Les rayons du soleil caressent ma peau nue, tièdes, presque désagréables. J'ouvre lentement les yeux. La chambre m'est étrangère.
Une seconde de flottement. Puis tout revient.
La nuit. Kate.
Je souris, un sourire discret, presque privé. La douceur de sa peau, ses doigts contre mon torse, ses lèvres au goût d'alcool sucré... Un frisson me parcourt tandis que je repousse les draps. Le froid me mord légèrement la peau.
Je m'assois au bord du lit. Le parquet est tiède sous mes pieds.
Elle est partie. Évidemment. Le côté du lit est vide, déjà refroidi.
Mon regard parcourt la pièce, lentement. Mes vêtements sont éparpillés au sol, traces du chaos de la veille. Je laisse échapper un souffle amusé.
Puis je lève les yeux.
Son bureau.
Juste au-dessus, un panneau de liège. Des photos. Des fils rouges tendus comme une toile nerveuse. Des noms. Des dates. Une ambiance qui tranche avec le reste.
Je me lève, lentement. Je m'approche.
Mes yeux glissent sur les visages imprimés. Des morts. Des scènes de crime. Des détails banals pour les autres... mais pas pour moi.
Je lis chaque nom, chaque date, chaque lieu, et un rictus silencieux tord mes lèvres.
Elle pense être proche. Kate croit qu'elle démêle quelque chose. Elle trace des lignes, tire des fils.
Mais elle ne sait rien.
Je me surprends à fredonner doucement, un air léger, presque enfantin. Ce tableau... cette obsession... C'est attendrissant, presque.
Mes doigts effleurent les bords des photos, caressant les visages pâles comme s'ils m'étaient familiers.
Ils le sont.
Un nom me fait hausser un sourcil. Une vieille affaire. Elle a fouillé loin.
Je m'approche un peu plus, mon souffle frôle une épingle rouge plantée dans un coin. Je reste là un instant, pensif.
— Toujours pas, murmuré-je pour moi-même.
Puis, comme si de rien n'était, je recule. Mon visage reprend une expression lisse, neutre.
Elle ne saura rien. Pas encore.
Je recule du bureau sans un mot, laissant les photos derrière moi, comme on referme un dossier... temporairement.
Je me penche, ramasse mes vêtements éparpillés au sol. Chaque pièce me rappelle la nuit passée : ses soupirs, son corps contre le mien.
Une fois habillé, je m'avance vers le miroir posé sur la petite coiffeuse. Tout est en désordre : parfums renversés, quelques pinceaux de maquillage tachés, un rouge à lèvres ouvert. Un vrai désordre.
Je me regarde.
Mes cheveux sont en bataille, mes yeux encore un peu cernés. J'essaie vaguement de remettre de l'ordre, glissant mes doigts dans mes mèches sombres pour redresser ce qui dépasse.
Puis, je me redresse lentement, observant mon reflet.
Mon visage. Mon calme.
Rien ne dépasse.
Mon regard se fige sur une vieille marque familière.
Juste là, en dessous de mon œil gauche...
La cicatrice.
Fine, presque invisible maintenant, mais je la sens toujours. Je l'effleure du bout des doigts, comme pour m'assurer qu'elle est bien réelle.
Le souvenir revient, confus, flou, mais encore chargé de tension.
L'éclat du verre.
Le visage de cet homme.
La sensation brûlante du sang qui perle.
Je soupire. Longuement.
Il y a des choses qu'on n'oublie pas, même quand on le voudrait.
Un soupir s'échappe de mes lèvres.
Je tends le bras vers la montre posée sur la table de chevet, mes doigts effleurant le métal froid. Mon regard suit les aiguilles : onze heures.
— Hmm... déjà... soufflé-je, à peine audible.
Je lève les bras au-dessus de ma tête, m'étirant lentement. Mes os craquent légèrement, protestant contre la nuit passionnée.
Je glisse la main dans la poche intérieure de ma veste, en sortant la boutonnière que je n'avais pas encore détachée. Une rose, légèrement fanée, mais dont la couleur douce résistait encore au passage du temps.
Je l'observe un instant. Elle aussi a survécu à la nuit.
Avec précaution, je la dépose sur la coiffeuse, à côté de quelques flacons de parfum renversés. Puis j'attrape un petit papier et un stylo.
D'un geste lent, j'écris simplement :
Jason
Un sourire effleure mes lèvres, sans joie.
Je repose le stylo à côté de la note, juste au-dessus de la rose.
Comme une signature muette.
Je fais quelques pas en arrière avant d'atteindre la porte et de sortir.
J'entre précipitamment dans mon bureau, le souffle court. J'étais en retard pour mon émission de radio, encore.
Je m'affale sur ma chaise dans un bruit sourd, les yeux aussitôt happés par le chaos organisé sur mon bureau : des feuilles griffonnées, des coupures de journaux, et ce micro, dressé au milieu de tout ça comme un témoin muet.
Je pousse un soupir, puis un léger sourire étire mes lèvres.
Mes collègues, toujours plus efficaces que moi le matin, avaient déjà préparé les documents.
Je les attrape et les parcours rapidement du regard.
Aujourd'hui, l'émission s'annonce lourde :
les meurtres qui glacent la Nouvelle-Orléans...
Et, en deuxième partie, quelques actualités politiques.
J'allume le micro, le voyant rouge s'allume. L'émission commence.
— Bonjour à toutes et à tous, ici Jason, en direct sur la fréquence WDSU. Désolé pour le léger retard ce matin... disons que la nuit a été courte, mais... captivante.
Je souris. Ma voix devient plus grave, plus sérieuse.
— Parlons plutôt de ce qui secoue, encore une fois, la Nouvelle-Orléans ce matin. Un nouveau corps a été retrouvé à l'aube... en bordure de la forêt du Bayou Sauvage. La police reste muette sur les crimes...
Je laisse un silence.
— Le tueur court toujours. Il est peut-être là, à quelques rues. À quelques pas. Alors restez prudents, mes chers auditeurs... Ouvrez l'œil.
Un déclic. J'enchaîne sur une musique douce, laissant planer le malaise.