Seulement trois mois pour se préparer au tournoi céleste. C’est court. Les jours passent si vite, sans compter le temps du voyage. Comme chaque siècle, le tournoi se passe au sein de la maison de l’Oiseau Vermillon, dans la Région de Tianshi. Remettre les pieds dans sa ville natale va être aussi éprouvant que dangereux, pour Ming Linxuan. Bien entendu, c’est masqué qu’il s’y rendra, méconnaissable, mais ça ne rend pas la tâche moins ardue. La perspective de se retrouver face à ses anciens proches. Les autres sectes vont également être présentes. Comment sont son petit frère et sa petite soeur maintenant ?
Ming Linxuan s’est donc remis à la cultivation pendant les mois qui ont suivi, changeant drastiquement ses journées, au plus grand plaisir d’Huli Xiyin et des renardes. Huli Xiyin a été une alliée redoutable pendant sa reprise en mains. Elle ne lui a pas fait de cadeau ; comment peut-elle avoir autant d’avantages contre un dieu céleste ? Qui est-elle exactement ? Il n’obtient aucune réponse à ce sujet.
Puis vient le jour où ils doivent quitter Gan Jing, leur village. Dans la calèche qui a pris le chemin de Tianshi, Ming Linxuan a continué de cultiver et, surtout, de méditer. Cette fois-ci, il a quitté ses robes rouges, optant pour une tenue de cultivateur plus sobre : un hanfu blanc et gris, simple mais élégant. Sa couette haute, coiffée ainsi pour l’occasion, est maintenue par un ruban gris et, par-dessus, est attaché un petit ornement très discret. Bien évidemment, il porte un masque qui cache le haut de son visage.
Ming Linxuan se surprend à ne pas aimer le calme qui l’entoure. Peut-être parce qu’il l’a trop ressenti dans l’autre lieu et, qu’ici, il s’est habitué aux espiègleries des renardes. Ces dernières ont eu du mal à le laisser partir. Il n’a pas pu leur faire la promesse de revenir car il est bien placé pour savoir que chaque lendemain est un jour incertain. Tout peut basculer à tout moment.
Huli Xiyin a souhaité l’accompagner. La raison lui échappe toujours bien qu’il se doute qu’elle ne l’ait pas gardé pour rien.
Lorsqu’ils entrent à Tianshi, Ming Linxuan regarde à l’extérieur de la calèche. Les lieux lui sont familiers et, en même temps, totalement différents. Les sources d'eau ne sont plus à la même place. Ils croisent sur le chemin plusieurs sanctuaires en ruines, ce qui ne surprend pas le dieu céleste même si ça n’empêche pas cette petite douleur dans le cœur. Une fois dans la cité, la calèche se stoppe et Ming Linxuan se surprend à ne pas vouloir sortir. La peur fige tous ces muscles. Le courage semble le quitter. Il n’y a que d’amers souvenirs qui l’attendent ici. Des souvenirs insouciants qui ne sont maintenant que douleurs.
Huli Xiyin est la première à sortir avec son élégance habituelle. Ming Linxuan finit par la rejoindre, posant pieds sur les terres de Tianshi pour la première fois en six cents ans. Les rues sont animées, les citoyens agitent des drapeaux et des ballons à l’effigie de l’oiseau vermillon. Pas étonnant, avec le tournoi qui arrive. Ils soutiennent la secte et la royauté. Tout a changé. Ming Linxuan se sent comme un étranger dans ce qui était autrefois son foyer. Il entend vaguement les citoyens chanter les louanges et les prouesses du Dieu Céleste et du prince des Ming. Aucune place pour lui, c’est comme s’il n’avait jamais existé dans l’esprit des gens. Peut-être qu’il vaut mieux l’oublie à la haine. Ming Linxuan, lui, n’a pas le loisir d’oublier. Il est là, armé de son passé, de ses erreurs et de l’injustice qui en découle. En constatant que la vie a continué sans lui, il sait qu’il est inutile d’hurler son indignation et sa vérité. Il n’est qu’un passé révolu. Il est l’erreur et l’horreur dans l’arbre généalogique des Ming, pour ceux qui l’ont connu.
Malgré sa douleur, il y a un endroit où il souhaite se rendre. Son masque bien en place, il se retourne vers Huli Xiyin pour lui faire part de son intention …. Mais cette dernière a disparu. Il ne prend pas la peine de la rechercher, il sait qu’elle réapparaîtra au moment qu’elle jugera opportun. Il fixe un moment l’horizon puis finalement se met en route. Le dieu traverse la cité pour grimper encore et encore jusqu’au sommet de la montagne où se trouve un grand temple avec l’emblème de l’oiseau vermillon. Un temple accessible aux citoyens qui viennent prier la famille royale. Acte considéré comme de bon augure par les dieux.
A cette hauteur, il a une vue imprenable sur toute la cité et l’imposant palais qui se dresse au fond de la ville. Ming Linxuan observe ce décor familier. Au moins, de l’extérieur, la bâtisse n’a pas changé. Son regard s’attarde un long moment avant qu’il ne décide de se détourner. Il entre ensuite dans le sanctuaire et attend sur le côté que les personnes présentes aient fini de prier. C’est l’estomac noué et les jambes tremblantes qu’il s’approche, l’émotion lisible dans le regard.
Ming Linxuan tombe à genoux et s’incline profondément. Il redresse le dos et recommence ainsi, se présentant bien humblement devant ses ancêtres. Il joint finalement ses mains entre elles, les yeux fermés. Il lui faut regagner un peu de contrôle sur ses émotions et ne pas écouter son cœur douloureux, ni le froid qui gèle ses os.
一 Père … Mère …. C’est moi. Ming Linxuan, murmure-t-il après s’être assuré qu’il soit seul.
Il regarde une dernière fois autour de lui avant de retirer son masque. Le dieu s’incline de nouveau.
一 Pardonnez moi, je n’ai pas pu vous rendre visite plus tôt.
La gorge sèche, il force son corps à lui répondre et se redresse pour faire brûler de l’encens et allumer des bougies. Il retourne ensuite s’incliner, avec un soupir qui démontre sa difficulté.
一 J’espère que vous êtes en paix …
Comme s’ils pouvaient l’être après une fin aussi horrible et tragique. Tués par leur propre fils. Comme s’ils pouvaient trouver le repos. Ming Linxuan plaque une main sur sa bouche, une larme coule sur son visage. Il s’incline encore.
一 Père, Mère, pardonnez-moi. Les choses n’auraient pas dû se passer ainsi. Je ….
Sa voix meurt dans un gémissement étranglé, son corps est pris d’un frisson de douleur. Il pose ses mains sur le sol, toujours à genoux, d’autres larmes coulent sur ses joues.
一 Dites moi … Dites moi ce que je dois faire. Ce que je peux faire ! Je veux … Je veux sauver Hui Xia, c’est pour ça que je suis là … Mais …
Mais il ne sait pas s’il va arriver à faire face à toute sa famille. Que peut-il dire pour sa défense ? Non, il ne faut pas qu’il soit reconnu.
Nouveau soupir. Il ferme les yeux pour se concentrer et se calmer. Doucement, il sèche son visage avec les manches de ses robes. Son cœur cesse de s’agiter bien qu’il soit encore si lourd. Lorsqu’il était à Gan Jing, chez Huli Xiyin, la meilleure solution pour lui était de tout laisser derrière lui pour ne plus avoir à se battre, pour ne plus avoir à souffrir et s’accorder un nouveau départ. Pas de vivre à sa guise, non, ça il ne pourra sans doute jamais, mais rester loin du monde de la cultivation. Être personne, jusqu’à que son immortalité daigne se lasser de lui. Ce n’était pas une perspective si terrible après avoir passé six cent ans dans l’Autre lieu. Peut-être un peu ridicule, après avoir mis autant de temps et d’énergie pour en sortir. L’option de la facilité n’est pas la meilleure mais malgré tout la plus stable. Maintenant qu’il se présente devant feu ses parents, la honte le surbmerge. Comment peut-il abandonner alors que les choses sont déjà allées si loin ? Le nom Ming doit être le pire des déshonneurs, pour eux. Mais il reste encore des personnes qui ont le droit de porter ce nom. Des personnes qu’il doit préserver coûte que coûte. Ming Hui Xia. Ming Xiang Li.
Ming Linxuan se redresse et joint ses mains devant lui.
一 Vous avez ma parole … L’oiseau vermillon va s’enflammer pendant le tournoi céleste. Je serai celui qui attirera l’attention des Dieux, encore et encore. Je leur rappellerai mon destin.
Certes, il n’est pas présomptueux au point de dire qu’il prétend encore à ce destin après avoir échoué et que son avenir est parti en cendres. Mais il attirera l’attention de l’Empereur Céleste et lui rappelera qui il est. Son prodige est de retour ! Il fera en sorte d’attirer son attention pour qu’il détourne son regard de Hui Xia. Il ne fera pas son ascension. Ce n’est pas juste pour lui, mais la vie ne l’est pas.
Plus déterminé que lorsqu’il est entré, Ming Linxuan salue une dernière fois ses ancêtres avant de quitter le sanctuaire, masque de nouveau sur le visage.
Trouver une auberge pour la nuit n’a pas été une mince affaire. Elles sont toutes pleines, la veille du Tournoi Céleste, autant par les participants que ceux venus du fin fond du monde pour assister à la gloire des cultivateurs. C’est finalement dans une écurie qu’il s’est reposé.
Le lendemain, Ming Linxuan s’est rendu à la lisière de la forêt rejoindre les autres participants, se présentant officiellement sous le nom de A-Jian, petit cultivateur indépendant sans importance. Ils sont déjà nombreux mais le malaise vient à l’arrivée des grands clans. Evidemment, il les reconnaît grâce à leurs couleurs. Pour l’instant ce sont de simples cultivateurs des différentes sectes. Les familles royales doivent être rassemblées aux festivités en attendant la première épreuve : une chasse aux esprits mineurs dans la forêt. Les participants devront en attraper un nombre suffisamment important pour être reçus à la seconde épreuve. Elle peut ainsi être considérée comme une présélection où un bon ménage est fait. Ce n’est qu’une formalité pour les hauts clans qui ont eu un guoshi pour leur enseigner des méthodes de cultivation.
L’heure arrive bientôt et Ming Linxuan a le souffle coupé quand un visage familier se présente avec les hommes de sa secte. Il ne s’attendait pas à le voir étant donné qu’il est déjà un dieu céleste. Qing Pei Ying a fait son ascension en même temps que lui, lors d’un tournoi où plusieurs d’entre eux ont eu l’approbation des dieux. Dont eux. Qing Pei Ying, le chef actuel de la secte du Dragon Azur. Le frère aîné de Qing Lu Ming et le fiancé de sa sœur Ming Xiang Li. Il recule d’un pas, se mêlant à la foule admirative. Qing Pei Ying a toujours eu une carrure imposante, un des hommes les plus musclés qu’il connaisse. La ressemblance avec son frère reste tout de même frappante même si son visage est plus dur. Ses cheveux ébènes sont tirés en arrière et en hauteur, le ruban vert qui le maintient est accompagné de riches ornements comme ceux qui sont ajoutés sur ses robes, accentuant le côté féroce de ses épaulettes où un dragon doré est dessiné. Comme Lu Ming, ses yeux sont d’un vert bien trop profond. Sa présence le met mal à l’aise. Dans ses souvenirs, Qing Lu Ming s’est toujours tenu à ses côtés. Malgré lui, Ming Linxuan cherche ce visage mécontent qui ferait bondir son cœur. Mais son coeur se glace. Huli Xiyin le lui a dit. Qing Lu Ming n’est plus. S’interdisant d’y penser davantage, il attarde plutôt son regard sur les deux jeunes hommes près de Qing Pei Ying. Sans doute ses héritiers, ses fils. La douleur se tasse légèrement pour permettre à son cœur de se gonfler de fierté et de tendresse. Il cherche les ressemblances avec Xiang Li et qu’il retrouve dans leurs yeux rougeâtres, signe distinctif de leur sectes. Ming Linxuan se surprend à sourire. Il y a encore des raisons pour lesquelles il peut se battre.
Sa joie n’est que de courte durée. Bientôt, il voit d’autres visages familiers, avec notamment les chefs des autres sectes, dont l’un qui est l’un de ses anciens amis très proche : Wang Baihu, toujours aussi reconnaissable avec ses cheveux blancs si caractéristique de la secte du Tigre Blanc. Leurs regards se croisent. Wang Baihu fronce les sourcils mais, déjà, Ming Linxuan se détourne. Sauvé par l’annonce de l’ouverture de l’épreuve, il n’attend pas de trouver d’autres personnes qu’il a connu pour s’engouffrer à l’intérieur. Ça ne va pas l’aider à trouver Ming Hui Xia mais ce n’est pas sur cette épreuve que qui que ce soit peut se faire remarquer. L’épreuve est en fait assez simple : la forêt est remplie de feux follets, petites flammes qui représentent les âmes de défunts restés bloqués dans le monde des humains. Il suffit d’utiliser son qi pour les attirer et leur imposer de les suivre. C’est une pré-sélection pour que ceux qui n’ont pas les bases de la cultivation n’aillent pas plus loin dans le tournoi. Si, en théorie, il est accessible pour tous, dans la pratique c’est une autre histoire.
Ming Linxuan s’éloigne en courant, voulant rafler un nombre assez important de feux follets pour passer l’épreuve. Se dépêcher et quitter cette forêt pour s’éloigner de ceux qui pourraient le reconnaître. Parmi tous ceux qui n’ont pas dû l'oublier, Wang Baihu doit être en tête. Après tout, son amant Zhou Shuilian est décédé par sa faute. C’est ainsi que toute cette histoire a commencé. Si Wang Baihu pouvait le tuer mille fois, il le ferait. Ming Linxuan ne peut pas l’en blâmer, ni le laisser faire.
L’avantage de tous ces feux follets c’est qu’ils sont souvent regroupés, Ming Linxuan peut donc aisément les attraper, ces pauvres petits êtres qui n’ont même plus d’enveloppe charnelle. En prime, les participants de cette épreuve font une bonne action. En effet, à la fin de l’épreuve, les cultivateurs aînés jouent une mélodie en influant leur qi. Les feux follets peuvent alors se détacher de ce monde et se réincarner. Il y a tant d'âmes à libérer, ici bas.
Un deuxième avantage pour lui : être un dieu céleste. Ses forces physiques sont décuplées, il fatigue beaucoup moins vite que les autres. Finalement, c’est en moins d’une heure qu’il estime avoir assez de fantômes mineurs et qu’il se décide de retourner au lieu de rendez-vous. Sans surprises, les plus cultivateurs les plus forts sont aussi rentrés. Certains participants ont, après tout, déjà atteint le rang de dieu céleste. C’est l’occasion de montrer aux peuples qu’ils sont toujours aussi illustres et faire gonfler ainsi leurs nombres de fidèles. Ming Linxuan s’assure que son masque soit bien en place et va s’asseoir dans un coin où il a la tranquillité. Heureusement, les participants reviennent les uns après les autres, ce qui dispense ceux qui s’ennuient de le trouver pour faire la conversation.
Finalement, la première épreuve se termine et, le soir, ils sont tous invités au banquet pour fêter ça. Du moins ceux qui participent à la seconde épreuve. Honnêtement, Ming Linxuan a hésité. Il n’est pas prêt à remettre les pieds au palais, mais il doit se fondre dans la masse. Inutile de briller par son absence, même s’il n’est personne. Ne prenons pas de risque.
C’est donc à contre cœur qu’il entre avec les autres. La salle de réception est si bondée qu’il n’ a pas le temps de profiter du paysage, de noter les changements. Les sectes se mettent bien vite en avant. Chaque chef avec sa femme respectif. Le visage dur, les poings serrés, il regarde le chef de sa secte : son frère aîné Ming Xu Bao. Da Ge.
Non. Pas pour le moment. Sa contemplation est de toute manière coupée par un détail qui a son importance. Il regarde, confus, la bouche ouverte, Qing Pei Ying arriver avec sa femme. Mais la femme à son bras n’a rien de Ming Xiang Li. La femme de Qing Pei Ying n’est pas sa petite soeur.