Mavel s'arracha à l'étreinte d'une substance sombre et visqueuse qui grimpait le long de ses mollets comme du lierre envahirait les murs d'une vieille bâtisse. Il avança de quelques pas, et remarqua avec dégoût que la matière grouillante tentait inlassablement de s'agripper à lui. Tout autour de lui se dressaient des formes floues, pareilles à des tours penchées et instables, constituées d’amas d’objets impossibles à déterminer. Le garçon leva la tête, et chercha le ciel, mais n’y trouva qu’une réplique de ce qui l’entourait. Ni plafond, ni étoiles, seulement une obscurité poisseuse, des structures bancales. Il était de retour dans une benne. Pire, une immense décharge. Sans fin, sans fond. Un monstre né pour dévorer, engloutir, assimiler et décomposer. Il frissonna lorsqu'il aperçu des silhouettes, multiples, muettes.

Des formes humaines, de toutes tailles, dévorées par les ténèbres. Elles erraient. Avançaient sans but. Trébuchaient sans bruit. Parfois se relevaient. Souvent pas. Mavel remarqua que sous les langues poisseuses qui léchaient ses jambes, des corps s'entassaient, et frémissaient sous ses pas. Ensevelis comme des cadavres, mais pourtant en vie, si leur état pouvait encore être considéré ainsi. L'unique source de lumière provenait d'éclairs blancs. Ils émergeaient de tourbillons de ténèbres opaques en suivant un rythme inconstant, se divisaient et fendaient le vide. Ils grésillaient et grondaient, brisaient le silence qui les précédait pour renforcer celui qui allait suivre.

Mavel se tendit. Il devait quitter cet endroit. Les vortex cracheurs de foudre se matérialisaient un peu partout, sans crier gare, et crachaient après chaque coup de tonnerre une salve de matière informe qui, dès qu'elle entrait en contact avec les filaments voraces, se teintait de noir et se mêlait à ce grand rien. Il ne tenait pas à savoir ce qu'il se produirait en cas de contact. Il reprit sa marche. Tout se ressemblait. Le décor se répétait à l'infini. Pas d'entrée, pas de sortie. Seulement le chaos, et ces filaments voraces qui tapissaient le sol et s'agitaient sous ses pieds.

Il ressentit soudain une vive douleur. Une brûlure sur le torse. Encore. Un mouvement dans son dos attira son attention. La douleur s’évapora aussi vite qu’elle était apparue. Mais quelque chose, ou quelqu’un, venait de le frôler. Son coeur battait la chamade. La présence qu'il avait sentie était vive. Rien à voir avec les déplacements erratiques et lents de ces restes humanoïdes. Il contourna prudemment la tour d'ombres la plus proche, et retrouva la trace de ce qui l'avait frôlé. Une forme de vie, humaine, épargnée par les ténèbres. Il pressa le pas. Sa filature le guida au pied d'un escalier courbé qui descendait des hauteurs sans parvenir jusqu'au sol. Sur la dernière marche se tenait une jeune fille aux longs cheveux noirs vêtue d’une cape. L’adolescent croisa son regard, et pour la première fois depuis qu’il se trouvait en ces lieux, il rencontra une couleur. Un vert d’émeraude. Il se laissa submerger, emporter par le tourbillon de vie, d’émotions et d’énigmes insolubles qui habitaient ses yeux.

— Vecner, c’est toi ? souffla-t-elle.

— Non, je m’appelle Mavel… balbutia-t-il d’une voix peut-être trop faible pour qu’elle lui parvienne.

Il n'était resté immobile que quelques secondes, mais déjà, les filaments tapissaient son corps d'ombres mouvantes, et se hissaient, insatiables, vers son visage. Une vague de panique s'empara de Mavel. Il allait finir comme ces milliers de choses alentour, qui autrefois, étaient sûrement des personnes. Englouti, effacé. Une intense lumière émergea de l’escalier et traversa la fille aux yeux d’émeraude. La lumière enveloppa Mavel. Sa douce étreinte repoussa les filaments de ténèbres, qui lui chatouillèrent les narines et se rétractèrent dans l'ombre, dans les profondeurs des limbes.