PDV Ray Anderson
Les cheveux encore trempés, je me dirige vers ma chambre. Debout, près de l'un des fauteuils du salon, mon petit ami regarde les informations tout en se préparant pour aller travailler. Me voyant passer près de la porte, il m’interpelle d’un signe de main. Les pupilles rivées sur l'écran de ma montre connecter, je lève la tête et regarde la ou Nathan pointe du doigts. L'écran de la télévision projette un hologramme d’une chaîne d’information.
— Tu y étais, sur place ?
Les images de la place du marché défilent en boucle, montrant d’abord les lieux plein de mondes et animés, puis, déserte et détruite.
Mon petit ami répète sa question. Je me tourne vers lui et réponds :
— Non. Je dirigeais les équipes à distance.
— Comment ça ? Tu n'es pas assez doué pour être sur place ?
— Non, c’est juste que… je tente de lui expliquer.
— Ouais, c’est à cause de ton pouvoir. ça ne m'étonne même pas. A leur place j’aurais fait pareil. L’idée doit venir de Lord Williams.
Pourquoi c’est toujours moi qui en prends pour mon grade ?
A l’entente de son nom, je ne peux réprimer une petite grimace. Moi qui croyais enfin qu'on allait me considérer à ma juste valeur, il fallait que je tombe sur lui.
Lord Williams est connu pour sa droiture et son aversion des sans pouvoirs. Je ne comprends pas pourquoi d'ailleurs.
Nous n’avons rien demander et nous voilà mis en marge de la société, considéré comme des ratés et sous estimé car nous sommes une minorité, différente des autres. Tout cela parce que nous n’avons pas de pouvoirs.
Un temps de silence passe et il continue :
— Et Aleyna, en tant que journaliste, elle devait y être non ?
— Aucune idée, avoué-je. Je crois qu’elle avait une interview.
Afin d'éviter les questions que Nathan pourrait me poser, je file en direction de la chambre. J’entends la porte claquer, ce qui signifie que je suis désormais seul.
Allongé sur le lit, je parle avec Félix par messages. Il s’agit de mon ami et collègue. Il fait partie de l’Unité National d'Intervention, qui est l'unité spéciale des forces de la milice. C’est lui qui m'a poussé à en arriver là, faire partie des meilleurs.
Ce n'est que comme ça que peut réaliser mon rêve.
Protéger les sans pouvoirs, et avant tout, les enfants comme moi.
A cette pensée, le peu de désespoir qui subsiste au plus profond de mon subconscient laisse place à l'espérance.
Puis, je navigue sur internet. je tombe d’abord sur un article, puis deux, trois, dix, qui parlent de l'événement de ce matin.
Moi qui voulais me changer les idées, c’est raté.
Malgré l’heure matinale et ma nuit blanche de travail, je n’arrive pas à dormir. Alors, je me lève. Je me rends dans mon bureau et m'installe face à l'enveloppe que l’on m'a donnée une dizaine d’heures plus tôt.
Je saisis l’enveloppe à l'écriture “Top secret” et je me mets à lire le dossier sur les membres connus de Rentaus, qui ont été identifiés ou arrêtés hier aux environs de midi.
Chaque ligne que je lis me fait me poser plus de question.
Qui sont t-il réellement ?
Quelle est l’ampleur de leurs mouvements ?
Pourquoi s’en prendre à des civils ?
Revendiquent ils seulement une égalité ?
Est-ce bien plus que ça ?
Pourquoi ne l’as t-on pas su avant ?
Et surtout… Gaëtan Lopez n’était-il pas sencé etre mort ?
De nombreuses heures passent et je m’en aperçois seulement quand j’entends la porte de l’appartement s'ouvrir.
La montre a mon poignet indique qu’il est dix-neuf heures. Je sors de la pièce et rejoint Nathan dans le salon. Il est assis sur le canapé. Les yeux rivés sur l’ecrant de sa tablette de travail, il consulte des documents incompréhensibles pour moi, tout en buvant du whisky.
— Alors, comment s'est passée ta journée ? questionné-je.
Nathan lève les yeux pour me regarder. Depuis plusieurs jours, de grandes cernes ont pris place sous ses yeux en raison de son manque de sommeil. A cause de ça, il est souvent de mauvaise humeur.
Un long soupire passe ses lèvres et il boit une gorgée d’alcool.
— Demain, c’est le dernier jour de tournage. Après, je dois travailler sur la réalisation de ma prochaine série m'explique-il.
Je prends place à ses côtés et j'écoute mon petit-ami me raconter sa passion du cinéma.
Pourquoi ce domaine le passionne-t-il tant ?
Il me parle de l’importance de sa prochaine série qui lui a pris des années d'écriture avant de signer un contrat. Il m’explique comment il a fait des recherches sur les catastrophes ainsi que la manière dont il va raconter l’histoire d’Esiris Elton, le premier sans pouvoir à gouverner notre région.
Pourquoi veut-il raconter son histoire ?
— Et toi, qu'as- tu fait aujourd'hui ?
— Rien de spécial. J’ai passé la journée à lire des documents sur les événements d’hier matin.
Comprenant que ça fait presque quarante-huit heures que je n’ai pas fermé l'œil, il se lève brusquement et m’attrappe par le bras. Nathan me traîne de force jusqu'à notre chambre et m’allonge sur le lit. Il me borde comme un enfant et me fait la morale sur l’importance du sommeil. Après de longues minutes, il tire les rideaux et part, me laissant seul dans la pièce plongée dans l’obscurité.
Le visage appuyé contre l’oreiller, j’attends que le sommeil l'accueille. Mais cela n’arrive pas.
Alors, je repense à la prochaine série que Nathan a écrit et va réaliser. Cette série, malgré la signature d'un contrat pour sa diffusion fera scandale, et ce, pour l’unique raison que le personnage principal est un sans pouvoir ayant réellement existé.
C’est mon ancêtre.
Et ça, personne ne le sait…
A quelques exceptions près bien sûr.
Et d’autres interrogations sans réponses me viennent à l’esprit.
Esiris serait-il fièr de moi s’il était encore en vie ?
Aurais-il jouer un rôle dans mon abandon ?
Me recherche-t-on ?
Iris se souvient-elle de moi ?
Les paupières lourdes, je ferme les yeux et sombre enfin dans un sommeil profond.