Ajout spécial dans le cadre du club de lecture.
Ce texte se situe des mois plus tard. 2 arcs narratifs après le dernier chapitres présent sur historicall et qui sont toujours en correction. je trouvais pas d’extraits qui seraient bien représentatif, sauf ce que j’était en train d’écrire actuellement, bien en avance sur ce qui est déjà présent et corrigé.
j’utilise des règles bien particulière pour ce qui à trait à la magie mais je pars du principe qu’un sort est comme un code informatique ou une recette de cuisine compliquée capable de courber ou temporairement invalider une loi naturelle locale pour obtenir un effet. il y a un coté très scientifique/mathématique à la chose et Yuki est une mage spéciale fonctionnant plus à l’intuition qu’a une compréhension profonde de la sciencequ’est la magie. le récit est une histoire de son passé que raconte Yuki ( prologue ).
L’histoire jusqu’ici. Yuki, 1m50, se décrivant comme ayant une tête de monstre, peau blanche, cheveux blancs, oreille en pointe, un œil dit démoniaque, car parcouru de veines sanglantes et l’iris rougeâtre, l’autre dit aveugle, car quasi complètement dépigmenté, se retrouve un beau jour prit dans un maelstrom magique alors qu’elle était tranquillement en train d’étudier la magie.
Le monde où elle a atterri est de l’aveu des têtes pensantes qui l’habitent “une vraie déchetterie cosmique à sens unique”. Tout ce qui se perd dans les autres mondes ( ou plan d’existence ) finit toujours par atterrir par ici, parfois horriblement déformé, mais un jour ou l’autre, toujours, ils apparaissent quelque part comme le fit Yuki elle-même.
Ce monde est en proie à une invasion d’une armée de mort-vivant et le conflit, sans espoir de victoire, perdure depuis des décennies.
Elle fait rapidement la connaissance d’Yreen, créature en transition pour devenir une dragonne à part entière qui va l’aider à s’adapter et même plus. C’est suspect, mais aussi une opportunité en or.
Lors de sa première aventure, elle est forcée de créer un lien magique entre elle et un corbeau ( qu’elle nommera Royal ) ce qui lui permet de se sortir d’un mauvais pas. Mais le lien est dangereux, car contrôlé par l’animal et non par elle. Craignant de finir esclave d’un sale piaf, voire pire, elle tombe dans une spirale de négativité et lorsque le lien est réellement rompu, les événements la laissent au plus bas.
Des mois plus tard, après un haut fait militaire et une contribution majeure dans le domaine magique, elle rejoint l’académie du royaume avec un des plus hauts titres qu’un mage puisse obtenir, celui de magister, ce qui provoque maints grincements de dents dans la gérontocratie qu’est cette académie ou elle est inconnue et à tout d’une parvenue. Royal revient dans sa vie, et avec le soutien d’Yreen, les deux de tisser un véritable lien magique dans les règles cette fois.
C’est alors qu’une expédition d’enquête est lancée pour résoudre un problème qui mine le royaume sur une de ses frontières. La guerre étant au point mort, le royaume peut désormais se pencher sur ce problème qui laisse tout le monde perplexe depuis des années : où sont passés les gnomes de la fédération des cités libres ? Territoire bien loin des lignes de front pour en accuser les morts-vivants. Des dizaines de milliers d’individus ayant disparu sans laisser de traces, quiconque approchant trop près de leur territoire disparaissant lui aussi sans crier gare. Et pourtant, fermes et villes ne semblent pas abandonnées, mais nulle trace d’un quelconque nouvel occupant.
Partie 8
Le mystère Gnome
Une semaine que nous campions le long de la frontière Gnome. Trop de patrouilles et caravanes dans cette zone avaient disparu désormais. Le royaume ne pouvait plus ignorer le problème. Et devinez qui ils envoyèrent pour jeter un œil. Bon, ils ne me bombardèrent pas non plus chef de l’expédition, je n’avais pas encore la légitimité pour ça, malgré (ou à cause de) ma nomination. C’était officiellement Melenuil qui était en charge, mais dans les faits, comme elle ne pouvait se déplacer que difficilement, elle n’était présente qu’au travers des yeux et de la bouche d’une de ses apprenties.
Elle pouvait tisser une sorte de lien entre elle et certaines personnes de son entourage pour voir et entendre au travers de leurs sens et même, s’exprimer par leurs bouches. En quelque sorte, elle pouvait se servir des gens comme des familiers magiques. Ce qui était sans doute très pratique jusqu’à ce que l’on se penche un peu sur les utilisations possiblement malsaines qu’un tel sort pourrait engendrer.
Pour sa défense, Melenuil n’entendait pas partager et n’a jamais cédé sur ce point, malgré, on s’en doute, l’insistance agressive de nombres d'individus ambitieux, puissants ou juste malintentionnés.Donc officiellement, Melenuil était en charge à distance, mais dans les faits, c’est moi qui dirigeais notre petite troupe de mages de l’académie ainsi que le personnel et les gardes. Surtout les gardes.
Nous avions monté le camp à la frontière, et depuis, je lançais des reconnaissances du terrain, de plus en plus éloignées. J’attendais le moment fatidique ou certains de mes gars manqueraient à l’appel. Ça peut sembler glacial, mais si vous avez une meilleure idée pour procéder, je suis preneuse. Si tout le monde devait rentrer ce soir, j’escomptais déplacer notre base d'opérations plus profondément en territoire gnome, à la limite de la zone jusque là explorée pour poursuivre sur le même principe jusqu’à ce que l’on tombe sur quelque chose.
Notre cible était la ville frontière la plus proche. Déjà, nous avions récolté et confirmé pas mal d’informations, mais rien ne pouvait expliquer la situation. Comme reporté, aucune ferme n’était laissée à l’abandon. Les animaux étaient toujours soignés, les champs entretenus, sans pour autant que nous puissions apercevoir ceux qui s’occupaient de cette tâche. Nous étions encore bien trop éloignés pour avoir des certitudes sur le sujet. De même, la ville ne semblait pas négligée, mais nulle trace de gnomes nulle part, voir de quelconques habitants tout cours. Je voulais avoir une bonne reconnaissance de la frontière avant de m’avancer plus en avant, mais cela devenait difficile de calmer les ardeurs de nos gars qui crevaient d’impatience de foncer dans le tas malgré les dangers manifestes, et par gars, j’entends les mages de l’expédition.
Ils s’imaginaient déjà tous auréolés de gloire pour avoir résolu le mystère gnome, là ou tant d’autres échouèrent avant eux. Bien sûr, tous ces autres-là n’avaient évidemment pas leurs talents et étaient juste malchanceux d’avoir dû se frotter à cette épreuve sans leur génie incommensurable. Bref, vous voyez le tableau. J’en avais une dizaine comme ça à gérer.
Melenuil étant en accord avec mon approche plus que prudente, elle avait fait usage de toute son autorité et menacé de représailles sévères quiconque désobéirait aux ordres. Ça suffisait pour le moment à les maintenir dans le rang, mais j’avais bien conscience que ce n’était qu’une question de temps avant que l’un d’entre eux se décide à dévier une patrouille ou partir tout seul dans son coin chercher des indices. Dans l’absolu, ils pouvaient bien aller se faire tuer je ne sais où comme des idiots. Sauf qu’ils étaient désormais sous ma responsabilité. Devoir, devoir, tu es parfois bien cruel.
L’apprenti de Melenuil, Madeleine Francoeur, une jeunette ayant mon âge, ne me quittait pas d’une semelle. Le fait de devoir servir de voix pour la magister lui pesait très lourdement sur les épaules. Surtout qu’elle-même n’avait jamais connaissance du moment où Melenuil l'utilisait pour jeter un coup d’œil. Jusqu’au moment où l’archimage prenait alors le contrôle de sa bouche pour s’exprimer. Le sort ne permettait pas d'avoir les pleins pouvoirs sur le corps de l'individu, mais quand même, ce devait être salement traumatisant à vivre. En plus, elle avait bien conscience de n’être là que pour son insignifiance. Dans le pire des cas, sa mort n’impacterait qu’elle même. Elle était un peu le pion sacrifiable de l’histoire et n’avait même pas ni les connaissances ni les capacités pour se défendre par elle-même. Elle servait juste de garantie de la sécurité de Melenuil, confortablement installée dans son fauteuil de l’académie.
Je ne pouvais pas réellement prétendre à l’aider non plus, y compris dans ses études. Elle en était au point ou lancer un tour de magie était déjà une montagne infranchissable. Autant un mage confirmé aurait eu assez de connaissances pour conceptualiser mes idées farfelues et mes raccourcis prodigieux. Autant la pauvre petite devait se contenter pour sa part d’ouvrir grand les yeux sans prononcer un mot. Du fait qu’elle soit la voix de Melenuil, les autres l’évitaient comme la peste ou restaient d’une neutralité absolue en sa présence. Le côté un peu bourru et franc des gardes la mettait mal à l’aise. Bref, elle se sentait exclue, esseulée, négligée et hautement sacrifiable. Pas très joyeux. Voilà comment j’ai hérité de la patate chaude si l’on peut dire. Non pas que cela me dérange, elle était facile à vivre, mais pour le coup j’avais l’impression de trimballer ma toute petite sœur derrière moi toute la journée, alors qu’on avait sensiblement le même âge bien que ça, il me semble l’avoir déjà dit. Peu importe.
Ça titillait nombre de mes boutons, incluant ceux que je ne désirais pas dévoiler pour le moment. En prime je ne savais jamais comment réagir face à elle ni jusqu’où je pouvais aller, sa position étant à ce point ambigu à mes yeux. Comme les autres, j’avais aussi mon lot de biais à supporter, même si sur ce sujet, nous différions pas mal.
Pour le coup, Royal était d’une aide inestimable, il l’adorait, et la réciproque semblait vraie. Il passait la plupart de son temps perché sur son épaule à elle. L’air de rien, ils paraissaient avoir établi un moyen de communication entre eux et partageaient de bons moments. Tant mieux, parce que j’avais tant à faire que j’avais peu d'attention à octroyer à mon « de nouveau » partenaire à plume.
Suivant l'annonce de notre départ, il fut si excité à l’idée de cette aventure que je dus lui fermer mon crâne pendant une paire de jours, le temps qu’il se calme. La monotonie du voyage eut raison de son enthousiasme et depuis il grommelait fréquemment sur le fait qu’on resta là immobile à attendre. J’étais donc doublement contente que ces deux-là s’apprécient autant.
Toutes mes patrouilles rentrèrent en temps et en heure alors le lendemain nous levâmes le camp pour avancer vers la ville gnome la plus proche d’une bonne demi-journée de marche.
***
J’étais assise à même le sol, les yeux clos à l’ombre d’une tente. Les journées se faisaient chaudes et humides et j’avais eu besoin d’air. Royal opérait sa ronde des environs cherchant un dessert quelconque au repas qu’il venait de prendre et j’inspectais le terrain immédiat par son biais. En même temps, j’écoutais distraitement les bavardages de certains de nos gardes en armures, installé autour du feu de camp jusqu’au moment où ce qu’ils disaient capta mon attention.
— Ils vous mettent pas les tripes à nu ces mages ?
Un silence pesant lui répondit.
— Non ! Pas comme ça ! Depuis le temps, j’ai l’habitude de les voir faire tout et n’importe quoi ou de se prendre pour des dieux. Comme vous tous non ? Donc, non, pas ça, mais le visage qu’ils ont en plein combat, là.
— De quoi tu parles ?
—Uh ? Vous avez jamais remarqué, là ?
— Ça dépend... de quoi tu parles.
— Cet air impassible qu’ils prennent en combat, comme si plus rien avait d’importance, là, vous voyez ce que je veux dire, non ?
Nouveau silence.
— Sérieusement ? Raah. Vous étiez là pour les derniers tests de progression ?
— Pas moi.
— Ni moi, j’étais de gardes aux portes.
— j’étais dans le public avec mon gamin.
— aussi.
— Ah ! Vous vous souvenez de l’avant-dernier duel ? Les deux qui voulaient le même poste là !
— Mhh ? Avec le dragon ?
— Avec le dragon oui. Vous ne vous souvenez pas de la tête du mage là, quand il s’est fait arracher un bras, et qu’il a continué le combat comme si c’était la chose la plus naturelle au monde, à peine s’il a daigné tressauter sous la force de l’impact avant de reprendre sa pose là, et de lancer son gros sort là qu’a bloqué le dragon dans une cage d’éclairs. Vous voyez ce que je veux dire là ?
Au son, au moins un, voire deux, lâchèrent un bâillement. Je sentais quelque chose me titiller l’esprit et ne put retenir un bâillement moi aussi. Royal semblait épuisé et était sur le retour. Quelque chose se passait, mais c’était comme si ça ne m’intéressait pas vraiment. J’aurais dû bondir. Pourquoi je ne bondissais pas partout ?
— Et ?
— Et ça vous fou pas la trouille vous ? Ce regard qu’ils ont tous alors, là ? Comme vide, lointain ?
— C’est des mages.
— Et alors ? Les types, ils donnent l’impression que tu peux les mettre en morceaux ou les percer d’une épée et ils te regarderont toujours avec la même indifférence détachée.
— Parce que t’as l’impression que tu comptes pour quelque chose dans leurs histoires ?
— Hey, quand même ! Hey ? Je rêve, ils pioncent ! Regarde-moi ça, ils se sont endormis… Ow, toi aussi… Réveillez-vous ! Oy ! Aide-moi à les réveiller ! Ça devient flippant là !
Je sombrais moi aussi. C’était insidieux, je n’avais rien vu venir et pas moyen de m’en dépêtrer désormais, alors je sombrais peu à peu, tout me semblant de plus en plus lointain. Je captais vaguement une note d’urgence en provenance de Royal, mais il était bien trop tard. La nuit tomba.
***
Au commencement, tout était nuit. Vint la lumière, comme une tache sur la face du monde, prenant rapidement de l’ampleur jusqu’à ce que l’obscurité ne soit plus que lueurs aveuglantes. Avec elle, vint aussi le son, celui d’une légère brise dans les herbes hautes et les feuilles d’un arbre proche. L’odeur du soleil et des douleurs dans tout le corps, comme au lendemain d’un entraînement ou d’un exercice militaire un peu trop intense.
J’étais à mi-hauteur sur le flanc d’une colline, écrasée au sol, des brins d’herbe me chatouillant le cou, presque entièrement à l’ombre d’un grand chêne solitaire.
Je me redressais soudainement.
— Dieux non ! Pas encore !
Puis je soupirais de soulagement, la scène autour de moi n’avait rien à voir avec celle de mon arrivée dans le demi-plan. Puis une seconde vague de panique me saisit ! Ce n’était pas parce que la situation n’était pas identique que le même genre d’événement ne pouvait se reproduire !
J’entendis des cris au loin et me penchant dans la pente, remarquait un trio de soldats un peu plus bas. Je donnais de la voix aussi, leur faisant signe du bras, puis observais les environs.
Lorsque je levais les yeux au ciel, j’en restais interdite. Ce que j’avais devant mon regard était tellement démentiel qu’il est difficile de le retranscrire en mot.
Imaginez un firmament bleu et limpide, dont les couleurs tendraient vers l’orangé et le rouge crépusculaire alors qu’on se rapprochait du centre de la voute céleste. Maintenant, là où le rouge était le plus profond, tracez-y une brèche, totalement éclatée, d’un noir d’encre, fracassant le ciel en deux portions distinctes et même, d’une hauteur différente si cela fait sens pour vous. Comme si la voute céleste au-dessus de nos têtes était la partie supérieure d’une boulle à neige et qu’on l’avait brisée en deux. Les bords de faille étant pas loin de se chevaucher l’un l’autre. Vous avez cette image ? Et bien, c’est ce que je fixais, bouche bée… Ouep, salement perturbant ! C’est peux dire.
Je restais bloquée sur cette vue jusqu’à ce que les soldats viennent me rejoindre et suivant mon regard levèrent eux aussi les yeux pour finalement se figer tout comme moi devant ce spectacle à donner des frissons dans le dos.
Après une période d’infinité indéfinie, je repris mes esprits et attirais l’attention des gardes, notant au passage qu’il s’agissait pour trois d’entre eux de ceux qui discutaient autour du feu. Où étaient les deux autres ?
— Je suppose que le ciel n’est pas celui du monde où nous vivions. À moins qu’on ne m’ait jamais parlé d’un phénomène cyclique comme celui-là ?
Mon index pointait la scène tout là-haut, l'air de rien. Ils finirent par me répondre par un non de la tête.
— Une idée de ce qui est en train de nous arriver ?
Nouvelle négation.
— Bon ! Alors, commençons par explorer les environs tout en cherchant les autres membres de l’expédition… Et restons groupés.
Je ciblais le premier point de repère qui me passa devant les yeux pour servir d’objectif, une forêt, à plus d’une heure de marche vraisemblablement.
Nous fîmes un dernier tour d’horizon, nous assurant qu’il n’y avait personne dans notre champ de vision que nous aurions pu manquer jusque là, y compris et surtout, au loin puis nous descendîmes la colline.
Nous n’avions pas progressé de vingt pas que nous nous arrêtâmes, stupéfaits devant la suite d’événements que nous venions de vivre. Les soldats jurèrent, prenant leurs armes en main et se positionnèrent autour de moi en triangle.
— Histoire d’être certaine, vous avez comme moi aperçu le paysage changer du tout au tout alors que nous avancions, principalement sur la fin ?
Je vis des casques monter et descendre. Me fournissant une réponse.
— La correction était relativement fluide en soi et progressive, mais intervenant sur une si courte distance, cela nous a donné une modification brutale d’environnement. C’est bien ce dont vous avez vous aussi été témoin ?
J’observais le marécage où nous nous trouvions actuellement en fronçant les narines devant la forte odeur de plantes en décomposition.
— Et si nous rebroussions chemin, histoire de voir si nous pouvons retrouver l’endroit où nous étions ?
Nouvel acquiescement au niveau des casques, puis, pas à pas, nous reculâmes sur une dizaine de mètres. En vain. Je sentis sans avoir besoin de les voir les mains des soldats se serrer sur la hampe des lances et les sangles des boucliers. Jetant un coup d’œil en hauteur, je constatais par contre que le ciel, lui, n’avait pas changé, toujours aussi fabuleusement terrifiant.
— Bon, je pourrais vous faire une liste interminable sur ce que ce phénomène n’est pas, mais ça ne nous aidera guère et quoique nous décidions par la suite, cela devra attendre que nous sortions de ce marais. Des objections ?
J’eus pour réponses un tas de grommellement sur le thème de « non, magister, on est avec vous », accompagné de mouvements latéraux des casques. Et nous nous mîmes en route, continuant vers ce qui, de notre point de vue, devait être l’avant, progressant dans ce marécage.
Soudainement, un serpent géant presque aussi large que le bras des hommes s’enroula autour du soldat de tête. Placé juste derrière lui, je préparais mon bâton, attendant que l’ophidien s’immobilise pour frapper la tête de l’animal au moment où il allait mordre le garde. Une lame me frôla alors (bien trop proche !) par la gauche dans un mouvement ascendant pour aller sectionner le reptile, un peu en dessous du point que je venais de toucher. Je serrais les dents et réprimais un réflexe de fuite. Je sentis le dernier soldat se positionner directement dans mon dos, protégeant nos arrières.
L’homme attaqué se débarrassa rapidement du corps mort qui l'agrippait toujours puis il ramassa ses armes qu’il avait lâchées tout en pestant et en jurant parce qu'elles baignaient désormais dans l’eau croupie à ses pieds. Son comparse trancheur de tête, surveillant les environs me lança un « jolie frappe magister ! ».
Le soldat derrière moi commença à respirer très fortement.
— Magister, une quarantaine d’araignées plus grosse que mes mains commencent à se rassembler par ici…
Je jetais un coup d’œil sur la menace et incantais aussitôt une boulle de feu, ciblant le centre du groupe où elle explosa peu après, incendiant la zone sur une dizaine de mètres. Le peu qui survécut à l’assaut magique se dispersa à tout va.
— Uuh, magister !
Cette fois-ci, une demi-douzaine d'imposants lézards aquatiques, que je décrirais rapidement comme un alligator qui aurait évolué pour gagner des courses de vitesse sur de moyennes distances, s’étaient assemblés par devant nous. Comme si ça ne suffisait pas, ils servaient de monture à ce que je définirais comme un semi-humain, un homme lézard.
Ils étaient quasi nus si ce n’est un pagne de peau et avaient en main de grosses lances rudimentaires à pointe en pierre. Vu l’intervalle nous séparant, ils ne représentaient pas une menace imminente, mais toute cette situation était complètement insensée. Trois adversaires différents en moins de trois minutes et venant de trois directions distinctes ? Absurdement absurde ! Invraisemblable ! Manquerait plus qu’on croise une hydre ou l’un de ces monstres aquatiques à tentacules.
Un rugissement grave et de mauvais augure fit écho à mes pensées. Dans l’instant, les sauriens opérèrent un demi-tour et s’éloignèrent rapidement. Depuis la zone d’où provint le cri, nous entendîmes un énorme craquement suivi d’une lourde chute, puis une seconde. Les soldats se regardèrent nerveusement. Je ne savais que trop bien ce qu’ils pouvaient avoir en tête, car la même image me donnait des sueurs froides, celle d’une masse démesurée, avançant pas à pas, brisant les quelques arbres et obstacles sur son chemin. Un nouveau rugissement, plus proche, évidemment qu’il était plus proche. Ça serait bien trop facile s’il devait au contraire s’éloigner.
Dans une histoire, c’est là que chacun commencerait à fuir dans une direction différente et mourrait bêtement tout seul de façon horrible. Dans une histoire…
— Dieux ! Ne pensez plus à rien ! Si vous devez vraiment avoir quelque chose en tête, que ce soit ce monstre poursuivant les hommes lézard, ou encore des choses positives, un bon repas, votre femme, vos gosses, peu importe tant que ce n’est pas une menace ! Évitez de bouger, je vais lancer des sorts pour nous défendre et faire en sorte que ce monstre nous ignore !
Joignant le geste à la parole, j’incantais aussitôt sur chacun de nous un sort de camouflage, puis j’enchaînais avec des mouvements et un discours factice. Le but étant moins de nous protéger que de persuader les soldats que nous l’étions réellement et donc intouchable.
J’allais savoir très rapidement si mon raisonnement était juste ou non de toute manière. Je me focalisais intégralement sur l’image du monstre, que je me représentais sous la forme d’une hydre énorme, suivant les traces laissées par les lézards, ajoutant toujours plus de détails à mon tableau. Grâce à Royal, j’avais pas mal d’expérience à ce jeu-là désormais.
Quand il allait apprendre que ça m’avait peut-être sauvé la vie, il allait être intenable ce sale piaf de malheur… non ! Pas de piaf, mais une hydre ! Suivant la piste jusqu’au village des semi-humains qui l’attendaient de pied ferme, frondes, lances et masses prêtes à l'action. Ils conservaient leur position derrière une palissade rudimentaire, protégeant un tas de huttes grossières. Encore des détails ! Là, un gamin saurien, un vieux par ici, en retard parce qu’il boite et peine à garder son arme en main. Un autre par là, tentant vainement de calmer des animaux domestiques alors que l’ombre de l’hydre domine désormais le camp.
Un rugissement dans le lointain, le craquement d’une masse imposante détruisant tout par-devant elle, mais indubitablement plus distant que les précédents et s’éloignant encore plus alors que nous retenions notre respiration, tendus.
Nous lâchâmes tous un soupir de soulagement lorsque nous fûmes certains que la menace ne nous ciblait plus. Mais avant que nos esprits ne se remettent à battre la campagne, j’intervins.
— S’il vous plaît, continuer de ne penser qu’à des choses positives, inoffensives. Je vais essayer d’expliquer voir si j’ai bien compris ce qu’il vient de se passer. Vous ! fixant un soldat, quand nous sommes entrés dans les marais, vous avez du vous dire que c’était l’endroit propice pour y trouver un de ces serpents géants. Peu après, l’un d’eux vous sautait à la gorge. Vous ! me retournant sur l’homme d’arrière-garde, vous avez dû avoir le même genre de pensées, mais au sujet des araignées, n’est-ce pas ?
Les deux gardes de hocher de la tête réfléchissant à mes paroles.
— Je suppose donc que les lézards et leur monture sont de votre fait ?
Nouveau mouvement du casque alors que je fixais le dernier homme.
— Pour ma part, je me suis fait la remarque devant cette situation absurde au possible qu’il ne manquait plus qu’un monstre géant pour compléter le tableau. Vous comprenez ou je veux en venir ? Nos pensées et réflexions internes semblent avoir une influence certaine sur les événements par ici, alors s’il vous plaît, autant que possible, ayez des idées joyeuses et positives à l’esprit… et croyez-moi, j’ai bien conscience de la difficulté de la chose. Ne laissez pas vos pensées vagabonder et réjouissez-vous, même si je n’ai pas encore toutes les réponses, le fait que l’on puisse intervenir sur ce qui nous entoure est un point réellement positif pour que nous puissions regagner nos pénates. Cela prouve que nous avons un direct et réel contrôle sur les événements. Ce n’est pas rien.
Là-dessus, je leur fis mon plus beau sourire. Moi et ma tête de monstre, on n’est pas vraiment adeptes de ce genre de joyeuseté, les mines enjouées, les visages pleins de gaieté, ce n’est pas vraiment pour nous. Les rictus, ça je savais faire. Gamine, j’ai travaillé dur sur certaines expressions, avec la récompense d’une bastonnade ou deux quand j’échouais. Merveilleuse motivation s’il en faut lorsqu'on est tout petiot n’est-ce pas ?
Je leur fis donc mon sourire le plus optimiste, respirant la confiance en soi. Rien de très franc ou flagrant, juste un léger étirement des lèvres, mais plein de douceur et de sérénité. Que désormais tout ira bien, que le danger est écarté. Le sourire d’une déesse rassurant gentiment une foule angoissée. Celui-là, tout mensonge qu’il soit, je le maîtrisais à la perfection, je n’avais même pas besoin d’y penser pour y faire appel, il débarquait toujours comme un automatisme. Que brûlent les marionnettistes de ce monde et du reste du multivers !
Toutefois, cela eut le résultat escompté, voire même un peu plus, et nous reprîmes notre marche.
Une minute plus tard en l’espace de quatre pas, le marais laissa place à un champ de blé.
***
Nous avancions vers une ferme lorsque je commençais à ressentir une boule de panique au travers de mon lien avec Royal. Esquissant un léger sourire, je lui envoyais l’image d’un corbeau sous forme canine, effrayé par sa propre queue et courant après elle comme si sa vie en dépendait. J'en ajoutais une autre, celle de mon familier couronné, calme et sûr de lui, installé sur un trône de branches, lui-même dominant un tapis d’objets brillants. Je joignais finalement l’interrogation impliquant un choix entre les deux. En retour, j’eus droit à une vague d’indignation mêlée de soulagement.
En quelques images, il me fit comprendre qu’il s’était réveillé ici, perdu, avait cherché certains de ces congénères pour obtenir des informations sur des repères cartographiques façon corvidé. Mais à peine se montrait-il que tout le monde prenait la fuite. Il ajouta après un temps de retard qu’il n’aimait pas du tout les armées dans le ciel.
Je haussais un sourcil puis levais les yeux, constatant qu’en sus de la faille cosmique dans la voute céleste, il y avait désormais comme une multitude d’humanoïdes ailés en train de former les rangs au-dessus de nos têtes, comme s’ils prévoyaient que… Ne pas y penser !
Royal m’indiqua aussi qu’il avait déniché le garde-manger d’une métairie et qu’il m’y attendait. L’idée semblait bonne.
— Messieurs, j’ai retrouvé mon familier, il nous a trouvé de quoi nous restaurer et nous avons bien besoin d’une pause. Il est un peu plus loin dans ce corps de ferme là-bas. Autre chose, merci de renforcer vos réflexions positives, puis veuillez lever les yeux au ciel. La situation a évolué de ce côté-là.
Quelques grognements et crispations des traits plus tard, je repris.
— Allons jusqu’à cette ferme, mangeons un morceau, il nous faut souffler un moment, faire le point aussi et j’aimerais votre avis sur ce que je pense être le phénomène qui nous a conduits ici. Si possible ensuite, trouver un moyen de quitter cette zone avant qu’une bataille céleste ne nous tombe littéralement sur le crâne.
Les hommes se concertèrent rapidement du regard avant d’acquiescer et nous reprîmes notre marche suivant un sentier de terre menant droit à notre objectif.
***
Il ne me fallut qu’un instant pour comprendre ce que voulait dire Royal lorsqu’il me racontait que tout le monde le fuyait. Il était devenu énorme, dominant en hauteur les trois gardes de bien deux bonnes têtes. La meilleure manière dont je pourrais le décrire serait un paladin corbeau en armure lourde.
Contrairement aux soldats, je ne fus pas réellement surprise, dans le sens où je savais qu’il était là, et que cette masse faisant craquer une chaise sous son poids était indubitablement mon familier. Les hommes, eux, il fallut du temps pour leur expliquer la situation. Ils gardaient néanmoins pour le moment une bonne distance de sécurité avec mon piaf et avaient rassemblé quelques victuailles qu’ils se partageaient près de la porte.
Le plus amusant dans l’histoire, c’est que Royal ne semblait pas avoir conscience de la transformation qui s’était opérée en lui. De son point de vue, il se voyait toujours sous la forme d’un corbeau certes royal, mais normal par ailleurs. Lorsque je lui envoyais une image de lui, assis sur cette chaise, il en tomba presque à la renverse.
Je ne pouvais guère dire s’il portait encore des plumes tellement il était couvert de métal. Des pieds au torse, il avait tout l’air d’être un chevalier standard en armure complète. Le genre de grosse panoplie qui donne l’impression de nécessiter une demi-journée et toute une troupe d’assistants pour l’enfiler. Ce n’est qu’en arrivant à ses ailes que la différence devenait flagrante. Il avait des ailes d’acier articulé, surgissant là où d’autres auraient eux des bras et c’était à se demander s’il s’agissait de vraies plumes désormais métalliques, ou d’une couche de protection d’un réalisme impossible. À leurs extrémités, les plumes semblaient fusionner pour former une lame au tranchant impressionnant.
Surmontant tout cela, il y avait sa bonne bouille qui m’était très familière même si j’avais le sentiment que son bec paraissait un peu plus long et effilé. Vu sa taille, cela en faisait dorénavant une réelle arme d’estoc. Ses yeux étaient aussi plus gros proportionnellement au reste de sa tête. Mais c’était peut-être juste une impression. Son crâne était couvert d’une solide couche d’acier. J’en étais à me demander s’il avait la possibilité de retirer ce casque-là, mais ça me semblait peu probable. L’ensemble donnait vraiment l’impression de lui avoir poussé dessus plutôt qu’un objet manufacturé indépendant.
Ma première question fut de m'enquérir si malgré tout ce poids additionnel, il pouvait encore voler. Quand il me confirma que oui, je sus alors que mes théories étaient juste sur ce monde là où nous nous trouvions actuellement. Je fis moi aussi un raid sur le garde-manger, puis rejoignis les soldats.
Lorsque nous fûmes prêts à quitter les lieux, un véritable cauchemar nous attendait.