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1 - Découverte de Narva
2 - Souvenir d'Hanna
3 - Le front
4 - Souvenir de l'enrôlement
5 - La contre attaque russe
6 - Souvenir des amis
7 - Fin du combat
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Découverte de Narva

Narva, février 1943

Le froid mordait mes doigts à travers mes gants de laine effilochés. La fumée des poêles de campagne s’élevait dans l’air glacial et se mêlait à celle des feux qui brûlaient encore dans les ruines de Narva. Depuis l’aube, le bombardement russe avait cessé, laissant derrière lui un silence assourdissant. Les grincements des bottes dans la neige souillée quand on sortait pisser en dehors du bunker représentaient les seuls bruits. Nous tenions une position avancée sur les bords de la rivière Narva, dans ce qu’ils appelaient le « Pont de fer », un étroit corridor défensif que nous devions maintenir à tout prix. À quelques kilomètres à l’est, l’Armée rouge regroupait ses forces, à l’abri derrière les remblais des voies ferrées. La veille, l’Oberfeldwebel avait parlé de mouvements de chars repérés par nos éclaireurs. Des T-34, sûrement. Nous en avions vu il y a peu, avant que nos Tigres leur règlent leur compte. Je resserrai la sangle de mon Mauser, dont le poids réconfortait légèrement mes mains tremblantes. 

— Gardez vos gants secs et votre fusil propre, répétait sans cesse Walter.

Sergent, homme de la Ruhr connu pour s’enfiler des verres de schnaps même sous les obus, il avait survécu à Leningrad et se plaisait à nous rappeler que nous n’étions rien comparés à ce qu’il avait traversé là-bas. 

— Si la guerre était un repas, Narva ne serait qu’une grappe de raisin, disait-il en riant. 

Je buvais ses paroles aveuglément, mon unique source d’information fiable sur le front. 

Nous étions six dans notre section. J’étais le plus jeune. Karl, à mes côtés, noircissait des pages de son carnet en cuir. Il le gardait comme un talisman, une part d’un monde plus paisible. Des poèmes, m’avait-il confié sans jamais en divulguer un seul. Une nuit, je l’avais surpris à murmurer des vers, les yeux rivés sur un feuillet. Peut-être écrivait-il pour quelqu’un qui l’attendait ailleurs. Peut-être écrivait-il simplement pour ne pas oublier. J’enviais son calme, y compris dans les pires moments. J’aimerais tellement qu’il m’en lise un, dans un futur plus prospère. À côté de lui, Helmut, un grand gaillard de Munich, nettoyait son MP-40 avec la même attention qu’un père sur sa tribu.

Hans et Otto, inséparables, s’étaient engagés ensemble et ne se quittaient jamais. Hans, l’aîné de quelques minutes, parlait sans cesse. Otto, plus discret, se contentait d’écouter et de hocher la tête. Depuis notre arrivée au front, rien n’avait changé. Ils semblaient ne faire qu’une seule et même personne, deux âmes jumelles que rien ne pouvait diviser. L’un était un ancien facteur tandis que l’autre était banquier pour la Reichsbank, connu pour ses positions prudentes sur le cours du reichsmark.

De mon côté, je n’avais jamais vraiment expérimenté de métier à part à l’usine Bayerische Motoren Werke où nous fabriquions le nécessaire pour assembler les splendides moteurs de la Luftwaffe. Je suis le fils unique d’une veuve qui a perdu son honorable mari mort sur le front de l’Ouest. Je suis le fils d’un père assassiné par les résistants français à Paris. 

Un grondement lointain déchira le calme. D’abord sourd comme un orage, puis de plus en plus distinct.

— Ce sont des moteurs ! murmura Karl. 

Nous nous raidîmes tous.

Un cri retentit au loin, suivi d’un coup de feu sec. Puis un autre. Deux soldats allemands s’approchèrent à toute vitesse. Ils hurlaient « Ils arrivent ! » pendant leur course. L’un d’eux, un garçon maigre au visage blême, trébucha à l’arrivée.

— Les Russes passent à l’assaut, en position ! brailla-t-il, avant de s’écrouler, une flaque rouge se formant rapidement sous son ventre.

Karl lança un ordre que je ne compris pas immédiatement. Mon corps bougea avant mon esprit : je me mis à charger mon fusil, vérifiai mécaniquement la culasse. Ils n’étaient jamais chargés à l’avance dans les bunkers pour éviter les accidents, mais les lames-chargeurs ne se trouvaient jamais bien loin. Mes mains tremblaient. Autour de moi, le chaos commençait à s’imposer. Des cris d’hommes, le cliquetis des armes qu’on préparait, et ce grondement, toujours plus proche.

Je pris position derrière une barrière de sacs de sable, sur les côtés du bunker. Avec trois autres sections. Nous étions vingt-quatre hommes, en ligne, prêts à défendre notre flanc. Un Tigre veillait sur nous. Une vraie purée de pois ce matin cachait une plaine habillée de carcasses de maisons russes détruites par leurs habitants eux-mêmes.

Le vent soufflant entre les ruines charriait une odeur de cendres et de terre humide. Il transperçait mes vêtements et, pendant un instant, me ramena loin d’ici. Je ne voyais plus Narva, mais un été bavarois, les arbres feuillus, les champs verdoyants, l’air empli du parfum des fleurs sauvages. Un court moment de répit avant que la réalité ne me rattrape.

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