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Sawarraa
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Chapitre 1

Nul ne revient dans un château vide sans convoiter ce qui y dort encore.

Et pourtant, certains héritages ne s'obtiennent qu'en versant le sang.

On murmure qu'Evelyn Waverly, l'épouse discrète du regretté Julian, n'a pas attendu qu'il meure naturellement.

Peut-être faudrait-il regarder plus loin que ses robes noires et ses silences élégants.

Après tout, on ne donne pas un domaine à une étrangère sans raisons.

Je relus la lettre une deuxième fois. Puis une troisième.

Elle était apparue dans l'entrée, pliée avec soin, sans nom, sans sceau. Juste une écriture parfaite, comme si chaque mot avait été pesé, aiguisé.

Ma mère ne disait rien. Elle avait pris le papier, l'avait lu lentement, ses lèvres serrées comme pour empêcher quelque chose de remonter une colère, peut-être. Ou pire, une peur.

— Ne prête pas attention à ce genre de choses, avait-elle dit.

Mais ses mains tremblaient.

C'était la première fois que je me demandais d'où venait vraiment ce château.

Et pourquoi, en vérité, elle m'avait toujours évité la question.

Je n'ai pas reposé la question.

Pas ce jour-là.

Ma mère m'avait regardée comme on regarde une vitre fissurée, prête à se briser si on insiste trop fort. Alors j'ai hoché la tête, j'ai fait semblant de croire que ce n'était qu'une rumeur de plus. Ce monde en était plein, non ? Des gens riches avec trop de temps, trop de champagne, et pas assez de cœur.

Mais quelque chose en moi s'était fissuré quand même.

Le lendemain matin, j'avais besoin d'air. De silence. Ou peut-être juste de m'éloigner de ma mère.

Elle marchait quelques pas derrière moi, droite, élégante, distante comme toujours. Depuis notre arrivée, elle portait le noir avec une telle constance que même les fleurs semblaient s'incliner à son passage.

Moi, je marchais vite. Le long de l'allée bordée taillés au millimètre. Le château derrière moi me semblait à la fois trop grand et trop petit. Trop grand pour une vie simple. Trop petit pour y cacher tous ces secrets.

Et puis je l'ai vue.

Une fille, peut-être un peu plus âgée que moi. Blonde, vive, presque irréelle dans sa robe bleu pâle. Elle ne marchait pas, elle dansait presque, comme si le monde entier lui appartenait déjà.

— Tu dois être Maya, dit-elle, avant même que je ne puisse détourner le regard.

— ...Oui, répondis-je, un peu sur la défensive.

Elle sourit. Trop sûre d'elle pour être désagréable, trop rapide pour être prévisible.

— Claire Harrington, dit-elle en tendant la main. Ma mère dit que ton arrivée fait des vagues. Elle dit que c'est mauvais signe, donc j'ai pensé que tu devais être intéressante.

Je haussai un sourcil, sans prendre sa main tout de suite.

— Et si je ne l'étais pas ?

— Alors tu serais comme tous les autres ici. Ennuyeux à mourir.

Elle rit, légère, comme si rien ne pouvait vraiment l'atteindre.

Je finis par serrer sa main. Sa poigne était étonnamment ferme.

— Tu vis ici ? demandai-je.

— Là-bas, dit-elle en pointant une maison imposante derrière les arbres. Ce n'est pas un château, mais c'est acceptable, paraît-il. Tu viens marcher avec moi ? Ma gouvernante me fait réciter mes verbes irréguliers si je reste trop près du jardin.

J'hésitai. Maman était encore à quelques mètres derrière, perdue dans ses pensées. Elle n'avait même pas remarqué que je parlais à quelqu'un.

— Juste cinq minutes, dis-je.

Claire sourit, triomphante.

— Parfait. Tu verras, Maya Waverly. Ici, les minutes peuvent durer une éternité.

Claire et moi avons continué à marcher ce matin-là, et j'ai commencé à me dire qu'ici, peut-être, je pourrais trouver un peu de normalité.

Elle était drôle, un peu imprévisible, mais sincère du moins, en apparence.

Et j'avais appris très vite que, dans ce monde-là, l'apparence faisait souvent office de vérité.

Alors je me suis laissée approcher, tout en gardant un pas de recul, mentalement.

Comme si chaque sourire pouvait cacher une lame.

Une semaine plus tard, le château accueillait son second bal depuis notre arrivée.

Le premier m'avait laissée sonnée.

Le deuxième me laissa une drôle de sensation celle de faire partie du décor. Comme si, lentement, je devenais l'une des leurs.

La salle brillait de mille reflets dorés. Les lustres, les robes, les bijoux... tout semblait destiné à éblouir, à étourdir.

Et peut-être aussi à cacher.

Claire m'avait rejointe près de la fontaine de champagne. Elle riait avec un groupe de jeunes filles qu'elle semblait connaître depuis toujours. Quand elle me vit, elle m'attrapa par le bras.

— Il faut que tu danses ce soir, souffla-t-elle. Tu ne peux pas juste regarder.

— Je préfère observer, dis-je.

— Maya... c'est un bal, pas une salle de classe. Tu veux qu'ils disent que tu es trop sauvage pour suivre les règles ?

Je haussai les épaules. Les règles ne m'avaient jamais protégée.

Mais à ce moment-là, un homme s'approcha.

Grand. Élégant. Peut-être dans la quarantaine. Trop âgé pour moi, mais pas pour ce monde. Il portait une rose noire à la boutonnière.

— Mademoiselle Waverly, dit-il en s'inclinant légèrement. Auriez-vous l'honneur de m'accorder cette danse ?

Je crus entendre Irene dans ma tête : « Quand un homme vous invite à danser devant tous, vous acceptez. Vous n'avez pas besoin d'aimer ça, mais vous le faites. »

Alors j'inclinai la tête, doucement, et posai ma main dans la sienne.

Le début de la valse fut poli. Il avait une main ferme, maîtrisée. Un peu trop.

Ses pas glissaient sans faute, comme s'il faisait ça depuis des décennies.

Peut-être qu'il avait dansé avec toutes les filles comme moi avant moi.

Peut-être qu'il en avait épousé quelques-unes. Ou brisé d'autres.

— On raconte que vous venez de loin, dit-il, sa voix grave frôlant presque la douceur.

— Oui, répondis-je, gardant le regard fixé au-delà de son épaule.

Ce monde n'aime pas les filles qui parlent trop.

— Vos manières sont exquises. On sent l'éducation... récente.

Mais efficace.

Un sourire poli. Pas un vrai.

Ne dis rien, Maya. Laisse-le finir sa danse. Puis tu t'éloigneras et tout ça sera terminé.

— Vous avez hérité des traits de votre mère, continua-t-il. Mais chez vous, ils sont... comment dire... moins tragiques. Plus... éveillés.

Je fronçai les sourcils.

— Pardon ?

— Ce que je veux dire, c'est que vos qualités naturelles... seraient bien plus à leur place dans une chambre d'homme que sur une piste de bal.

Il me regardait comme on jauge un bijou mis aux enchères. Lentement. Cruellement.

Est-ce qu'il vient vraiment de dire ça ?

Un pas de travers. Une mesure brisée.

— Je crois que ça suffira, dis-je en retirant ma main de la sienne.

Ses doigts restèrent en suspens, figés comme s'il ne comprenait pas.

Puis il s'inclina avec cette fausse grâce que tous ici semblaient maîtriser.

— Mademoiselle, murmura-t-il.

Je tournai les talons sans répondre. Chaque regard semblait suivre ma silhouette.

Et dans leurs yeux, je lus le jugement.

Pas pour ce qu'il avait dit.

Mais parce que j'étais partie.

Parce que j'avais osé dire non.

L'air extérieur était glacial.

Pas celui qui mord, mais celui qui réveille. Celui qui rappelle qu'on existe encore, même quand tout à l'intérieur semble vouloir vous étouffer.

Je m'étais éloignée des grandes portes sans vraiment réfléchir. Mes pas m'avaient portée jusqu'au bord de la terrasse.

Les rires, les violons, les verres qui s'entrechoquaient... tout semblait très loin maintenant. Comme un rêve désagréable qu'on aurait du mal à quitter.

Les larmes me montaient aux yeux, mais je m'efforçai de rester droite.

Toujours droite.

« Même en souffrant, une lady ne s'effondre pas. »

Voilà ce qu'Irene répétait sans relâche.

Alors je pleurais.

Mais je pleurais élégamment.

La mâchoire serrée. Les épaules basses. Les larmes lentes et silencieuses.

Quel monde absurde... Même mes émotions doivent être présentables.

— Maya ?

Je me retournai. Claire. Bien sûr.

Elle trottinait vers moi, le tissu de sa robe frôlant les dalles.

— Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Pourquoi t'es partie comme ça ?

Je ne répondis pas tout de suite. Elle s'approcha, posa une main sur mon bras.

— Il t'a dit quelque chose ? Il t'a touchée ? Dis-moi.

Je secouai la tête. Puis les mots vinrent, comme un flot que je ne pouvais plus contenir.

— Il a dit que... que mes « qualités naturelles » seraient mieux dans une chambre d'homme que sur une piste de danse.

Claire écarquilla les yeux.

Je baissai les miens. Les larmes coulaient encore, mais lentement. Proprement. Toujours cette fichue retenue.

— Et le pire, dis-je à mi-voix, c'est qu'ils m'ont tous regardée comme si j'étais le problème. Comme si refuser, c'était trahir leur petit théâtre.

Claire inspira, puis me prit dans ses bras. Un geste rapide, sans force, mais sincère.

— Tu n'as rien fait de mal, Maya. Ces hommes... Ils pensent que tout leur appartient. Mais ils se trompent.

— J'en peux plus de devoir me tenir droite, de parler bien, même quand j'ai envie de hurler...

— Pleure. Crie, si tu veux. Je te jure que je garderai ça pour moi.

Mais à cet instant précis, une voix d'homme coupa l'air froid.

— Lady Harrington.

Claire se retourna aussitôt, se détacha de moi, et s'inclina avec une fluidité presque automatique.

— Lord Fazerhill

Je me redressai lentement, mes yeux encore humides. L'homme s'avança dans la lumière des torches.

Je ne connaissais pas cet homme, mais je devinais qu'il était important.

Sa prestance imposait le respect, et la façon dont Claire s'inclina devant lui ne laissait aucun doute.

Je me rappelai alors ce que Irene m'avait dit, quelques jours plus tôt, à propos d'un certain Lord Fazerhill fils du puissant Lord Edmund Fazerhill, une figure incontournable dans ce monde où chaque nom pèse plus que les actes.

Je ne l'avais jamais rencontré, seulement entendu parler de lui, avec cette impression qu'il était aussi dangereux qu'intrigant.

— Miss Waverly, dit-il calmement, mais avec une pointe de fer dans la voix. Ce n'est pas très élégant de quitter la piste au milieu d'une danse, surtout devant tant de regards.

Je ne répondis pas.

Claire me lança un petit regard insistant. Dis quelque chose. Ne reste pas figée.

Il reprit :

— Et ce n'est pas non plus très convenable... de ne pas répondre quand on s'adresse à vous.

Je levai les yeux vers lui. Et cette fois, je n'avais plus envie de jouer un rôle.

— Convenable ? Qu'est-ce qui l'est vraiment dans ce royaume, Lord Fazerhill ?

Chaque mot est calculé, chaque pas, chaque regard. Même les pleurs doivent être élégants.

À quoi bon prétendre que tout cela est naturel, alors que rien ne l'est ?

Claire laissa échapper un petit rire, presque nerveux.

Mais lui, ne rit pas.

Son regard me transperça comme un froid d'hiver. Glacial. Inquisiteur.

Mais je ne baissai pas les yeux.

Je soutiens ce regard, et il le sut.

Puis, derrière moi, j'entendis une démarche que je connaissais par cœur.

— Maya...

Je me retournai.

Ma mère.

Vêtue de noir, toujours, comme si le deuil faisait désormais partie d'elle.

Elle s'approcha, inclina la tête devant Lord Fazerhill avec une élégance irréprochable.

— Lord Fazerhill, dit-elle doucement. Je vous prie de pardonner l'attitude de ma fille. C'est encore une étrangère dans ce monde.

...

On entra dans le château, le silence pesait plus lourd que la nuit.

Maman ne disait rien au début, mais je sentais son regard brûler derrière moi, lourd de reproches.

Puis, elle éclata enfin :

- Maya... tu ne comprends rien, pas encore.

Je me suis retournée, le cœur battant plus fort.

- Pourquoi tu m'as toujours caché qui était vraiment mon père ?

Elle soupira, fatiguée, comme si elle portait un poids que je ne pouvais imaginer.

- Ton père était un duc. Un vrai. Julian Waverly, Duc de Ravenswood.

Je restai figée.

- Mais tu n'es pas une duchesse ?

Elle hocha la tête, dure.

- Non. Il s'est remarié après ma mort... enfin, après notre séparation. Moi, je n'ai jamais été plus qu'Evelyn. Mais toi, Maya... tu es une lady.

Les mots résonnaient dans ma tête, étranges, lointains, comme une langue étrangère.

- Une lady, ce n'est pas juste un titre, Maya. C'est un nom, une position. C'est la clé d'un monde où chaque regard compte, chaque parole est un poids.

Je la regardai, cherchant la vérité dans ses yeux, cherchant un chemin que je ne comprenais pas encore.

Puis, elle souffla, presque un murmure :

- Ce château, cette ville... ce n'est pas juste un lieu. C'est une cage dorée, et toi, tu es la clé.

Et dans ce silence lourd, j'ai su que rien ne serait plus jamais pareil.

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