner nous ravie. Papy G la couve du regard quand elle n’y prête pas attention, quant à Mamy Li, elle balance sa tête au gré d’une musique qu’elle seule peut entendre. 

Une fois la table débarrassée et nettoyée, nous sirotons une tisane en engloutissant le dessert. Une mousse au chocolat pour nous et une salade de fruit pour Mamy Li.  

— Oh, il y a quelques jours,  j'ai retrouvé un vieil album photos dans le grenier ! Ce serait sympa qu’on le feuillette ensemble !

Elle n'attend pas qu'on lui réponde et se lève d'un bond pour aller le chercher. Je jette un coup d'œil discret à Charlotte, mais celle-ci ne semble pas sur la réserve. 

Ma foi, si ce sont des photos de leur jeunesse, j'adorerai les voir ! Peut-être y trouverai-je des clichés de mon grand-père biologique ? Il est décédé d'un cancer quand ma mère était encore un bébé. Maman m'a raconté que Mamy Li avait énormément souffert, elle se souvient de ses pleurs et de ses gémissements, quand, chaque dimanche, elles se rendaient au cimetière fleurir sa tombe. C'est grâce à Papy G que Mamy Li a retrouvé le sourire. Ils se sont rencontrés il y a vingt-cinq ans, j'avais douze mois. 

Le bus passait tous les samedis matin afin d'emmener les habitants sur la petite place du marché, et chaque semaine, Papy G aidait Mamy Li à monter les deux marches du véhicule. Ils se promenaient une bonne heure pour discuter en choisissant les meilleurs fruits et légumes. Il la faisait rire et chaque fois qu’elle rentrait, ses joues étaient rouges et ses yeux pétillaient.

Papy G n'a pas le même sang que ma sœur et moi. Et pourtant, nous le considérons comme un membre à part entière de la famille et nous l'aimons autant que Mamy Li. 

L'album est grand et rose clair, légèrement abîmé sur les coins. Mamy Li s'assoit et son mari lui lance un regard incertain, mais elle ne semble ne pas le remarquer. Quand notre grand-mère ouvre la première page, je suis déçue. Ce ne sont pas des photos d'eux, mais des clichés de Charlotte et moi, petites. 

La tête penchée sur le côté, j'appréhende la réaction de Charlotte. Peut-être que faire remonter des souvenirs risque de la bouleverser. 

— C’est dommage, j'aurais préféré vous voir vous, quand vous étiez plus jeune. 

— Eh bien, on pourra se refaire une autre session, si ça vous dit, me répond Mamy Li.

Papy G enfile ses lunettes qu'il pose sur le bout de son nez et se rapproche afin de mieux observer.

— Qu'est-ce que vous étiez craquantes dans ce costume de citrouille pour Halloween, s'esclaffe-il.

Mon soupir se mélange à celui de ma sœur, nos regards complices se croisent. Parce qu’à chaque fois que ça nous concerne, la nostalgie et le chagrin de nous voir grandir scient nos grands-parents.

— Je ressemblais à un ballon de baudruche, rétorque Charlotte en levant les yeux au ciel. 

Entendre sa voix me surprend toujours. Cela fait si longtemps que nous n’avons pas discuté de la pluie et du beau temps.

Je ris sous cape. Parce que c'est vrai que c'était un bébé potelet. N'empêche que sur les photos on ne voit que son regard bleu. Celui de notre mère. Mamy Li tourne la page et cette fois, c'est Charlotte qui se moque doucement de moi et de ma coupe de playmobil. 

Je croise les bras sur ma poitrine, en faisant la moue. 

— C'est maman qui me forçait à me couper les cheveux.

De notre enfance, nous passons à l'adolescence. Je recule au fond de ma chaise et me mordille la lèvre. Ce n'est pas forcément l'époque que j'affectionne tant. 

— Wow, je ne me souvenais pas que tu avais autant de livres. 

Je me penche et étudie le cliché face à moi. Une bibliothèque remplie de bouquins, plus quelques-uns qui jonchent le sol ainsi que ma table de nuit. Certains me restent encore en mémoire tandis que d'autres sont plongés dans l'oubli.

— A vrai dire, moi non plus, déclaré-je. 

— Bien sûr que si, et votre mère râlait à chaque fois qu'elle en voyait traîner un, affirme Mamy Li. En plus de ça, il fallait te lire trois histoires tous les soirs, sinon tu ne dormais pas ! Un vrai calvaire ! 

Papy G en rajoute une couche, espiègle. 

— Je me rappelle aussi des carnets qu'elle tenait pour y noter toutes ses idées. Pas vous ? 

Mamy Li hoche vivement la tête tandis que Charlotte se redresse sur sa chaise. 

— Je crois qu’elle les cachait sous son matelas. 

— Oui, c'est vrai maintenant que tu le dis choupette, lui répond Papy G affectueusement. 

Charlotte lui sourit faiblement.  

— Ils sont peut-être rangés dans le grenier, il faudra que je regarde ça. 

— Pas la peine, Mamy Li, c'est vieux tout ça. T'embête pas, protesté-je d’un mouvement de main. 

Charlotte pose son coude sur la table et cale sa joue dans sa paume, la tête penchée vers moi. 

— Tu voulais ouvrir une librairie et devenir écrivain, non ?

Quand j’ai quitté cette ville, ma sœur vivait déjà avec Valentin et elle habitait à trois heures d’ici. Je ne voulais pas l’embêter avec mes histoires, alors je ne lui ai rien dit sur les raisons de mon départ. Mais peut-être que Mamy Li et Papy G lui ont raconté. Si j’ai mis mes aspirations et mes ambitions de côté, c’est parce que j’en avais besoin. 

— Des rêves de gosse, déclaré-je. 

Papy G m’observe attentivement et je sais déjà ce qu’il va me dire. 

— Tu ne penses pas que tu devrais reprendre tes études ? Je ne dis pas que le métier de serveuse est déshonorant, mais tu as toutes les capacités pour faire le travail que tu souhaites. 

Je baisse les yeux, déstabilisée par ses paroles, puis hausse une épaule. 

— C'était il y a des années, ce monde ne m'intéresse plus. Et puis, mon boulot me plait bien pour le moment. 

D'ailleurs, je n'ai pas lu un seul livre depuis cinq ans, alors qu'auparavant, j'en dévorais par milliers. Je refoule ce souvenir et le referme dans un tiroir, puis tourne la page de l'album afin de clôturer la discussion. 

— C'est dommage, tu avais du talent pour l'écriture, murmure ma sœur. 

Le fait que Charlotte s'en souvienne fait battre mon cœur un peu plus vite. C’était la première à qui je faisais lire mes écrits. J’adorais la voir m’écouter, me donner toute son attention.

Cependant, je ne m'y attarde pas et préfère changer de sujet.

La prochaine photo affiche un jeune homme brun aux yeux chocolat qui tire les cheveux d'une fille du même âge. 

C'est Théo et moi, quand on avait seize ans. Cela faisait presque un an que nous nous connaissions et j'avais tout de suite sympathisé avec lui. 

— Il était mignon, ton ami. Dis-moi, qu'est-ce qu'il devient ? Il venait souvent à la maison. Je l'aimais beaucoup. 

Tu m'étonnes ! Les cours de yoga, le tirage de cartes… 

— Je le vois tous les mardis. Il vient manger au restaurant. C'est un goujat, mais il est infirmier alors ça compense, je présume. 

— Je ne savais pas que vous étiez toujours amis ! Pourquoi ne l'invites-tu pas à dîner ici un soir ? Je serais ravie de le revoir ! s'extasie Mamy Li en tapant dans ses mains.

— Oui, pourquoi pas ? D’ailleurs, il aimerait bien se mettre au yoga avec toi, tu serais d'accord pour lui accorder un peu de ton temps ? 

Mamy Li placarde un énorme sourire sur son visage. 

— J'en serais honorée ! Oui ! Bien sûr, je vais nous organiser ça.  Ça sera chouette ! 

Papy G secoue la tête, mi exaspéré mi amusé par le comportement de sa femme. Il tourne la prochaine page  et on y aperçoit une troupe de danseuses, Charlotte se trouvant au milieu affublée d'une combinaison couleur parme. 

Elle a passé dix années à prendre des cours de toutes sortes de danses. Il me semble que le contemporain est son préféré.

— Tu étais douée, dis-je en laissant jaillir un souvenir dans mon cerveau, on assistait à tous tes spectacles. Tu étais de loin la meilleure. 

Charlotte tapote mon genou sous la table. 

— Tu dis ça parce que je suis ta sœur. 

Je me renfrogne. 

— Pas du tout. Je suis très honnête. 

— Elle a raison. Tu étais magnifique, ma petite choupette. J'ai toujours cru que tu ferais carrière, renchérit Papy G. 

Mamy Li étudie la photo d'un air rêveur. 

— Lorsque tu dansais, tu semblais seule au monde. C'était beau. Ça me rend triste de voir que vous avez abandonné vos passions toutes les deux. Vous étiez si brillantes.

Ma soeur et moi roulons des yeux. 

— Tu dis ça parce qu'on est tes petites filles, la taquiné-je en reprenant la phrase de Charlotte. 

Papy G ricane et embrasse la tempe de sa femme. Un rictus s'étire et elle éclate de rire. 

C'est au tour de Charlotte de tourner une page. Et alors qu'elle rabat sa main sur la table, mon cœur fait un salto et entreprend de sortir de ma cage thoracique. Ma gorge sèche m'empêche de crier et de balancer cet album par la fenêtre.

— Ce n'est pas Axel avec toi ?

Le prénom de mon ex me ramène à la réalité, tandis que mon myocarde continue de battre la chamade, je reprends possession de mon corps et me jette sur le livre afin de le fermer. Mes paumes restent posées dessus. De peur qu'il s'ouvre à nouveau. 

Un silence s’ensuit, Charlotte ouvre la bouche mais rien n’en sort. Quant à moi, je suis mal à l’aise et je ne sais pas quoi dire, ni quoi faire. Papy G semble le remarquer.

— Bon Mamy, tu nous embêtes avec tes photos, et si on regardait un film ? 

Cette dernière hoche la tête, sans toutefois me regarder dans les yeux. Elle ne pensait pas qu’un cliché de lui se retrouverait ici, j’en suis sûre et je n’ai qu’à la scruter pour voir à quel point elle regrette. Voir son visage si heurté me fend le cœur. Je cherche son regard et une fois qu’il s’accroche au mien, je lui offre un sourire réconfortant.

Cependant, alors que nous nous levons tous pour rejoindre le salon, Charlotte m'analyse les sourcils froncés. Est-ce que j’ai été bizarre? Est-ce qu’elle m’en veut de garder le silence ? Elle finit par bouger et j’ai peur qu’elle ne prenne le chemin qui mène à sa chambre. Peut-être qu’elle en a terminé pour ce soir, qu’elle s’affuble de nouveau de son armure. Je me demande ce qu’elle sait vraiment de ma rupture et de mon départ. 

Elle passe devant moi et entre dans le salon. Mes épaules se détendent. 


Je suis la dernière à passer le rideau de perles pour rejoindre la pièce à vivre. Je crois que c’est l’endroit que je préfère dans cette maison, après ma chambre d’enfant, bien entendu. C’est ici que je passais mon temps devant la télévision quand j’étais malade. Mamy Li me bordait dans un de ses fameux plaids bleu canard qu’elle avait déniché au vide grenier. La tête sur ses genoux, elle caressait mes cheveux pendant que je m’endormais devant les dessins animés. Parfois, Papy G attrapait sa guitare et me chantait une chanson. 

Lorsque je contourne la table basse, mes yeux se posent sur le buffet en bois poussé contre le mur où sont placées diverses photos de famille. L’une d’elle nous montre, Charlotte et moi, se battant pour la télécommande, et sur celle d’à côté, nous nous enlaçons. Je me souviens. Nous devions avoir sept et huit ans. Je crois que Mamy Li a affiché ses clichés pour démontrer qu’une dispute n’était pas synonyme de fin. 

Autour de ces dernières, plusieurs pierres précieuses y sont disposées. Une des nombreuses passions de Mamy Li.

Je m’installe dans l’angle du sofa, les fesses sur les genoux et soupire d’aise. Les ronflements de Papy G s’entendent au bout d’à peine dix minutes, ce qui nous fait sourire. 

Je n’arrive pas à me concentrer sur les dialogues et les images face à moi. Son visage. Ses yeux lorsqu'ils se posaient sur moi et qui me faisait sentir la plus belle. Je me pince le bras et me force à revenir dans le présent, sur le positif. Charlotte est restée manger avec nous. Ce n’est pas la première fois, c’est vrai. Cependant d’habitude, elle grignote seulement et nous abandonne la mine morose. Ce soir, elle a englouti plus qu’en une semaine. Elle a conversé avec nous et est même restée après le dessert. Je suis tellement contente que ça me terrifie. Mais, et si ce n'était que pour une soirée ? 

Quand la séance vidéo se termine,  nos grands-parents nous embrassent et montent se coucher, nous laissant seules, Charlotte et moi. 

Après quelques secondes gênantes ou je ne sais que faire de mes mains, ma sœur me fait un signe de tête. 

— Tu viens ? 

Ma bouche forme un léger sourire et je la suis jusqu’à l’étage. 

De toute façon, Emy n’est pas à l’appartement et je n’ai pas envie de me retrouver seule pour le moment. 

Lorsque je passe le pas de la porte, je suis surprise que rien ait changé dans la chambre qu’elle a toujours occupée. Des photos de ses amis d’enfance sont scotchés sur le mur ainsi que les posters de ses acteurs préférés. Depuis mon retour, je ne me suis pas autorisée à entrer dans cette pièce, j’avais l’impression d’empiéter son espace de souffrance. 

Allongée sur son lit aux parures dorées, Charlotte tapote la place à côté d'elle afin que je m'y installe. 

— J'ai fait une gaffe tout à l'heure ? C'est ça ? 

Sa voix est calme et basse.

Je secoue la tête et observe le plafond rempli d'étoiles que nous avons collées lorsque nous étions gamines. Je ne sais pas trop sur quel pied danser. J’ai peur qu’elle se replie sur elle-même en parlant de ça.

— Non, non ! T'en fais pas. C'est juste que j'en avais marre de regarder cet album. 

— Tu mens toujours aussi mal, Rox. 

— Merde, je pensais m’être amélioré avec le temps, blagué-je. 

Charlotte garde le silence, ma boutade ne l'amuse pas. 

— Je sais que je n'ai pas été très présente et d'ailleurs, je ne le suis toujours pas et je m'en veux. Je me rends compte à quel point nous nous sommes éloignées. Et à quel point tu as dû être malheureuse à cause de lui. 

Je tourne le visage vers elle et lis toute sa déception.

— Moi non plus, je n’ai pas été là, dis-je regrettant mes mots aussitôt, enfin, je veux dire, c’est vrai que nous ne sommes plus aussi proches, mais je ne t’en ai jamais voulu de vivre ta vie. Tu étais heureuse et ça me suffisait. 

Ma mâchoire se crispe lorsque je me rends compte que je parle de son bonheur au passé. 

Merde ! Je n’enchaîne que les boulettes aujourd’hui. Rrh ! Léon et son horoscope à la con !

— Tu veux me raconter ce qu'il s'est passé ? demande-t-elle simplement.

— Je… ce n'est pas important et beaucoup moins grave que tu ne peux le penser. 

— Si ça l'est. Je veux savoir. J'ai besoin que tu me fasses confiance. Comme avant. 

Je dévisage son profil. Malgré ses traits fatigués, Charlotte reste belle. Avec son nez fin et ses cils recourbés on dirait une poupée. Ce que je donnerai pour qu'elle reprenne soin d'elle.  Qu'elle retrouve foi en elle. 

— J'ai toujours eu confiance en toi, Charlotte. C'est juste que comparé à ce que tu traverses… 

Ses sourcils se rejoignent et elle me toise de son regard froid. 

Est-ce que j'ai dis la phrase qu'il ne fallait pas ? Ai-je été trop loin ?  Je reste figée. 

— Comment peux-tu me croire capable  de discréditer ta peine car la tienne te semble plus minime que la mienne ? Je ne veux pas que tu te sentes coupable de ressentir du chagrin, ni que tu appréhendes de me parler de tes malheurs. 

— Non, ce n'est pas ça. Seulement, j'ai peur de dire quelque chose qui pourrait te blesser ou  te provoquer de l'angoisse. 

— On va faire un pacte, propose-t-elle, on se raconte tout, sans jugement, sans crainte.

Elle lève son petit doigt et me le tend. 

Je souris et accroche le mien au sien. 

— Et je vais commencer à t’avouer quelque chose. 

Un froid glacial caresse mon dos. 

— J’ai envie de reprendre ma vie en main, de travailler, de sortir, de m’amuser. Je sais que je ne devrais pas culpabiliser, mais faire tout ça alors que Valentin n’en a plus l’occasion… Et puis, parfois, il m’arrive d’avoir envie de le retrouver, d’en finir. Je n’arrive pas à trouver l’énergie de me lever, de sourire, d’ouvrir les yeux. Mais, je fais de mon mieux. Je compose avec mon humeur. 

Son aveu me fait mal au cœur et en même temps, je ne sais pas quoi en penser ? Garder l’espoir qu’elle veut aller mieux ? M'inquiéter qu’elle fasse une connerie ? 

— Je suis contente que tu te livres à moi. J’ai peur, Charlotte. Je suis terrifiée de ce que tu pourrais faire, si un jour, ton envie de le retrouver est plus forte que celle de vivre. 

Ma soeur pince ses lèvres et tourne son visage vers les étoiles. 

— Moi aussi petite sœur, mais je te fais la promesse d’essayer d’avancer. A toi, de me faire une confidence. 

Malgré sa révélation, je n’ai pas très envie de m’étaler sur mon ancienne vie sentimentale, ça peut paraître égoïste, mais je suis simplement trop lâche de me replonger dedans. Toutefois, je décide de lui dévoiler mon ressenti. 

— Je suis partie vivre ailleurs parce qu’Axel m’a lâché. Tu te rappelle comment on s’est rencontré lui et moi ? Grâce ou à cause d’un cours de littérature, d’une putain de rédaction. On devait écrire une histoire, on a choisi la nôtre, celle d’une relation entre deux personnes qui apprennent à se connaître à travers des écrits. Rien d'original, ni d’extraordinaire. Et on est tombé amoureux comme ça. Enfin, je suis tombée amoureuse. Lui, au final, j’en doute. Bref, comme tu le sais, au bout de cinq ans, on a pris la décision d’emménager ensemble. Et un soir, il n’est pas rentré. Je t’épargne les détails. Si j’ai pris la fuite et renoncé à tout ce qui me rendait heureuse, c’est à cause d’un putain de mec. Je me sens conne. J’ai abandonné mes études, la lecture et ma passion pour l’écriture car c’est ce qui liait notre relation. Et maintenant, je suis ici et je n’arrive pas à gérer mes émotions. 

Après ma tirade, je me sens soulagée d’un poids. 

— Est-ce que tu l’aimes encore ? 

Sa question me prend au dépourvu. Comment est-ce que je pourrai encore éprouver de l’amour pour lui ?

— Non, tout ce que je ressens pour lui c’est de la rancœur et de la haine. Et pourtant, j’aimerais rester indifférente quand certains souvenirs refont surface, quand j’entends son prénom ou que je me retrouve devant une photo de lui. 

Charlotte décroche son doigt du mien pour enrouler sa main autour de la mienne. 

— Je suis désolée pour toi, Rox. C’est vraiment un connard. 

J’éclate de rire car elle n’emploie que rarement un langage si grossier. 

— Dors ici, avec moi. 

J'accepte avec plaisir. Je me lève et m'empare d'un de ses pyjamas rangés dans le premier tiroir de sa commode, située face au lit et me dirige dans la salle de bains.

Je me sens plus apaisée. C’est la première fois que nous avons une conversation à cœur ouvert depuis des années. Je ne sais pas ce qui a changé parmi tous les autres soirs. 

Est-ce que se sont les souvenirs qui ont resurgi lorsque nous regardions l'album photo ? Mon effroi devant la photo d’Axel ? Est-ce que ce sont les tagliatelles au saumon ou bien la mousse au chocolat ? Peu m’importe. Je suis soulagée et ravie. Elle aspire à aller mieux et tant qu’elle essaye, ça me va.

De retour dans la chambre, je m'étends à son côté. 

— Tu m'as manqué, avoue-t-elle. 

— Toi aussi. Et je me disais que peut-être si l’envie t’en dit, Emy m’a proposé un après-midi shopping dans la semaine, ça te dirait de nous accompagner ? Tu pourrais rencontrer ma coloc, c’est la fille la plus drôle et la plus démente que j’ai jamais rencontré.

Charlotte plisse les paupières. 

— Je ne te promets rien, mais je vais y réfléchir. 

Je serre ma sœur dans mes bras, l'embrasse sur la joue et la remercie. Elle semble allégée et je prie pour que rien ne change demain. 

♡♡♡

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