Quitter Paris a été dur. J'ai tout laissé derrière moi. Ma famille, mes amis... J'y ai passé toute ma vie, toute mon enfance. Déménager dans une autre ville, à quelques centaines de kilomètres de ses souvenirs, ça fait un choc. On ne sait pas si, lorsqu'on reviendra, tout sera comme on l'a laissé, mais tout semble évoluer avec le temps. Alors, en quelques années, j'imagine bien que les ruelles que je connaissais par cœur auront changé de visage, et qu'aussi, je ne reconnaitrais plus celui que j'étais lorsque je traînais sur les toits de Paris, indifférent à ce qui m'attendrai demain. Je ne retrouverai pas ma vie d'avant.
J'ai dû passer trop de temps subjugué par l'architecture, car la dame derrière le comptoir m'interpella - probablement pas pour la première fois. Je prends la place du garçon qui était devant il n'y a pas si longtemps que ça et lui tends mes documents. En échange, elle me donne une clé et la carte de l'établissement. Ce lieu est un vrai labyrinthe. Il y a des couloirs et des escaliers de partout. Je monte au dernier étage, bagage en main, pour rejoindre ma chambre. En chemin, j'ai aperçue le couloir qui mène aux studios de danse. J'ai de la chance, ce n'est pas trop loin.
Chaque couloir est différent. Celui à mon étage est plutôt grand, avec des murs rouges comme dans les grands hôtels, et des tableaux de paysages à côté de chaque porte ainsi que de grandes fenêtres tout le long du mur opposé. Je m'approche de l'une d'elles et observe ce nouveau décor. Je ne m'y sens pas a l'aise. Tout est si différent. L'école comprend plusieurs bâtiments, et le mien est beaucoup plus grand que tout mon lycée. Là-bas, on connaissait tout le monde, sans exception. Ici, je ne connais personne. Je n'ai plus mes repères. Je sais qu'il va me falloir un certain temps d'adaptation, mais je devrais m'en sortir. Ce n'est que pour quelques années, après tout, me dis-je pour me réconforter.
Ma chambre n'était pas du tout difficile à trouver. La toute dernière, au bout du couloir. J'ouvre la porte et me retrouve face à un bordel monstrueux. Ca ne me surprend même pas. Au moins, il reste de son côté de la chambre. J'enjambe un sac de sport et pose ma valise à côté du lit vide. Je ne prends même pas le temps de ranger mes affaires dans les placards et je me dirige vers l'extérieur. Je suis trop fatigué pour sociabiliser avec le gars qui me sert de coloc.
Je jette un coup d'œil aux salles de danse qui m'accueillerons dès la semaine prochaine. Le sol est recouvert d'un parquet flottant, contrastant avec le carrelage froid de mon salon - mes genoux doivent encore en être marqués. Les deux murs latéraux sont entièrement couverts de miroirs. L'un d'eux est équipé d'une barre horizontale, principalement utilisée en danse classique. Sans y réfléchir, mes jambes m'emmènent au centre de la pièce, comme attirées par l'appel silencieux de la scène.
Le silence du lieu me rappelle ces nuits d'insomnies passées à danser, à me défouler au son de mon cœur. A ces souvenirs, mon corps se met à bouger de nouveau - lentement d'abord. Chaque mouvement naît d'un besoin, d'une passion qui me brûle au plus profond de moi. Mes mouvements se font plus grand au fur et à mesures que les larmes me montent. J'effectue des tours et des sauts, comme une partition rythmée parfaitement exécutée. Mon corps tourne dans une valse d'émotion que je ne peux arrêter et enfin je m'abandonne aux larmes. Quelque chose en moi me remercie, surement ce petit garçon maladroit avec les mots qui, même après toutes ces années, a toujours peur de blesser par ce qu'il dit. Il me remercie de vider mon cœur qui débordait depuis bien longtemps.
Je ne retrouverai pas ma vie d'avant. Mais peut-être que ma nouvelle vie ne sera que meilleure.