| PDV d'Izuku
Plus qu'une semaine, me dis-je alors que le bus prenait la route de chez moi.
Plus qu'une semaine, et les vacances d’été pointeraient enfin le bout de leur nez. Comme chaque année, je partirais avec ma mère en France pour une durée de sept jours. C’est là-bas que mon grand-père paternel vivait, dans une petite maison perdue au cœur des montagnes du Jura, depuis trop longtemps pour que je m’en souvienne. Le département n’abritait peut-être pas les massifs les plus hauts, mais cela n’enlevait rien à sa beauté. Il regorgeait de sources d’eau, de forêts, de sentiers et d'autres coins que ma mère et moi ne nous lassions jamais de redécouvrir. Loin de la ville, au plus près de la nature.
La France. C’était là aussi que mon père travaillait, partageant apparemment l’intérêt du sien pour ce pays. Quand il n’était pas en voyage d'affaires – c’est-à-dire rarement – et n’avait pas pour autant la possibilité de rentrer au Japon, il venait séjourner chez lui. Peut-être que nous aurions l’occasion de le voir un petit peu. Je l’espérais.
Qu'est-ce que j’ai hâte !
Toutefois, au moment du dîner, cette même hâte s’atténua pour céder la place à l’inquiétude lorsque je sentis que quelque chose n’allait pas. D’ordinaire, maman m’aurait demandé si ma journée s’était bien passée, si j’avais mangé avec des amis le midi, si oui lesquels, si j’avais fait des progrès avec mon Alter, sans oublier si pour ça je n’avais pas trop forcé sur mon corps. Ensuite, elle aurait déblatéré sur sa propre journée, s’étonnant du point auquel les gens pouvaient être méchants sans raison. Mais ce soir, il n’en était rien, elle n’avait pas dit un mot de tout le repas. Je la fixais depuis un moment maintenant, cherchant à comprendre pourquoi elle tenait à garder les yeux baissés sur son bol.
Cette énième bouchée dans ce silence pesant fut celle de trop. Je posai mes baguettes sur la table, dans un bruit qui n’aurait pas dû être seul à résonner dans la salle à manger, et osai lui demander :
— Maman, qu’est-ce qui t’arrive ?
Pour la première fois depuis qu’on s'était mis à table, ses yeux se levèrent sur moi. Elle lâcha ses couverts, comme si j’avais fait de ce geste la condition pour amener une confrontation, et soupira.
— Excuse-moi, mon chéri, c’est que… il y a quelque chose dont je dois te parler.
L’air coupable qu'elle arborait n’aida ni mon cœur à battre normalement, ni mon imagination ni rester à sa place.
— Je t'écoute, dis-je néanmoins, ne lui laissant pas le temps de trop s’emballer.
— Je… je ne vais pas pouvoir venir avec toi chez ton grand père, cet été.
Quoi ?
— Pourquoi ? m’enquis-je avec plus d’émotion que je l’aurais voulu.
— Cette année, les conditions à mon travail font que je ne peux pas poser mes vacances au même moment que les tiennes. Ça veut dire que, quand la semaine prochaine tu seras en vacances, moi, je serai encore au travail… Je suis désolée, Izuku.
Ses quelques phrases avaient suffi à ce que toutes ces joyeuses images de vacances que je m’étais construites ces dernières semaines tombent en une immense flaque de déception, me plongeant dans l’incapacité de lui répondre que ce n’était pas de sa faute et qu’elle n’avait donc pas à s’excuser, comme je l’aurais sûrement fait si ce voyage en France ne comptait pas autant pour moi.
— Est-ce que tu veux quand même y aller seul ? m’interrogea-t-elle. Ou tu préfères ne pas y aller du tout ?
— Y aller sans toi, c’est pas la même chose… avouai-je. On formait un trio, et… même si j’adore la compagnie de papi, il ne fait autant de choses que nous… C’était avec toi que je passais le plus de temps…
Ma mère hocha la tête, signe qu’elle comprenait. Pourtant, elle continua de me regarder tristement, semblant réfléchir à mes paroles. Au fond, elle voulait que j’aille quand même le voir. Il vivait seul au quotidien. Avec l’emplacement de sa maison, il n’avait pas de voisins, donc très peu d’interactions avec les autres, puisqu’en plus de cela il n’aimait pas trop se rendre en ville. J’imaginais que cette petite semaine que l’on venait passer chez lui chaque année devait être chère à ses yeux…
Que faire ?
C’est alors que le visage de ma mère s’éclaira, comme si une ampoule s’était allumée au-dessus de sa tête.
— Et si tu proposais à l’un de tes amis de t’accompagner ? Peut-être que ça leur plairait de découvrir la France.
Le premier sentiment que cette idée provoqua chez moi, c’est de la surprise. Non pas qu’elle était saugrenue, elle était même tout à fait pertinente, seulement je n’avais jamais envisagé la possibilité de profiter de mes vacances avec quelqu'un d’autre que ma mère. De mes quatre ans jusqu'à mes quinze ans, elle avait été ma seule et unique amie, la seule personne au monde avec laquelle je pouvais être pleinement moi-même sans craindre qu’on me reproche qui j’étais, la seule personne au monde avec laquelle je pouvais m'amuser, savourer la vie et garder d’elle des souvenirs heureux. Avec mon entrée à Yuei, la donne avait changé. J’avais rencontré des personnes formidables avec qui, même si nous ne nous connaissions pas encore très bien, je me sentais bien plus à l’aise que celles qui m’avaient entouré à l’école primaire et au collège, et avec qui oui, à bien y réfléchir, je pourrais passer de bonnes vacances.
Bientôt, la lumière irradiant son visage se propagea jusque sur le mien.
— C’est une superbe idée !
Mon grand-père aussi, quand elle lui en fit part, l’approuva avec joie. Ainsi, je passai le weekend à dresser une liste des personnes auxquelles je pourrais demander, aux côtés de qui j’aimerais passer une semaine de vacances entière en montagne.
Ma première pensée fut pour Uraraka, la toute première amie que je m’étais faite à Yuei. Elle était toujours d’une bonne humeur contagieuse et d’une compagnie agréable. Partir avec elle me plairait bien, seulement… ça voudrait dire passer une semaine AVEC UNE FILLE ! Je ne savais pas si j’étais prêt pour ça.
Je pensai alors à Iida, un de mes premiers amis lui aussi, curieux et plein d’énergie. L’opportunité de voyager en France l’intéresserait sans doute beaucoup. Par contre, je ne savais pas comment il aimait s’amuser. Peut-être que ça ne faisait même pas partie de ses projets…
Est-ce qu'il y avait d'autres personnes que je pouvais considérer comme mes amis ? Mon esprit dériva bien sur une, mais… non. Non, ça n'irait probablement pas.
La prochaine question qui s’imposa dans mon esprit embrouillé fut alors : qui inviter en priorité ?
Hélas, la vive arrivée du lundi ne me laissa pas le temps d’y répondre et, lorsqu’au bout de deux heures de littérature japonaise, Cementos nous accorda une petite pause qui semblait être l’occasion parfaite d’aller faire ma proposition à l’un de mes amis, mon choix n'était toujours pas fait. Or, il fallait que je m'y prenne vite, ou bien ils refuseraient tous, soit parce qu'ils auraient déjà rempli leurs deux semaines de vacances, soit parce que les billets d’avion seraient devenus trop chers pour eux.
Fatigué par cette prise de tête, je finis par la laisser tomber et choisir d’inviter le premier ami sur lequel je tomberais.
— Salut, Deku ! retentit, derrière moi, une voix que je connaissais bien.
— Oh ! Salut, Uraraka-san.
— Tout va bien ? s’enquit-elle, une pointe d’inquiétude troublant son ton enjoué. Tu avais l’air un peu préoccupé ce matin.
— Oui, ça va, ne t’inquiète pas, la rassurai-je, avant de me souvenir de ce que son arrivée voulait dire. C’est juste que… j’avais quelque chose à te demander.
— Ah oui ? Qu’est-ce que c'est ?
Ce genre de situation étant tout nouveau pour moi, je pris un instant pour réfléchir aux mots avec lesquels formuler ma proposition. Puis j’inspirai, et lui expliquai l’idée que ma mère avait eue.
— Des vacances en montagne ? En France, en plus ? Ça a l’air génial ! s’exclama-t-elle. Malheureusement… je ne vais pas pouvoir t’accompagner, désolée.
— Oh… Pourquoi ?
— Comme tu le sais, la situation financière de ma famille, c’est un peu la galère... Je fais tout ce que je peux pour ne pas l’aggraver et, quand je serai devenue une héroïne pro, l’arranger. Alors je ne me vois pas demander à mes parents de me payer un billet d’avion pour un aller-retour dans un pays lointain… tu comprends ?
T’es vraiment qu'un idiot, Izuku !
— Oui, bien sûr, c’est logique. Je n’avais pas pensé à ta situation, désolé…
— Pas de problème ! répliqua-t-elle, toujours avec le sourire, ce qui suffit à tarir ma culpabilité. Après, je suis sûre qu’Iida sera ravi de partir en France avec toi ! Même s’il risque de se croire en voyage scolaire, haha !
— C’est ce que je me suis dit ! ris-je à mon tour. Je vais aller le lui demander tout de suite.
— Ok, je te laisse alors ! conclut-elle avant de rejoindre la table autour de laquelle les autres filles de la classe s'étaient réunies pour discuter.
Je ne perdis pas de temps et bifurquai sur la seconde option : mon ami le délégué. Mes yeux ne mirent pas longtemps à le trouver. Assis à sa place, le nez encore plongé dans ses cours, il devait sûrement être en train de finir l’exercice qui avait été interrompu au profit de la pause, comme à chaque fois.
— Salut, Iida-kun ! lui lançai-je en m’approchant de lui, espérant ne pas trop le déranger.
Après quelques secondes – suffisant à ce qu’il termine d’écrire sa phrase sans doute –, il leva la tête vers moi et me salua en retour, avec son dynamisme habituel. J’enchainai aussitôt avec la présentation de mon projet de vacances, auquel il répondit :
— Navré Midoriya, mais je ne peux pas venir avec toi. J’ai promis à mon frère de passer le peu de temps que je ne passe pas à réviser à ses côtés. Après son accident, je tiens à être là pour lui.
— Oh ! Oui, je comprends, réagissai-je. Désolé de t'avoir embêté.
Mince, il ne peut pas non plus…
— Tu ne m’as pas embêté.
Qui est-ce que je pouvais bien inviter, dans ce cas ? Qui d'autre faisait partie de ceux que je pouvais appeler mes amis ?
— Dans ce cas, je vais demander à…
Je laissai ma phrase en suspens, accordant un moment à mes yeux pour lui trouver, au milieu de mes camarades dispersés dans la salle de classe, une suite. En vérité, je pensais déjà à quelqu'un, mais… la perspective de partir avec lui me faisait peur, alors je préférais ne pas l'envisager.
— …Todoroki ? suggéra Iida.
Je me figeai à l’entente de son nom.
Oui, c’était lui. C’est lui qui m’était venu en tête à la suite d’Uraraka et Iida quand j’y avais réfléchi le weekend dernier, et quand j’y réfléchissais encore maintenant. C’est lui qui revenait toujours à la charge quand je le mettais de côté, s’imposant toujours plus dans mon esprit comme si c’était sur lui que mon choix devait se porter.
On avait beau s’être rapprochés avec le festival sportif et l’arrestation de Stain, je le connaissais encore très peu. À mes yeux, il demeurait un mystère. J’étais au courant d’un morceau de son passé, mais de rien qui ne concerne ses centres d’intérêt, ce qu’il aimait faire de son temps libre, encore moins de ses vacances. Non seulement il ne parlait pas beaucoup, mais son visage ne traduisait aussi que peu de choses. Souvent, lorsque mon regard se portait sur lui, je me demandais : « À quoi peut-il bien penser ? », « Que peut-il bien ressentir ? », mais je n’étais jamais sûr de la réponse.
Peut-être qu’il n’aimait pas s’amuser comme moi j’aimais m'amuser. Peut-être qu’il voulait que ses amis restent des personnes qu’il côtoyait à l’école, rien d’autre. Peut-être qu’il trouverait ma proposition bizarre et la rejetterait froidement. Peut-être qu’après ça, il ne voudrait même plus me parler…
— Vous êtes amis, vous aussi, non ? ajouta Iida, interrompant mon flux de craintes. Il est assez solitaire, c’est vrai, mais depuis le championnat, il est plus ouvert à la compagnie des autres. Et puis, c’est un élève studieux. Il se pourrait qu’il ait envie de participer à un tel voyage. C’est l’occasion de découvrir une toute autre culture, après tout ! Tu devrais le lui proposer.
Je considérai ses paroles un instant ; instant durant lequel ce flux de craintes, au lieu de reprendre, commença à s’assécher.
— C’est vrai… reconnus-je.
D’un autre côté, – je n’allais pas le nier – le mystère qui l'entourait m’intriguait beaucoup. Et passer une semaine à ses côtés était l’occasion idéale d’apprendre à mieux le connaître.
Il fallait que je la saisisse.
— Merci, Iida-kun, lui adressai-je, un peu plus rassuré.
— De rien, Midoriya.
Le sourire aussi encourageant que confiant qu’il m’offrit fut ce qui me motiva à prendre la direction de la table de mon ami aux cheveux bicolores.
— Todoroki-kun ? l’appelai-je doucement.
Il tourna la tête vers moi, m’attrapant de son regard perçant que je trouvais si intimidant. L’était-il naturellement, où visait-il à dissuader les autres de venir l’embêter ?
— E-Est-ce que ça te dirait de partir en France avec moi pendant la première semaine des vacances ? parvins-je à lui demander.
J’enchainai avec une explication plus détaillée de mon projet, n’oubliant pas de préciser que je ne pourrais pas lui payer son billet d’avion.
— Tu me le proposes à moi ? fut sa première réaction.
Il avait l'air surpris. Dans le bon ou le mauvais sens ? Je n'arrivais pas à le savoir.
— Oui, à toi. Je… je ne suis jamais parti en vacances avec un ami, mais j’aimerais beaucoup essayer, expliquai-je. Et toi, tu… aimerais ?
Todoroki baissa les yeux un instant pour réfléchir, mais le nombre de battements effectués à la minute par mon cœur, lui, ne baissa pas le moins du monde. Lorsqu’il les releva, ce fut pour répondre :
— Mmh… oui.
Les miens s’ouvrirent en grand.
— C’est vrai ?!
Todoroki hocha la tête.
— Oh, trop bien ! m’écriai-je, ébahi mais heureux. Et tu… tu penses que c’est faisable ? Ton père sera d’accord ?
— Je ne lui demande pas son avis.
Ah…
J’aurais dû m’en douter. Il ne l’écoutait déjà pas avant, évidemment que ça ne serait pas plus le cas maintenant qu’il se sentait maître de ses deux pouvoirs ! J’eus un léger rire, mi-gêné par cette situation familiale délicate et si différente de la mienne, mi-amusé par l’esprit rebelle qu’il manifestait.
— Donc oui, c’est d’accord, je viens.
J’y crois pas… je vais partir en vacances avec Todoroki !
Un sourire enchanté se dessina sur mes lèvres encore un peu tremblantes, puis je choisis d’utiliser le temps de pause qu’il nous restait pour répondre à ses questions et fixer le lieu ainsi que l’heure de rendez-vous.
Mais… et si ça se passait mal ? Et si ce qu’on découvrait l’un sur l’autre ne nous plaisait pas ? Et si ce séjour ensemble nous faisait réaliser que, tout compte fait, nous n'étions pas faits pour être amis ? Mes craintes ne me bloquaient peut-être plus la route, mais elles subsistaient tout de même en arrière-plan, plus dans mon esprit, mais dans mon corps.
Seulement, si j'avais pris la dernière dans un autre sens, j’aurais compris ce que les gazouillis dans mon ventre voulaient vraiment me dire.
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Jpp. À la base, cette ff, ça devait être que du fluff. Et là, quand au bout de 300 mots à peine, je me suis retrouvée à expliquer qu'Izuku n'avait jamais eu d'ami jusqu'à aujourd'hui et que c'était la raison pour laquelle il n'avait pas pensé à passer ses vacances avec l'un d'eux, je me suis dit "Mais Mélane, tu te fous de ma gueule ? C'EST ÇA TON FLUFF ?" 🧍🏻♀️Bon, finalement, il y aura un peu d'angst.
Kiss, kiss ✌🏻