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Chapitre 3

     La musique résonne dans ma cage thoracique, à tel que je ne suis même plus sûr d'entendre mes pensées. Iris se fraye un chemin parmi la foule comme si elle y avait grandi, esquivant les coudes et les verres levés avec aisance.

     - Viens, on va respirer deux seconde, crie-t-elle par-dessus le vacarme, déjà en train d'ouvrir la porte vers le balcon.

     On est vendredi, et - d'après ce que m'a raconté Iris - comme chaque vendredi avant la rentrée, c'est soirée ! La nuit est à peine tombée que la plupart des étudiants sont déjà défoncés (il y a certainement plus que de l'alcool, ce qui ne me rassure pas...). C'est une tradition qui existe depuis presque aussi longtemps que l'école a été fondée. C'est cette même maison qui accueille chaque année une fête endiablée où les étudiants de l'école - ainsi que des lycéens qui s'invitent à l'improviste - se déhanchent d'un peu trop près à mon goût. On est à peine à dix minutes de nos dortoirs. C'est comme ça qu'Iris m'a persuadé de l'accompagner : si quelque chose me dérange, je n'aurais pas trop de chemin à faire pour me réfugier sous mes draps, à condition bien évidemment que mon coloc ne ramène pas l'une des filles de la soirée.

     L'air frais de la nuit nous frappe le visage comme une bénédiction. Le balcon surplombe un jardin occupé par une terrasse en bois et une piscine creusée en son centre. Je m'accoude à la rambarde, elle s'assoit sur le rebord, les jambes croisées, une bouteille entre les mains. On échange quelques mots - ou plutôt, elle parle, je hoche la tête - et puis elle se fige un instant.

     - Tiens, regarde là-bas. Le gars assis sur le fauteuil, avec la chemise noire.

     En contre-bas, un groupe s'était rassemblé sur les fauteuils d'extérieur, à côté de la piscine. Un type, chemise noire, pantalon noir, une carrure athlétique. Une bouteille dans une main, un verre dans l'autre. Il compte se siffler la bouteille tout seul ? Il ne parle pas. Mais ses yeux bougent de droite à gauche pour suivre la discussion. Un simple sourire en coin, à peine esquissé, suffit à imposer sa présence. Il contraste avec les autres fêtards qui hurlent à gorge déployée et ne se gênent pas pour prendre le plus de place possible.

     - C'est Julien, murmure Iris, comme s'il pouvait l'entendre.

     Je fronce les sourcils.

     - Et... je suis censé savoir qui il est ?

     - Non. Enfin, ce ne serait pas si étonnant si tu le connaissais... mais t'es pas du coin, alors il ne t'en voudra pas si ce n'est pas. De toute façon, tu finiras bien assez tôt par savoir qui c'est.

     Pour quelqu'un en première année, elle a l'air d'en savoir des choses.

     Je n'ai pas le temps de savoir où elle veut en venir avec ce Julien qu'elle se fait entraînée par deux filles, l'une un peu trop bourrée, et je me retrouve seul sur le balcon comme un chiot abandonné sur le bord de la route. Je ne peux m'empêcher tourner le regard vers ce garçon. Il semble être d'un autre monde mais s'intègre parfaitement - bien que faussement - au décor. Quelque chose en lui détonne avec ce qui l'entoure, mais ça ne l'empêche pas d'être comme au centre de l'attention.

     Je redescends dans la cuisine pour me servir à boire. Je me suis pris des coups de coudes et des verres ont manqué de se renverser sur moi, mais j'arrive au niveau de plan de travail en un seul morceau - enfin je crois. La musique trop forte et répétitive me plonge dans un état malaisant, comme si je n'étais plus connecté à rien. J'ai besoin d'eau. Sur le plan de travail et le comptoir il n'y a que des bouteilles de bières, de vodka et tout un tas d'autres alcools je ne je connais pas, en grande partie vide. Mais je ne suis pas assez à l'aise pour fouiller dans le frigo d'un inconnu et pas assez aventureux pour me servir au robinet - une habitude transmise par ma mère - que je fini par m'ouvrir une bière. Enfin je crois que c'en est une. Je fais couler un tiers du contenu dans ma bouche et mon visage se tord dans une grimace. Je manque de m'étouffer l'alcool goutte sur mon t-shirt.

     - Ola, doucement. Tu ne dois pas avoir l'habitude de boire, toi, ça se voit, me dit un garçon s'étant faufilé pour prendre un verre en plastique fluo. Il ne doit pas avoir plus de deux ans de plus que moi, et sans prendre en compte les semelles de ses chaussures aussi épaisses qu'un dictionnaire, il doit faire ma taille, pas plus. T'es dans quel cursus ? me demande-t-il.

     - Danse, je réponds sans conviction.

     Il me regarde comme si j'avais dit taxidermie.

     - Sérieux ? Bah putain, t'es bien le premier mec de l'école que je connais à suivre ce cursus mon gars. 

     Rires autour de lui. Pas méchants, je le sais, mais ça me met mal à l'aise.

     Une fille me tend un verre fluo, le même que celui du garçon - qu'il en train de remplir d'un mélange d'alcool qui me parait douteux. 

     - Shot de bienvenue. Tu refuses, t'es recalé.

     Après hésitation, je trinque avec eux et descend le contenu du verre. C'est dégeulasse. Et putain, ils ont mis quelle quantité au juste ? D'après mes connaissances, les shots se boivent en une gorgée, pas en sept. Une quinte de toux me prend, tellement fort que je dois m'appuyer sur la table pour ne pas tomber. Malgré les lumières stroboscopiques de soirée et la semi obscurité, je sais que tout mon visage se teinte de rouge, presque luisant. Je me relève d'un seul coup, trop rapidement car ma tête se met à tourner.  Mes deux bourreaux me retiennent pour ma que je me casse la gueule sur le carrelage. Ils doivent voir que l'alcool me monte presqu'immédiatement, car ils se mettent à s'esclaffer gentiment et le garçon me donne une tape sur l'épaule. Ma première descente aux enfers. Je n'ai bu que depuis deux minutes, mais déjà je me sens fébrile. Et entouré d'inconnus qui plus est. Cette soirée s'annonce être totalement aléatoire, avec comme issues possibles une course poursuite avec la police, des cadavres dans le salon qui ne se réveillerons que le lendemain après-midi, ou alors une nouvelle bande d'amis douteux mais drôle à mes côtés. 

     On me sort de mes pensées. Jenna et Logan - j'ai dû capter leurs prénoms entre deux visons apocalyptiques de ma propre mort sociale - me tirent dans un coin de la pièce où une partie de poker bat son plein. "Clandestine" est un bien grand mot pour des mises plafonnées à trois euros. C'est des étudiants en art. Il ne fallait pas s'attendre à Vegas. 

     J'ai dû accepter de jouer sans le savoir. Ou alors j'ai hoché la tête au mauvais moment, parce que mes réflexes sont visiblement en RTT. Je n'ai jamais joué, je ne connais pas les règles, et je n'ai pas un centime en poche. Pas que ça ait l'air de gêner qui que ce soit. On dirait qu'ils ont tous décidé de jouer au bluff sans les règles : Jenna, Logan et moi formons une espèce d'équipe bancale, un type à droite mate discrètement le jeu de son voisin, et celui en face de moi — affalé, le regard dans le vide — tient ses cartes à l'envers. On voit son jeu. Lui non. Et pourtant, il relance la mise. C'est fort. Probablement trop défoncé pour comprendre qu'il joue à découvert.

     Tout est si différent de la vie que je menais sur Paris. Ici, les gens vivent en total décalage, avec leur attitude faussement assurée. Ils profitent d'une soirée pour se mettre minables; pas assez pour en crever, et juste ce qu'il faut pour faire tomber la gêne et prétendre que rien ne les atteint. Car avec un peu - beaucoup - d'alcool dans le sang, ils sont bruyants, comme désinhibés, presque authentiques. Mais ce n'est pas mon cas. Je n'y arrive pas. Ce n'est pas l'envie de me barrer d'ici qui manque mais je n'ai pas besoin de me défoncer autant qu'eux pour ne plus être en état de retrouver mon chemin jusqu'à ma chambre. 

     Tout est si différent de la vie que je menais sur Paris. Et je sens que ce n'est que le début. Je ne suis clairement pas dans mon élément.

     Et pourtant, un sourire vient se dessiner sur mon visage.

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