Les hurlements des enfants arrachés à leurs mères résonnaient encore lorsque la neige commença à tomber. La poudreuse blanche recouvrit peu à peu les corps des combattants inertes. Le constat s'avérait terrible : aucun des peuples n'avait été épargné par leur ennemi commun. Cet ennemi, né pour déranger, puis basculé dans l’obscurité. De mémoire d’hommes, l'armée de Luca Erphior incarnait la plus complète et puissante jamais recensée. Les différentes ethnies, jadis isolées, s’étaient unies pour leur survie, se battant de toutes leurs forces. Mais cela resta insuffisant. Des tâches pourpres recouvraient à présent le sol blanc tandis que sa vision se brouillait, une fois de plus. Une fois de trop.
Ces images effroyables tournaient en boucle dans sa tête. Pourtant, il tentait par tous les moyens de les oublier, mais elles s’imposaient à lui comme un châtiment. Sa punition, pour avoir créé un monstre. Et aujourd’hui, ce monstre l’avait retrouvé. Des années durant, il était parvenu à éviter cette confrontation, et la perspective de ce qui l'attendait à présent lui glaçait le sang. Avant son trépas, il le questionna une dernière fois.
— Pourquoi ? Pourquoi tout ça ?
Les yeux perçants de son interlocuteur lui donnaient l’impression qu’il essayait de sonder son âme. Pourtant, dans ce mélange obscur de détermination et de folie, une étincelle de doute demeurait présente. Tout ne semblait pas perdu, finalement. Luca Erphior le scruta un long moment, se délectant de cet instant. Ses traits tirés témoignaient de sa fatigue et de son anxiété. Quelques rides encadraient à présent son visage, mais il resterait toujours cet enfant timide qu’il avait pratiquement élevé. Même si, maintenant, Luca laissait derrière lui plus de cadavres qu’il ne pouvait en comptabiliser.
Luca Erphior approcha lentement, évitant les flaques de sang, puis s’accroupit à son niveau. L'odeur du fer emplit ses narines, lui procurant la nausée. Son interlocuteur tamponna doucement sa blessure, avant de répondre enfin, d’une voix plus posée et mature qu’à leur dernière rencontre.
— Pour Charlie.