PDV de Cléa
Quelques jours se sont écoulés depuis ma rencontre avec Dimitri. Aujourd'hui, le moment fatidique est arrivé : je vais enfin recevoir les résultats de mes examens médicaux. IRM, scanner, échographie, radio... la liste est longue. Une vague d'excitation nerveuse, de stress lancinant, d'angoisse sourde et de terreur froide m'envahit. La nuit dernière a été une torture, mon esprit n'a cessé de tourner, prisonnier de l'incertitude.
Je me rend dans la cuisine , Tata Estelle m'attend déjà. Le petit déjeuner est soigneusement disposé sur la table, une tentative évidente de normalité dans ce tumulte intérieur.
J'entre dans la cuisine et le sourire de ma tante tente de percer mon voile d'appréhension.
— Bonjour ma nièce adorée, je ne vais même pas te demander si tu as dormi, tu as des cernes aussi longues que ton avenir, me lance-t-elle avec une douceur forcée.
— Tata, arrête de plaisanter, je ne suis vraiment pas d'humeur, je réponds, la voix à peine audible.
— J'essaie de détendre l'atmosphère, ma chérie. Tu es aussi tendue que moi à mon premier rendez-vous galant, insiste-t-elle, mais je perçois une pointe d'inquiétude dans son regard.
Je ne réponds pas. Les mots me semblent lourds, inutiles. Je m'installe à table mais la nourriture devant moi est une masse indistincte. Le silence s'installe pendant tout le petit déjeuner. Chaque bouchée est une épreuve. Après avoir vaguement picoré, je décale mon fauteuil roulant et retourne dans la chambre que ma tante met toujours à ma disposition quand je viens passer des vacances ici. Ces vacances ont pris une tournure bien amère.
Je m'allonge sur le lit, le regard fixé au plafond. L'attente est une torture. Chaque minute qui s'écoule me rapproche de la vérité, quelle qu'elle soit.
Dimitri émerge lentement du sommeil. Une lumière douce filtre à travers les rideaux de sa chambre d’hôtel, dessinant des lignes dorées sur le sol. Il tend la main vers la table de nuit et saisit son téléphone. L’écran s’allume, mais aucun message de Maria. Un léger froncement traverse son front, vite dissipé.
Il se lève, les muscles encore engourdis, la tête encombrée par cette torpeur du matin qui s’accroche. Une douche rapide le réveille à peine. Il s’habille machinalement, sans y penser, comme s’il accomplissait un rituel vide de sens. Son esprit, lui, est déjà loin.
Il descend au restaurant de l’hôtel. L’ambiance y est impersonnelle, presque clinique. Les conversations des autres clients ne sont que des murmures indistincts, un fond sonore sans relief. Il avale son petit-déjeuner sans vraiment y prêter attention, pressé d’en finir.
Dès qu’il le peut, il quitte l’établissement. Ses pas le portent vers un endroit familier, un refuge discret : la maison de sa grand-mère maternelle. Là-bas, loin des regards, il retrouve ce qu’il garde enfoui depuis toujours. Son secret. Sa vérité. La danse.
Entre ces murs chargés de souvenirs, il peut enfin respirer. Ici, personne pour juger, personne pour imposer un avenir tout tracé. Ses parents n’ont jamais compris. Pour eux, la danse n’est qu’un caprice, une perte de temps, sûrement pas un métier.
Alors il danse en silence, loin du monde. Il danse pour lui. Pour exister autrement.
PDV de Cléa
L'hôpital. L'air y est froid, impersonnel. Ma tante me lance un sourire que je sais forcé, une tentative touchante de me soutenir. Nous marchons ensemble dans le couloir, le bruit de nos pas résonnant sur le sol linoléum. La salle d'attente est pleine de visages anxieux. Je m'assois sur une chaise inconfortable, les mains moites. Chaque toux, chaque appel de nom par l'interphone me fait sursauter. Le temps s'étire, chaque seconde une éternité.
Environ une heure et demie plus tard, une infirmière vient enfin nous chercher. Son sourire est neutre, professionnel. Nous la suivons dans un autre couloir, puis elle nous introduit dans un bureau. L'odeur désinfectante y est forte. Nous nous asseyons face à un bureau encombré de dossiers. L'attente reprend, cette fois ponctuée par le tic-tac de l'horloge murale. Chaque seconde amplifie mon angoisse.
Finalement, la porte s'ouvre et un homme en blouse blanche entre. Le chirurgien. Son regard est sérieux, mais empreint d'une certaine douceur.
— Bonjour, Madame Lia, Mademoiselle Martin, dit-il en nous adressant un léger sourire.
— Bonjour, docteur..., murmurons-nous en écho.
— Alors, voyons les résultats..., commence-t-il en saisissant un dossier sur son bureau. Il l'ouvre et le parcourt attentivement, son visage impassible rendant la lecture de ses pensées impossible. Mon cœur bat la chamade.
Il lève les yeux vers nous.
— Il faut savoir que c'est un miracle que nous n'ayons pas eu à procéder à une amputation. Cela dit, vos jambes sont paralysées. Par chance, votre moelle épinière est presque intacte, mais malheureusement, le traumatisme affecte la fonction motrice de vos membres inférieurs. Vous ne pourrez donc plus remarcher comme nous, Mademoiselle Martin...
Les mots résonnent dans la pièce, lourds de conséquences. La réalité s'abat sur moi avec une brutalité inattendue.
— Vous êtes en train de dire que ma nièce ne pourra plus reprendre la danse ?, demande ma tante, sa voix teintée d'une incrédulité douloureuse.
— Effectivement..., confirme le médecin, son regard plein de compassion.
Je l'écoute. Ses paroles sont claires, précises, définitives. Mais je me sens détachée, comme si cette conversation concernait quelqu'un d'autre. Un vide immense s'installe en moi. Le médecin continue de parler, d'expliquer les détails de mon handicap, les possibilités de rééducation. Mais ses mots se perdent dans un brouillard de confusion. Mes pensées s'échappent, dérivent loin de cette pièce, de cet homme, de cette vérité brutale. Tout devient flou, les contours s'estompent, le monde se teinte d'une nuance sombre et désespérée.
À l'extérieur, je sais que je devrais être dévastée. Mais à l'intérieur, c'est le chaos. Un ouragan de sentiments contradictoires me secoue. La douleur, la colère, la tristesse, la résignation... tout se mélange dans un tourbillon suffocant. Je n'aurai plus jamais la possibilité de danser... Ma vie est foutue. Ces mots résonnent en boucle dans ma tête.
Le médecin nous remercie et nous souhaite bon courage. Ses paroles sonnent creuses, dépourvues de sens. Nous nous levons et quittons le bureau, le silence pesant entre ma tante et moi. Le trajet de retour se fait dans un silence lourd, oppressant. Chaque paysage qui défile derrière la vitre de la voiture semble me narguer, me rappeler tout ce que j'ai perdu.
Une fois arrivées chez ma tante, je me précipite dans ma chambre et claque la porte. Le besoin de solitude est impérieux. Je me laisse tomber sur le lit, le corps lourd, inerte. Et les larmes coulent. Silencieuses d'abord, puis de plus en plus fortes, incontrôlables. Un torrent de désespoir s'échappe de moi.
Derrière la porte, je perçois l'ombre de ma tante. Je sais qu'elle est là, désemparée, ne sachant plus comment m'aider. Son silence est presque plus douloureux que des paroles. Finalement, j'entends le faible son de sa voix au téléphone. Elle appelle Maman, comme elle me l'avait promis. Je me recroqueville davantage sous la couette, souhaitant plus que tout disparaître.
— Allô, petite sœur, dit-elle d'une voix fatiguée, brisée.
— Bonjour Estelle, je devine que ça ne va pas, vu ta voix..., répond Maman, son inquiétude palpable même à travers le téléphone.
— Cléa est au plus bas depuis qu'on est rentrées de l'hôpital. Le médecin a dit que... La voix d'Estelle se brise, et je l'entends renifler. Elle explique ensuite en détail le verdict implacable.
— Le mieux, c'est de la laisser tranquille pour qu'elle puisse digérer la nouvelle, conseille Mélanie. Sa voix est douce, compréhensive.
— C'est certain, mais je ne vais pas supporter bien longtemps de la voir dans cet état, murmure Estelle, sa détresse transperçant la porte.
Pendant ce temps, Dimitri pousse la porte de la maison de sa grand-mère. Un silence accueillant l’enveloppe aussitôt, teinté de cette sérénité familière qu’il aime tant. L’atmosphère est douce, presque intemporelle. Sans s’attarder, il traverse le couloir et rejoint une pièce reculée, celle qu’il considère comme son sanctuaire. Là, l’attend son vieux poste de musique, accompagné de sa collection de CD aux boîtiers usés par les années.
Il tend la main, attrape un disque au hasard, l’insère dans le lecteur. Les premières notes résonnent, familières, rassurantes. Dès les premières mesures, son corps réagit. Il bouge, porté par l’instinct, sans calcul. Quelques pas libres, une rotation légère. La solitude devient liberté. Il respire enfin.
Danser seul lui offre une échappée, une bulle de joie discrète. Mais derrière chaque pas, un autre désir vibre. Un rêve enfoui. Partager cette passion. Danser en duo, sur les rythmes enivrants d’une valse ou d’un quickstep. Il imagine les portés, les figures complexes, la synchronisation parfaite avec une partenaire. Il rêve de scènes baignées de lumière, de compétitions effervescentes, du trac et de l’euphorie du public. D’une connexion silencieuse entre deux corps, unis par le mouvement.
Perdu dans la musique, il oublie tout le reste. Le monde extérieur n’existe plus. Même les vibrations de son téléphone, posées sur une étagère, lui échappent. Ce n’est qu’entre deux pirouettes qu’il l’aperçoit enfin. L’écran clignote. Plusieurs appels manqués. Celui de sa sœur.
Il s’immobilise aussitôt. Et, sans attendre, compose son numéro..
PDV de Dimitri
— Frangine, ça va ?, je demande, une pointe d'inquiétude dans la voix.
— Salut petit frère, répond Maria, son ton enjoué comme toujours.
— Ça va. Raconte-moi, ton message m'a intrigué !, je lance, curieux.
— Alors, je me promenais tranquillement en ville et je suis tombée sur une scène... comment dire... pas très agréable. Une jeune fille en fauteuil roulant était coincée dans un nid-de-poule. La roue avant était complètement bloquée et, incroyable mais vrai, tout le monde se moquait d'elle, sans même essayer de l'aider. Ça m'a révoltée, alors je suis allée l'aider, explique Maria, son indignation encore palpable.
— Ah, je t'écoute, je veux savoir la suite !, je m'exclame, captivé.
— Je l'ai aidée à débloquer sa roue, et pour me remercier, elle m'a invitée à boire un café. On a discuté un moment, on a échangé nos numéros. J'étais curieuse de son handicap, alors je lui ai posé quelques questions. Elle m'a raconté que c'était suite à un accident de voiture, alors qu'elle se rendait à un concours de danse, pour entrer dans la meilleure école du pays, poursuit Maria, sa voix se faisant plus douce.
Un frisson me parcourt. Un concours de danse... un accident... ça ne peut pas être...
— Et après, qu'est-ce qui s'est passé ?!, je demande, retenant mon souffle.
— Tu es bien curieuse, grande sœur, mais c'est pour ça que je t'aime, plaisante Maria.
— Bien sûr, je suis comme ça ! Allez, raconte !, j'insiste.
— Donc, elle m'a raconté son histoire rapidement. Elle s'appelle Cléa. Et on a prévu de se revoir avant mon départ, conclut Maria.
Cléa. Le nom résonne en moi. L'hôpital... la jeune fille dans le coma...
— Donc, si je comprends bien, tu as retrouvé la fille qui était dans le coma à l'hôpital où papa était, après son arrêt cardiaque ? C'est bien ça ?, je demande, le cœur battant plus vite.
— Oui, c'est ça. Tu t'en souviens ?, répond Maria, surprise.
— Comment pourrais-je oublier ?, murmuré-je.
Nous continuons à discuter un moment, échangeant quelques banalités. Puis je dis à Maria que je dois la laisser, l'envie de reprendre ma danse me démange. Je raccroche et retourne au centre de la pièce. La musique me rappelle à l'ordre. Je me laisse de nouveau emporter par les mouvements, mais mon esprit reste avec Cléa. Cette coïncidence est étrange, presque irréelle. Je suis convaincu que je vais la revoir bientôt. Et j'espère avoir le courage de lui dire que je l'avais déjà vue, dans des circonstances si différentes, à cause d'un événement familial si douloureux.
PDV de Cléa
De mon côté, les jours s'enchaînent, identiques et sombres. Je reste enfermée dans ma chambre, coupée du monde. Je ne parle plus à ma tante, je ne mange presque rien. Je me suis refermée comme une huître, laissant le désespoir m'engloutir. La seule chose à laquelle j'aspire, c'est que les médecins se soient trompés. Que ce diagnostic ne soit qu'un mauvais rêve.
Un soir, Tata Estelle frappe doucement à ma porte et entre sans attendre ma réponse. Son visage est marqué par l'inquiétude.
— Ma nièce chérie, tu devrais manger un peu. Ce n'est pas parce que les médecins disent que tu ne remarcheras pas que tu dois te morfondre dans ton coin, dit-elle d'une voix douce, pleine de sollicitude.
— Tata Estelle, mon rêve de devenir danseuse est fini..., je murmure, les yeux fixés sur un point invisible du mur.
— Je sais bien, mon cœur, mais souviens-toi que tout est possible, avec des adaptations bien entendu. Ne perds pas espoir, ma chérie, insiste-t-elle, s'asseyant au bord de mon lit.
— Je viens de te dire que mes rêves sont anéantis à cause de ce fameux accident ! Tu ne peux pas comprendre dans l'état où je suis ! Tu ne comprends pas à quel point je suis anéantie par cette nouvelle qui a réduit mes possibilités de devenir danseuse pour toujours ! Maintenant, je te demande de me laisser seule. Je ne veux plus voir personne. Laisse-moi rester seule jusqu'à la fin de ma vie, je ne veux pas être un fardeau pour toi et pour mes parents. Je ne suis qu'une empotée, je lâche, les mots chargés d'amertume et de désespoir.
Dans ma tête, tout est terminé. La danse, les cours, les compétitions, les rêves de scène... tout s'écroule. Je ne ferai plus rien. Plus aucune activité extrascolaire. Je ne veux plus les voir. Je ne veux pas que mes amis aient pitié de moi.
Soudain, une vibration sur la table de nuit me tire de mes pensées sombres et moroses. Un message. De Dimitri. Il prend de mes nouvelles et me propose de sortir boire un thé ou un café, pour reprendre nos discussions. Je n'ai aucune envie de lui répondre. L'idée de sortir, de faire face au monde, me semble insurmontable. Alors je laisse son message sans réponse.
Une semaine et demie plus tard. Une éternité. Lentement, péniblement, je finis par sortir de ma chambre. Mes jambes sont lourdes, comme si elles ne m'appartenaient plus vraiment. Je me dirige directement vers la cuisine, le seul endroit de la maison où je me sens encore un peu en sécurité. Tata Estelle est là, en train de préparer le repas de midi. L'odeur familière de ses plats me rappelle des jours plus heureux.
— Tata..., je dis, la voix faible, presque inaudible.
Elle se retourne et son visage s'illumine légèrement en me voyant.
— Oui, ma princesse ?, répond-elle avec une douceur infinie.
— Je veux m'excuser pour mon comportement des derniers jours. Je sais que j'ai été horrible, je murmure, le regard baissé.
— Ne t'inquiète pas pour ça, mon cœur. Je sais bien que c'est très difficile à assimiler pour toi. Tu avais besoin de temps. Il n'y a pas de mal à ça, dit-elle en s'approchant et en me prenant la main.
— Merci, Tata. Tu es la meilleure. Je ne t'ai pas adressé la parole depuis le rendez-vous, ni même un regard. Tu dois tout oublier, je continue, les larmes me montant aux yeux.
— Je viens de te dire que ce n'est pas grave. Tu ne savais pas comment réagir, c'est tout. L'important, c'est que tu sois là maintenant, ajoute-t-elle en me serrant la main plus fort.
Je regarde ma tante et lui tends les bras. J'ai besoin de son étreinte, de sa chaleur réconfortante. Elle me prend dans ses bras et je me blottis contre elle, enfin prête à laisser couler les larmes que j'ai retenues si longtemps. Je me sens en sécurité dans ses bras, avec l'odeur familière de sa lavande.
Heureusement, Estelle a éteint la plaque électrique avant de venir me prendre dans ses bras. Elle me chuchote des mots doux, me disant que je ne suis pas seule, qu'elle sera toujours là pour moi. Puis elle se décale légèrement et essuie mes joues avec ses mains douces.
— Tu te sens mieux ?, demande-t-elle avec un petit sourire encourageant.
— Pas vraiment... mais c'est déjà mieux, je réponds, un léger sourire se dessinant sur mes lèvres.
— Je vais finir de préparer à manger, propose-t-elle en se tournant vers les fourneaux.
— D'accord, dis-je en m'asseyant à la table. Le silence n'est plus aussi pesant qu'avant.
— Au fait, tu devrais sortir un peu, ça t'aidera peut-être à te changer les idées, suggère Estelle en remuant la sauce dans la casserole.
— Possible. Ça me fait penser que je n'ai toujours pas répondu au message de Dimitri..., je réalise à voix haute.
— Alors, propose-lui de se voir, ça te fera le plus grand bien. Vous vous entendez bien, non ?, insiste ma tante avec un clin d'œil.
— Hmm, d'accord, je vais faire ça, je cède finalement.
Je me dirige lentement vers ma chambre pour prendre mon téléphone. L'écran s'allume et affiche le message de Dimitri. Je le relis, hésitante. Que dois-je lui dire ? Je retourne dans la cuisine.
— Tata, tu peux m'aider à répondre à Dimitri ? Je ne sais pas quoi lui dire, je demande, un peu gênée.
Estelle sourit et prend mon téléphone. Elle tape quelques mots rapidement et me montre le message.
— Ça te va ?, me demande-t-elle.
Je lis le message et un petit sourire apparaît sur mes lèvres. C'est simple, direct, et ça me ressemble. J'hoche la tête en signe d'approbation. Estelle envoie le message.
De son côté, Dimitri quitte le restaurant de l’hôtel, le ventre plein et l’esprit un peu plus léger. Alors qu’il descend les marches, son téléphone vibre dans sa poche. Son cœur se serre brièvement. Il espère, sans vraiment oser y croire. Cléa.
Lorsqu’il voit son nom s’afficher à l’écran, un sourire spontané éclaire son visage. Il décroche sans attendre, l’impatience dans la voix. Quelques mots échangés, une hésitation, puis il finit par la rappeler, incapable de résister à l’envie d’entendre à nouveau sa voix.
PDV de Dimitri
— Cléa, salut ! Comment ça va ?, je demande, impatient d'entendre sa voix.
— Salut Dimitri, ça va un peu mieux, merci. Tu vas bien ?, répond-elle, sa voix est douce, un peu hésitante.
— Très bien ! J'étais justement en train de penser à toi. Tu fais quoi de beau ?, je lance, essayant de garder un ton léger.
— Rien de spécial. Je suis chez ma tante. Elle m'a convaincue de te répondre..., avoue-t-elle timidement.
— Je suis content que tu l'aies écoutée ! Ça te dirait de se voir cet après-midi ? On pourrait aller boire un thé ou un café, comme la dernière fois ?, je propose, le cœur battant un peu plus vite.
Un court silence Plane. Puis elle répond :
— Oui, ça me ferait plaisir.
Un soulagement m'envahit.
— Super ! Je peux venir te chercher chez ta tante vers 14 heures ?
— Oui, d'accord. Et ce serait peut-être plus pratique si mon fauteuil se bloque encore..., ajoute-t-elle avec une pointe d'humour.
Je ris doucement.
— Pas de problème, je serai ton dépanneur personnel ! Tu peux m'envoyer l'adresse ?
Elle me l'envoie aussitôt. Je prends ma veste, un peu de monnaie, et quitte l'hôtel. Je ne connais pas très bien la ville, alors je préfère partir en avance pour éviter de me perdre.
Je pars une heure avant l'heure convenue. Pourtant, malgré mon avance, je me perds dans un dédale de petites rues. Je finis par devoir demander mon chemin à un vieux monsieur qui promène son chien. Ses indications sont un peu confuses, mais je finis par retrouver la bonne direction. J'arrive finalement chez Estelle cinq minutes avant l'heure prévue. Je préfère attendre un peu sur le trottoir, histoire de reprendre mon souffle et de calmer mes légers nerfs.
PDV de Cléa
Je suis soulagée d'avoir accepté de revoir Dimitri. Le conseil de ma tante me semble juste. L'idée de sortir, de changer d'air, me plaît plus que je ne l'aurais cru il y a quelques jours. Quand Dimitri me dit qu'il vient me chercher, je me sens étrangement soulagée.
Après avoir déjeuné tranquillement avec Estelle, je vais dans ma chambre choisir une veste légère. Je me dirige ensuite vers le salon et m'installe sur le canapé. Nous parlons de tout et de rien avec ma tante, comme avant. Ces moments de normalité me font du bien et semblent aussi rassurer Estelle.
À 14 heures précises, nous entendons frapper à la porte. Estelle se précipite pour ouvrir, tandis que je me prépare à faire le transfert du canapé à mon fauteuil. C'est toujours une petite gymnastique, mais je suis de plus en plus autonome.
PDV de Dimitri
Je me retrouve devant la porte d'Estelle, une légère nervosité meCrispe l'estomac. Je prends une profonde inspiration avant de frapper.
— Bonjour, Madame, je viens chercher Cléa, annonçais-je avec un sourire timide.
— Bonjour, jeune homme, entrez ! Cléa se met dans son fauteuil et arrive, répond Estelle avec un sourire bienveillant.
J'acquiesce d'un signe de tête et entre doucement dans le salon. Cléa est déjà là, assise dans son fauteuil. Lorsqu'elle me voit, ses yeux s'illuminent légèrement. Je m'approche et l'embrasse brièvement sur la joue.
— Bonjour Dimitri, comment vas-tu ?, demande-t-elle, un léger sourire aux lèvres.
— Bonjour Cléa, je vais bien, merci. On va où ? On retourne à l'endroit où on s'est vus la première fois, ou tu préfères aller ailleurs ?, je demande, curieux de la direction que prendra notre après-midi.
Cléa réfléchit un instant avant de répondre.
— On pourrait se promener un peu et discuter, et après on pourrait prendre un café, si je me souviens bien, tu avais pris un café la dernière fois.
— Tu as une bonne mémoire, remarquais-je, sincèrement impressionné.
— On peut dire ça. Je retiens beaucoup de choses. Mes enseignants disent que j'ai une mémoire auditive et photographique, même si je n'écoute pas toujours attentivement en cours, ajoute-t-elle avec un petit sourire malicieux.
— Ah, d'accord. On y va ?, je propose, impatient de passer du temps avec elle.
— Je te suis, répond-elle en actionnant les roues de son fauteuil.
Nous commençons à nous promener dans la ville, au rythme tranquille d’un après-midi sans urgence. Je la suis sans hésiter, heureux de me laisser guider par ses envies. Elle flâne de vitrine en vitrine, s’arrête parfois, entre dans quelques magasins. Quand nous entrons dans une librairie, elle se dirige naturellement vers un rayon de romans. Je l’observe en silence, fasciné par la concentration paisible qui se lit sur son visage.
Nous continuons notre balade, puis passons devant un centre commercial. Soudain, Cléa s’arrête net.
— Attends une minute, Dimitri, dit-elle en se tournant vers une boutique de cadeaux. J’aimerais acheter quelque chose pour ma tante. C’est une manière de m’excuser de l’avoir ignorée.
Je la regarde, un peu déconcerté. Ignorée ? Je ne comprends pas. Je m’interroge, curieux, mais je me retiens de poser la moindre question. Ce serait déplacé. Trop intrusif. Alors je me contente d’hocher la tête.
On entre ensemble dans le magasin. Cléa se dirige aussitôt vers le rayon des parfums. Elle observe les flacons avec soin, en saisit un en forme de pierre précieuse. Elle le tourne doucement entre ses doigts, comme si elle voulait s’assurer qu’il soit parfait. Je la regarde faire, silencieux, respectueux de ce moment qu’elle ne partage pas entièrement — pas encore.
- C'est le parfums préféré de ma tante
Après avoir acheté le cadeau, nous continuons notre promenade.
— En fait, Cléa, pourquoi tu voulais acheter un cadeau à ta tante ?, je demande, curieux de comprendre sa démarche.
Cléa me regarde un moment avant de répondre, son regard devenant soudainement un peu mélancolique.
— Eh bien, il y a un peu plus d'une semaine, j'ai eu mon rendez-vous avec les médecins et le chirurgien qui m'a opérée. Ils ont dit qu'il serait quasiment impossible que je puisse remarcher un jour. Ça m'a plongée dans un immense chagrin. C'est pour ça que je ne t'ai pas répondu plus tôt. J'étais... anéantie.
J'hoche la tête, comprenant enfin la raison de son silence. La légèreté de notre promenade s'estompe un peu, laissant place à une empathie profonde.
— Je comprends mieux maintenant. Je m'inquiétais, je ne savais pas ce qui t'arrivait. Maria m'avait juste dit que tu avais eu un accident, mais elle n'avait pas précisé la gravité.
Cléa baisse légèrement la tête, visiblement affectée par le souvenir.
— Je me suis complètement refermée. Ma tante a bien essayé de me faire sortir de ma chambre, mais ça a engendré des disputes énormes. Je lui disais qu'elle ne pouvait pas comprendre que ma passion était réduite à néant. Que je ne pourrais jamais devenir danseuse, et que j'étais un fardeau pour ma famille. Je lui ai dit beaucoup d'autres choses assez méchantes... Je voulais juste qu'elle me laisse tranquille.
Je me sens mal pour elle. Je ne peux qu'imaginer sa douleur, la perte immense que représente cet arrêt brutal de sa passion. Je reste calme, cherchant les mots justes.
— Ah, tu étais vraiment dans un mauvais état. Si jamais tu as besoin de parler et que tu ne veux pas en parler à ta famille, je serai toujours là. Tu peux m'appeler quand tu veux.
— Merci Dimitri, tu es vraiment gentil, murmure-t-elle, un léger sourire reconnaissant éclairant son visage.
C'est un soulagement pour elle d'entendre ces mots. Je ne cherche pas à en dire plus, je préfère ne pas insister sur sa douleur.
Cléa semble réfléchir un moment avant de reprendre la parole.
— Je viens de repenser à ce que tu voulais me dire la dernière fois qu'on s'est vus. Ma tante m'a envoyé un message et m'a appelée parce que je ne répondais pas à ses messages. Qu'est-ce que tu voulais me dire ?
Je fronce légèrement les sourcils. C'est vrai, j'avais quelque chose à lui dire. Mais maintenant, le contexte est tellement différent...
— Ce n'est pas grave. En fait... je n'ai pas forcément une très bonne relation avec mes parents... C'est assez compliqué. Ma mère est actrice, et mon père est un grand PDG dans le commerce. Ils sont souvent absents, pris par leur travail.
— Et j'imagine que tu ne les vois pas beaucoup ?, demande Cléa avec une pointe de compréhension dans la voix.
— Effectivement. Mais j'ai ma sœur aînée, Maria, à qui je dis tout. On est extrêmement proches. Elle est un peu mon pilier.
— Je peux te poser une question ?, demande Cléa après un moment de réflexion.
— Bien sûr, Cléa.
— Est-ce que c'est pour ça que tu m'as vouvoyé la première fois qu'on s'est rencontrés ?, s'enquiert-elle, une lueur de curiosité dans les yeux.
Je souris timidement, un peu gêné d'avouer ma maladresse sociale.
— Hum, bien sûr. Je... je ne savais pas trop comment me comporter avec des gens de mon âge. Tu es ma première amie... et la première personne que je côtoie qui ne connaît pas vraiment ma famille, ni mon milieu.
Cléa hoche la tête, comprenant enfin.
— Je comprends. Si tu veux, je peux t'aider au niveau relationnel et sociabilité, vu que tu m'as déjà aidée. Je pourrais te rendre ton geste. C'est ça, être ami, être là dans les bons comme dans les mauvais moments.
Je semble perdu dans mes pensées. L'image de Cléa à l'hôpital me revient en mémoire. Je me demande comment aborder le sujet sans la bouleverser davantage. Je sais que je dois lui en parler un jour, mais le moment me semble toujours mal choisi.
PDV de Cléa
Je le vois perdu dans ses pensées. Son regard est vague, comme s'il était ailleurs. Je fronce les sourcils, hésitant à croire ce qu'il me dit sur ses difficultés relationnelles. Quelque chose me chipote, une intuition vague.
— Peut-être que je te crois, mais... pendant mon coma, il y avait une présence, je dis doucement, observant sa réaction. Les médecins m'ont dit que j'entendais tout, que je ressentais tout. Et je me souviens... d'avoir entendu quelqu'un entrer dans ma chambre. Une présence... masculine.
Dimitri sursaute légèrement, son regard croise le mien avec une intensité nouvelle.
Pendant ce temps, Estelle se prépare à aller chercher Anaëlle à la gare. Elle a organisé cette surprise en accord avec les parents de la jeune fille, complice attentive et discrète. Elle espère de tout cœur que la venue d’Anaëlle parviendra à redonner le sourire à sa nièce, à apaiser, ne serait-ce qu’un peu, ce qu’elle ressent.
Lorsque le train arrive, Estelle reconnaît immédiatement Anaëlle sur le quai. La jeune fille descend avec son sac à l’épaule, le visage illuminé par un sourire sincère.
— Merci de m’avoir appelée, dit Anaëlle en s’approchant. Je ne pouvais pas rester loin d’elle plus longtemps.
— C’est moi qui te remercie d’être venue, répond Estelle en l’enlaçant brièvement. Elle a vraiment besoin de toi.
Cléa, de son côté, ignore tout de ce que sa tante a préparé dans l’ombre.
Lorsqu’Estelle rentre enfin, un mélange d’impatience et d’émotion dans le regard, elle se précipite vers Cléa, prête à lui révéler ce qu’elle a orchestré.
— Ma puce, si on faisait venir un ou une de tes amis, ça pourrait t'aider, tu crois ?, propose-t-elle avec un sourire forcé, essayant de paraître naturelle.
J'hoche la tête, bien que mes doutes persistent. Je ne suis pas sûre que la présence d'un de mes amis puisse vraiment changer quoi que ce soit à mon état actuel.
Quelques instants plus tard, la sonnette retentit. Estelle se précipite pour ouvrir la porte. Et là, dans l'encadrement, apparaît Anaëlle. Mon cœur rate un battement. Une surprise immense m'envahit, une vague d'émotion si forte que ma gorge se serre. J'avais tellement besoin de voir un visage familier, quelqu'un avec qui je peux être moi-même, quelqu'un qui ne me jugera pas. Les larmes me montent aux yeux, un mélange de surprise, de joie et de gratitude.
PDV de Dimitri
Je dis au revoir à Cléa devant la porte de chez sa tante, la laissant entrer seule dans la maison. Je me sens bizarre, un peu perdu dans mes pensées. La journée avec elle m'a fait réfléchir. Sa force malgré sa situation, sa gentillesse malgré sa douleur... ça m'impressionne. Je me demande sincèrement comment elle se sent réellement, au fond d'elle.
Après avoir déposé Cléa chez sa tante, je m’éloigne à pied, le silence de la rue m’accompagnant. Je marche lentement, perdu dans mes pensées, me demandant ce qui va se passer entre nous désormais. Est-ce que ces moments partagés aujourd’hui, ces confidences échangées, auront une véritable signification ? Est-ce que cette amitié naissante pourra durer ?
Chaque pas me ramène à elle : son sourire timide, ce regard parfois mélancolique, cette force fragile qui semble l’habiter. Impossible de l’oublier.