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Chapter 8

Le chef de notre expédition était le troisième fils d’une maison noble ayant perdu son fief dans le sud face aux zombies. Accessoirement, c’était aussi un paladin du Dieu de la justice. À mon grand déplaisir, j’allais vite comprendre grâce à lui que le fanatisme religieux prend dans le coin des dimensions épiques au point d’être un lien quasi exclusif de tout autre. Cela vient en tout cas confirmer un peu plus ma théorie selon laquelle, dans le secteur, la seule vraie règle qui existe est celle du chacun pour soi.

Tout au plus, les gens d’ici y incluaient le groupe familial ou leur faction d’appartenance. Mais pour autant que j’ai pu le constater, il n’y avait dans la région aucune réelle unité d’ensemble sinon celle de la nécessité immédiate. Je pourrais élargir la portée à ce monde en entier, car j’ai dans l’idée que c’est un phénomène global, inscrit dans la manière de vivre de ces gens. Mais sans en avoir la preuve.

Le paladin donc, il avait pour nom Jordain De Lannoy et était blasonné des symboles de son dieu plutôt que de sa famille. Il s’agissait d’une épée, pointe vers le bas, faisant office de colonne et dont les quillons très étirés servaient de support aux plateaux d’une balance, présentée en déséquilibre, le plateau droit étant le plus élevé. Soit d’argent à la balance percée d’une épée pour simplifier.
C’était un jeunot, mais il semblait quand même avoir quelques expériences. Il s’était mis en tête de monter au nord-ouest jusqu’aux frontières sauvages, là où vivaient des tribus de nomades. Il escomptait sans doute en rayer une ou deux de la carte, ou en faire des esclaves avant de leur apporter la civilisation et la justice divine. Il pensait probablement à établir sa lignée et sa domination sur la région. Quelque chose dans ce goût-là, c’est en tout cas l’impression qu’il me donnait. Si ce que l’on m’avait dit des tribus sauvages était vrai, ça n’allait pas être aussi simple, et de loin.


Toujours est-il qu’on ne pouvait pas le rater. Il portait la lourde armure typique de la cavalerie locale, une monstruosité tellement complexe qu’il fallait plus d’une heure à plusieurs personnes pour l’armer ou le désarmer. Par-dessus ça, il portait un de ces bassinets avec un bec en pointe et son cimier arborait trois énormes plumes d’un bleu éclatant qu’on disait enchantées pour ne jamais perdre leur splendeur.


Pour l’accompagner, il avait un lourd destrier qui disparaissait lui aussi complètement sous les plaques de métal. Au niveau du poitrail, une lame additionnelle prolongeait le caparaçon vers l’avant. De cette plaque tombait comme une jupe métallique bardée de pointes pour protéger les pattes du cheval ou servir d’armes lors d’une charge. C’était la seule monture à porter un tel équipement et ce devait être un enfer pour l’animal à supporter, autant pour une question de poids que d’équilibre. Le nobliau l’avait exigé. Une innovation militaire extraordinaire selon lui. À voir si ça serait vraiment efficace.


On m’avait fait une piètre description de la noblesse du royaume et je dois dire que le jeune homme n’y correspondait guère. Je m’attendais à un quintal couvert de parfum et bijoux et j’avais droit au quintal certes, voire même un double quintal, mais de muscles et d’acier. Quant à savoir si la tête serait aussi vide que promise, ça restait à vérifier.

Je dois dire que j’étais curieuse du devenir de cette expédition. Si les quelques semaines passées en ville m’avaient appris une chose, c’était la haine que j’éprouvais désormais à l’encontre des loques humaines qui parsemaient la cité, le regard vide. Où était leur dignité ? Leur fierté ? Leur intelligence d’être pensant ? À croire qu’ils se complaisaient à être un poids pour autrui ! Je veux dire, je peux comprendre un abattement passager. Surtout après avoir perdu familles et amis pour certains ou pire. Mais à un moment, il faut quand même se ressaisir, se bouger !


Semaine après semaine, j’ai croisé les mêmes têtes au même endroit en ville à quémander de quoi subsister, se laissant houspiller, maltraiter, bousculer, insulter sans réagir.

Indigne, ignoble, cela me mettait en rage.

Qu’attendaient-ils tous pour prendre une arme, ou, à défaut, un outil et se mettre à la tâche ! Réfléchir, agir pour vaincre leurs ennemis ! Plutôt que ce vide.

À leur place j’imaginais des gens de chez moi, qui seraient tombés raide mort devant leur masure en flamme, un bâton ou une pierre à la main, le sourire aux lèvres. Refusant net de se laisser sombrer aussi profondément.


Alors que je lui disais ma façon de penser il y a peu, l’un d’eux m’a même répondu au bout d’un moment, excédé, montrant finalement une pointe de colère, qu’il n’était pas soldat, que ça ne le concernait pas, que c’était injuste ! Que ce n’était pas de sa faute, mais celle des militaires qui n’avaient pas vaincu l’ennemi ! Une telle stupidité me laissa sans voix.

J’étais donc très curieuse du devenir de cette expédition et de la manière de combattre de ceux qui avaient encore la volonté de manier une arme.

Mon chef direct était un vétéran de la guilde qu’on appelait lame. Un vieux mercenaire qui aboyait ses ordres plus qu’il ne parlait. Il portait des pièces d’armure de cuir qui devaient avoir facilement son âge, recouvertes d’une cuirasse d’acier dentelée par ce qui semblait être des centaines d’impacts. Une épée et une masse au flanc, un écu dans le dos aux armes de la guilde. Il tenait aussi en permanence en main, une flamberge dans son fourreau, plus longue qu’il était haut. Il ne la lâchait quasiment jamais, et surtout pas en dormant. Je suppose que son nom venait de cette arme.

Nous étions une quinzaine sous ses ordres, moi, Lan, Elindis qui était une mage de ma connaissance, et une troupe d’une douzaine de fantassins en armure légère, mais bardés d’armes diverses.
Avec le reste de l’expédition, nous formions une colonne de 200 têtes, amalgame de groupes disparates comme le nôtre, avec au cœur une trentaine de chevaliers du royaume et leurs serviteurs. Ajoutez une vingtaine de chariots pour les vivres, le matériel et autres commodités.

Nous suivions, en une longue file, une antique route de pierres cabossée qui menait autrefois au royaume des gnomes par le nord, avant que ne s’implantent les barbares nomades. Laissée depuis à l’abandon, elle était devenue peu praticable. Parfois, je me disais qu’on irait probablement bien plus vite en traçant notre propre route plutôt qu’en réaménageant celle-là, même juste pour la prendre à minima carrossable. J’avais dans l’idée que l’emplumé de chef pensait déjà à l’avenir et s’assurait ainsi d’entrée de jeu d’avoir une voie de communication utilisable avant même la fondation de son domaine. Optimisme ou folie ?

Nous perdions donc un temps fou pendant que des ouvriers réparaient sommairement les ravages du temps. Même ainsi j’étais surprise du bon état général de l’ouvrage. Chez moi, les routes étaient majoritairement gravillonnées, ou bien de simples pistes de terre. Au Roc, les rues étaient pavées de pierres de formes diverses. Cette chaussée-là avait une précision toute mathématique, chaque pierre était identique à sa voisine et à l’origine, son tracé ne devait pas présenter ni bosses ni creux. Une bille lancée sur cette route avait dû pouvoir rouler sur quelques dizaines de mètres avant de s’arrêter. Je ne serais pas étonnée d’apprendre que la magie avait participé à sa construction.

Le temps avait fracassé certaines pierres et, terres et végétation érodaient les bords, voire par endroit, recouvraient totalement le chemin. Tout le jour durant, les ouvriers, pelles en main, comblaient les vides et retiraient les excès pour nous permettre le passage sans risquer de briser les roues des chariots ou les pattes des chevaux.



Notre fourgon à nous était le dernier, formant l’arrière-garde. Nos gars avaient une arbalète en main, surveillant les environs pendant que nous avancions à une allure de tortue.
J’avais eu juste assez de fond pour me payer une monture et son équipement. Une vieille jument tenant plus de l’animal de trait qu’autre chose. Elle avait bon pied bon œil comme on dit et semblait flegmatique au possible, ce qui m’allait parfaitement.

Je me tenais donc bien droite en selle et… rien d’autre. Mon rôle était pour le moment de suivre. Ma tâche commencerait vraiment quand nous rencontrerions de réels ennuis que personne ne pourrait résoudre ou nécessitants plus que des épées.

Elindis était à mes côtés. Elle montait un petit gris placide et bavardait sans interruption depuis notre départ du Roc. Je n’écoutais pas un tiers de tout ce qu’elle pouvait bien dire, cela faisait comme un bruit de fond permanent. J’acquiesçais de temps à autre pour lui complaire et elle me faisait un de ses sourires dont elle avait le secret. Un beau sourire qu’elle distribuait généreusement et qui laissait rarement indifférent. Je ne pense pas qu’elle soit dupe du fait que je ne faisais pas attention à ce qu’elle pouvait bien raconter, trop intelligente pour ça, mais ça ne l’empêchait pas de continuer, sans doute pour noyer son ennui à elle aussi.


Nous détonnions plus qu’un peu toutes les deux au milieu de tous ces hommes en armes, dans nos robes de mages. Nous n’étions pas les seules femmes de l’expédition quand même, tant s’en faut, mais proportionnellement, nous étions en grande minorité. Les autres étaient toutes dans le cortège central, et étaient principalement au service des chevaliers lors des campements du soir, voire sous les tentes, même si je n’avais pas encore vu ou entendu quoi que ce soit validant ce dernier point.


Elindis était demi-elfe, père elfe, mère humaine, une mage confirmée, un puits de savoir et je profitais de son bavardage pour lui poser tout un tas de questions qui pouvaient me passer par la tête, c’est ce tiers-là que j’écoutais. Moi aussi je m’ennuyais un peu.


Selon elle, j’étais moi-même demi-elfe. J’en avais tous les traits principaux et les autres comme ma peau blanche ou mes yeux de monstres viendraient d’un problème de naissance. C’était rare, mais parfois des gens ou même des animaux naissaient tout blancs, l’iris de l’œil incolore ou dans des tons rouge pâle, voire un léger violet. Ils avaient une mauvaise vue et ne supportaient pas le soleil.

J’eus beau l’assurer que par chez moi, je n’avais jamais entendu parler ou aperçu d’elfes, je ne pouvaisdonc pas être la progeniture de ce qui n’existait pas, et que mes yeux voyaient très bien, cela ne sembla pas vraiment la faire changer d’avis. Si ça pouvait lui faire plaisir.

Elle avait raison pour le soleil toutefois, quand j’observais paysans ou autres artisans passer leurs journées sous les rayons ardents sans en subir la moindre conséquence, je savais pertinemment que moi, si je m’y essayais, j’aurais bien avant qu’arrive la nuit, la peau complètement brûlée.

Cela faisait des années que je n’avais pas enduré pareille douleur, merci magie, mais gamine, j’avais assez payé les effets du soleil pour en venir à le haïr copieusement aussi bien que ce corps de monstre qui était le mien.



Quand elle ne bavardait pas, Elindis passait son temps à lire, même en selle. Ne me demandez pas comment elle se débrouillait pour faire ça. J’avais essayé et ça me donnait des vertiges et des nausées en moins d’une minute. Elle m’enseignait la lecture et l’écriture locale le soir, ce qui n’allait pas sans mal. Si le principe de base était le même, porter sur le papier les sons, la manière de procéder dans le royaume était ici radicalement différent de ce que je connaissais. Plus simpliste sur de nombreux points, mais plus complexe dans son fonctionnement, comme si la langue écrite était indépendante de celle parlée et obéissait à ses propres lois que je devais elles aussi, assimiler une a une.


En contrepartie, comme avec Yreen, j’essayais de lui enseigner certains de mes trucs pour la magie. Enfin, je dis trucs, parce que ça m’est naturel, mais derrière, il y a des millénaires de pratiques et améliorations. Vraiment, la démarche pour aborder la magie entre nos mondes respectifs diffère de manière fondamentale.


Un exemple basique, mais pour aider à la construction d’un schéma mental, on utilise en général ce que l’on appelle des focus, des objets symboliques dont la signification profonde encourage l’esprit à faire le lien avec le concept correspondant et à l’intégrer au schéma mental.

Pour un de ses sorts de feu par exemple, Elindis a recours à une roche volcanique, et pour une magie de légèreté, diminuant le poids d’un objet, elle se sert d’ailes de libellules. Souvent, le focus est détruit à l’usage, ce qui implique d’en avoir en quantité sur soi. Pour ma part, j’employais des carrés de papier, sur lesquels était calligraphié un mot. Représentatif symbolique du concept à utiliser.


À l’usage, ce que je peux faire lui semble révolutionnaire, car la recherche de focus adéquat occupe beaucoup de temps ou suppose de coûteux moyens pour se les procurer alors qu’il me suffit de papier et d’encre. Mais dans le même temps, tout ce qu’elle sait de la magie lui hurle que ce que je fais est invraisemblable, théoriquement juste, mais impossible en pratique.


Le lien du focus avec le concept correspondant doit être solide, bien plus qu’un mot sur un papier pour avoir un effet notable. Et néanmoins, cela fonctionne, elle me regarde presque émerveillée à chaque fois que je lance un sort tout en sachant que c’est pourtant absurde.

Pour ma part, j’ai comme dans l’idée qu’il y a là une histoire profonde de croyance. La base de toute magie. C’est une part de ma culture, j’ai grandi avec. Cela fait des millénaires que la technique fût mise au point et elle est viable, c’est indéniable, il n’y a aucun doute dans mon esprit, c’est une évidence.

De son point de vue, elle sait la chose impossible, donc même quand elle essaie, c’est voué à l’échec. Tout lui hurle que ça ne fonctionnera pas. Accepter l’inverse reviendrait à nier tout ce qu’elle connaît, ce qu’elle a appris, mentalement comme physiquement. Ce n’est pas juste une histoire de volonté, mais d’intégrité de l’être.
À ma théorie, elle s’est contentée de hausser les épaules en soupirant.

Dans le fond, elle a peut être aussi raison, l’effet de mon focus, même si notable est peut être moindre dans l’absolu que le sien. Comment savoir ? Enfin, si, j’ai bien quelques idées qui pourraient nous emmener à le vérifier, mais ai-je envie de passer quelques semaines dans un labo à prouver ces hypothèses ? Certainement pas !

Par ici, les écoles de magie vantent la logique rigoureuse nécessaire à la pratique de l’art, que la fantaisie n’a rien à y faire. Pourtant de mon point de vue extérieur, je me rend plutot compte que la culture, et donc la croyance, la foi, prend le pas sur la logique, la vérité universelle si tant est qu’on puisse l’atteindre. Que cette logique qu’ils veulent scientifique repose en grande partie sur la foi d’avoir correctement compris les règles de fonctionnement du monde. je me dis qu’une personne à la tête remplie de fantaisies mais convaincue de leurs réalité pourrait bien developper une magie trés personnelle et totalement loufoque pour le reste du monde.
Comme moi et mes théories ? Hum passons !
J’appelle ça le biais culturel appliqué à la magie. Yreen à presque versé une larme de rire quand elle m’a entendue lui expliquer ça.


En matière de magie, croyance est reine. C’est pour moi de plus en plus incontestable, quoi qu’en dise le reste du multivers.
Et donc au final, je continue de préparer des focus en papiers quand ma réserve diminue et Elindis de chasser les libellules et autres objets.


Deux semaines après notre départ, nous rencontrâmes notre premier signe de civilisation.
Primitif certes, mais indéniable. Sur 25 m de chaque côté de la route, des pieux étaient plantés au sol, avec à leur extrémité des crânes d’animaux fraîchement tués, les plus récents vraisemblablement pas plus tard que la veille ou l’avant-veille.

Cela chagrina profondément Lan qui se pensait le meilleur éclaireur de l’expédition. Car cela voulait dire qu’eux l’avaient vu lui, sans que l’inverse soit vrai.

Vu notre allure de tortue, nous devions être sous surveillance depuis des jours. Personne n’avait rien remarqué. Ça, c’était dangereux. Très dangereux. En tout cas, il était évident que ces gens, qui qu’ils soient, ne voulaient pas que nous allions plus loin sur cette route.

L’objectif déclaré de notre expédition était à une trentaine de kilomètres plus au nord, un ensemble de plaine et collines que traversaient de nombreux cours d’eau. Vu notre allure de tortue, nous devions y arriver d’ici à une autre semaine, voir un peu plus. Du moins, selon nos cartes. En même temps, celles-ci ne nous avaient servi à rien, trop vieilles vraisemblablement. Tous les points de repère qu’elles indiquaient avaient disparu ou s’étaient décalés de parfois plusieurs kilomètres. Le seul élément à sa place sur ces cartes était la grande muraille loin au nord. Mais la grande muraille, nul besoin de cartes pour savoir où elle se situait.

Toujours est-il que nous nous éloignâmes des pieux et carcasses d’animaux de quelques centaines de mètres pour établir un camp et y passer la nuit.
Rapidement, le chef convoqua un conseil d’une vingtaine de personnes parmi les plus prestigieuses ou compétentes de l’expédition afin de discuter de la situation.

Le feu crépitait face à moi, je buvais une tasse de ce thé qu’affectionnait Yreen, et par extension, moi aussi désormais. Avant de partir, j’avais incité PyuPyu à lui chiper une partie de sa réserve contre promesse de lui montrer comment préparer un breuvage d’exception avec.

Je n’avais pas menti, je lui avais concocté un thé bien fort et amer comme je les aimais et je lui avais fait goûté. Comme de juste, il avait grimacé et tiré la langue avant de lâcher plusieurs volés de sifflements furieux et de s’éloigner vexé.

Le lendemain du départ, pendant le campement nocturne, je reçus soudain une missive sortie de nulle part sur le crâne, cacheté aux armes de la guilde. Yreen, évidemment. Elindis avait dû me faire la lecture, mais le contenu était tel que je m’y attendais, promesse de mille souffrances dés mon retour pour équilibrer la balance. Ce n’était pas ses mots justes, mais l’idée restait la même.

Je sirotais donc tranquillement mon thé d’emprunt, les yeux plongés dans les flammes de notre feu, bien emmitouflée dans la cape de Lan pendant qu’en face de moi Elindis parcourait son grimoire, préparant sa magie pour les jours à venir. Au vu de la menace évidente, elle voulait un panel de sorts moins généraliste et plus orienté sur le combat.

Quittant les ténèbres environnantes, Lan vint nous rejoindre et récupéra sa moitié de cape nous transformant en une bête à deux têtes. Je lui proposais ma timbale, mais il refusa en grimaçant. Lui non plus comme PyuPyu, n’appréciait pas, il disait qu’il avait déjà pu boire des tord-boyaux nains bien moins amers que ce que je pouvais ingurgiter. Mais bon, c’était de bonne guerre, quand il préparait le thé ou une infusion, c’est moi qui tirais la langue, bien trop suave à mon goût, surtout qu’il ajoutait du sucre ou du miel et pas en petite quantité. Enfin, là, il n’en avait plus, de sucre s’entend, ni même de miel. Les joies de la vie en plein air.

Elindis ferma soudain son grimoire en soupirant puis s’étira, retenant un bâillement. Même d’ici, je pus entendre certains de ses os craquer.

« Dites voir vous deux, commençais-je doucement, comment vous imaginez le futur de ce monde ? » 


Je sentais le regard d’Elindis sur moi, mais un grand silence me répondit.


— Ou plutôt, que faudrait-il pour gagner cette guerre ? continuais-je sur le même ton.


Après un bon moment et échange de regards entre les deux, c’est Elindis qui prit la parole.


— Que sais-tu des anciens ?

— Ce qu’en dit tout le monde au coin de la rue. Qu’ils vivaient dans des cités flottantes, qu’ils ont trop tiré sur la corde, déclenchant une catastrophe qui les fit fuir ici et qu’ils l’ont eue mauvaise, car ils ne savaient plus rien faire sans l’art.

— Mh, je vois, bon ! Les anciens avaient bâti une société magique fonctionnant autour de cristaux. Ils les créaient eux-mêmes, une opération longue et complexe, mais au final, le cristal possédait la faculté de se substituer à un mage et de lancer un sortilège prédéterminé de manière régulière. Ce n’étaient pas des objets enchantés qui sont la finalité d’un processus magique, mais bien des éléments susceptible d’initier ce même processus. Il est difficile de nos jours d’estimer la chose, mais les anciens auraient eu la capacité de graver des schémas mentaux dans la substance de ces cristaux qui à chaque activation lançaient le sort qu’ils contenaient. Une source d’accès à la magie infinie et sans effort sinon celui initial de création. Le rêve de tout mage.

J’acquiesçais à ses dires.

— C’est prouvé ou de l’ordre de la fable ?

Elle me sourit

— J’allais y venir Yuki, et oui c’est prouvé. Les cités anciennes avaient tendance à se spécialiser dans un domaine particulier de magie et commerçaient ensuite ce qui leur manquait avec les autres. Des mois avant la Catastrophe, une de ces cités, celle de Larenix, spécialisée dans la divination, reçue des présages de désastre. Mais personne ne prêta l’oreille à leurs inquiétudes, car hormis un sentiment de périls imminent, les détails restaient flous.

Je fronçais des sourcils à l’évocation de ce nom et elle acquiesça en me voyant faire, poursuivant.

— Les prédictions étaient peu précises, mais indiquaient un futur proche à court terme. À Larenix, la plupart des gens ne voulaient pas croire les présages, arguant d’interprétation fantaisiste. C’est un petit groupe qui prit donc sur lui de se préparer au pire, mais sans réellement pouvoir définir à quoi ils allaient devoir faire face. Ce n’est que le jour même de la catastrophe qu’une divination leur fournit tous les éléments et points de détails de ce qui allait arriver, à savoir que la magie allait refuser de leur obéir comme elle l’avait toujours fait, et que tous les sorts actifs allaient s’interrompre. Mais il était trop tard alors pour y faire quoi que ce soit et l’empêcher, ce qu’ils avaient préparé de contre-mesures était totalement inadéquat.

— J’imagine bien la scène oui.

— Sans l’art, poursuivit-elle, leur ville allait s’effondrer, et pour autant, ils ne pouvaient la poser au sol avant qu’elle ne chute lorsque la magie ferait défaut. Des tribus dites primitives vivaient à la surface de leur monde, en guerre constante les unes contre les autres. La seule chose qui les unissait, c’était leur haine du peuple des anciens qui les traitaient comme des sous humains et les exploitaient sans vergogne. Il ne faudrait pas longtemps aux habitants de la surface pour comprendre que la cité était vulnérable au sol et la situation tournerait au massacre en sens unique.


— Les mondes changent, mais les gens sont aussi stupides ici que là-bas… déprimant.

Je vidais ma timbale et me collais un peu plus étroitement contre Lan.

— Et donc ? Que firent-ils ?

— Et donc, ils créèrent ce monde et finirent par l’appeler du nom de leur ancienne ville.

Comme je fronçais furieusement des sourcils, elle enchaîna.

— Ce n’est pas si grandiose que ça Yuki. C’est un principe identique à celui de la poche dimensionnelle de ton sac, ou, plutôt qu’être contenu dans ledit sac, les objets que l’on y met sont placés ailleurs, dans un demi-plan d’une taille ridiculement petite, mais suffisante pour l’effet voulu. Certains mages, par eux-mêmes, réussissent à créer des poches dimensionnelles suffisamment importantes pour englober un domaine et ses terres avoisinantes. Tu as déjà entendu parler des demi-plans n’est-ce pas ? Oui ? Bon, ben voilà. Un troupeau de mages de grands talents, entièrement tourné vers un objectif précis, sont capables de faire bien plus que ça normalement.

Je restais un rien sceptique. Je ne me voyais pas comme une personne de génie, hum, pas pour le moment du moins, mais même ainsi je n’entrevoyais pas la moindre idée de ce dont j’aurais besoin pour établir une poche dimensionnelle, alors encore moins une de la taille d’un monde entier. Sans parler du fait que la poche, une fois créée, serait vide, il faudrait en sus y ajouter ledit monde, la terre, l’eau, les océans, l’air, un soleil, les arbres et les animaux. Pour moi, ça restait une affaire divine dans le fond. Et pendant que je divaguais un peu, Elindis continuait de parler.

— Au fait, on sait tout cela grâce à des documents d’époque, tu pourras en voir de tes yeux si tu en fais la demande à l’académie magique royale de Varanis. Il y en a chez les elfes aussi, dans la forêt jouxtant La Guilde.

Je sentis Lan opiner à mes côtés.

— On a beaucoup moins de détails sur la suite des événements par contre. Personnellement, je ne pense pas que la plupart des anciens avaient connaissance du plan dans son ensemble ni même de la gravité de la situation. Ce que l’on sait, c’est qu’une partie de la population de la ville fut emmenée ici avant le moment fatidique, par portail, avec ce qu’ils avaient préparé dans l’urgence de biens et vivres. Il s’agissait principalement de gens du peuple et de quelques spécialistes. On suppose que ceux qui restèrent en arrière avaient dans l’idée de faire passer aussi leur cité dans ce demi-plan via un portail d’une taille démesurée, mais qu’ils n’étaient pas certains de pouvoir le faire à temps où que ce fût juste réalisable. D’où un transfert pour ce monde en deux temps. Ce que l’on sait, c’est que ce premier groupe se retrouva bloqué ici, dans une nature déserte et sombre, où rien ne vivait. Certaines descriptions à ce sujet sont assez cauchemardesques. Un ciel vide et noir, une terre poussiéreuse et même par endroit, pas assez d’air pour respirer normalement. Il est aussi dit que les premiers jours, ils furent incapables de pratiquer l’art et que les cristaux qu’ils avaient emportés ne réagissaient pas non plus.

L’air de rien, je sentais Lan s’agiter à mes côtés et ses mains devenir baladeuses.

— Alors qu’ils croyaient qu’ils allaient mourir ici, un maelstrom magique enveloppa ce demi-plan, le secouant en tout sens, menaçant de le briser dans ses fondements. Quand la tempête magique se calma, elle laissa derrière elle un ciel bleu, les lunes, un air respirable, et la pratique de l’art fut de nouveau possible. Certains anciens émirent la théorie que ceux d’entre eux, restés en arrière, avaient perfectionné ce demi-plan, ou alors, qu’il s’agissait d’un contrecoup de la catastrophe. Pour expliquer le différentiel de temps, certains formulèrent même l’hypothèse que celui-ci passerait ici plus rapidement que dans le reste du multivers. Toutefois, il n’y a aucune preuve de quoi que ce soit et les anciens durent se débrouiller seul, car ils ne revirent jamais ceux restés en arrière.

Elle fit une petite pause, et j’attendais tranquillement, après tout, elle n’avait pas encore répondu à ma question initiale. En plus, je ne l’imaginais pas cesser son cours en plein milieu.

— Par la suite, les anciens à grand renfort de magie, fertilisèrent la terre, et purent survivre, même si, difficilement. N’ayant plus les moyens techniques, ni le savoir correspondant, ils durent réinventer à chaque pas, toute cette connaissance, qui pour nous semble basique, mais qu’ils avaient perdue dans leur utopie flottante. Rien que cultiver le sol de leur main fut une épreuve, sans parler de l’art et la manière de construire un bâtiment qui ne s’effondre pas au moindre aléa climatique et possédant un toit sans fuites. Les années passant, les anciens partirent à la découverte de ce désert de monde et furent surpris de ne pas le trouver si vide que cela. Ici et là, il y avait des ruines qu’ils identifièrent comme étant des morceaux de la cité de Larenix. Pourquoi ? Et pourquoi seulement des fragments épars ? L’énigme resta sans réponse. Cela provoqua un grand émoi parmi eux, car leur groupe n’avait emporté avec eux que de petits cristaux, facilement transportables, peu puissants. En plus, leur nouvelle société manquait cruellement de savoir-faire concernant leur technologie. La plupart d’entre eux étaient des devins, personne ne savait les fabriquer, ni même réellement en faire la maintenance et ceux qu’ils avaient montrait des signes d’usures manifestes. La présence de ruines était un espoir de découvrir des cristaux intacts ou des documents sur leur technique perdue. Ils espéraient aussi mettre la main sur des cristaux maîtres, de ceux qui se trouvaient au cœur de la ville. Plus grand qu’un adulte, ces cristaux étaient dotés d’une âme et donc de vie propre. C’est cela qui pourrait nous faire gagner cette guerre Yuki. Car ces cristaux existent réellement.

Je fronçais furieusement des sourcils à nouveau et comprenant mon incompréhension, elle poursuivit.

— Ces cristaux existent, je te l’assure. Il y en a de nombreuses traces dans l’histoire de ce monde. Selon les archives, pendant leurs explorations, les anciens furent surpris de tomber ici et là sur des corps de créatures inconnus. Ils découvrirent aussi des zones ou des écosystèmes entiers s’étaient développés sans qu’eux même en soient à l’origine. Tout cela posait la question du qui et du comment. À leur connaissance, la seule source de vie possible dans ce demi-plan provenait de ce qu’ils avaient amené de leur monde d’origine. Pendant un moment, ils suspectèrent un cristal maître expérimental, mais la vérité était bien autre. Vois-tu, ce monde possède un lien à sens unique avec le reste du multivers, un lien qui ne devrait pas exister puisque les demi-plans sont censés être indépendant et clos.

— Oui la grande poubelle cosmique, répondis-je en esquissant un vague sourire.

— Pardon ? Elle haussa un sourcil, surprise.

— La grande poubelle cosmique. Je tiens cette expression d’Yreen.

— Oh, je vois, elle grimaça un sourire, je reconnais bien là maîtresse Yreen dans ce trait d’humour. Mais oui, par ce phénomène de poubelle cosmique, des éléments étrangers finirent par apparaître sur Larenix. Des individus aussi, seul ou par petits groupes se retrouvèrent piégés ici voir carrément des morceaux plus ou moins conséquents d’autre plan primaire. Ainsi, un récit parle d’une masse de terre surgissant soudain en plein ciel, bloquant la vue d’un horizon à l’autre, dantesque. Lentement, ce bloc vint s’écraser au sol, détruisant au passage des dizaines de cités et un royaume ou deux. Ce n’est pas un mythe, ces terres forment désormais ce qu’on appelle la grande muraille, juste au nord, impossible à rater. C’est aussi ainsi qu’orques, nains et gobelins seraient arrivés dans ce monde, survivant improbable de la chute d’une masse égale à celle d’un petit continent. Par nature, on ne peut pénétrer ou sortir d’un demi-plan que par l’accès prévu à sa création. Personne ne peut préciser réellement, comment des éléments extérieurs peuvent y entrer. Même si cela explique pourquoi on ne peut le quitter. Le passage originellement prévu n’existant plus. Cela n’a toutefois pas que des conséquences néfastes, puisque cela permet aussi d’avoir des contacts vers les autres plans, même si, à sens unique, et donc de ce monde de plus ou moins fonctionner comme un plan matériel standard malgré son statut de construction artificielle.

Elle me jeta un coup d’œil, voire si je suivais toujours et je lui fis signe de poursuivre. Rien de ce qu’elle avait dit ne contredisait mes connaissances, bien qu’incomplètes. Le multivers est composé d’innombrables mondes qu’on appelle des plans. Certains servent de piller et sont invivables, comme les plans des énergies élémentaires. D’autres sont privés à l’instar des plans divins. Il y a des plans spéciaux qui sont superposés aux autres, tel l’ombreux, l’astral ou l’éthérée. Et le reste, soit la très grande majorité, sont des mondes du style de celui d’où je viens, chacun avec ses particularités spécifiques, mais dans l’ensemble tous semblables. Ce sont les mondes dits primaires ou matériels. En attendant, elle poursuivait sa leçon.

— On peut suivre l’histoire des anciens dans ce monde pendant ainsi quelques siècles, assez bien documenté. Puis vinrent les dragons.
Il y en eut d’abord qu’une poignée que les anciens purent maîtriser facilement. Ils leur révélèrent que plusieurs centaines d’entre eux s’étaient soudain retrouvés sur Larenix et luttaient férocement entre eux pour les maigres ressources existantes alors. Il ne fallut pas longtemps pour que les dragons découvrent le territoire des anciens et ne viennent déferler dessus. La suite, tu la connais non ? Les guerres draconiques ?

Je lui fis non doucement de la tête.

— Aah ? Et bien, les dragons devinrent les maîtres de ce monde et réduisirent tout ce qu’ils purent en esclavage tout en poursuivant leur lutte intestine pour la suprématie. Passés une première période très chaotique. Leurs nombres diminuant à force de s’entre-tuer, ils finirent par fonder chacun dans leur coin leur petit royaume personnel, avec chacun leurs petites armées d’esclaves, survivants du peuple des anciens, mais aussi des autres races arrivés entre temps. On ne sait pas grand-chose sur cette période de l’histoire, sinon que pendant des siècles, les seigneurs dragons, s’affrontèrent par armée d’esclaves interposées et leur nombre continua de décroître jusqu’au jour ou les opprimés réussirent à se libérer et détruisirent leurs maîtres. Les peuples nouvellement affranchis établirent alors les royaumes, plus ou moins comme on les connaît de nos jours. Jusqu’à ce qu’arrivent les morts-vivants.

— Et donc, les cristaux maîtres ?

Elle me fit oui de la tête et poursuivit.

— J’y venais. On sait avec certitude qu’avant les dragons les anciens avaient mis la main sur deux cristaux maîtres. Par la suite, pendant l’histoire des royaumes, certains autres font aussi leur apparition ici et là, parfois à la tête d’une armée, ou gouvernant un territoire. Ce sont ces cristaux maîtres qui sont à l’origine de la plupart des légendes concernant les conseillers de l’ombre, poussant les gens à commettre des folies à leur place, mais sans jamais se montrer eux-mêmes. N’oublie pas qu’ils sont habités par l’âme d’un ancien, ils ont leur volonté propre et sont quasi-immortel dans un sens. On a pu établir la présence sur Larenix de 5 d’entre eux. Mais c’est sans compter sur le fait que l’on ne connaît pas non plus encore la totalité de ce monde. Le continent de l’est par delà l’océan est majoritairement inexploré, de même que les terres au-delà des grands déserts du sud dont nous sommes aujourd’hui coupés par les morts-vivants. L’objectif actuel est donc de retrouver ces cinq-là, ou au moins une partie d’entre eux, obtenir leur coopération, et grâce à eux renverser le cours de la guerre.

— Mh, loin de moi l’idée de refroidir vos ardeurs, enfin je suppose que vous y avez déjà pensé, mais comment cinq mages, même extraordinaires, pourrait faire mieux que les dizaines de milliers de soldats et autres grands mages que contenait les territoires désormais conquis ?

Elle haussa les épaules.

— Je n’ai pas les détails non plus Yuki, mais déjà, imagine, la possibilité de lancer des sorts à l’infinie sans fatiguer. Même s’il ne s’agit que de magie basique, il y a de quoi faire des ravages. Et puis, cela va probablement au-delà de ce que l’on peut concevoir facilement autour d’un feu, après tout, c’est une âme ancienne, du savoir ancien, la technologie des anciens. Qui sait ?

Elle me fit un grand sourire

— C’est pour cela que le royaume a lancé cette expédition. Certes, il s’agit de conquérir de nouveau territoire pour rebâtir une économie capable de supporter la ligne de front plus au sud lorsque la guerre reprendra. Mais c’est aussi une opportunité d’explorer des contrées oubliées depuis bien longtemps qui pourrait nous fournir des pistes sur les cristaux maîtres ou leur situation actuelle.

— Je voix… Et le plan B ?

— Le planbééé ? Elle m’observait, l’incompréhension inondant ses traits qui s’illuminèrent soudain.

— Oh, un plan de secours n’est-ce pas ?

J’acquiesçais.

— Et bien, pas que je sache, pas à cette échelle du moins. On ne peut pas dire que renforcer l’armée soit un réel plan de secours. Ni les éventuelles tractations politiques avec les autres royaumes et peuples pour obtenir de l’aide.

— Je vois.

Depuis quelques minutes, les mains de Lan avaient trouvé une piste sure pour se glisser sous mes vêtements et me caresser doucement le dos et le ventre. Des zones sans risque jusque là. Mais je sentais bien qu’il n’allait pas s’en contenter encore bien longtemps. Nous n’allions pas non plus aller bien plus loin ce soir, les lieux ne le permettaient pas. Trop de regards indiscrets, sans parler des bestioles et autres barbares rôdant vraisemblablement autour du camp. En tout cas, je ne suis pas vraiment porté sur l’exhibitionnisme.

— Des cristaux conscients, je me demande bien ce qui peut motiver ce genre de… ce qui peut bien motiver de telles créatures.

— Qui sait ? Je laisse ça aux gros bonnets du royaume. Ce qui me préoccupe surtout, c’est ce que nous allons faire demain.

— C’est tout vu, lui répondis-je. On va continuer, ce qui va énerver les tribus du coin, qui vont nous tomber toutes dessus quand on s’y attendra le moins. Ma question à moi, c’est plutôt savoir si l’on va gagner ou non. C’est quel genre d’individus que ces barbares ?

Elle secoua légèrement la tête

— Pour autant que je sache, il s’agit de nomades, se regroupant en communauté de quelques milliers d’individus. Ils vivent d’élevage et de chasse et passent leur temps à se quereller et se défier pour un rien. Autrefois, ils venaient aussi provoquer le royaume régulièrement. En un sens, on ne peut pas vraiment parler de pillage. Disons qu’à leurs yeux, si tu as la force de t’approprier quelque chose et de le conserver, alors cela devient ton bien. Que ce soit un poulet ou la fille du fermier n’y change rien. Dès que le printemps arrivait, la zone frontière voyait déferler quantité de jeunots avec plus de muscles que de cervelles pour chaparder ce qu’ils voulaient et défier le moindre soldat en duel pour lui piquer son armure et son épée.


Je souris à cette description, j’avais un certain faible pour ce genre de jeunes sots dans une certaine mesure.


— Les tribus par elle-même se montraient plus prudentes. Mais certains futurs chefs avec leur escorte venaient parfois aussi provoquer des villages pour des enjeux un peu plus conséquents. Pour eux, c’est la norme, mais pour le royaume, c’était une calamité. De nombreuses expéditions punitives furent envoyées et certaines revinrent victorieuses, d’autres non. Toujours est-il que cela n’a jamais résolu le problème. C’est le roi Angus II dit, le brave, qui mit fin aux exactions. Il s’entoura d’un groupe composé des meilleurs du royaume, monta un camp sur la frontière avec les barbares et fit passer le mot qu’il les défiaient tous dans toute une série d’épreuves de force et bravoures dans leurs propres termes. Après avoir remporté tous les défis qu’il reçut, il gagna la grande muraille et abattit un petit clan de dragons blancs qui s’en prenaient régulièrement aux troupeaux des barbares et planta les têtes devant son camp. Là, il s’adressa aux chefs des tribus, leur déclarant que temps qu’aucuns d’entre eux ne se montreraient capable d’accomplir pareil exploit, ils ne viennent plus déranger le peuple du royaume. On ne revit plus jamais ces vandales sinon lorsque de temps à autre, certains d’entre eux approchaient pour faire du troc. C’est en tout cas ce que dit l’histoire officielle.


— Intéressant, cela recoupe ce que j’avais entendu dire. Et personne dans le royaume n’a pensé qu’avoir de tels individus pour alliés contre les morts pourrait être utile ?


Je pinçais Lan qui commençait à se montrer un peu plus entreprenant. Elindis haussa un sourcil.

— Tu es sérieuse ? Ce sont des barbares Yuki, des bêtes vêtues d’autres peaux de bêtes passant leur vie à voler leur voisin, comment peux-tu faire confiance à ces animaux ?

— Tu ne penses pas qu’il y a là une idée à creuser ? Déjà, la description que tu donnes en fond des gens raisonnables. Avec leurs codes. Bien différent d’un raid de monstres ne laissant que ruines. Si ton roi brave a réussi à s’entendre avec eux, il n’y a pas de raisons que la chose ne puisse être renouvelée non ?

— C’est une très vieille histoire Yuki, écrite après coup pour renforcer le pouvoir de la famille royale sur les autres nobles.

— Peut-être, ou peut-être pas. Mais réfléchis à ça. Imagine deux minutes que cette antique histoire soit correcte, et que demain, trois plumes bleues nous emmènent plus loin que cette frontière d’épieux. Que ce faisant, cela brise le pacte ancestral entre vos peuples. Je suis soudain très curieuse de voir comment ces soi-disant barbares vont accepter la chose. Imagine si, plutôt que paver la route à l’exploitation de nouvelles terres, on se retrouve au contraire avec tout un tas de tribus reprenant leurs habitudes d’antan ? Ne serait-ce pas magnifiquement ironique comme situation ?

Je la vis gonfler ses joues, puis expirer longuement, comme vidée.

— Tu es… non rien.

Elle secoua la tête puis nous tourna le dos, ramassant ses affaires.

— Je vous souhaite la bonne nuit à vous deux.

— Bonne nuit, oui.

Je la suivis du regard le temps qu’elle gagne sa tente. Enfin notre tente, sauf que je préférais partager celle de Lan depuis notre départ donc elle devait être la seule personne du camp à avoir une tente pour elle seule.

— Dit voir Lan, qu’est-ce que j’ai fait ? Ou dit ?

— Tu parles trop.

— Mhh ? Peut-être.

— C’est certain !

Après avoir ramassé nos affaires près du feu, il me souleva dans ses bras avant de prendre la direction de notre tente.

— Hey, je peux marcher, tu sais ?

— Je sais.

Je lâchais un léger soupir puis me laissait aller. Il était temps d’arrêter de réfléchir aussi.

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4 Comments

2 months
C'est un chapitre dense avec beaucoup de lore qui gagnerait a être distillé sur plusieurs chapitres.
Toutefois, j'ai adoré en apprendre plus sur Larenix, les Cristaux et les Dragons.
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2 months
C'est intéressant, mais là clairement tu perds le lecteur en allant trop dan le détail.
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2 months
probab, je reformule l'idée en trois lignes et enlève 2 paragraphes hop
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2 months
cartes en fin de paragraphe précédent et au début de celui-ci
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