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TiffValverde
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DON : N’OUBLIE PAS TON PARAPLUIE

Don retrouva Chad pour déjeuner. 

— Ah, enfin, tu es là ! Où étais-tu parti si tôt ? l’apostropha Don.

Comme à son habitude, le métis s’esclaffa, rejetant sa coupe afro en arrière. 

— J’me baladais, l’air frais aide mes prémonitions à devenir plus précises. 

Don lui mit un gentil coup derrière la tête. 

— Et ça, ça aide aussi ? 

Il courut pour éviter que Chad le frappe en retour et se hâta de récupérer un plateau et de se placer dans la queue du buffet. Son ami le rejoignit quelques secondes plus tard, l’air désapprobateur, mais le regard malicieux. Quand ils furent tous les deux assis à table, Chad lui intima de lui raconter son rêve de la nuit dernière. Don s’exécuta, en écho à sa conversation avec Belcorph.

— Je ne reste pas assez longtemps, termina-t-il. C’est frustrant, je sens que j’ai beaucoup à voir, mais chaque fois, quelque chose me tire trop tôt de mon sommeil.

Pour une raison inconnue, cela arrivait fréquemment que Don se réveille avant le lever du jour, comme s’il se trouvait aspiré par la réalité. Après cela, incapable de se rendormir, il écrivait dans son carnet ou méditait sur sa vie.

— Tu dois être patient, Donni. Peut-être que tu peux demander à Belcorph de t’aider à te concentrer plus ?

Chad fit signe au cuisiner de lui ajouter du rab, mais ce dernier répondit par la négative en se renfrognant.

— Je fais ces rêves depuis quinze ans, Chad. Et la seule amélioration qui a eu lieu est survenue quand j’ai commencé à partager ma chambre avec ton petit corps. 

Durant ses premières années au sein de l’Académie, Don habitait une chambre simple, renforçant chaque jour un peu plus sa solitude. Tous les autres pensionnaires vivaient en colocation, sauf lui. L’exception. L’année de ses quatorze ans, soit neuf ans après son intégration, un nouvel élève prometteur était arrivé en cours d’année. Toutes les chambres se trouvant occupées, celle de Don avait été divisée en deux. Et, bien que cela ne l’enchanta pas en premier lieu, l’entrée de Chad dans son quotidien bouleversa celui-ci. Grâce à lui, l’anxiété sociale dont souffrait Don ne s’intensifiait plus. Certains jours, elle avait même tendance à diminuer.

Chad posa son plateau rempli sur la table pour se pavaner devant Don, puis s’inclina comme si une foule en délire l’applaudissait.

— Oui, tu peux le dire, je suis extraordinaire !

Don pouffa, puis, soudainement, le sourire de Chad s’effaça. Ses yeux habituellement noirs se colorèrent de violet et fixèrent un point lointain dans le vide. 

Du haut de ses quatorze ans, les visions de Chad se révélaient d’une fiabilité remarquable. Il travaillait dur pour cela, désirant plus que tout rendre fier son entourage. Dans sa famille, tout le monde, sans exception, possédait le don de prémonition. Les parents de Chad, ensemble depuis leur rencontre à l’Académie, siégeaient dans une Assemblée régionale, une annexe de celle des Oracles. En écho à leurs deux filles, qui avaient intégré l’Académie pour leurs cinq ans, ils s’attendaient à ce que Chad développe ses capacités aussi tôt. Jusqu’à sa première vision, à ses huit ans, ce dernier restait en apnée, terrifié à l’idée de rompre la tradition familiale. Il vivait son rêve — ou plutôt celui de ses parents — depuis son entrée à l’Académie, comme il aimait le répéter.

Don avala quelques bouchées de sa purée de carottes le temps que son interlocuteur soit de nouveau lui-même. Lorsque ce fut le cas, Chad, l’air sérieux, se pencha vers Don pour lui dévoiler sa prémonition. 

— N’oublie pas ton parapluie en allant à la bibliothèque.

Don soupira longuement tandis que son ami explosa d’un rire si tonitruant que plusieurs élèves se tournèrent dans leur direction. Chad, toujours théâtral, sauta à pieds joints sur la chaise et s’exclama : 

— Excusez-nous du dérangement, mesdames, messieurs, vous pouvez retourner vaquer à vos occupations !

Don s’enfonça sur son siège, priant pour disparaître, ce qui amusa d’autant plus Chad. Quand il se rassit, le jeune homme se détendit.

— Tu m’accompagnes ? proposa Don, rempli d’espoirs. 

— Non, merci, j’ai autre chose à faire que regarder des bouquins toute la soirée.

Don haussa les sourcils et s’avança légèrement vers son ami. 

— Une autre prémonition ? 

— Non, mais je connais Belcorph !

Il était vrai que, même si son mentor restait d’un soutien infaillible, il demeurait également un peu trop investi dans les visions de Don, ce qui engendrait régulièrement des situations quelque peu gênantes. Chaque nouveau détail devenait un prétexte pour fourrer son long nez dans ses livres pendant des heures, voire des jours, puis harceler Don à propos de l’Ancien Monde. Alors, oui, leurs échanges s’avéraient agréables et enrichissants, mais le jeune homme traînait souvent des pieds au moment de rejoindre Belcorph. Il savait quand il arrivait, mais jamais quand il repartait. 

Avant de quitter le bâtiment principal, Don jeta un œil à l’extérieur. Il ne vit pas une goutte de pluie, et le ciel sans nuage n’annonçait rien en ce sens. Bon, j’imagine qu’il a encore voulu se moquer de moi. 

Don n’aimait pas le froid. Aussi, lorsqu’un vent glacial s’engouffra à travers la porte qu’il venait d’ouvrir, il poussa un juron. Quelques jours auparavant, les élèves se promenaient en short et révisaient à l’ombre des bouleaux. Aujourd’hui, Don grelottait sous sa parka beige défraichie. Jamais il ne s’habituerait à ces changements abrupts de température. L’hiver durerait sûrement quelques mois, avant de laisse place à un nouvel été torride. 

Il marcha quelques mètres, en direction de la bibliothèque. Comme chaque fois, il pivota pour observer l’Académie dans son entièreté. La seule face qu’il aimait de cet endroit. Le bâtiment en briques rouges comportait une façade imposante et des fenêtres en croisillons, très typique des lycées américains de l’époque. Le perron en pierre qui menait à de majestueuses portes en bois indiquait très clairement l’entrée. Sur le toît en ardoise, une horloge cassée reposait, que Don se promettait de réparer un jour. Seulement, il n’y connaissait rien en horlogerie et souffrait de vertige.

L’Académie avait été installée dans un ancien village d’Amérique du Nord, actuellement nommée le Northwest, épargné par les flots. Le bâtiment principal comprenait les salles de cours et les dortoirs. Un peu plus loin, les autres maisons, qui logeaient auparavant des familles, avaient été réaménagées pour les activités extrascolaires et pour stocker les archives. La bibliothèque, elle, se trouvait dans la mairie du village.

La chaleur réconfortante du lieu l’enveloppa dès qu’il franchit la porte. Avec la journée déjà bien avancée et le ciel plongé dans l’obscurité, les centaines de bougies disséminées dans tous les recoins de la pièce diffusaient une lumière douce et apaisante. Pourtant, chaque fois, Don craignait qu’elles mettent le feu à la bâtisse, emportant avec elle tous les ouvrages. Cela provoquerait un désastre international. La bibliothèque de l’Académie recensait le plus nombre de livres du Nouveau Monde. Selon Belcorph, cependant, l’endroit manquait de contenu. Don, lui, se demandait toujours comment leurs ancêtres avaient sauvé autant de livres des eaux. Étaient-ils si importants qu’ils avaient pris le temps de les placer en sécurité avant que le monde ne vole en éclat ? 

À l’étage, les œuvres pour enfants étaient rangées dans une salle assez conséquente. Les romans ainsi que tout ce qui concernait les prémonitions et autres dons étaient regroupés dans deux plus petits espaces. 

 Il passa devant deux pièces, contenant des documentations sur la médecine et les matières pratiques — cuisine, construction, plomberie, couture, travaux manuels — puis pénétra dans la plus grande du lieu, dédiée aux aux ouvrages historiques. 

Sur un bureau en acajou, une pile d’une dizaine de recueils cachait la moitié du visage de Belcorph. En remarquant Don, son mentor lui intima d’aller chercher un livre en hauteur, car il voulait « vérifier quelque chose ». Le jeune homme grimpa sur un tabouret et tendit le bras pour récupérer l’ouvrage, mais son coude cogna dans l’étagère, ce qui la fit trembler. Un manuel mal rangé en profita pour tomber et atterrir violemment sur la tête de Don, qui grimaça sur le coup de la douleur. Don esquissa un sourire tout en se frottant le crâne. Bien vu le parapluie, Chad ! 

— Ce n’est pas le moment de t’assommer, Don, se moqua Belcorph. Allez, mettons-nous au travail, je veux que tu me montres ce qui ressemble le plus à la danse que tu as visualisée. 

Des heures plus tard, Don savait distinguer une posture de tango de celle d’une valse ou d’une salsa. Lorsque la bougie de leur table fut consumée, Belcorph s’étonna de l’heure avancée et envoya Don dîner. Ce dernier ne se fit pas prier et courut jusqu’au réfectoire avant qu’il ne reste plus rien à manger. Il rejoignit son ami, attablé avec deux filles de son âge. Il grimaça puis chercha instinctivement une autre place libre, mais Chad ne lui laissa pas le temps de déserter et le héla bruyamment dès qu’il l’aperçut. 

— Très drôle le coup du parapluie, lui reprocha Don.

Chad se tint le ventre, mort de rire. 

— J’espère que t’auras pas une trop grosse bosse ! Mais tu pourras pas dire que j’t’ai pas prévenu ! 

Ils plaisantèrent ensemble, puis, durant le reste du repas, Don se tint à l’écart des discussions. Il n’aimait pas interagir au sein d’un groupe, en particulier avec les personnes qu’il ne connaissait pas. Chad lui répétait toujours que s’il ne parlait pas aux inconnus, il ne connaîtrait jamais personne. Peu importe, il se sentait bien avec lui-même. Comme souvent, ses pensées voguèrent vers la femme du passé. Aussi, dès qu’il mit en bouche son dernier bout de pain, il se précipita pour ranger son plateau, salua ses compagnons et monta dans sa chambre pour la rejoindre.

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