Venin s’approche sans un mot, dégageant une froideur presque palpable, comme s’il amenait l’hiver avec lui. Il tire lentement la seule chaise encore libre, celle juste à côté de moi, et s’y installe. Son regard se fixe droit devant lui, ignorant ma présence, comme si je n’existais pas.
Son parfum discret mais puissant me frappe aussitôt. Un mélange d’épices brûlantes, de cuir patiné et d’orage lointain. Je ne sais pas à quoi je m’attendais, mais sûrement pas à ça.
Je le regarde du coin de l’œil, incapable de masquer ma curiosité.
— Tu arrives en retard et tu ne dis même pas bonsoir ? soufflé-je, mi-sarcastique, mi-nerveuse.
Il tourne légèrement la tête vers moi. Ses yeux noirs percent les miens, glacials, tranchants comme des lames.
— Je ne suis pas venu pour socialiser, répond-il froidement.
Une vague glacée me traverse. Ce type est sec, distant... et manifestement dangereux. Mais ce n’est pas ça le pire.
Mon père, Houssam, repose la serviette sur ses genoux et lève les yeux.
— On peut peut-être passer au vrai sujet maintenant.
Serhan, impassible, prend la parole d’une voix calme et autoritaire :
— Venin.
Il marque une pause, boit une gorgée de vin, puis pose lentement son verre.
— Es-tu prêt à épouser Ayla pour renforcer l’alliance entre nos familles ?
La question tombe comme une bombe. Mon souffle se coupe net. Mon cœur tambourine violemment dans ma poitrine. Il vient de dire ça. Juste comme ça. Froidement. Comme s’il proposait un contrat d’affaires et non un mariage.
Je tourne la tête vers Venin, figée. Lui, aucune réaction. Son visage reste de marbre, ses traits fermés, impassibles comme la mort.
Le silence est lourd, terrible.
Il ne répond pas. Pas tout de suite. Moi non plus.
Je sens les regards peser sur nous : Serhan, mon père, Okan, même les serveurs semblent figés.
Venin garde le silence. Moi aussi.
Les secondes s’étirent, lourdes et étouffantes. Puis, je détourne les yeux et fixe mon assiette, le cœur en feu, la gorge nouée.
Je comprends que ce dîner va changer ma vie.
Le trajet jusqu’à la villa se déroule dans un silence écrasant. Je n’ai pas dit un mot depuis que je suis montée dans la voiture, lui non plus.
Je suis assise à droite, les yeux rivés aux reflets des lumières de la ville qui défilent à travers la vitre. Mes mains sont serrées sur mes genoux pour ne pas trembler. Tout mon corps vibre d’une rage contenue, d’une confusion sourde, de cette sensation insupportable d’être jetée devant une décision sans avoir été consultée.
À notre arrivée, je descends sans attendre que le chauffeur fasse le tour. Je monte les marches, ouvre la porte et entre directement, entendant les pas calmes de mon père juste derrière moi.
Je me retourne vivement.
— Tu vas m’expliquer, maintenant !
Il referme la porte sans se presser, pose ses clés sur la console dans l’entrée.
— Expliquer quoi ? demande-t-il, sans lever les yeux vers moi.
— Ce dîner. Cette mise en scène. Cette… alliance ?! Tu t’attendais à quoi, à ce que je dise oui, moi, à épouser ton mystérieux invité qui m’a regardée comme une étrangère tout le repas ?
Il me dévisage enfin, ses yeux aussi froids que sa voix.
— Il s’appelle Venin. Et tu vas l’épouser.
Je reste figée.
— Tu ne me demandes même pas mon avis ? souffle-je, incrédule.
— Parce que ton avis n’est pas requis.
Un silence glacial s’installe.
Mon cœur bat plus fort, la peur se mêle à la colère. Ce n’est pas une décision d’affaires. C’est une condamnation.
— Qui est-il, vraiment ? dis-je. Tu ne me l’as pas présenté. Il est venu, s’est assis à côté de moi sans un regard, et maintenant tu veux que je porte son nom ?
Houssam hausse un sourcil, comme si la question était absurde.
— C’est le chef de “Los Silencios". Un cartel. Entre le Mexique et la Turquie. Le plus puissant du pays. Peut-être même du continent.
Mon souffle se coupe.
— Tu es sérieux ?
— Très. Tu crois que ce genre d’alliance se fait avec des enfants de chœur ? Il dirige un empire, Ayla. Respecté, redouté… et surtout utile.
Je recule d’un pas, frappée par ses mots.
— Et tu veux que j’épouse ça ? Que je vive dans son ombre ? Entourée de mort, de drogue, de sang ?
Il me fixe sans ciller.
— Tu ne vis pas dans un conte de fées, Ayla. Tu es née dans un monde où les décisions se prennent pour survivre. Tu crois que ta vie t’appartient ? Elle m’appartient, tant que tu portes mon nom. Et si je dis que tu épouses Venin, tu l’épouseras.
Je serre la mâchoire, l’envie de hurler me serre la gorge. Mais je ne lui donnerai pas cette satisfaction.
— Tu me vends, c’est ça ? Comme une marchandise ?
— Je sécurise des intérêts. Tu seras utile là où je t’envoie.
Ces mots me glacèrent jusqu’à l’os.
Je n’ai rien à répondre. Pas maintenant. Pas face à un homme qui me réduit à une simple pièce d’échange.
Alors, je hoche la tête. Une seule fois.
Puis je tourne les talons et monte dans ma chambre, sans un mot de plus. Mes mains tremblent, mais pas de peur.
De colère.
Je ne suis pas prête à vivre sous la coupe d’un homme comme Venin. Mais encore moins à rester une fille docile, brisée par le pouvoir des autres.
S’il veut que je sois sa femme…
Il va apprendre qu’on ne dompte pas si facilement une fille qu’on n’a jamais pris la peine de connaître.
Je claque la porte de ma chambre, la respiration coupée, le cœur au bord de l’explosion. J’ai l’impression que mes veines brûlent d’acide, que chaque battement dans ma poitrine résonne comme un coup de tonnerre. Comment a-t-il pu me faire ça ? Comment mon propre père, l’homme censé me protéger, peut-il me livrer sans remords à… un monstre ? Un inconnu. Un fantôme. Un nom que je n’avais entendu qu’au détour d’une phrase, toujours loin de mon monde. Venin. Même son surnom est un avertissement.
Et maintenant, je devrais porter son nom ? Lui appartenir ? Devenir sa chose, sa femme, comme un pion dans une guerre de territoires, une promesse scellée entre deux hommes avides de pouvoir ? C’est insensé. Écœurant.
Le pire, c’est que je n’ai rien vu venir. Okan, mon meilleur ami, n’a jamais parlé de ce frère. Comme s’il n’existait pas. Comme s’il avait été effacé, mis sous silence pour mieux réapparaître au moment le plus stratégique.
Maintenant, je comprends pourquoi.
Ce n’est pas un homme ordinaire. C’est un roi dans un royaume de cendres, un serpent qui règne dans l’ombre.
Un chef de cartel. Los Silencios. Un nom qui glace le sang rien qu’en le prononçant.
Et moi, pauvre idiote, je suis censée lui passer la bague au doigt et sourire comme une épouse docile ?
Non.
Jamais.
Il est hors de question que je sois une de ces femmes soumises, jetées dans une cage dorée sous prétexte d’unir deux empires.
Je ne suis pas née pour être utilisée.
Je suis née pour décider.
Et même si je suis piégée, même si je ne vois pas d’issue…
Je jure que je ne me laisserai pas faire.
Mon père m’a peut-être vendue, mais Venin va découvrir qu’il ne reçoit pas un cadeau facile à déballer.
Je suis de feu et de lames, pas de soie ni de silence.
Et si je dois entrer dans sa vie, ce ne sera pas comme une épouse soumise.
Ce sera comme un poison qu’il n’a pas vu venir.
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Alors ce chapitre trois ?
Vous en pensez quoi ?