On sort du café dans un éclat de rire, les verres encore à moitié pleins.
Minjae saute littéralement sur mes épaules.
— Noonaaaa, tu m'as pas donné assez d'attention aujourd'hui, j'meurs là.
— T'as eu ton cookie, ton compliment, ton drama. Qu'est-ce que tu veux de plus ?
Il me colle comme un chewing-gum affectif.
— Ton âme. Tes câlins. Ta reconnaissance éternelle.
Haeun rit en secouant la tête.
— T'as 12 personnalités, Minjae. T'es une série Netflix à toi tout seul.
Il bombe le torse.
— J'ai la beauté, la douleur, et le sens du spectacle. C'est dur d'être moi.
On marche dans les rues animées de Seomyeon, vitres pleines de reflets, enseignes colorées, jeunes partout.
On entre dans quelques magasins, on essaie des lunettes ridicules, Haeun nous force à enfiler des chapeaux en forme d'animaux.
Minjae met une casquette de chat rose.
— T'as vu, Suhwa ? On est assortis. J'suis ton animal de compagnie officiel maintenant.
— Tu l'étais déjà.
Il fait semblant de s'évanouir.
— J'vais pleurer.
On ressort tous les trois en riant, et là, je la vois.
La cabine photo.
Vieille, un peu rouillée, mais encore là, comme chaque week-end.
— ON Y VA, je crie.
Haeun me regarde comme si j'avais hurlé au feu.
— Tu vas m'obliger, c'est ça ?
— Exactement.
On rentre tous les trois dans la cabine, les genoux dans les côtes, les cheveux dans les yeux, et Minjae qui nous étouffe avec sa veste trop large.
— Si j'ai l'air moche sur une seule, je vous poursuis, dit-il en fixant l'objectif.
— Sois moche, assume.
— Chuuut ! Ça flash !
Les photos s'enchaînent.
Pose débile.
Pose trop sérieuse.
Tirage de langue.
Baiser sur la joue de Haeun.
Et moi... qui enlace Minjae.
Juste un petit câlin. Une seconde.
Mais lui, il gèle.
Puis rit. Fort.
— T'as vu, j'ai des preuves maintenant ! Tu peux plus nier ! NOONA M'A TOUCHÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.
Il sort son téléphone, claque un selfie de nous deux, mon bras encore autour de lui.
— J'vais l'encadrer. J'vais le tatouer. Ce moment vit à jamais.
Je lui donne une tape sur l'épaule.
— Tu me fatigues.
— Je sais. C'est mon charme.
On récupère les bandes photo, on les partage, et on traîne encore un peu.
Mais bientôt, le soleil descend.
L'air change. Plus frais, plus salé.
— Direction Gwangalli ? propose Haeun.
— Toujours, je dis.
On retourne devant le café.
Haeun remet son casque, je monte derrière elle.
Minjae enfile le sien, noir mat, et grimpe sur sa moto comme un pro.
Il nous regarde.
— Suivez-moi, vieilles dames. Je vous ouvre la route.
Et on file tous vers la mer.
On arrive à Gwangalli, les cheveux un peu en vrac, les joues rosées par le vent.
Le pont Gwangan se découpe à l'horizon, et la mer scintille sous les premières couleurs du coucher du soleil.
On gare nos engins dans un coin, sans même réfléchir.
Minjae retire son casque et secoue ses cheveux comme dans une pub.
— J'suis littéralement l'homme de ta vie, Suhwa. Regarde-moi.
— Arrête de parler. Et marche.
Je saute du scooter, Haeun descend aussi, et on se regarde avec un regard complice.
Sans un mot, on commence à retirer nos chaussures.
Et on court.
On descend sur la plage en riant comme des gosses, le sable froid entre les orteils, les éclats de voix emportés par le vent.
Minjae me pousse doucement.
Je riposte.
Haeun nous tape tous les deux.
On se bouscule dans le sable, on tombe presque, on crie, on rit, on s'en fout des regards.
On vit.
Puis, comme toujours, l'énergie redescend doucement.
Et on s'assoit.
Tous les trois.
Face à la mer.
Le sable encore tiède sous nos jambes.
Le ciel qui passe du rose à l'orange.
Le bruit des vagues.
Le silence qui ne gêne personne.
Je lève les yeux.
Le soleil descend lentement, comme s'il n'avait pas envie de partir non plus.
— J'pourrais rester ici pour toujours, je murmure.
Minjae hoche la tête.
— Pareil. Surtout si t'es là.
Je le regarde du coin de l'œil.
Il sourit, mais sans forcer.
Pas pour me draguer.
Juste... parce qu'il est bien.
Et moi aussi.
On reste là un moment, sans parler.
Juste à regarder la mer avaler le soleil.
J'ai la tête posée sur mes genoux, Haeun étire ses jambes dans le sable, Minjae fait des dessins stupides avec son doigt.
Et puis, le téléphone de Haeun vibre.
Elle soupire avant même de regarder l'écran.
— Ugh... Appa.
Elle décroche, le ton déjà blasé.
— Ouais ?
...
— Mais je viens juste d'arriver !
...
— Ok ok... j'te dis que je rentre.
...
— Je t'aime aussi, t'es relou.
Elle raccroche en soufflant fort.
— Je dois rentrer. Apparemment, c'est mon tour de faire la vaisselle, de nourrir le chat, et de pas mourir. Génial.
Je ris doucement.
— C'est le prix à payer pour être une adulte responsable.
— Ouais ouais.
Minjae s'étire et sautille sur place d'un coup, comme un golden retriever en alerte.
— Oh noona, ça veut dire que je peux te ramener, toi ? En moto ? Juste toi et moi ?
Il me regarde avec des yeux brillants, déjà trop excité.
Haeun éclate de rire.
— Il attendait ce moment depuis qu'on a quitté le café.
Je roule des yeux, mais je souris.
— T'as ton casque en plus ?
— Toujours. Je suis un homme prévoyant. Et désespéré.
— Ça, j'avais capté.
On se lève tous les trois, on secoue le sable de nos vêtements, et on remonte la plage vers le parking.
Haeun me fait un clin d'œil.
— Envoie-moi un message quand t'arrives. Et si ce gosse conduit mal, frappe-le avec ton sac.
— Compte sur moi.
Elle grimpe sur son scooter et démarre en trombe, casque sur la tête, poing levé comme une héroïne en fuite.
Je me retourne vers Minjae.
Il est là, déjà prêt, déjà tout sourire, casque tendu vers moi.
— Allez. Je t'emmène.
Je ris.
Et je monte derrière lui.
Il me tend le casque avec un sourire en coin.
— Tiens. Et tiens-toi bien à moi, hein. Je roule vite.
— Rêve. Pas question de toucher ta sale veste de drama boy.
Il éclate de rire.
— Ok, ok. Fais comme tu veux.
Je mets le casque.
Il démarre.
Tranquille.
Puis...
Il accélère d'un coup.
— MINJAE !
Je glisse presque, mes mains cherchent un point d'ancrage et s'agrippent instinctivement à son torse.
Solide.
Chaud.
Putain.
Pourquoi il est aussi bien foutu, lui ?!
Je sens mes joues chauffer sous le casque.
J'ose pas bouger, j'ose pas penser.
C'est Minjae.
Le chiot.
Le relou.
Et pourtant... j'me sens bizarre.
Il ralentit un peu, mais garde le rythme.
Le vent fouette mes cheveux qui dépassent, les lumières de Busan défilent, et mon cœur bat plus vite que prévu.
Quand on approche de mon quartier, je me penche vers lui et je crie :
— ARRÊTE-TOI ICI ! Mon père va faire une crise cardiaque s'il me voit descendre d'une moto !
Il freine en douceur et se gare dans une petite rue avant la maison.
Je saute presque de la moto, casque encore sur la tête.
Il se retourne vers moi, le sourire du démon collé aux lèvres.
— Ooooh Noona... Tu t'es accrochée à moi. J'ai senti tes mains. T'es une perverse, en vrai !
Je lui colle une tape derrière la tête.
— Ferme-la, débile.
Il se marre comme un gosse.
J'enlève mon casque, lui rends, et soupire.
— Allez, viens. Tu viens à la maison. Ma mère t'adore, et j'ai pas envie de manger toute seule.
Il range sa moto, encore hilare.
— Tu m'invites chez toi après avoir tripoté mon torse ? Tombée amoureuse en 10 secondes. Je suis trop puissant.
Je le regarde sans bouger.
— Une seule phrase de plus comme ça, je t'étrangle avec un fil à kimchi.
— Noté.
Et on marche vers la maison.
On entre.
Odeur de cuisine, lumière chaude, bruits familiers.
Et aussitôt, ma mère sort de la cuisine avec un grand sourire.
— Minjae ! T'es encore plus beau qu'hier, c'est quoi ton secret ?
Il s'incline légèrement, air humble, sourire d'acteur.
— L'amour de votre fille, madame.
Je lève les yeux au ciel si fort que je vois presque mon cerveau.
— Il ment. Ne l'écoutez jamais.
Mon père arrive du salon, lunettes sur le nez, journal plié sous le bras.
— Tiens, Minjae. Tu ne l'as pas ramené en moto, hein ?
Je me fige.
Glaçon dans le dos. Panique niveau 8.
Mais Minjae, lui, maîtrise.
Il s'approche de mon père avec son air de gendre idéal.
— Non monsieur. J'ai pris un taxi. On a laissé ma moto au centre-ville. Trop de monde.
Mensonge. Impeccable. Fluide. Crédible.
Mon père hoche la tête, satisfait.
— Bon réflexe. C'est dangereux, les deux-roues en ville. Suhwa, t'as de la chance qu'il pense à ta sécurité.
Je hoche la tête, faussement angélique.
— Je sais, Appa.
On entre dans la cuisine.
Minjae s'installe direct, comme chez lui, sans demander. Il attrape une clémentine dans le panier, enlève ses chaussures, balance sa veste sur une chaise.
— Vous avez fait quoi de bon aujourd'hui ? Ça sent trop bon, madame Na.
Ma mère rigole, en train de touiller un ragoût.
— J'attends que Sion et Ilwoo arrivent pour commencer à servir.
Et là. Mon estomac se tord.
Ilwoo.
J'avais oublié qu'il venait.
Enfin... j'avais voulu oublier.
J'inspire.
Je souris.
Je m'assois à côté de Minjae, qui me tend une part de mandarine sans rien dire.
Je croque dedans.
La soirée va être longue.
Le temps passe lentement.
La cuisine sent les épices et le riz vapeur.
Minjae tape sur son téléphone, moi je le regarde du coin de l'œil en grignotant une tranche de pomme.
Et puis.
La porte d'entrée s'ouvre.
Deux voix.
Des rires étouffés.
Des pas lourds dans l'entrée.
Sion entre le premier, et Ilwoo le suit.
Et là...
le silence.
Le vrai.
Celui qui fait ralentir mon cœur.
Il est habillé tout en noir.
Sweat oversize, gants stylisés, pantalon cargo, chaînes, col montant.
Un crayon noir souligne ses yeux en amande.
Boucle d'oreille argentée.
Casquette noire vissée sur la tête, masque chirurgical abaissé sur le menton.
Il est trop beau. Trop calme. Trop dangereux.
Je ne respire pas pendant une seconde.
Son regard croise le mien.
Juste une fraction de seconde.
Mais je le sens partout.
Et lui...
il détourne les yeux.
Comme si de rien n'était.
Il pose son sac près du canapé.
Sion sourit et claque dans la main de Minjae.
— Frérot !
Minjae se lève, échange un check avec lui, puis regarde Ilwoo avec un sourire de défi.
— Tu t'habilles comme un tueur maintenant ?
Ilwoo esquisse un sourire à peine visible, l'air de dire "je suis fatigué mais j'suis quand même plus beau que vous tous."
— C'est mon jour off, laisse-moi vivre.
Sa voix est grave, calme, posée.
Ma poitrine se serre.
Je reste assise, figée.
Comme toujours.
Et pourtant... je n'arrive pas à détourner le regard.
La table est mise.
La lumière est chaude, la nappe impeccable, les plats encore fumants.
Ma mère dépose le ragoût au centre, puis s'installe à l'un des bouts de la table.
Mon père est déjà assis à l'autre bout, baguettes en main, prêt à déguster.
— Allez, servez-vous. Y'en a pour une armée, dit-elle en souriant.
On s'installe tous.
Minjae à ma droite.
Ilwoo pile en face de moi.
Sion en face de Minjae, donc à côté d'Ilwoo.
Et mes parents de chaque côté, comme deux piliers tranquilles.
Les premières bouchées se passent en silence.
C'est bon. Confortant. Familial.
Même Ilwoo mange calmement, le visage à moitié caché par ses cheveux tombant sur ses yeux.
Puis... évidemment, fallait qu'il parle.
Sion.
— Au fait, Minjae... Vous êtes venus en mo—
BAM. Coup de pied sous la table.
Je vise Sion.
Mais.
Je touche Ilwoo.
— Aïe !
Tout le monde se fige.
Minjae étouffe un rire.
Sion me regarde, perdu.
Moi ? Je veux disparaître dans le kimchi.
Ilwoo relève lentement la tête, yeux dans les miens, regard mi-sarcastique, mi-curieux.
— ...Tu me tapes maintenant ?
— C'était pas pour toi ! Je dis en panique.
— Donc y'avait bien une raison de taper quelqu'un ?
Le silence s'installe.
Puis mon père lève lentement les yeux vers nous.
Son regard va de moi, à Minjae, puis revient vers moi.
Un silence qui dit clairement : "Vous m'avez pris pour un imbécile tout à l'heure ?"
Minjae garde son sourire le plus innocent.
— On est venus en taxi, monsieur.
Mon père hausse un sourcil, mais dit rien.
Je pique dans mon riz avec la délicatesse d'un bulldozer.
Et le repas continue.