Mavel referma son livre et le laissa tomber sur son ventre. Le jour filtrait par les volets entrebâillés de sa chambre depuis un moment, et il n'avait pas dormi, absorbé par les derniers chapitres de son roman. Combien en avait-il dévoré, cet été, pendant que les autres adolescents allaient à la plage ou erraient au centre-ville. Dix, vingt ? Il avait perdu le compte. D'une main distraite, il triturait le dé à douze faces qu'il avait transformé en pendentif après l'avoir glané dans une malle remplie d'affaires ayant appartenues à son oncle Vecner.
Il se redressa, et quitta sa chambre pour se faufiler dans la salle de bains. Il aspergé son visage d'eau, puis emprunta l’escalier qui descendait jusqu’au salon. Il se pencha par-dessus le dossier du canapé, pensant y trouver son père endormi, mais les coussins gris demeuraient vides. Dans la cuisine, il découvrit sa mère occupée à vider le lave-vaisselle.
— Bonjour mon lapin, déjà debout ? lança-t-elle sans se retourner.
L’adolescent haussa les épaules.
— Tu as passé la nuit à lire, je me trompe ?
Mavel hocha la tête, coupable, et sa mère se fendit d'une moue faussement réprobatrice.
— Pantoufle dort toujours, j’imagine ?
— Il n’est pas encore couché, tu veux dire ! corrigea-t-elle. Vous faites la paire, tous les deux !
Le dénommé Pantoufle était l’homme que, dans des conversations plus sérieuses, Mavel appelait « papa ». Sa mère et lui étaient aussi différents que le jour et la nuit. Tel l’éclat d’un soleil flamboyant, la chevelure blonde de Lyra Dalbos illuminait tous les lieux qu’elle traversait, en symbiose avec sa joie de vivre et son empathie prodigieuse. Son père, en revanche, attirait moins l’attention. Hors du cercle familial, il répondait au nom d’Elliot Brassevin. Mais peu de monde avait l’occasion de s’adresser à lui en ces termes, car comme son fils, il ne quittait l’appartement qu’en de très rares occasions. Il partageait son temps entre le bureau à l’ambiance tamisée dans lequel il travaillait nuit et jour sur d’opaques programmes informatiques, accompagné d’un éternel mug de café qu’il laissait systématiquement refroidir ; et le canapé, où il s’endormait la télécommande entre les doigts à des horaires improbables. En toute saison, il revêtait une robe de chambre grise, et affichait une barbe inégale couplée à des cheveux noirs en bataille. Mais ce qui le caractérisait le mieux, au point de donner naissance à un surnom, était lié à ses pieds, constamment affublés de chaussons à l’effigie d’animaux.
Après avoir rangé la dernière assiette dans le placard, Lyra s’installa sur une chaise, et se servit une tasse de thé. Le jeune homme se dirigea vers le réfrigérateur, se versa un grand verre de jus de fruits, et s’assit face à elle. Lyra remonta sa manche et jeta un bref coup d’œil à sa montre avant de sursauter. Elle déglutit avec difficulté sa gorgée de thé brûlant, et pointa du doigt l’accès vers le couloir.
— Mavel, tu pourras amener ces ordures à la grande benne, s’il te plaît ? Le container de l’immeuble est déjà plein à craquer.
Le garçon suivit son index du regard jusqu’aux deux gros sacs à liens coulissants qui gisaient dans l’encadrement de la porte. L’idée de trimballer à bout de bras ces deux monstres remplis d’ordures jusqu’à la benne du quartier ne l’enchantait guère, mais comment refuser ? Il soupçonnait Pantoufle de se mettre à brûler si sa peau entrait par mégarde en contact avec le soleil. Quant à sa mère, elle se démenait pour trouver du travail, ce qui se traduisait par une multitude d’entretiens stériles et de missions ponctuelles payées au lance-pierre.
Mavel vida son verre d’une traite puis se leva et empoigna un sac poubelle dans chaque main. Il quitta l’appartement lumineux pour rejoindre une sombre cage d’escalier. L’odeur du container dans le patio remontait jusqu’au palier du troisième étage. Le nez enfoncé dans son t-shirt, le garçon inspira profondément, et dévala les marches de pierre en apnée jusqu’au rez-de-chaussée. Il glissa un regard en direction de la poubelle commune. La qualifier de pleine était un doux euphémisme. Les voisins y avaient entassé tellement de déchets qu’il aurait eu besoin d’une échelle pour déposer ses sacs par-dessus les autres. Il grimaça et quitta l’immeuble par une vieille porte en fer.
Dehors, la ville baignait dans une lumière fade. Des nuages gris surplombaient les bâtiments aux façades mornes et sales. Entre l’impasse des Trois Songes et sa destination, Mavel ne croisa que des retraités qui se traînaient distraitement jusqu’à la boulangerie, et des travailleurs rejoignant à la hâte la station de tramway en sautillant par-dessus les innombrables crottes de chien qui minaient le trottoir.
Lorsqu’il parvint à la petite place Vercingétorix, celle-ci était dépeuplée. La grande benne – un monstre de fer rouillé et tagué d’inscriptions imputables à plusieurs générations de jeunes du quartier des Arceaux – se fondait entre un mur de briques et quelques arbustes mal dégrossis. Mavel se hissa sur la pointe des pieds pour faire basculer les sacs l’un après l’autre dans la benne. Une fois libéré de son chargement, il secoua ses bras endoloris et grogna de douleur. Bien décidé à rentrer directement chez lui, le garçon revint sur ses pas. Mais avant qu’il ait pu quitter la place, une voix éraillée beugla son nom.
— Brassevin ! Tu fais connaissance avec ta nouvelle maison ?
Un grand dadais blond aux yeux de fouine se faufila entre les arbustes, suivi d’une petite troupe qui s’efforçait de ricaner à sa raillerie peu inspirée.
— Paul… soupira Mavel.
Le groupe d’indésirables se déploya en arc de cercle autour de l’adolescent. Paul inspecta les environs, puis sa bouche s’étira en un sourire narquois.
— Il est tranquille ton quartier, à cette heure.
Mavel se renfrogna. Le ton plein de sous-entendus de Paul n’augurait rien de bon. Le blond avança vers sa proie et l’empoigna par les cheveux. Mavel se retint de gémir de douleur, mais ne pouvant résister à la pression exercée par son adversaire, il se courba. Une multitude de scénarios défilèrent dans son esprit en une fraction de seconde, et se mêlèrent à une furieuse envie de se défendre. Paul était plus grand et mieux bâti que lui. Un détail qui n’arrêtait pas le garçon en temps normal. Il était passé maître dans l’art d’accepter des combats perdus d’avance. Cependant, ils ne se trouvaient pas dans la cour du collège. Personne ne viendrait stopper ces affreux avant que cela ne dégénère. Or, ils étaient nombreux. Incroyablement bêtes aussi, bien que cela ne lui soit d’aucun secours dans les conditions actuelles.
— T’aurais pas cinq balles, des fois ? J’ai pas pris de petit-déj’ ! souffla Paul près de son oreille.
— Pas pour toi !
Sans le lâcher, Paul soupira, et tourna la tête vers sa petite bande. Il était en pleine représentation. C’était l’idée qu’il se faisait d’un spectacle. Il asséna un violent coup de poing dans le sternum de Mavel. Le souffle coupé, le garçon posa un genou à terre. Mais Paul ne comptait pas lui laisser le moindre instant de répit. Il le poussa du pied, et Mavel bascula en arrière. Sa tête heurta la grande benne dans un bruit sourd, et sa vision se troubla.
À cet instant, un homme à la démarche rigide et rapide déboula dans la rue qui longeait la place, un porte-documents à la main. L’homme avait ralenti l’allure, et croisa le regard suppliant de Mavel. Il sembla hésiter. Mais il se désintéressa de la scène, et poursuivit sa route.
— Pas de bol, hein ? commenta Paul.
Il adressa un signe de tête à ses sbires.
— Fouillez-le, ordonna-t-il.
Trois de ses acolytes fondirent sur le garçon. Mavel tenta de se débattre, mais ne parvint qu’à brasser de l’air. Un petit nerveux aux dents de souris, qu’on appelait Jerry, agrippa le bras gauche de Mavel, et un colosse dont il ignorait le nom lui broya l’épaule droite. Puis Frank, un type banal qui appréciait par-dessus tout qu’on lui dise quoi faire, s’accroupit devant lui pour tâter ses poches. Mavel abandonna toute idée de résistance ou de fuite. Sa colère s’évapora. Il n’était plus que dépit, face à ce monde gangrené par les brutes comme Paul et l’aveuglement assumé des inconnus comme l’homme à la valise. Il était vain de lutter, aujourd’hui comme demain. Un petit picotement à la poitrine lui rappela la présence de son pendentif, lui arrachant un sourire nerveux. Voilà à quoi il en était réduit : compter sur le réconfort d’un vieux dé porte-bonheur qui ne comprenait pas bien sa mission.
— Ce looser a rien. Même pas un portable, bordel ! éructa Frank.
Paul se racla la gorge et cracha au sol.
— Pas assez combatif pour me distraire, et trop pauvre pour m’offrir un casse-croûte. Qu’est-ce que je vais pouvoir faire de toi, Brassevin ?
Il fit mine de réfléchir, les bras croisés, puis simula une illumination.
— Je sais ! On va te raccompagner chez toi ! Les mecs, aidez Brassevin à rentrer dans sa jolie poubelle.
En état de transe, Mavel sentit les bras de Jerry, Frank et du colosse le soulever. Ils le hissèrent sans difficulté au-dessus de leur tête. Il se sentit tomber l’intérieur de la benne, et lorsqu’il s’écrasa au fond du bac, le bruit de sa chute accompagna les éclats de rire de la bande.
Là, au fond du trou, au sens propre comme au figuré, il reprit doucement ses esprits. Pas par regain soudain d’énergie, mais à cause d’une odeur pestilentielle, issue d’une association de pourriture et d’alcool macéré, qui s’insinuait dans ses narines. Sa chemise se tacha d’humidité au contact des fruits en décomposition et du contenu des sacs éventrés. Il réprima un haut-le-cœur. Agressé par une horde de moucherons, il songea à escalader la paroi pour s’extirper de ce bourbier, mais se ravisa. Paul était toujours là. S’il apercevait ne serait-ce qu’un de ses cheveux émerger de la benne, il le renverrait au fond sans hésiter. Alors, Mavel se résigna à attendre le départ des vauriens dans sa prison malodorante. Il pourrait même décider de ne pas ressortir du tout. Malgré la puanteur, il était bien plus tranquille au fond de cette poubelle qu'au contact de ses semblables, au dehors.
⁂
Les rires et les voix de la bande de Paul s'étaient éteints depuis longtemps, et Mavel se trouvait toujours au fond de la benne lorsqu'une douleur à la poitrine lui arracha un gémissement. Il cueillit le dé entre ses doigts et fronça les sourcils. Dans la pénombre ambiante, il aurait juré voir le voir briller. Il soupira. C'était sûrement un effet secondaire de son choc à la tête. Cette stimulation le tira malgré tout de sa torpeur, et il esquissa un mouvement pour se redresser. Ses pieds s’enfoncèrent dans les sacs éventrés déchets. Il tituba et tenta de se stabiliser en posant les mains sur les parois collantes pendant qu'un liquide visqueux se répondait dans ses chaussures. Il grimaça, écoeuré.
Des bruits de pas résonnèrent sur le pavé de la place, et Mavel s’immobilisa. Il ressentit de la honte. De quoi aurait-il l’air en émergeant de la poubelle ? Il entendit la personne approcher. Pourvu qu’on ne lui déverse pas de nouvelles ordures sur la tête ! Quelques coups, frappés depuis l’extérieur, résonnèrent dans la benne. Quelqu’un toquait.
« Quel genre de personne s’annonce auprès des bennes à ordures ? » se demanda-t-il.
— Garçon ? Tu t’es endormi ?
Mavel blêmit. Selon toute probabilité, l’individu ne s’adressait pas à la benne. Il hésita. C’était la voix d’un homme. Son ton était étrangement détaché. Comme si la situation était normale. Mavel se demanda s’il devait répondre. S’il gardait le silence, ce visiteur finirait peut-être par repartir ? Il jugea malgré tout qu’une main secourable serait la bienvenue pour se hisser hors de ce carcan de fer.
— Vous voulez bien m’aider à sortir ? répondit-il finalement d’une voix tremblotante.
De l’autre côté, l’homme ne répondit pas. Mavel crut d’abord qu’il était déjà reparti. Mais des genoux cognèrent contre la ferraille, et deux avant-bras apparurent finalement au sommet, suivis d’une tête. Il y avait peut-être encore quelque chose à sauver dans ce monde, tout compte fait ? Quelqu’un l’aidait, c’était assez rare pour être souligné. L’homme avoisinait la quarantaine d’années. Ses cheveux bruns ébouriffés encadraient un regard fuyant, presque ahuri. Il semblait perdu, comme s’il ignorait ce qu’il faisait là, quel jour de la semaine on était, en quelle année, ou dans quel monde. Il tendit une main gantée vers l’intérieur de la benne, et la secoua pour inviter l'adolescent à s’en saisir. Au prix de quelques efforts ponctués de grognements, Mavel et son bienfaiteur reprirent leur souffle sur les pavés de la place. L’homme retira son gant du bout des doigts, le visage tordu par une grimace, et le glissa dans une de ses poches. Il se dirigea vers les arbustes et cueillit sur leurs branches un chapeau haut de forme, qu’il replaça sur sa tête, ainsi qu’une canne d’ébène au manche argenté. Mavel baissa les yeux et inspecta sa propre tenue. Des restes organiques suintaient de ses vêtements. Il commit l’erreur de renifler son t-shirt, et manqua de vomir. L’homme à la canne l’observait désormais avec attention. Mal à l’aise, Mavel se souvint qu’il ne l’avait pas encore remercié pour son aide.
— Merci, monsieur ! Je m’appelle Mavel, heureux que vous soyez passé par là !
Par réflexe, il tendit la main. L’autre pencha sa tête sur le côté, et l’analysa quelques secondes.
— C’était la moindre des choses. Je vais néanmoins m’abstenir de te serrer la main. Il reste des épluchures entre ton pouce et ton index, ainsi qu’une chose écrasée et gluante sous tes ongles. Je crois que c’est de la mangue. En décomposition, cela va sans dire. Il faut se laver, garçon, tu sens le putois.
Mavel sourcilla.
— Je sors d’une poubelle, vous vous souvenez ?
— De fait ! Et à l’avenir, je te recommande des activités moins salissantes. Soit, puisque tu t’es présenté, à moi de te rendre la pareille. Je suis Braams Fortesprit. Je ne suis pas d’ici, et je cherche quelqu’un.
— Je peux peut-être vous aider ? se surprit à proposer l’adolescent. De qui s’agit-il ?
— Fichtre, je l’ignore. Si je savais qui je cherche, je serais déjà allé le trouver. Réfléchis un instant, garçon !
Mavel ouvrit la bouche pour répondre, mais les mots lui manquèrent. La logique de l'homme, s'il en avait une, lui échappait totalement. Il frotta sa chemise pour faire tomber les déchets restés collés entre les plis.
— Je vous remercie, et je vais aller me laver, comme vous me l’avez sagement conseillé. Bon courage pour vos recherches, monsieur.
Mavel s’éloigna doucement, soucieux de fausser compagnie à l’individu sans donner l’impression de prendre la fuite. Après quelques pas cependant, un détail attira son attention. Entre l’angle de la place et la benne, sous une fenêtre close, se dessinait une porte en fer. Une lumière discrète pulsait par les interstices. Cette porte, Mavel en était certain, n’était pas là ce matin. Elle n’y avait d’ailleurs jamais été. Il s’immobilisa une seconde, et se remémora le moment où sa tête avait cogné le métal de la benne. Peut-être n’avait-il pas encore recouvré ses esprits, et gisait-il toujours au fond du bac, le nez plongé dans les effluves malodorants ? Monsieur Fortesprit et cette porte pouvaient-ils être des hallucinations provoquées par le choc ?
— Un souci, garçon ? s’inquiéta l’homme dans son dos.
— Non. C’est seulement cette porte… Je dois être un peu secoué. Bonne journée !
Mavel reprit sa route, et s’efforça de refouler les pensées et questions qui affluaient dans sa tête. Il suffisait de se répéter en boucle : maison, douche, et tout irait bien, pas vrai ? C’était sans compter monsieur Fortesprit, qui l’interpella de nouveau depuis la place. Quelques dizaines de mètres les séparaient désormais, ainsi avait-il dû crier :
— GARÇON ?
Mavel ralentit l’allure et se retourna, agacé.
— TOUT COMPTE FAIT, TU PEUX PEUT-ÊTRE… ATTENDS, J’ARRIVE !
Monsieur Fortesprit enfouit sa canne sous son bras et trottina vers Mavel, une main posée sur son chapeau pour l’empêcher de basculer.
— Tu m'as dit t'appeler comment, déjà ?
— Mavel.
L'homme relacha son chapeau et posa la main sous son menton, pensif.
— Tu n'aurais pas un oncle, par hasard ?
— Si, comme pas mal de monde… soupira Mavel.
— Est-il alchimiste ?
— Hein ?
Monsieur Fortesprit agita la main devant son visage comme s'il chassait une mouche invisible.
— Oublie, dis-moi plutôt s'il se nomme Vecner Brassevin.
Mavel sourcilla. Ce type connaissait son oncle, vraiment ? L'oncle Vecner était un peu atypique, mais en terme de bizarreries, ces deux-là ne jouaient pas du tout dans la même cour. L'homme à la canne lut la réponse sur son visage incrédule avant qu'il ne la formule.
— Saperlipopette ! souffla monsieur Fortesprit, visiblement ravi.
Il réajusta son chapeau.
— Je crois que tu es justement la personne que je cherche. C’est cocasse, n’est-ce pas ? Rejoins-moi sur cette place demain soir, vers vingt-trois heures. Et ne joue plus dans cette benne, par pitié !
Sans attendre de réponse, il rebroussa chemin. Mavel, bras ballants, le regarda s’éloigner. Qu’est-ce qui ne tournait pas rond ce bonhomme ? Comment pourrait-il être la personne qu’il recherchait ? Quelques instants plus tôt, ils ne se connaissaient même pas. Dans quel monde imaginait-il que ses parents le laisseraient quitter le domicile familial pour le rejoindre à une heure aussi tardive ?
⁂
Lorsque Mavel franchit la porte de l’appartement, Pantoufle avait abandonné son bureau et dormait à poings fermés sur le sofa, la bouche ouverte. La télécommande avait glissé de sa main et traînait sur le tapis, tandis que la télévision diffusait un reportage sur la reproduction des anguilles d’eau douce. Le garçon soupçonna son père d’avoir choisi ce programme pour s’endormir rapidement. Et les coussins, qui vibraient au rythme de ses ronflements réguliers, prouvaient la redoutable efficacité de sa démarche.
Mavel se faufila à l’étage sans un bruit, et s’enferma dans la salle de bains. Il se débarrassa de ses vêtements souillés, ne conservant que son pendentif.
— Toi, il faudra vraiment que je t’explique le concept de porte-bonheur, un de ces jours… ronchonna-t-il à l’attention du vieux dé.
Il entra sous la douche et entreprit de nettoyer l’objet avec soin. Ce qu'il vit manqua de le faire s'évanouir. Les chiffres inscrits sur chacune des faces n'étaient plus. Ils avaient cédé leur placé à d'incompréhensibles gravures. Mavel se frotta les yeux, sous le choc, et l'inspecta à nouveau. Toujours pas de chiffres. Il s'attarda sur les curieux symboles gravés. Un insecte volant avec une fleur en guise de dard, une silhouette en accueillant une seconde en son sein, comme une poupée russe. En tant d'autres, un pour chaque face.
Il relâcha le dé, qui retomba sur sa poitrine. Qu'est-ce que c'était encore que ce délire ? Il s'était cogné la tête, certes, mais certainement pas assez fort pour justifier tout ça ! Ces illustrations représentaient probablement quelque chose, mais quoi ? Et pourquoi se révélaient-elles maintenant ? Mavel était un garçon ouvert d'esprit, mais il savait discerner la fiction et les rêves du réel. Alors comment expliquer tout cela de manière rationnelle ? Le dé qui avait semblé briller dans la benne, et qui l'avait brûlé. La porte sortie de nulle part. Et maintenant, ces symboles...
Il soupira, et s'attarda sous la chaleur réconfortante de l’eau. La pression du jet l’aida à réorganiser ses pensées. La requête de monsieur Fortesprit lui revint en mémoire. L'idée de le rejoindre demain soir, la veille de son entrée au lycée, était absurde. Pourtant, l'homme à la canne avait su éveiller sa curiosité, et Mavel hésitait. Devait-il honorer ce rendez-vous, ou l'ignorer ?