- Diane -
Adam était parfait, et c’était son seul défaut.
Diane le regarda évoluer parmi les invités. Sociable, la conversation agréable, le cadet des frères North charmait tout le monde sur son passage. Pourtant c’était l’anniversaire de Charlotte que l’on célébrait et c’était le solaire Adam qui attirait l’attention.
Adossée au mur de la maison, elle était l’observatrice silencieuse d’un tableau digne de Pinterest.
Tellement adorable.
Diane grimaça et se gifla intérieurement. Charlotte méritait le meilleur. Son amie incarnait la douceur et la résilience, cette force à traverser une seconde fois la maladie. À se demander comment Diane et Charlotte avaient pu rester amies depuis toutes ces années tant elles étaient différentes. Avec Lucas à ses côtés, ils formaient un couple solide, amoureux.
Une relation qu’elle se savait incapable de vivre.
La musique d’ambiance se tut au moment où Lucas, l’aîné d’Adam et compagnon de Charlotte, fit tinter un couteau contre sa flûte. Lucas se tenait au milieu du jardin, le regard tendre envers sa bien-aimée. Il se racla la gorge avant de déclarer, ému:
— Ma merveilleuse Charlie. Il y a un an, tu fêtais ton anniversaire avec tes anges*, Diane et Daphne, précisa-t-il en pointant son verre vers les intéressées. Le destin vous a amené jusqu’à l’Alambic et…
— Et je suis le destin qui a amené Lucas à Charlotte ! s’écria Adam, déclenchant des rires.
Adam faisait référence à la faveur qu’il avait demandée à son frère de le seconder à son club. Lucas s’était alors occupé de la commande de Charlotte, et celui-ci n’avait eu d’yeux que pour elle. Depuis, leur couple avait connu des hauts et des bas, toutefois ils ne s’étaient plus quittés.
Adam fit un clin d’œil à Diane, tout en s’approchant et ajouta:
— Il n’y a pas que Charlie et Lucas qui ont été chanceux ce soir-là.
Diane rougit, mal à l’aise d’être le centre d’attention et plongea le nez dans son verre pour échapper aux regards curieux.
Adam lui porta secours, la couvrant de tendres gestes devant ses propres parents, remarquant même le changement de couleur de son rouge à lèvres. Nuance baisers réservés à Adam avait-il plaisanté en frôlant sa bouche.
On les avait taquinés en pariant sur la date d’une future annonce, pour ne pas mentionner le mot tabou. Mariage. Les blagues, peu subtiles, voire grivoises, avaient agacé Diane qui sentait la panique monter tandis qu’Adam riait en glissant une main sur sa nuque pour la cajoler. Tout le monde les voyait dans le futur avec enfants, une maison à bardage dans les hauteurs de San Pablo, un crédit de vingt-cinq ans sur le dos.
Tout ce qu’elle fuyait.
Heureusement, l’annonce des futurs projets de création de Daphne, détournèrent l’attention pour le reste de la soirée.
Ils rentrèrent en silence. Adam conduisait, la main sur la cuisse de Diane. La nuit camouflait ses traits et le mutisme inhabituel du jeune homme l’intrigua. Elle n’insista non plus, le regard perdu dans les lumières de San Francisco au loin.
Adam et Diane s’étaient aussi rencontrés ce soir-là, il y a un an, et l’artiste avait tenu le propriétaire du club à distance quelques semaines. Diane, tel un papillon attiré par la chaleur et la lumière de son amant, craignait de s’y brûler les ailes. Ils étaient trop différents. Luttant contre ses propres sentiments envers Adam, elle l’avait maintenu dans une relation naviguant entre l’amitié avec bénéfice et l’exclusivité la plus farouche.
Hélas, Diane connaissait la réalité: leurs vies étaient incompatibles.
Elle vivait à Los Angeles, lui à San Francisco, près de son frère et de ses parents.
Ils exerçaient des métiers diamétralement opposés. Elle, graphiste, à plein temps, et peintre, dont la carrière décollait, se dédiait uniquement à son art en prévision d’un futur vernissage. Lui, entrepreneur et investisseur, passait tout son temps sur les travaux de son futur restaurant dans la cité des Anges, lui donnant l’opportunité de visiter Diane.
D’un tempérament secret et un peu sauvage, pouvant s’isoler des heures, voire des jours dans son atelier, Diane pouvait perdre la notion du temps, pour pouvoir expulser de son cœur, de sa tête et de son corps toutes les émotions qu’elle peinait à contenir. Tandis que la personnalité expansive et joviale d’Adam attirait la foule.
Il était solaire, elle était glaciale.
Ils avaient succombé à une passion ardente, une fusion incandescente, dont l’intensité ne pouvait durer éternellement.
Adam interrompit le fil de ses pensées toxiques en se garant sur le promontoire surplombant le Golden Bridge illuminé avec la cité en toile de fond. Une vue romantique et esthétique pour son œil d’artiste. D’ailleurs, certains y avaient installé chevalets et trépieds pour capturer cette vue singulière.
Diane scruta le profil d’Adam. Il était devenu en quelques mois son amant, ami, confident. Elle pouvait le peindre les yeux fermés. Ses yeux verts rieurs, ses mèches claires, soyeuses, indisciplinées, sa mâchoire carrée. Cet homme magnifique, qui s’était intéressé à elle, avec qui elle adorait se chamailler, semblait terriblement nerveux. Et c’était à cause d’elle. Depuis leur rencontre, Diane avait tenu Adam à distance, allergique à tout ce qui pourrait ressembler à un couple. Adam avait su l’apprivoiser en gardant leur relation légère et sans étiquette. Quand ils se voyaient, ils sortaient, riaient et faisaient beaucoup l’amour.
Ne pouvant tenir la tension qui la submergea, elle se précipita hors du véhicule avec son paquet de cigarettes. La flamme vacillante de son briquet illumina son visage une seconde puis elle aspira longuement la nicotine, les yeux fermés, cherchant du réconfort dans le poison qui envahit ses poumons.
Sa cigarette était la récompense de s’être bien tenue toute la soirée et évité des commentaires sur cette mauvaise habitude. Elle avait fait cet effort pour faire honneur à Charlotte.
— Petit cœur ? appela Adam en sortant du véhicule à son tour.
— Tout va bien, coupa-t-elle en retenant une grimace en entendant son surnom. La soirée était longue, je me suis retenue de fumer, j’en pouvais plus, éluda-t-elle.
Le silence s’étira entre les amants, rythmé par la mèche rougeoyante qui se consumait au gré de la brise qui fouettait la rive. Adam s’était toujours retenu tout commentaire explicite sur son addiction à la nicotine, mais ne pouvait retenir un coup d’œil appuyé ou de plisser le nez de dégoût.
Diane écrasa sa clope, croqua une pastille à la menthe, et plongea ses mains dans les poches, évitant le regard d’Adam. Elle crevait d’envie de se blottir contre lui. Il était plus grand qu’elle, alors qu’elle-même mesurait un mètre quatre-vingt. Il lui était rarement arrivé de pouvoir se sentir cajolée dans des bras forts.
Adam fit crisser ses doigts sur sa barbe puis déclara d’une voix vibrante:
— Diane, cela fait quelque temps qu’on se voit en TBTH. Ce soir, on a fêté l’anniversaire de Charlie. Et la fin de sa thérapie. Et leur anniversaire de rencontre. Ils ne savent pas faire les choses à moitié ces deux-là, ricana Adam.
Diane sourit intérieurement. Adam aimait bien utiliser l’acronyme TBTH pour “tout bien, tout honneur”. C’était sa formule pour atténuer des paroles trop formelles qui hérissait Diane. Adam avait vite compris qu’elle évitait les convenances.
Ne sachant pas où Adam voulait en venir, elle se contenta d’acquiescer. Sa nervosité grimpa en flèche quand il fouilla dans sa poche avant de lui tendre un écrin en velours. Le souffle court, sa vue se brouilla, sentant la panique monter. Diane ne pouvait plus respirer. La boîte entre ses mains était un piège, un symbole de tout ce qu’elle fuyait. Elle jeta un regard vers Adam, cherchant des mots, n’importe quoi, mais tout restait coincé dans sa gorge.
Qu’est-ce qui n’allait pas chez elle ? N’importe quelle femme tremblerait d’émotion en voyant cette petite boîte. Pourquoi réagissait-elle ainsi ?
— Ce n’est pas ce que tu crois… murmura Adam, relâchant à peine l’étau qui enserrait son cœur. C’est juste… la clef de mon appart.
Il prit une profonde inspiration avant de continuer.
— Même si ce n’est pas notre anniversaire, ça fait un an que tu es entrée dans ma vie. Tu es une tornade. Tu m’as mis la tête et le cœur à l’envers. Et j’adore ça. Encore plus que tu le fasses tous les jours et non pas seulement quand tu es de passage à San Francisco. Je sais que c’est un grand pas que je te demande et on ira à ton rythme… Mais je t’ai…
Adam n’avait pas pu finir sa phrase que Diane lui avait sauté dessus. Les larmes qu’elle laissa échapper n’étaient pas de joie. C’était son cœur qui saignait. Elle ne pouvait lui retourner son amour. Par ses mots, Adam avait condamné ce qu’il y avait entre eux. Il aspirait à une relation et une vie que Diane ne pouvait lui offrir. Dorénavant, Adam lui serait interdit. Il voulait être en couple, avec de la stabilité et un avenir.
Diane fuyait la normalité.
Alors elle leur offrit des adieux à la hauteur de la douleur qui lui déchira les entrailles. Elle sauta sur sa bouche, le plaquant contre la voiture, en plongeant ses mains dans ses cheveux pour le garder contre elle. Elle le marqua et le revendiqua. Avec ses lèvres, sa langue, ses dents et ses grognements.
— Merci d’être toi, Adam, chuchota-t-elle en sanglotant.
Puis elle mit un terme à ce qui ressemblait de loin à une relation en l’embrassant avec tout ce qu’elle avait en elle, c’est-à-dire pas grand-chose, mais elle y mit tout son cœur.
Une dernière fois, elle le goûta, le savoura, s’imprégna de son odeur, de sa chaleur, des battements sourds dans sa poitrine. Elle ressentit le froid quand elle quitta son étreinte pour regagner son siège.
— On rentre à la maison ? demanda Adam, plein d’espoir.
Un dernier mensonge.
— Rentrons.
Diane regarda Adam dormir dans son lit, incroyablement érotique et beau dans sa nudité. Telle l’égoïste qu’elle était, elle s’était autorisé une dernière étreinte déchirante, enfonçant Adam dans l’illusion.
Maintenant il était temps. Le soleil se levait timidement.
Elle glissa la note manuscrite qui scellait ce qui avait existé entre eux sous l’oreiller et referma la porte derrière elle en laissant la clef sur le comptoir.
Sale froussarde.
* Référence à la série “Drôles de Dames” ou “Charlies’ angels” aux USA.