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DON : LE MAL DE L'ANCIEN MONDE

Il toqua à la porte de la salle de la professeure Mims, une historienne réputée enseignant au sein de l’école depuis une dizaine d’années. Elle n’avait jamais témoigné de soutien quelconque à Don, mais restait toujours avenante et impartiale à son égard. Comme Don visualisait le passé, elle aimait lui demander, chaque année, d’apporter un avis sur les exposés des premières années. Au début, cette mission enchantait le jeune homme, ravi de pouvoir enfin dévoiler les beautés d’antan aux nouvelles générations de Prémonitionnistes. Mais, après l’une de ses interventions, la directrice lui avait ordonné de ne plus partager ses visions. Il avait alors pris conscience de la futilité de sa présence durant le cours. De la poudre aux yeux, comme tout ce que manigançait l’Assemblée des Oracles. Depuis, même si cette tâche l’ennuyait à mourir, il l’effectuait sans broncher et silencieusement, désireux de ne pas se faire remarquer davantage.

— Ah ! Bonjour Donatien ! Nous t’attendions pour débuter, s’enthousiasma Hélène Mims, ses cheveux bouclés indisciplinés, comme d’habitude. 

Don salua la classe et prit place à côté de la professeure, prêt à entendre pour une énième fois les récits sur l’Ancien Monde. Les tables positionnées tout autour de la salle formaient un cercle, encourageant les échanges entre étudiants. Un duo s’avança sur la scène improvisée. Tout opposait les deux jeunes filles. La première, fluette, se cachait derrière une masse informe de cheveux blonds. La seconde, brune et élancée, gonflait la poitrine en croisant le regard de ses camarades. La plus confiante se chargea des présentations :

— Bonjour, Don, merci de nous écouter ! Je suis Zoé, et voici Vilta. J’espère que notre exposé te plaira, ajouta-t-elle en dévoilant son sourire étincelant.

Don répondit d’un signe de tête, impatient d’en finir. La professeure observait ses élèves à travers d’épaisses lunettes qui grossissaient ses yeux, lui procurant un air ahuri. Par ailleurs, ses branches rafistolées avec du sparadrap n’amélioraient pas sa crédibilité. 

— Auparavant, notre monde était drastiquement différent. Seulement 71 % d’eau recouvrait la terre et des milliards de gens la peuplaient. Les hommes ne cherchaient que deux choses : le profit et le développement des technologies. 

Elle soumit au reste du groupe une carte reproduisant les anciens continents ainsi que leurs populations. Sa camarade enchaîna timidement les explications en appuyant son discours de plusieurs images représentant des voitures « ils se déplaçaient avec ça », des centaines de bâtiments « il y en avait partout ! », des centrales électriques et des plateformes pétrolières « le mal de l’Ancien Monde », la chasse et la pêche excessives « des millions d’espèces disparues », puis enfin les centres commerciaux « de la surconsommation à l’état pur ».

Ces discours, Don les connaissait par cœur. Les enseignants les leur rabâchaient depuis leur tendre enfance : les dangers de la technologie qui engendrait de la pollution, la cupidité des Hommes, et surtout, qu’il ne fallait jamais que cela recommence. Les premiers livres ouverts par Don en arrivant ici l’avaient fasciné. Il se revoyait, tentant de comprendre le fonctionnement des véhicules, de calculer le temps passé pour construire un immeuble, et faisant semblant de travailler sur un ordinateur imaginaire. Mais les ouvrages ne racontaient pas tout, et aujourd’hui, cela lui paraissait fade à côté de ce qu’il ressentait lorsqu’il voyageait dans l’Ancien Monde. Aussi fade que son existence.

Le duo s’assurait à chacune de leurs phrases que le garçon restait bien attentif et qu’il approuvait leur discours. Il faisait bonne figure, même si son esprit vagabondait pour échapper à cet exposé ennuyant. Zoé jeta un coup d’œil à ses notes, puis, pour une raison que Don ne saisissait pas, reprit d’un ton plus haut, ce qui le fit tressaillir. 

— Finalement, lassée de son mauvais traitement, la terre se rebella. 

Don se retint de ne pas lever les yeux au ciel. Du vu et revu.

— Les saisons n’existaient plus et le réchauffement climatique empirait. La fonte des glaciers provoqua un cataclysme : les eaux atteignirent des niveaux plus élevés que jamais, au point que certaines villes côtières disparurent des cartes. Mais ce n’était que le début !

Elle laissa une minute de suspens tandis que le jeune homme s’affalait de plus en plus sur sa chaise. Quand est-ce que ça va s’arrêter ? Je dois vraiment m’inscrire dans une activité extrascolaire, ça me fournira une excuse pour esquiver ces cours.

Zoé continua plus doucement afin de s’octroyer un air solennel.

— Des pluies diluviennes tombèrent durant des mois, puis des tremblements de terre causèrent des tsunamis. Notre planète sombra petit à petit sous l’eau. Les trois quarts de la population périrent, soit lors des catastrophes, soit plus tard de froid, de faim ou de maladie. 

Vilta distribua des peintures au reste de la classe, en expliquant qu’elles représentaient ses ancêtres et ceux de sa camarade. Les premiers survécurent grâce au bunker de leur voisin, tandis que les seconds, en tant que tribu des montagnes, se trouvèrent naturellement protégés des inondations. Madame Mims paraissait émue. Vraiment ? Depuis le temps qu’elle entend ce récit ? 

Zoé clôtura, le menton relevé et la voix de nouveau haut perchée.

— Personne ne sait comment, mais les eaux provoquèrent d’importantes mutations à certains peuples. Ceux qui obtinrent des capacités spéciales furent nommés les Émergés. 

Les applaudissements de leurs camarades et de la professeure arrachèrent Don de sa somnolence. L’historienne se leva, visiblement ravie. 

— Et d’après vous, qu’a changé cet événement dans notre vie actuelle ? 

Sans surprise, Zoé prit la parole. Don jeta un œil à Vilta, qui gardait la tête baissée. Sans doute attendait-elle encore plus impatiemment que lui la fin de ce calvaire. 

— L’eau recouvre 93 % de la terre, la population est moindre. Les technologies sont prohibées, la pollution très contrôlée. Avant chaque action de grande envergure, l’Assemblée des Oracles doit siéger pour la valider ou non. C’est d’ailleurs pour ça qu’ils occupent une place si importante parmi…

La professeure agita ses deux mains en l’air, faisant teinter ses nombreuses bagues. 

— Oui, oui, d’accord, mais plus profondément ? 

Zoé ouvrit puis referma la bouche, tétanisée. Elle toisa sa camarade à la recherche d’un soutien. Quand cette dernière leva enfin la tête, Don découvrit ses grands yeux bleus pour la première fois. Les bras croisés, elle tenta : 

— Les gens… euh… ont tous réagi d’une manière très différente. Ce qui a entraîné un… écart très important entre les… populations. 

— Continue, Vilta, l’encouragea madame Mims en faisant les cent pas. 

Le regard de Don se perdait dans la longue jupe bariolée de la professeure. Elle se détachait des costumes bleu marine des étudiants, sobres et ternes.

— Un peuple vit… reclus dans les montagnes, un autre sous la terre. Un se déplace sur les continents au gré de ses envies, tandis que le second a fait de l’eau son… euh… terrain de jeu et contrôle tous les points de passage. Chaque région reste… indépendante et refuse de se soumettre à l’autre. Les humains ne sont plus une seule et même race, mais un ensemble d’idées opposées qui ne se tolèrent pas et ne peuvent cohabiter. Et… c’est dangereux. 

Don se redressa sur sa chaise. Les yeux azur de Vilta brillaient à présent d’une nouvelle flamme. Elle voulait en dire plus, il le sentait. Mais oserait-elle ? Là, ça devient intéressant.

— Pourquoi est-ce dangereux ? demanda la professeure, tandis que Zoé faisait la moue. 

Vilta décroisa ses bras pour triturer la peau de son pouce. Don aimait ce genre de personnage. La plupart du temps, lorsqu’un individu calme et réservé se révélait, tout le monde restait sans voix. Il riait souvent intérieurement en pensant que, si ses camarades le connaissaient vraiment, ils le respecteraient davantage. Mais peu importe. Passer à travers les mailles du filet lui convenait.

— Car… l’Assemblée des Oracles ne peut pas protéger ces gens obtus de leurs propres bêtises. Et ils risquent de provoquer de nouveaux dégâts sur notre terre. 

Son ton monotone n’échappa pas à Don. Les épaules voutées, Vilta baissa une fois de plus la tête. Madame Mims applaudit encore à tout rompre, très fière de son élève. Don, lui, sentit la déception le gagner. Une autre recrue incapable de penser par elle-même. 

Le cœur battant, Don s’encouragea mentalement à prendre la parole en public. Il enfouit ses mains tremblantes dans sa poche, puis se leva. Il félicita le duo pour leur — trop — longue présentation. Il enchaîna en donnant son avis, entièrement positif, bien sûr, mis à part des détails manquants, quelques hésitations. Le blabla habituel. La professeure le remercia vivement de son intérêt et l’invita à revenir les voir quand il le souhaitait. 

Jamais… 

— Avec plaisir, préféra-t-il répondre, la bouche sèche. 

Il regarda une dernière fois Vilta, qui semblait perdue dans ses pensées. Dommage, se dit-il, avant de fermer la porte derrière lui.

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