Comme je l’imaginais, le lendemain, le grand chef avec ses 3 plumes sur son casque, engoncé dans son armure, dégaina symboliquement son épée, et donna de gros coups dans la barrière de bois et d’os histoire de bien montrer son mépris des barbares. Il se fit ensuite aider pour monter en selle et attendit que les hommes déblaient réellement le passage pour laisser passer la caravane.
De notre côté, Lame lâcha un sifflement aigu pour attirer notre attention et nous nous groupâmes pour l’entendre.
— Vous vous souvenez de ce dont nous avions parlé ? Les formations ? La magie à utiliser ?
Fixant les uns, puis les autres, alors que nous hochions tous de la tête.
— Bon, soyez prêt alors !
Il nous fit un signe du chef et sans autres fioritures, enfourcha sa monture et rejoignit l’équipe de commandement de l’expédition en début de colonne.
Lame se référait à une conversation ou plutôt un monologue assez long, ou il nous énuméra exactement ce qu’il attendait de chacun de nous dans telles ou telles situations, ainsi que nos priorités en termes d’actions à entreprendre. Rien de compliqué, mais suffisamment détaillé pour éviter la confusion ou l’incompréhension en cas de problèmes.
Je terminais de bichonner ma monture, puis aidais au démontage de notre petit camp. Nous n’étions pas en avance, mais j’estimais facilement que le groupe de tête allait encore mettre une bonne heure avant de partir. Il faudrait aussi du temps avant que chaque chariot ne se mettent en branle. Ce qui devrait nous faire gagner une demi heure de plus étant le dernier de la file. Largement assez pour terminer ce que nous avions à faire et être prêt malgré tout. Nous n’étions pas encore parti que Lan revint, la mine sombre, il aurait aussi bien pu porter une pancarte «dérangez moi à vos risques et périls».
Cela commença à la mi-journée, alors que nous longions une mer d’herbe haute à perte de vue. Soudainement, nous entendîment des tambours, sur un rythme lent, le son semblant venir de tout côté. Joli effet psychologique. La tension monta de plusieurs crans.
La colonne de chariot n’était pas si importante que cela, mais le grand chef ordonna à ses chevaliers de se séparer en deux unités, pour que chaque groupe flanque la caravane… Mais déjà que 30 cavaliers, ce n’était pas forcément un nombre très impressionnant, en termes d’armée et de bataille s’entend. Le diviser en deux me semblait encore plus ridicule.
Je suppose que le grand chef craignait qu’à rassembler tout le monde sur un flanc, ce soit l’autre qui soit l’attaque d’escarmouche. Vu le peu d’espace entre les chariots, sa troupe à cheval devrait donc remonter ou descendre la colonne pour la contourner et intercepter l’ennemi. Avant qu’ils ne puissent intervenir, il y avait de quoi occasionner pas mal de dégâts.
Je lui aurais bien proposé de se tenir au centre en laissant une zone de manœuvre entre les véhicules, mais on ne me demanda pas mon avis. Ce n’est pas non plus comme si cette force de chevalier était la seule défense de la caravane.
À la place, le grand chef fit se resserrer la colonne, au point que les chevaux puissent presque lécher le bois du cul du chariot précédent. Ou s’y cogner. Au moins, n’avait-il pas fait l’idiotie de vouloir envoyer des hommes à la chasse au tambour dans ces herbes à la hauteur si propice aux embuscades.
L’air de rien, je me rapprochais de notre véhicule, Lame et Lan, alors sur le toit, discutaient en surveillant les environs.
— Dites voir, chef, quel degré de loyauté doit-on à cet homme, à cette expédition et à ces gens ? Où est la limite à partir de laquelle personne ne pourra dire que l’on a rompu notre contrat même si l’on est les derniers survivants ?
Je vis Lan lever la tête au ciel pendant que Lame me regardait comme s’il venait de croiser une grosse merde sur son chemin. Ça va, j’ai compris, n’empêche que mourir par la stupidité d’autrui ne faisait pas partie des futurs envisageables selon mon point de vue.
— Accessoirement chef, le rythme des tambours s’accélère. Il était de 1 battement par 5 secondes, désormais nous sommes à un pour quatre. Et l’emplumé là-bas, je pointe la tête de colonne, n’a dorénavant plus assez d’hommes pour une vraie charge de cavalerie vu qu’il a divisé sa troupe, mais faites en ce que vous voulez.
C’était mesquin, mais j’eus le dernier mot. Je n’avais pas vraiment de mérite pour les tambours, Elindis boudait depuis notre conversation de la veille, je passais donc le temps à compter les pulsations pour noyer mon ennui. Cette aventure sentait de plus en plus mauvais.
***
Les tambours retentirent toute la journée, et ne s’arrêtèrent pas à la nuit tombée. Nous avions monté le camp, les chariots en cercle autour de nous et nous nous préparèrent pour une nuit longue et agitée.
Deux heures après le coucher du soleil, quand le rythme des percussions atteignit un battement par trois secondes, soudain, le silence régna. La tension nerveuse grimpa de plusieurs crans et ce changement brutal provoqua plusieurs accidents plus ou moins graves dans le campement. Comme celui-ci qui, sous le stress, se blessa tout seul avec sa lame. Ou l’autre qui actionna la gâchette de son arbalète, déchargeant son arme par inadvertance, le projectile parcourant l’ensemble du cercle formé par les chariots jusqu’à finir par se perdre dans le vide de la nuit, sans rien toucher tout au long de sa trajectoire.
Les minutes suivantes furent très longues, chacun affrontant ses nerfs comme il le pouvait, en silence, dans l’obscurité complète, aucun feu n’ayant été allumé cette nuit-là. Les soldats étaient prêts, armes en main, derrière, dedans, dessus voire même dessous les véhicules, écarquillant les yeux pour tenter d’apercevoir quoi que ce soit en provenance de la mer d’herbe haute.
Les non-combattants s’étaient groupés au centre, serrés les uns contre les autres, pendant que les chevaliers attendaient, au côté de leur monture. Le grand chef, lui, était en selle et parcourait le campement au pas, seul son audible en dehors des claquements de dents de ceux-ci, des lamentations de ceux-là, et du vent dans la végétation.
Soudains, les tambours reprirent, sur un rythme élevé. Un cavalier approcha trop près du destrier de son vis-à-vis et fit un vol plané de quelques mètres, éjecté d’une ruade, l’empreinte d’une paire de sabots déformant son plastron. Le bruit infernal de ferraille fit sursauter la moitié du camp et quelques carreaux additionnels d’arbalète se perdirent dans la nuit.
Puis le silence, à nouveau. Tendu. Deux heures passèrent ainsi, puis trois, et une quatrième. Quand les tambours reprirent au rythme de 1 battement par 5 secondes, l’aube n’était plus très loin. J’aurais applaudi cette guerre psychologique si je n’avais pas eu tant envie de cogner sur quelque chose.
Au matin, l’emplumé décida que si l’ennemi n’avait pas lancé d’assaut, c’est qu’il ne devait pas être confiant dans sa force. L’abruti. Il ne lui est même pas venu à l’idée qu’on nous laissait là l’occasion de faire demi-tour, et déguerpir au plus vite sans nous retourner. Qu’ensuite, il serait trop tard !
Ce matin-là, je fixais Lame du regard, et il comprit très bien ce que je voulais dire, il secoua la tête en grognant puis partis houspiller nos gars qui passaient leur temps à scruter le terrain par-dessus leur épaule, prenant du retard dans leurs tâches.
La journée s’écoula très lentement et dans une sale ambiance. Les hommes tenaient mieux le coup que ce que j’aurais pu imaginer. Les nerfs étaient mis à rude épreuve, mais chacun semblait prendre sur soi pour éviter les problèmes. Enfin, sauf les servants des chevaliers du royaume. Alors que nous étions en fin de colonne, nous surprenions parfois leurs cris et jérémiades, demandant que l’on fasse demi-tour.
En soi, cela me convenait, mais j’aurais préféré ne pas les entendre du tout. Au final, ils ne faisaient qu’ajouter une couche d’irritation à une pile déjà bien trop importante.
Le fait que l’on persévérait à réparer la route était une autre source d’exaspération bien plus conséquente. L’emplumé tenait à ce que nous continuâmes de progresser sur l’ancienne chaussée et persistait à vouloir la rendre praticable pour le futur.
À l’approche du soir, nous arrivâmes à un endroit ou une section entière de la route avait vu ses pierres fracassées de manière délibérée. Des barbares avaient dû frapper avec de lourdes masses pendant des heures pour obtenir une telle destruction systématique. Probablement la dernière mise en garde à laquelle nous allions avoir droit. Mais même alors, l’emplumé persista, haranguant les ouvriers du premier chariot à travailler plus vite. Bravade, optimisme ou stupidité. Faites votre choix.
De temps à autre, l’emplumé parcourait la colonne, lâchant quelques sarcasmes sur le grand méchant barbare qui ne sait que taper sur des peaux, des pierres, et se cacher dans l’herbe. Si ce genre de discours avait pu avoir de l’effet hier, après une telle nuit, c’était désormais peine perdue.
Les choses ne pouvant guère aller s’arrangeant, Lame organisa des rotations pour que tout le monde se repose un moment dans le chariot pour tenter d’y dormir quelques heures, entassés sur les sacs de vivres, équipements de camps et autres armes de rechange. Toujours mieux que rien.
De mon côté, je passais la journée à somnoler en selle et fut surprise de voir qu’Elindis faisait pareil. Je ne la pensais pas capable de pouvoir se reposer dans une telle situation de tension. Comme quoi les présomptions.
L’obscurité nous trouva dans la même situation que la veille, attendant nerveusement un assaut qui ne venait pas. Pourtant, hors de question de relâcher la vigilance. La vraie fausse menace était à prendre au sérieux.
Alors que la nuit avançait, nous eûmes droit à des variations de rythme dans les battements des tambours, mais aussi, à une augmentation drastique de leurs nombres.
L’attaque eut lieu lorsque le silence se fit pour la troisième fois. J’en fus presque surprise, mes propres pronostics me laissaient à penser que l’offensive ne prendrait place que dans deux ou trois jours, une fois que nous serions complètement exténués par la fatigue et la tension permanente. C’était la chose évidente à faire, celle que dictait la raison. C’est la voie du chasseur patient et méthodique. Mais lorsque j’imaginais plutôt ces chasseurs sous la forme d’un groupe de jeune gars au gros biceps trépignant d’impatience de montrer leur courage face à l’envahisseur qui enchaînait les insultes à leur encontre, je dus me rendre à l’évidence. Il était même impressionnant qu’ils se soient retenus jusque là de combattre.
***
Soudainement, dans le silence étouffant, il y eut de légers vrombissements, précédant de très peu quantité de bruits d’impacts sur tout le périmètre du cercle des chariots. Des cris de douleurs ou d’agonies retentirent alors que certains hommes s’effondrèrent. Un petit tas de cailloux à mes pieds, le dos collé à une roue, je lançais sorts sur sorts afin d’enchanter les pierres d’une magie de lumière que mon voisin immédiat tirait ensuite vers l’obscurité pour éclairer les environs et peut être surprendre un assaut en cours. D’autres vrombissements se propagèrent, suivis de maints impacts. Je remarquai alors que les barbares nous lançaient des hachettes.
Une courte lame de moins d’une main de large… une de mes mains s’entend, pas une de grands gaillards, avec un manche de moins d’un pied de long. Le genre de projectiles qui n’a pas une portée extraordinaire.
Le tir suivant de mon voisin éclaira finalement de larges silhouettes dans l’obscurité et nos arbalétriers purent enfin répliquer avec plus ou moins de bonheur. Toujours mieux que décharger son arme au hasard.
Une autre volée de hachettes précéda de peu à une vague de hurlements tonitruants, alors que les barbares donnaient de la voix, l'assaut était imminent. Je lâchai la pierre que je tenais en main pour passer à un genre de magie plus offensive quand un coup sourd sur l’arrière du crâne me projeta le nez dans la poussière. Des lumières plein les yeux, vite remplacées par une obscurité de mauvais augure.
***
Un réveil nauséeux au possible sous un autre plafond inconnu. Enfin, pas vraiment un plafond, plutôt les parois d’une tente composée de peaux cousues ensemble. J’avais un mal de tête horrible qui me donna une furieuse envie de retomber dans l’inconscience.
J’étais installée sur le flanc sur une vilaine paillasse, la plus éloignée de l’entrée. Il faisait jour, les rayons lumineux me transperçaient le crâne, accentuant mes haut-le-cœur. Je fermai les yeux aussitôt. Manquerait plus que je sois prise de vomissements. J’avais quand même eu le temps de voir que je n’étais pas seule sous cette tente, un groupe des servantes de l’expédition étaient agglutinées dans l’ouverture, observant ce qui se passait à l’extérieur.
J’entendais des clameurs et des cris. J’avais la tête enturbannée dans une espèce de tissu sombre.
Je passais l’heure suivante à me concentrer pour repousser douleurs et nausée, et, m’estimant prête, tentais de me redresser lentement. Un voile lumineux me frappa, pleine face et je gagnai un autre voyage tout frais payé au pays de l’oubli.
Lorsque je rouvris les yeux, un visage masculin me surplombait. Mon poing parti avant même que je finisse d’enregistrer la scène. Malgré sa surprise, l’homme stoppa mon attaque sans même y prendre garde tellement elle devait être lente et faiblarde.
— Doucement, ne vous agitez pas, je suis là pour vous soigner.
Si la chose était possible, je me sentais encore plus mal qu’à mon précédent réveil. Le regard brouillé, je fixais l’homme, me laissant aller.
Il enserrait de ses mains un petit objet et semblait prier, marmonnant une succession de paroles inintelligibles. Il apposa ensuite une de ses mains sur mon front et une vague de chaleur me parcourut le corps, telle la marée, avant de refluer, emportant avec elle ma nausée et une bonne partie de la douleur.
L’homme me sourit alors que je soupirais d’aise. Avant même que je ne m’en rende compte, il avait disparu.
Le soir était tombé. Les femmes de l’entrée étaient désormais installées chacune sur leur paillasse et personne ne parlait. L’une d’elles vint m’apporter un bol d’eau avant de reprendre sa place en silence.
Je relevais un rien la tête, testant voir si j’allais pouvoir m'asseoir ou non. Une vague de douleur m’assaillit, mais pas assez violente pour me faire abandonner mon idée. Aussi je me redressais doucement en serrant les dents.
Je toussotais et m’apprêtais à poser des questions lorsqu’une des femmes qui m’observait porta soudainement sa main à sa bouche, me faisant signe de me taire, l’air alarmé. Je fronçais des sourcils, mais j’en restais là pour le moment, préférant me concentrer sur la tâche de vider mon bol d’eau, très lentement, une gorgée toutes les 5 minutes pour éviter de provoquer un vomissement malencontreux.
Entre deux rasades, je passais le temps en listant le contenu de la tente, et en notant l’absence d’activité en dehors de celle-ci. J’entrevoyais de vagues lueurs à l’extérieur, mais aucune ne faisait face à l’ouverture. Je contemplais la vacuité de la nuit puis fit l’inventaire de ce que l’on m’avait laissé. Sans surprise, je n’avais plus que mes vêtements sur le dos et rien d’autre. Je cogitais un moment sur ma situation puis abandonnais rapidement, il valait mieux dormir.
Au matin, l’homme de la veille revint me voir pour un autre soin. Cette fois-ci, je le reconnus, c’était l’un des suivants de l’emplumé. Un de ses gardes personnels, un paladin lui aussi. Là non plus, il ne s’attarda pas une fois sa mission remplie et j’eus juste le temps de le remercier avant qu’il ne quitte la tente.
Un barbare vint nous apporter une jarre d’eau et un petit tas d’une espèce de pain dur et sec que les femmes se partagèrent en silence avant de m’en laisser un morceau. J’en égrenais une partie et tentais de le mastiquer, mais une violente douleur jaillit de l’arrière de ma tête me faisant voir toute sorte de lumières aveuglantes. Mauvaise idée.
La vague de douleur passée, je tâtais mon crâne doucement de la main, m’approchant peu à peu de la zone critique, mais renonçais avant d’y arriver. Là encore, très mauvaise idée. J’avais vraisemblablement reçu une de ces hachettes de lancer sur le crâne. Probablement pas la lame, je ne serais plus de ce monde sinon. Où avais-je survécu la tête fendue en deux laissant dégouliner son contenu sur les herbes de la plaine ? Une partie de ma cervelle gisant dans la poussière ? Très très mauvaise idée, ne pas y penser. Ne pas chercher à savoir, surtout pas. Vraiment trop perturbant.
La matinée s’écoula dans le calme jusqu’à ce que des clameurs attirent les femmes vers l’entrée de notre abri. Je suivis le mouvement, un peu surprise de pouvoir tenir debout même si mon crâne me hurla d’arrêter de le provoquer. Je me tins derrière le groupe le temps de comprendre ce qu’il se passait.
À une dizaine de mètres de la tente, une multitude de petits pieux de bois maintenaient une corde tendue en un large cercle d’une trentaine de mètres de diamètre à hauteur de genoux. Sur la gauche, il y avait nos hommes, entravés, les mains dans le dos. Une sorte de menottes de cuir au niveau des chevilles limitaient leur déplacement. À vue de nez, il n’en restait qu’une centaine, tous plus ou moins blessés, couverts de bandages de tissus grossiers et ensanglantés. Un même nombre de sauvages encadrait ce groupe.
Visiblement, la mode barbare était au pagne laissant à découvert des corps musculeux aux poitrails impressionnants. A priori, un concours de virilité permanent ou la victoire s’obtenait à grand renfort de biceps gonflés à bloc. Étrangement, ils ne semblaient pas armés. Pensaient-ils nos gars plus dangereux avec une arme qu’à main nue ?
J’en avais vu assez pour comprendre que nos hommes combattaient un à un dans une espèce d’épreuve de lutte rituelle. L’absence d’armes là encore, tendant à confirmer mon hypothèse précédente.
Leur faisant face par delà l’arène, matérialisée par le cercle de corde. Il y avait le reste de la tribu ou des tribus, plus ou moins éparpillés ici et là. Il n’y avait pas de femme en vue, que des hommes, donnant de la voix, encourageant les lutteurs. Je notais un groupe qui devait être celui des chefs, plus silencieux, plus posé, au centre de l’attroupement. Bras croisés, ils observaient les événements, l’air sombre.
Je remarquais une grande ombre humaine à droite de l’entrée de la tente, vraisemblablement un garde.
Fatiguée, je regagnais ma paillasse pour m’y installer, prenant une pose détendue, apte à la méditation. Ce qui se passait dehors ressemblait plus à une séance d’humiliation qu'autre chose.
Je venais toutefois d’apercevoir une possibilité, à voir si j’allais pouvoir la concrétiser.
Yreen m’avait parlé d’un rituel consistant à lier un mage avec un animal. Chacun des deux profitant d'un lien magique de plusieurs façons différentes. Ce n’était évidemment pas quelque chose pouvant se faire d’un claquement de doigts. Tisser une véritable relation pouvait prendre des semaines. J’avais un peu potassé la théorie magique sous-jacente en curieuse, sans réellement m’y attarder. Je pouvais peut-être utiliser un point de détail à mon avantage, du moins, si ma tête n’explosait pas avant. Dans tous les cas, j’allais devoir vérifier si ma capacité à lancer des sorts était encore intacte. Alors pourquoi pas maintenant ?
Je pris une longue inspiration avant de la bloquer, puis j’expirais tout aussi longuement, me mettant en condition, relaxant mes muscles, concentrant ma volonté.
Lentement, morceau par morceau, je reproduisis mentalement l’image d’un animal.
Ses grandes pattes noires couvertes de duvet à mi-hauteur. Son poitrail ébouriffé ou quelques plumes retombaient sur ses pattes. Son bec, légèrement recourbé, luisant faiblement sous les jeux de lumière. Ses petits yeux sombres observaient le monde l’air curieux. Ses larges ailes puissantes, longues et pointues. Ses plumes d’un noir profond, teinté de reflets bleutés selon l'éclairage. Je reproduisis la branche qui le soutenait, l’amas de feuilles battant au gré du vent autour de lui. J’imprimais cette image dans mon esprit, la renforçait, encore et encore.
Puis, lentement, pas à pas, je tissais par-dessus un schéma mental, tentant autant que possible de le fortifier et le raffermir par des concepts solides dont j’avais connaissance, mais malgré tout, le résultat final tenait plus du bricolage instable que d’un véritable sortilège. Beaucoup trop de paramètres aléatoires dans ce schéma, ce qui était dangereux au possible.
Il existait vraisemblablement quantité de magie pour voir par les yeux d’un animal, voire même en prendre le contrôle, mais tout ce que j’avais à ma disposition sur le moment, c’était quelques détails de fonctionnement tirés du rituel pour le lien de familier. Il allait falloir faire avec en espérant que le résultat soit positif.
Je révisais une dernière fois mon travail avant de pousser un soupir, je pourrais probablement faire mieux, mais ça me prendrait du temps que je n’avais pas forcément là maintenant.
J’activais le schéma mental, lançant le sortilège.
— Kraaa ! Raaaa ! Raaa !
Un déluge de croassements paniqués m’emplit aussitôt la tête, accompagné du frottement caractéristique de battements d’ailes, me faisant grincer des dents, empirant ma migraine.
Le bon côté des choses, c’est que, ni mon crâne, ni celui de l’oiseau ne venait d’exploser, ni notre cervelle de fondre. Bien que, sur ce dernier point, vu que j’en avais peut-être laissé un morceau dans la plaine… Vites ! Penser à autre chose !
Quoique je venais par ailleurs de faire avec ce sort, le pire était évité en tout cas.
Je sentais comme une grosse boule de panique aux lisières de ma conscience. L’oiseau ? Visiblement, les sentiments et sensations pouvaient passer au travers du lien… Comment communiquer ?
Je me concentrais alors sur l’image d’une grande plaine herbeuse, vide de tout danger avant de l’envoyer vers cette boule de panique qui était manifestement la conscience de l'animal, cible de mon sortilège. Cela sembla le calmer puis attiser sa colère. L’instant suivant, il me renvoya la saynète d’une tête humaine sur une pique où un corbeau prend un malin plaisir à lui picorer les yeux. Saleté de piaf ! Il avait la comprenette rapide, c’est le moins qu’on puisse dire.
Construisant mentalement un nouveau tableau, je lui envoyais une scène où, une femme de cuisine lui arrachait les plumes avant de le préparer pour être mit au four.
Dans la seconde, le saligaud répliqua par la même tête sur une pique, désormais énucléée, mais sur laquelle on trouve quantité de fientes d’oiseaux. Je façonnais l’image d’un corbeau servant de cible à un jeu de lancer de dague et il riposta par la même tête avec encore plus de fientes d’oiseaux. Dieux, c’était d’un stupide.
Je pris une longue, très longue inspiration avant de la relâcher rapidement. Si Yreen avait pu me voir, je l’aurais bien imaginée complètement hilare, me pointant du doigt alors que j’étais en train d’échanger des insultes mentales avec un sale piaf. Je l’aurais même bien accompagné si je ne me sentais pas si mal en point, sans même parler du fait que je n’était pas sortie victorieuse de cet échange. Bon, le sortilège fonctionnait au moins. Plus ou moins comme prévu.
Je reconstruisis l’image de la plaine vide et sans dangers ce à quoi il me répondit par de légers « craa » avec une indéniable note de triomphe. J’ajoutais à ma scène une pile de viande découpée en lanière, ce qui sembla l’intriguer.
J’en soupirais de soulagement. Une étape de franchie.
Je composais une nouvelle image, puis d’autres en succession, montrant un corbeau qui observe les combats de l’arène ainsi que les chefs barbares, entrecoupé de scène où l'oiseau reçoit des miettes de ce pain qu’on nous servait. Puis la récompense finale, un petit tas de viande, et un corbeau heureux avalant goulûment lanière sur lanière.
Je le sentis battre un peu des ailes tout en croassant légèrement, sans que je comprenne réellement ce qu’il voulait exprimer, aussi je lui envoyais à nouveau la même séquence. J’en étais à peine à la moitié quand soudain, ce fut comme si une fenêtre s’ouvrait dans mon esprit et je pus voir par ses yeux.
Il venait d’accepter ma proposition et le lien magique par extension. Je lui transmettais une vague de gratitude. Il répondit par l’image d’un corbeau roi, dominant une montagne de viande, des humains lui donnant la becquée. Si ça pouvait lui faire plaisir.
Toujours concentrée sur le lien, je le mis un peu en retrait sans toutefois le rompre. Je m’installais plus confortablement sur ma paillasse. Je notais alors que je venais de rétablir une certaine symétrie dans mon habillement. Suite au coup que j’avais reçu sur le crâne, j’avais le dos poisseux de sang séché. Mes dernières tentatives magiques s'étaient soldées par un saignement de nez carabiné qui avait dû se prolonger pendant les quelques heures qu’il m’avait fallu pour tisser le sort et le lancer.
Je roulais ma veste en boule pour m’en servir d’appui-tête et m’installais le plus confortablement possible sur le côté.
Vous allez me dire, mais pourquoi diable faire tout ça ? C’est très simple, j'avais besoin d'informations, mais aussi de récupérer. Pour avoir les premières, je devrais soit m’agiter moi-même, soit user massivement de magie ce qui serait, dans mon état, la pire chose à faire. Totalement incompatible avec le repos en tout cas.
Or même s’il est d’origine magique, passé l’effort initial pour le mettre en place, le lien magique peut être maintenu même dans le sommeil.
Je venais donc de me donner les moyens de répondre à mes besoins.
Une fois installée, je me concentrais sur le lien magique et me retrouvais perchée sur une branche d’arbre, je notais en passant que l’oiseau avait changé de perchoir. Je m’annonçais au corbeau en reprenant le tableau du roi à qui l’on offre la becquée, puis lui montrais l’image de l’arène pour qu’il se focalise dessus.
Visiblement, l'animal était lui aussi intrigué par ce que faisaient les hommes sous sa branche. Il accepta donc sans rechigner à ma requête. Par ses yeux, je pus donc observer les combats. Un par un, les barbares entraient en lice, annonçaient leur virilité puis défiaient un des soldats du royaume pour s’approprier qui ses armes, qui son armure ou un autre bien en sa possession. Les deux se battaient ensuite dans une sorte de lutte vigoureuse ou quasi invariablement, les gros bras et l’expérience de nos hôtes pour ce genre d’affrontement leur garantissaient un succès évident. Les muscles, ça aide, mais l’expertise de cette lutte atypique fut surtout le facteur décisif de la majorité des victoires. Je sentais que nos gars apprenaient aussi, par les combats des autres, les erreurs du débutant à ne pas commettre. Mais bon, de toute la journée, je n’en ai vu que deux défendre leur équipement. De quoi faire grincer des dents.
Mes yeux mobiles n’étaient pas non plus très pratiques. Ce n’est pas moi qui en avait le contrôle et si je pouvais présenter des suggestions, je n’en étais pas moins dépendante de la volonté de l’oiseau. Je ne voulais pas non plus trop insister de peur qu’il ne brise le lien. Il n’était pas très coopératif, et se lassait facilement. Il n’était pas rare non plus qu’il en vienne à se focaliser sur autre chose comme un moustique approchant trop prêt ou un bruit insolite attirant son attention. Pendant une heure, il s’amusa aussi à tourmenter l’un des chiens de la tribu, prenant un malin plaisir à lui piquer la queue du bec dès qu’il avait le dos tourné avant de s’enfuir de quelques pas, ou de s’envoler plus loin… pour mieux revenir aussitôt que le canidé abandonnait la poursuite et passait à autre chose. Une heure durant, je m’efforçais de supporter ses facéties et ses cris de victoires, martyrisant inlassablement l'appendice de ce pauvre chien.
Par contre, l’oiseau appréciait les chefs de tribu et ne rechignait jamais à fixer son regard de ce côté là. Je supposais que c’était à cause des ornements qu’ils portaient. Une sorte de lourd collier qui se poursuivait sur le torse quasiment jusqu’au bas des côtes.
La matière principale semblait d’os, mais il y avait au travers métaux et pierres scintillantes. C’était cela qui fascinait le corbeau.
La journée s’écoulant, j’avais l’impression que l’humeur de ce groupe de chefs empirait à chaque combat. Je ne sais ce à quoi ils s’attendaient, mais ce qu’ils voyaient ne leur plaisait visiblement pas. Ça, ce n’était pas bon du tout. En même temps, je m’interrogeais sur le pourquoi de ces affrontements. Techniquement, ils avaient déjà gagné la bataille. Ils pourraient revendiquer tout ce que nous avions pour eux même en nous épargnant l’hypocrisie des luttes dans l’arène. Alors que voulaient-ils ? Le désir des chefs était-il aligné sur celui des guerriers ? Ou cherchaient-ils autre chose ? J’en savais vraiment trop peu sur eux. Ces combats paraissaient être une sorte de rituel aussi ; mais de quoi ? Dans quel but ?
Je m’efforçais de deviner ce que la tribu dans son ensemble allait bien pouvoir faire de nous une fois ces simulacres de luttes terminés. Surtout que l’emplumé de par son caractère et ses convictions, ne risquait pas d’arranger une situation déjà compliquée. Je dis compliquée pour éviter de voir mes pensées sombrer dans une spirale pessimiste.
Que feraient-ils lorsque ces jeux seraient terminés ? Il faudrait probablement distinguer le destin des hommes de celui des femmes.
C’est donc ainsi que je passais cette journée, quand le corbeau le voulait bien, à observer tous ces gens, tentant de jauger leurs mœurs et leurs réactions.
Le paladin revint, au soir venu, pour une autre séance de soin qui acheva de supprimer aussi bien mes nausées que mon mal de crâne, du moins, tant que je restais tranquille.
Contre toute attente, je dormis comme un gros bébé cette nuit-là pour ne me réveiller que bien après l’aube.
Je suis curieuse de voir comment ça va tourner.
Un truc me dérangeait depuis le début, sans que j'arrive à trouver quoi, ça y est. Tu as beaucoup de phrases sans verbes. Et même si elles sont compréhensibles, la grammaire française dit qu'une phrase doit comporter un verbe, un sujet et un complément.
Sur le fond en revanche, j'ai pas grand chose à dire, tu as d'excellentes idées et un univers qui tient la route.
Si tu retrouve pas mal d'élément de d&d et des RO en particulier, c'est parce que c'est mon point de départ et inspiration de base.
Et moi aussi je connais ça les personnages qui n'en font qu'à leur tête !!