Je m'assoie dans l'amphithéâtre et tente de me faire petit. J'évite les contacts visuels autant que possible, encore plus les contacts physiques. L'atmosphère du lieu me pèse. On ne s'entend pas parler, tout le monde semble retrouver une connaissance, changeant constamment de place. Une odeur de transpiration flotte dans l'air. Qui a eu l'idée de ne pas installer de clime dans un amphi ? C'est la fin de l'été, mais il fait encore bien plus chaud que sur Paris. Alors entasser des centaines d'ado en fin de puberté n'est pas vraiment ce que j'appelle avoir du bon sens. On avait largement la place de s'installer sur les gradins extérieurs à côté de l'accueil.
- Bonjour à tous. Prenez chacun une place. Aller, aller, plus vite que ça.
La voix de la dame présente sur scène résonne dans toute la salle malgré le chahut planant dans la salle. Ce dernier cesse presqu'immédiatement et tout le monde s'assit. Le silence devint soudain pesant. La présence de cette femme en impose grandement. Son blazer bleu marine taille parfaitement sur sa silhouette élancée.
- Bien... elle tire discrètement sur sa veste, comme un vêtement trop petit et peu confortable. Je suis madame Jenkins, la principale de cet établissement. Les internes, vous avez du recevoir vos chambres. Si ce n'est pas le cas - ou que votre colocataire ne vous convient pas - passez dans mon bureau avant la fin de la semaine.
Je prends notes.
Son accoutrement déphase totalement avec sa personne. Elle a les cheveux attachés en une queue de cheval haute avec un dégradé d'un châtain aux racines à un blond polaire sur les pointes, les yeux verts légèrement en amandes maquillés d'or au dessus des paupières. Elle parait trop jeune pour être principale, et trop excentrique pour le milieu scolaire. Son costume semble être un masque. Mais bon, c'est une exigence protocolaire j'imagine.
Son blabla sur les documents administratifs et la bonne conduite en cours se montre aussi ennuyeux pour elle que pour nous. J'en vois certains affalés sur leur siège comme à la maison et d'autres la tête renversée en arrière dormant paisiblement. Si seulement je pouvais m'endormir aussi rapidement qu'eux. Au bout de la rangée, une fille se faufile entre les jambes des spectateurs et les sièges des rangées avant, s'excusant à chacun. Elle ne le remarque pas, mais son sac cogne contre la tête de tous ceux de la rangée de devant, et ça m'arrache un rire étouffé. Elle s'assoit sur le seul siège disponible, celui à côté de moi.
- Je n'ai rien loupé ? Me demande-t-elle essoufflée, voyant que je lui prête attention.
- Juste l'annonce du sacrifice annuel des retardataires... mais t'inquiète, t'es encore dans les temps pour signer le formulaire de consentement. Lui dis-je, un sourire aux lèvres.
On se retiens tous les deux de rire. Ca ferait mauvaise impression de se faire remarquer alors que les cours n'ont même pas encore commencés. Cette fille a quelque chose de différent de tout ceux que j'ai croisés ici. Elle parait moins... je ne sais pas, moins formatée. Moins fausse en tout cas.
Les cours commencerons dans quatre jours. Je rencontrerais pour la première fois mes camarades, et je ne serais pas surpris d'être le seul garçon en danse. Quasiment tout ceux que j'ai ont une allure de football américain ou d'étudiant en spé histoire de l'art. Non, pas de généralisation, pas de préjugés, me dis-je. Je risque d'être surpris.
- Et enfin, pour ceux concernés par le programme "Annexe 12", une convocation vous sera remise ce soir.
Quelques têtes se tournent, intriguées. Moi, je fronce les sourcils.
- Annexe 12 ? Je murmure à ma voisine. C'est quoi ?
- Simplement un programme plus stricte qui prépare au concours pour un groupe de grandes écoles étrangères. Me répond-elle après une hésitation.
Son visage s'est subtilement refermé lorsque j'ai posé la question. Avais-je dit quelque chose qu'il ne fallait pas ?
Elle semble reprendre contenance lorsque la foule se lève et se dirige vers la porte de sortie. Elle les suit à son tour tout en me parlant.
– Ils font ça tous les ans, tu crois ? La réunion dans un four, avec le suspense glauque genre "Annexe 12" ?
Je souffle du nez, presque un rire.
Dehors ou dedans, tu cuis pareil. L'odeur de renfermé est remplacée par celle de la crème solaire et de viande brûlée. A ce stade, je me demande si ce n'est pas ma peau qui cuit comme dans un barbecue. J'ai bien fait de mettre mon seul débardeur que j'ai amené, autrement j'aurais fait un malaise. J'ai peur pour les prochains jours.
Ma nouvelle camarade et moi s'installons à l'ombre d'un saule pleureur, comme trois quarts des étudiants. Le cul à terre, j'attends que la chaleur prenne mon âme avec elle.
- Tiens.
Elle me lance une bouteille que je n'ai même pas la force de rattraper a temps. Elle s'écrase mollement contre mon torse avant de retomber sur mes genoux. En prenant une gorgée, Iris se fous de moi dans un ricanement purement et ouvertement moqueur :
– Je note : pas doué en sport, pas doué en timing. Tu vas briller ici, toi.